La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17654

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17654


Tribunal administratif N° 17654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17654 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons

ieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, dem...

Tribunal administratif N° 17654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17654 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 19 janvier 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 juin 2004.

En date du 2 octobre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 21 octobre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 19 janvier 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 26 janvier 2004, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif que qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 19 janvier 2004.

A l’appui de son recours le demandeur conclut d’abord à une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que la décision litigieuse est rédigée en langue française, partant dans une langue qui lui est inconnue ; quant au fond il estime remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation ; quant au fond, il conclut au bien-fondé de la décision litigieuse.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

En ce qui concerne le moyen soulevé par le demandeur relatif à l‘absence de traduction de la décision déférée en une langue par lui compréhensible, il échet de souligner à cet égard que le Français est l’une des trois langues officielles du Grand-

Duché en matière administrative, contentieuse ou non contentieuse, ainsi qu’en matière judiciaire, et qu’il n’existe aucun texte de loi spécial obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour le destinataire (cf. trib. adm. 12 mars 1997, n° 9679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 19 et autres références y citées).

Cette conclusion ne saurait être énervée par la référence vague et non autrement explicitée à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Le tribunal tient par ailleurs à souligner que la rédaction d’une décision administrative en une langue inconnue d’un demandeur d’origine étrangère ne saurait en particulier être un motif d’annulation, lorsque le demandeur, comme en l’espèce, est secondé par un conseil juridique, dont les connaissances de la langue française ne sauraient être mises en doute, de sorte qu’il aurait dû à tout le moins être possible au conseil juridique en question de traduire ou de faire traduire la décision à son mandant.

Il en résulte que le moyen du demandeur relatif à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est à rejeter.

Quant au fond, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet si le demandeur fait exposer dans son recours introductif d’instance sans plus de précisions qu’il remplirait manifestement les conditions pour bénéficier du statut de réfugié politique, il ressort de son rapport d’audition que lui et son épouse auraient fait au Kosovo l’objet d’agressions de la part d’Albanais à cause de leur religion musulmane, agressions qui les auraient amené à fuir le Kosovo pour Sarajevo en Bosnie, où ils auraient vécu de juillet 1999 à septembre 2003.

Force est par conséquent de constater que les persécutions au Kosovo dont fait état le demandeur datent toutes d’avant la mi-juillet 1999, tandis qu’il ne relate aucun incident récent justifiant sa fuite de Bosnie. Bien au contraire, le demandeur explique avoir quitté la Bosnie et s’être rendu au Luxembourg pour des raisons économiques, étant donné qu’il ne pouvait pas vivre à Sarajevo sans avoir de travail.

En ce qui concerne les motifs l’ayant poussé à quitter le Kosovo, il résulte des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 21 octobre 2003 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague d’insultes et d’humiliations émanant d’Albanais, de cambriolages perpétrés par les Albanais, ainsi que d’agressions subies par son épouse et le grand-père de celle-ci, il ne relate cependant aucun incident précis à l’occasion duquel il aurait été personnellement persécuté.

Or, une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions. En plus comme il s’agit en l’espèce de persécutions émanant de tiers, à savoir de certains éléments de la population albanaise («Même les Albanais qui vivent depuis longtemps dans cette région ne comprennent plus ce qui se passe. (…) Ce ne sont pas les anciens citadins qui font cela, ce sont des bandes et les nouveaux arrivés »), et non pas de l’Etat, il appartient au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par le demandeur que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité (« Parce que c’est l’insécurité qui règne là-bas. Surtout pour les musulmans »), mais non par des actes concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne.

A cela s’ajoute que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition que le demandeur n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection à l’encontre des Albanais.

Il convient de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du pays et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, notamment en demeurant à Rozaje auprès de la famille de son épouse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation formulé subsidiairement irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17654
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17654 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award