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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17603

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17603


Tribunal administratif N° 17603 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17603 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kirkuk (Iraq), de nationalité iraquienne, demeu

rant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice...

Tribunal administratif N° 17603 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17603 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kirkuk (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 2 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 20 janvier 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 31 mars 2003, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 30 avril 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 2 décembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 5 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 30 avril 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre domicile le 5 mars 2003 pour aller d’abord en Turquie. Vous auriez pris place dans un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 31 mars 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire. En effet, vous auriez été appelé en 2002, mais vous auriez pu racheter cette obligation. Vous précisez que vous auriez eu peur d’y aller car vous pensiez que les USA allaient attaquer l’Iraq.

Vous expliquez que votre père aurait eu un poste à responsabilité dans la police iraquienne – il aurait été responsable des lieux de détention des services secrets – et que votre refus d’aller à l’armée vous aurait valu des ennuis avec lui. Vous précisez qu’il vous aurait fait arrêter et torturer au poste de police de Kirkuk. Votre père et les autres policiers vous auraient accusé de trahison et de trafic d’armes avec les Kurdes.

Vous ajoutez aussi que, à l’occasion de la fête de Saddam Hussein, vous auriez écrit et accroché des tracts contre le régime.

Maintenant, vous dites craindre à la fois votre père et la police iraquienne, mais aussi la vengeance des personnes à qui votre père aurait fait du tort.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des renseignements en notre possession que vous avez déposé une demande d’asile en Allemagne le 9 août 2001 sous une autre identité, alors que vous avez dit lors de votre audition n’avoir jamais déposé de demande d’asile ailleurs qu’au Luxembourg.

Ceci jette le discrédit sur toutes vos déclarations.

Quoi qu’il en soit, le fait de craindre votre père ne saurait entraîner l’obtention du statut de réfugié. Ni votre père, ni ceux auxquels il aurait fait du tort ne peuvent être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, la situation en Iraq a complètement changé depuis le début de l’année 2003. Le régime de Saddam Hussein est tombé suite à la guerre entamée par les troupes américaines et leurs alliés. Les dirigeants de l’ancien régime ne sont plus en place et les forces des Etats Unis sont en train d’installer un régime de transition. Les opposants à l’ancien régime ne risquent plus de poursuites par les membres du gouvernement de Saddam Hussein.

S’il est vrai que la situation est encore instable à Kirkuk du fait de sa situation de centre pétrolier, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous serait impossible de vous installer dans une autre ville ou région.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 5 janvier 2004, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 20 janvier 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 18 février 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 2 décembre 2003 et 20 janvier 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En droit, le demandeur conclut à l’annulation des décisions ministérielles déférées, au motif que le refus du statut de réfugié serait motivé par le fait que le 9 août 2001, le demandeur aurait déjà déposé une demande d’asile en Allemagne. Il critique non seulement le fait que cette circonstance ne ressortirait pas du dossier administratif et qu’elle n’aurait donc pas fait l’objet d’un débat contradictoire, mais il reproche également au ministre d’avoir conclu que le fait pour le demandeur de ne pas avoir révélé le dépôt antérieur d’une demande d’asile aurait ébranlé la crédibilité de son récit. Or, il soutient que les autorités luxembourgeoises, au lieu d’en tirer des conclusions quant à la crédibilité de son récit, auraient dû se déclarer incompétentes pour connaître de la demande d’asile au fond en faveur des autorités allemandes, conformément aux termes de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés Européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990.

Le délégué du gouvernement rétorque en soutenant que d’après les termes de la Convention de Dublin précitée, le délai maximal de six mois prévu pour demander aux autorités allemandes la prise en charge du demandeur d’asile aurait expiré en l’espèce, et que le Grand-Duché de Luxembourg aurait de toute façon été compétent pour connaître de la demande d’asile de Monsieur …, celui-ci ne s’y étant pas opposé.

