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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17597

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17597


Tribunal administratif N° 17597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2004 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro

), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformat...

Tribunal administratif N° 17597 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2004 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 novembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 29 janvier 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 30 juillet 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 11 septembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 5 novembre 2003, envoyée par courrier recommandé du 3 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du 30 juillet 2003 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 11 septembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo pour prendre place dans une voiture. Le voyage aurait duré deux jours jusqu’au Luxembourg. Vous seriez passé par l’Albanie, l’Italie et la France.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 30 juillet 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire et que vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Vous auriez vendu des cigarettes que vous achetiez à un Bosniaque et à un Serbe.

Des Albanais vous auraient reproché de travailler avec des Serbes et vous auraient traité d’espion. Vous craigniez d’être dénoncé à un groupe que vous nommez « la nouvelle armée, l’AKSH » qui serait composée de terroristes.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, je constate que vous éprouvez surtout un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution. En effet, vous n’avez pas fait personnellement l’objet de persécutions caractérisées. En ce qui concerne les terroristes de l’armée AKSH, en admettant leur existence, ils ne sauraient être considérés comme des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. De plus, vous dites que ces personnes seraient aussi recherchées par la police, ce qui prouve que votre plainte a été prise en compte par les autorités.

Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Finalement, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 24 décembre 2003, Monsieur …, introduisit par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 novembre 2003.

Par décision du 29 janvier 2004, envoyée par lettre recommandée du 9 février 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 5 novembre 2003.

Le 17 février 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 5 novembre 2003 et 29 janvier 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo et qu’il aurait été contraint de quitter son pays, au motif qu’il aurait été accusé par la population albanaise de collaborer avec les Serbes et d’être un espion. Il fait valoir qu’il aurait porté plainte auprès de la police à Mitrovica, mais qu’il aurait dû prendre la fuite par crainte d’être dénoncé et tué par les terroristes de l’armée « AKSH ».

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » .

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 11 septembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part des membres du mouvement « AKSH » qui lui reprocheraient de collaborer avec les Serbes. Or, cette crainte s’analyse en substance en un sentiment général de peur, en soi insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, les menaces de mort proférées par des groupes de la population à l’encontre du demandeur, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate. En effet, il se dégage des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte rendu d’audition que les autorités en place, loin d’encourager ces agissements, sont à la recherche des terroristes de l’« AKSH ». Il s’ensuit qu’un défaut de protection caractérisé de la part du pays d’origine ne saurait pas être utilement retenu en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine Mitrovica au Kosovo et, il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17597
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17597 ?

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