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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17614

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17614


Tribunal administratif N° 17614 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17614 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie-

Monténégro) de nationalité serbo-montén...

Tribunal administratif N° 17614 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17614 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie-

Monténégro) de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 janvier 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître François MOYSE au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2004.

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Le 24 novembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 30 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 23 janvier 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Le 19 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle prévisée.

Le demandeur fait exposer à l’appui de son recours qu’il aurait subi des persécutions par la population albanaise majoritaire au Kosovo à cause de son origine mixte roma-albanaise. Il décrit par ailleurs, d’une manière générale, la situation difficile dont souffriraient les minorités au Kosovo.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

Quant au fond, il estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait pas à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il expose encore qu’une crainte de persécutions par les Albanais du Kosovo ne serait pas admissible au sens de la Convention de Genève, étant donné que les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de cette Convention.

Il expose par ailleurs que la situation en ex-Yougoslavie se serait améliorée, notamment du fait de son adhésion au Conseil de l’Europe et de sa ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

Le demandeur conteste l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement et estime que sa demande en obtention du statut de réfugié serait justifiée au vu de l’insécurité en général et des exactions dont continuent de souffrir les Roms.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité des Roms, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Roms, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Il résulte d’ailleurs à ce sujet du rapport d’audition du demandeur que sa famille restée au Kosovo, à savoir ses père et mère ainsi que sa sœur, n’est pas inquiétée par les Albanais.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

Les persécutions dont fait état le demandeur, émanant d’Albanais, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient de surcroît au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. En effet, il ressort du rapport d’audition que le demandeur n’a même pas tenté d’obtenir la protection des autorités ; il affirme en effet ne jamais avoir porté plainte à l’encontre de ses agresseurs : « C’est pratiquement inutile. S’ils apprennent qu’on a porté plainte alors c’est encore plus risqué ».

Pour le surplus, il résulte des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 30 décembre 2003 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague d’insultes et d’agressions émanant d’Albanais, il ne relate cependant aucun incident précis à l’occasion duquel il aurait été personnellement persécuté.

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par le demandeur que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité, mais non par des actes concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. Interrogé quant aux raisons ayant justifié son départ, le demandeur explique en effet ne pas être en sécurité au Kosovo, et être considéré par les Albanais comme un « être de troisième classe ».

Questionné quant aux conséquences éventuelles de son retour au pays, il répond avoir de manière générale peur « de tous » : « C’est lié à l’insécurité ».

Il convient de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du pays, où son origine mixte roma-albanaise ne serait pas connue et où il pourrait profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, d’autant plus que tant sa religion que sa langue maternelle sont celles de la majorité albanaise.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation formulé subsidiairement irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17614
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17614 ?

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