La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17521


Tribunal administratif N° 17521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nati

onalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon ...

Tribunal administratif N° 17521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 novembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 3 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 15 octobre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 21 octobre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 6 novembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 3 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Mitrovica pour aller en bus à Sarajevo. Vous auriez séjourné pendant huit mois en Bosnie, puis vous auriez quitté ce pays pour venir avec un passeur au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 15 octobre 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Vous expliquez que votre père aurait été policier avant le conflit et qu’on lui aurait tiré dessus, une fois avant la guerre et deux fois après, en 2001. Vous ignorez les auteurs de ces tirs. Vous-même auriez été agressé par des gens masqués et ceux qui vous auraient battu vous auraient reproché le passé de policier de votre père. Vous auriez alors décidé de quitter le Kosovo pour la Bosnie. Vous auriez vécu dans ce pays chez un oncle et vous auriez travaillé dans une boulangerie. Vous précisez que votre père se serait aussi installé en Bosnie. Vous auriez quitté la Bosnie car votre passeport aurait expiré et qu’il n’y avait pas assez de place chez votre oncle.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que les personnes qui vous ont agressés, votre père et vous, ne sauraient être considérées comme des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Je note aussi que vous avez tous deux porté plainte et qu’une enquête fut ouverte.

Tout au plus résulte-t-il de vos dires que vous éprouvez un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution. Ceci n’entre pas non plus dans le cadre de la Convention précitée. Le Kosovo, pour les Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Finalement, vous dites avoir vécu huit mois en Bosnie, y avoir travaillé et il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous y établir comme l’a fait votre père.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 26 janvier 2004, M. … a introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 6 novembre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est partant irrecevable.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour cause de tardiveté pour avoir été introduit en dehors du délai imparti d’un mois à partir de la notification de la décision intervenue en date du 3 décembre 2003.

Ledit moyen est cependant à rejeter, au vu des termes de l’article 10 alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, d’après lequel : « En cas de désignation d’un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-ci. Toutefois, la décision finale est en outre notifiée à la partie elle-même ».

En effet, dans le silence des textes, l’inobservation de l’obligation de notifier la décision finale à la partie elle-même et au conseil désigné n’est pas de nature à entacher la décision querellée de nullité, mais elle a pour effet d’empêcher que le délai du recours contentieux ne commence à courir (cf. trib. adm. 20 mai 1999, n° 10913 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 105 et autres références y citées).

Or, en l’espèce, le demandeur avait désigné comme mandataire Maître François MOYSE et il fut assisté par Maître Nadine SCHEUREN lors de son audition en date du 21 octobre 2003. Comme il ne ressort d’aucune pièce du dossier que la décision critiquée du 6 novembre 2003 a également été notifiée au mandataire de Monsieur …, le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans le délai légal.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du quartier nord de la ville de Mitrovica au Kosovo, de nationalité serbo-monténégrine, qu’il ferait partie de la minorité serbe du Kosovo, qu’il aurait été agressé à de multiples reprises par les Albanais en raison du fait que son père travaillait en tant que policier sous les ordres des Serbes et que la police ne ferait rien pour identifier les auteurs de ces agressions. Après avoir reçu des menaces de mort, il aurait décidé de quitter le Kosovo pour s’installer en Bosnie chez un oncle, mais qu’il aurait également dû quitter le territoire bosniaque, étant donné que son passeport avait expiré. Comme un retour au Kosovo s’avérerait à l’heure actuelle impossible, il aurait décidé de trouver refuge au Luxembourg.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 21 octobre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation générale régnant au Kosovo, région dont le demandeur est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, abstraction faite de ce que l’appartenance alléguée de Monsieur … à la minorité serbe du Kosovo est douteuse, étant donné que la langue maternelle du demandeur est l’albanais et qu’il est de confession musulmane, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Serbes, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par le demandeur relativement au fait d’avoir été agressé par des gens masqués, membres de la population albanaise du Kosovo, et les menaces proférées à son encontre, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.- Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-

s).

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté serbe du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, le demandeur ne soumet toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment en Serbie ou au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17521
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17521 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award