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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17585

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17585


Tribunal administratif N° 17585 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17585 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ferizaj (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationa

lité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décis...

Tribunal administratif N° 17585 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17585 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ferizaj (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 novembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 janvier 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

Le 15 avril 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 18 septembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 novembre 2003, envoyée par courrier recommandé du 3 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du 15 avril 2003 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 18 septembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 10 avril 2003 pour aller, d’après vos déclarations à la police judiciaire, en Albanie puis en Italie, et, d’après vos dires à l’agent du ministère de la Justice, en Bosnie. Ensuite, vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 15 avril 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas encore fait votre service militaire et que vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Vous expliquez que votre père aurait travaillé, avant le conflit au Kosovo, dans un café qui appartenait à des Serbes. Par la suite, il aurait eu du mal à trouver du travail car les Albanais lui reprocheraient sa collaboration avec des Serbes. Il aurait fait l’objet de menaces. Quelqu’un aurait été tué dans votre village et votre père vous aurait conseillé de quitter le Kosovo. Vous ajoutez que votre mère ayant été d’origine Ashkali, vous auriez été mal vu des Albanais, notamment à l’école.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, je constate que vous éprouvez surtout un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution. En effet, vous n’avez pas fait personnellement l’objet de menaces ni de persécutions caractérisées. En ce qui concerne les origines Ashkali de votre mère, à les supposer établies, elles ne suffisent pas pour vous voir octroyer le statut de réfugié. Le fait d’appartenir à une minorité n’entraîne pas d’office l’application de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Finalement, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 5 janvier 2004, Monsieur …, introduisit, par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 novembre 2003.

Par décision du 14 janvier 2004, envoyée par lettre recommandée du 15 janvier 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 12 novembre 2003.

Le 16 février 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées du 12 novembre 2003 et 14 janvier 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, que son père serait Albanais et sa mère d’origine « Ashkali ». Il expose plus particulièrement qu’avant et durant la guerre du Kosovo, son père aurait été le gérant d’un débit de boissons à Ferizaj, dont le propriétaire aurait été un Serbe qui aurait également été le chef de la police locale et « l’homme fort de la région ». Il explique qu’après la guerre, son père aurait été accusé d’avoir collaboré avec ce Serbe, que sa famille aurait ainsi subi des discriminations et des menaces de mort de la part d’Albanais pour les obliger à quitter le Kosovo, que son père aurait perdu son travail et qu’il aurait essayé de gagner sa vie en vendant des cigarettes, mais des membres de la population albanaise s’y seraient opposés par des menaces de mort et en faisant arrêter son père à trois ou quatre reprises. Il soutient que la situation de sa famille aurait encore été aggravée par le départ de la majorité de la population serbe de la région et que les menaces de mort par téléphone auraient repris juste avant son départ du Kosovo. Le demandeur souligne qu’en raison des menaces de mort dont sa famille aurait été l’objet, il n’aurait plus osé sortir ou aller à l’école, alors qu’il craignait d’être arrêté et frappé à son tour. Craignant pour leur vie, le père du demandeur aurait finalement décidé de quitter le Kosovo et le demandeur serait donc parti en premier. Le demandeur ajoute qu’il aurait subi ces persécutions non seulement en raison du rôle joué par son père avant et durant le conflit du Kosovo, mais également en raison des origines « Ashkali » de sa mère. Il précise à cet égard, en se prévalant du rapport de l’UNHCR daté de janvier 2003, que les membres de la communauté « Ashkali » seraient persécutés en raison de leur seule appartenance à cette minorité et que les forces internationales en place ne seraient pas en mesure de leur offrir une protection adéquate.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 18 septembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation au Kosovo, région dont le demandeur est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « Ashkali », reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les discriminations et menaces de mort proférées par des membres de la population albanaise à l’encontre du demandeur, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que le demandeur n’établisse pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, le demandeur reconnaissant ne pas avoir entrepris une quelconque démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, questionné lors de son audition sur le fait si son père avait porté plainte, le demandeur a répondu qu’« ils [la police ou l’UNMIK] ont leurs problèmes aussi. Il n’y a personne qui va vous donner une garde ». - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73 -

s).

Il s’ensuit que, si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur reste en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté « Ashkali » du Kosovo, originaire du village de Ferizaj, de s’y réinstaller, le demandeur ne précise pas, au-delà de son affirmation générale quant à des persécutions auxquelles les membres de la minorité « Ashkali » seraient exposés au Kosovo, des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17585
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17585 ?

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