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09/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17467

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2004, 17467


Tribunal administratif N° 17467 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17467 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de natio

nalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à...

Tribunal administratif N° 17467 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2004 Audience publique du 9 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17467 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 29 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 3 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 15 septembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 11 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 décembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 29 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 8 septembre 2003 pour aller en Albanie puis en Italie. Ensuite, vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 15 septembre 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas encore fait votre service militaire.

Vous auriez été membre du parti LDK.

Vous expliquez qu’il existerait une vendetta contre vous, mais que vous n’en connaîtriez ni la cause ni les personnes censées vous en vouloir. On aurait tiré sur vous le 15 juin 2000 et le 10 janvier 2003. Vous auriez porté plainte à la police et à la KFOR.

On vous aurait dit de ne pas vous inquiéter mais vous auriez quand même préféré quitter le pays.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, je constate que, selon vous, on aurait tenté de vous tuer alors que vous ignorez tout de vos agresseurs, et même la cause de cette agression. Il serait plus crédible de vous considérer comme la victime d’une balle perdue, d’autant plus que deux ans se sont écoulés entre la première balle et la seconde. Quoiqu’il en soit, vos agresseurs, en supposant qu’ils existent, ne sauraient être assimilés à des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

J’en conclu que vous éprouvez surtout un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution.

Il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville, et de profiter, si nécessaire, d’une fuite interne.

Finalement, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 15 janvier 2004, M. … a introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur estime en premier lieu que la motivation de la décision ministérielle serait purement stéréotypée et que le ministre de la Justice aurait de ce fait violé l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, ainsi que l’article 1er de la Convention de Genève. Il fait exposer ensuite qu’il serait originaire de Pristina au Kosovo, de nationalité serbo-monténégrine, qu’il aurait été membre du parti politique LDK et qu’il aurait été la cible de deux attentats par balles perpétrés par des inconnus en dates respectives des 15 juin 2000 et 10 janvier 2003. Le demandeur expose encore qu’il aurait déposé plainte auprès de la KFOR, plainte qui n’aurait cependant pas connu de suites. Comme l’instabilité politique, religieuse et sociale serait toujours de rigueur dans son pays d’origine, un retour au Kosovo s’avérerait à l’heure actuelle impossible.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Concernant tout d’abord le reproche tiré d’une motivation insuffisante de la décision critiquée, force est de constater que ce moyen manque de pertinence. En effet, la décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 est suffisamment motivée, étant donné que les faits tels que résumés dans ladite décision correspondent aux faits sous-

jacents à la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus sont énumérés et appuyés par des références légales, de sorte que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour justifier son refus et les motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 11 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant d’abord les craintes de persécution en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique LDK, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, Monsieur … a cependant précisé lors de son audition qu’il était simple adhérent du parti LDK et il est resté en plus en défaut de soumettre au tribunal des faits concrets d’une gravité suffisante pour dénoter l’existence d’une persécution au sens de la Convention de Genève en raison de son engagement politique.

Pour le surplus, concernant les deux prétendus attentats perpétrés sur sa personne – à les supposer établis -, s’agissant de persécutions commises par des tiers et non pas par des autorités étatiques, elles ne sauraient être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En effet, les déclarations faites par le demandeur n’établissent pas un défaut de protection de la part des autorités au pouvoir, Monsieur … ayant même déclaré lors de son audition que la KFOR avait arrêté deux personnes.

Partant, les craintes de persécution alléguées de Monsieur … en raison de ses convictions politiques constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Au contraire, les faits allégués par le demandeur relativement aux attentats perpétrés à son encontre, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent exclusivement autour de la ville de Pristina au Kosovo et que le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumet aucun élément pertinent permettant d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et plus particulièrement, dans une autre ville du Kosovo, majoritairement peuplée par des Albanais, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17467
Date de la décision : 09/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-09;17467 ?

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