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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17552

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17552


Tribunal administratif N° 17552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17552 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 2004 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tuzla (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, deme

urant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ...

Tribunal administratif N° 17552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 février 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17552 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 2004 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tuzla (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 janvier 2004, notifiée par lettre recommandée du 27 janvier 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

Le 24 septembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 10 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 janvier 2004, notifiée par lettre recommandée le 27 janvier 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’en 1996-1997 vous auriez remarqué un trafic d’essence d’un groupe d’officiers dans votre caserne militaire. Ces officiers vous auraient proposé de participer à ce trafic, ce que vous auriez pourtant refusé. Vous auriez dénoncé votre découverte au responsable de l’unité de la police militaire qui vous aurait dit de ne pas vous en occuper et de fermer les yeux sur ce trafic. Par la suite, vous auriez constaté que ce responsable serait également mêlé à l’affaire.

Le 10 mars 1997 vous auriez marché sur une mine anti-personnelle déposée devant le portail de la caserne. Vous ne savez ni qui, ni pourquoi des mines se seraient retrouvées à cet endroit, pourtant vous êtes convaincu que la mine vous aurait été destinée. Vous précisez que n’importe qui, des soldats ou civils, auraient pu marcher sur ces mines. Par la suite, vous auriez déposé une plainte pour dommages et intérêts auprès du tribunal, étant donné que vous auriez perdu une jambe dans l’explosion. Vous indiquez que le juge d’instruction chargé de l’affaire aurait soupçonné quelque chose d’anormal dans la caserne, mais qu’il serait décédé par une crise cardiaque avant de découvrir le trafic d’essence. Vous êtes de nouveau convaincu que sa mort serait lié à ce trafic. Votre affaire aurait repris au tribunal en août 2003. Vous dites avoir eu des menaces verbales à plusieurs reprises de la part d’agents de sécurité d’une entreprise appartenant à un commandant d’un commissariat de police et un officier de l’armée profitant du trafic d’essence. On vous aurait dit de ne pas comparaître au tribunal et de ne pas répondre aux questions qui ne concerneraient pas votre blessure. Vous n’auriez pas comparu au tribunal. Vous auriez peur de ces agents de sécurité qui vous menaceraient.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, vous n’êtes pas en mesure de prouver que les menaces dont vous faites état seraient motivées par un quelconque arrière fond politique ou ethnique.

Votre peur liée à ces menaces n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment d’insécurité qu’une crainte de persécution. A cela s’ajoute [que] ces agents de sécurité qui vous auraient menacé ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Vous êtes convaincu que la mine anti-personnelle vous aurait été destinée parce que les trafiquants d’essence n’auraient pas pu acheter votre silence et parce que vous auriez déposé une plainte en dommages et intérêts à la suite de votre blessure, alors que vous dites vous même ne pas avoir révélé le trafic d’essence au juge d’instruction. Une affaire de vengeance ne constitue pas un acte de persécution car elle ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Il faut également noter que la situation en Bosnie-Herzégovine s’est nettement améliorée depuis l’accord de paix signé en novembre 1995, et ceci de telle façon que les forces internationales SFOR prévoient une importante réduction de leurs effectifs en Bosnie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le 9 février 2004, M. BOJC a introduit un recours contentieux tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 22 janvier 2004.

Encore qu'un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours en réformation, l'existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision (cf. trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours en annulation, introduit en ordre principal, est partant irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du village de Banovic en Bosnie-Herzégovine, de nationalité bosniaque et que pendant son service militaire au courant des années 1996/1997, il aurait remarqué un trafic d’essence d’un groupe d’officiers dans sa caserne militaire, trafic auquel il n’aurait pas voulu participer.

Le demandeur affirme avoir marché sur une mine anti-personnelle en date du 10 mars 1997, ce qui lui aurait causé la perte d’une jambe, mine dont il estime qu’elle aurait été placé intentionnellement pour le tuer. Suite au dépôt d’une plainte de sa part en vue d’obtenir une réparation de son handicap, un juge d’instruction aurait été nommé et aurait soupçonné quelque chose d’anormal, mais ledit juge serait décédé peu après. Le demandeur relate encore avoir reçu des menaces au cours de l’instruction menée par le juge d’instruction, afin qu’il ne révèle pas l’existence du trafic d’essence dont il avait été témoin. Monsieur … verse à l’appui de ces dires l’acte de décès du juge d’instruction, le procès-verbal relatant l’explosion de la mine anti-personnelle dont il fut victime et une convocation pour le tribunal de Zivinici lui destinée dans le cadre de son affaire en dommages et intérêts.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 10 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si le demandeur a produit des pièces documentant qu’il a marché sur une mine anti-personnelle, qu’un juge d’instruction avait été nommé pour enquêter sur cet incident et qu’il avait reçu une convocation pour le tribunal, ainsi que l’acte de décès du juge d’instruction, il reste cependant totalement en défaut de rapporter le moindre élément de preuve tangible quant à l’existence du trafic d’essence auquel il déclare avoir assisté et des menaces subséquentes qu’il déclare avoir reçues.

Pour le surplus, même à supposer l’existence de ces menaces, il y a encore lieu de relever spécialement qu’aucun fait concret de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place dans le pays d’origine du demandeur ne se dégage des éléments d’appréciation produits en cause, le demandeur n’alléguant même pas s’être adressé aux autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publics pour faire cesser ces menaces.

Finalement, force est de constater que les difficultés dont le demandeur fait état se limitent essentiellement au village de Banovic et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Bosnie-

Herzégovine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquels un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours principal en annulation irrecevable ;

reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17552
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17552 ?

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