Il y a lieu de prime abord de constater que le demandeur ne conteste pas avoir déposé une demande d’asile en Allemagne. Concernant le reproche de ce que cette information relative au dépôt d’une demande d’asile en Allemagne ne ressortirait pas du dossier administratif, il échet de relever que le ministre de la Justice s’en est déjà prévalu dans sa décision initiale du 5 décembre 2003, de sorte que ce motif a pu faire l’objet d’un débat contradictoire.

L’article 11 de la Convention de Dublin, précitée, dispose que « l’Etat membre auprès duquel une demande d’asile a été présentée et qui estime qu’un autre Etat membre responsable de l’examen de cette demande peut requérir ce dernier aux fins de prise en charge dans les plus brefs délais et, en tout état de cause dans un délai de six mois après le dépôt de la demande d’asile. Si la demande de prise en charge n’est pas formulée dans le délai de six mois, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile incombe à l’Etat auprès duquel la demande d’asile a été présentée. » Il se dégage des termes de l’article 11 précité que le Grand-Duché de Luxembourg pouvait en l’espèce requérir l’Allemagne de prendre en charge le demandeur d’asile, mais n’y était pas obligé. S’y ajoute que, indépendamment de la question de savoir si le délai de six mois était effectivement venu à l’expiration ou non, il n’en reste pas moins que le Luxembourg avait le droit, conformément à l’article 3.4 de la Convention de Dublin, « d’examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un étranger, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères définis par la présente convention, à condition que le demandeur d’asile y consente ». Or, en l’espèce, force est de constater que lors de son audition, le demandeur a répondu par la négative à la question de savoir s’il avait déjà déposé une demande d’asile dans un autre pays, qu’il a déposé sa demande d’asile au Luxembourg, qu’il a collaboré lors de ses auditions avec les agents du service de police judiciaire et du ministère de la Justice, de sorte que son consentement quant à l’examen de sa demande d’asile par les autorités luxembourgeoises ne fait pas de doute. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.

A l’appui de sa demande d’asile, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Kirkuk en Iraq, qu’il appartiendrait à la minorité kurde et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en raison de son refus de faire son service militaire et de collaborer avec les services secrets. Il explique avoir été arrêté et torturé par son propre père, policier sous le régime de Saddam Hussein, en raison de son refus de collaborer avec le service de renseignements et de rejoindre l’armée iraquienne pour ne pas avoir à participer à « des actions militaires contraires à sa conscience et contraires à ses convictions politiques ». Le demandeur soutient encore qu’un retour en Iraq ne serait pas possible, alors qu’il craint subir des persécutions et des actes de violence à son encontre en raison du comportement de son père sous le régime de Saddam Hussein et du rôle joué par son père dans l’arrestation et les mauvais traitements d’opposants à l’ancien régime.

Enfin, il fait valoir que la situation actuelle en Irak, loin d’être stabilisée, ne permettrait pas un retour en toute sécurité.

Sur ce, il estime que c’est à tort que le ministre de la Justice lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié en soutenant que celui-ci aurait fait une mauvaise application de la Convention de Genève et qu’il aurait méconnu la gravité des motifs de persécution mis en avant par lui.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice, au vu des contradictions contenues dans le récit du demandeur, aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions devant la police grand-ducale et l’agent du ministère de la Justice, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par le fait que Monsieur … n’a pas déclaré lors de son audition qu’il avait déjà déposé en 2001 une demande d’asile en Allemagne sous une autre identité et une date de naissance différente.

En outre, les prétendus problèmes allégués par le demandeur sont en relation directe avec un régime politique qui à l’heure actuelle n’existe plus en tant que tel, de sorte que les éléments individuels susceptibles de justifier, le cas échéant, l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genèvre dans le chef du demandeur ne sauraient plus valablement être retenus dans le contexte actuel.

Quant aux considérations avancées par le demandeur en rapport avec la situation actuelle régnant en Iraq, force est de constater qu’elles ont trait à la situation générale, certes loin d’être sécurisée, prévalant dans ce pays, laquelle ne saurait à elle seule justifier la reconnaissance du statut de réfugié. En effet, en l’absence d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subi ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager dans son chef l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17603
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17603 ?

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