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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17611

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17611


Tribunal administratif N° 17611 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17611 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, …, né le … (Bénin), de nationalité béninoise, demeurant actuellement à L-… , ten...

Tribunal administratif N° 17611 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17611 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, né le … (Bénin), de nationalité béninoise, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 janvier 2004, notifiée le 27 janvier 2004, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2004.

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Le 25 août 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Monsieur … fut entendu en date du 11 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 22 janvier 2004, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 26 janvier 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’elle peut être considérée comme manifestement infondée et, a fortiori, également comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire.

Le 19 février 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus prévisée.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer être originaire du Bénin et avoir fui son pays au courant du mois d’août 2003 en raison de la magie noire pratiquée par sa tante qui aurait causé la mort de son frère et de son père.

Le demandeur fait valoir que la sorcellerie constituerait un pouvoir réel en Afrique, et que lui-même n’aurait échappé à un sort tragique qu’avec l’aide d’un féticheur puissant.

Il expose encore ne pas avoir été à même de profiter de la protection des autorités, la police béninoise ayant préféré ne pas intervenir face aux pratiques vaudoues dont il aurait été la victime.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur n’aurait fait état d’aucune crainte raisonnable de persécution correspondant à l’un des motifs de fond prévus par la Convention de Genève, mais au contraire qu’il se serait limité à faire état de craintes par rapport à sa tante, qualifiée de sorcière.

Il relève à cet égard qu’un membre de la famille du demandeur ne saurait être considéré comme un agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le demandeur a quitté le Bénin pour fuir sa tante, qui chercherait à le tuer par voie de sorcellerie afin de s’approprier indûment un terrain ayant appartenu au père du demandeur. Il expose à ce sujet que son frère ayant exigé que sa tante restitue ce terrain, il serait tombé malade deux jours plus tard et serait décédé le jour suivant. Le demandeur ayant consulté un féticheur, celui-ci lui aurait conseillé de quitter le pays.

Le demandeur explique cette fuite par le fait que la sorcellerie, qui ferait partie de la vie quotidienne de la majorité de la population africaine et qui y serait prise très au sérieux, peut constituer une menace de mort pour ceux qui en sont victimes.

Si la crainte d’être persécuté par voie de sorcellerie par des membres de sa famille peut constituer, pour des raisons culturelles, une crainte propre à la nationalité, à la race ou la culture du demandeur, il ne s’agit cependant pas d’une crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques (trib. adm. 12 janvier 2004, n° 1726, non encore publié).

La crainte invoquée par le demandeur à l’appui du recours est au contraire exclusivement d’ordre privé en ce qu’elle se dégage directement de son litige avec sa tante au sujet de l’héritage de son père.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a considérée la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation formulé subsidiairement irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17611
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17611 ?

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