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07/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17524

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 2004, 17524


Tribunal administratif N° 17524 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2004 Audience publique du 7 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17524 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2004 par Maître Béatrice GEOFFROY, avocat à la Cour, assistée de Maître Vanessa FOBER, inscr

ites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Républiqu...

Tribunal administratif N° 17524 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2004 Audience publique du 7 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17524 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2004 par Maître Béatrice GEOFFROY, avocat à la Cour, assistée de Maître Vanessa FOBER, inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (République démocratique du Congo), et de son épouse Madame …, née le … , ainsi que de leur fille …, née le … au Luxembourg, de nationalité congolaise, demeurant actuellement ensemble à L-… , tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 12 novembre 2003, leur notifiée le 20 novembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Vanessa FOBER, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2004.

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Le 5 février 2003, les époux … et … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Les 15 avril et 20 mai 2003 respectivement, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 novembre 2003, expédiée par lettre recommandée le 19 novembre 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 19 décembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 20 janvier 2003, aux termes de laquelle il maintient sa précédente décision en son intégralité.

Le 26 janvier 2004, les époux …-… ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 12 novembre 2003.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, les demandeurs contestent les motifs invoqués pour leur refuser le statut de réfugié. Ils font exposer que Monsieur …, en tant que membre du parti politique « MPR – Le renouveau » et ancien journaliste auprès de la « Voix du Bas-Congo », aurait fait le 26 janvier 1999 une déclaration publique, retransmise à la télévision, critiquant le nouveau président Joseph KABILA. En représailles à cette déclaration, Madame… aurait été violée en février 2003 par des soldats, qui lui auraient de surcroît injecté un produit lui transmettant l’hépatite C.

Le 29 juin 2002, le demandeur aurait encore organisé une manifestation hostile au gouvernement, manifestation qui aurait cependant été empêchée par les forces de l’ordre.

Les demandeurs exposent que suite à cette manifestation, Monsieur … aurait été emprisonné pendant 6 mois. Hospitalisé à cause des mauvais traitements subis au cours de cet emprisonnement, Monsieur … aurait réussi à s’échapper de l’hôpital, pour fuir aussitôt le pays en compagnie de son épouse.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que les récits des demandeurs seraient constellés de mensonges, contradictions, ignorances et incohérences, de sorte que les demandeurs n’auraient apporté aucun élément établissant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, à défaut de pièces, les demandeurs doivent du moins présenter un récit crédible et cohérent. En l’espèce cependant, force est de constater que les demandeurs centrent leur crainte de persécution autour de deux évènements majeurs, à savoir d’une part la déclaration publique effectuée par Monsieur … le 26 janvier 1999 à la télévision, qui provoqua les représailles décrits ci-avant, et d’autre part l’organisation d’une manifestation en date du 29 juin 2002, qui eut pour conséquence l’emprisonnement du demandeur du 22 juin 2002 au 16 janvier 2003.

Madame… raconte à ce sujet la mise à sac de leur maison par les soldats le 30 juillet 2002, ses efforts infructueux pour voir son mari en prison et la préparation de leur fuite avec l’assistance d’un ami le 16 juillet 2002.

Or il ressort d’un document établi par le « Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge » allemand le 30 juillet 2003 que Madame… a déposé en date du 27 juillet 2001 une demande d’asile en Allemagne sous l’identité de… , de nationalité camerounaise, demande rejetée par les autorités allemandes en date du 5 septembre 2002. Il en résulte qu’à l’époque des faits relatés par la demanderesse à l’appui de sa demande, elle résidait en Allemagne.

Monsieur … expose encore avoir travaillé de 1993 à 1998 auprès de la station de radio-

télévision « la Voix du Bas-Congo » , et d’avoir occupé le poste de secrétaire local du parti politique « MPR – Le renouveau » de 1994 à juin 2002.

Là encore, il résulte d’un rapport daté du 8 mai 2003 établi par le « Immigratie – en Naturalisatiedienst » néerlandais que le demandeur a déposé une demande d’asile aux Pays-Bas le 31 octobre 1994, sous l’identité de… , demande rejetée le 8 juin 1995. Il ressort encore de ce document que les autorités néerlandaises ont perdu toute trace du demandeur depuis le 22 juin 1995, le demandeur ayant depuis lors vraisemblablement vécu clandestinement en Europe.

Le tribunal est partant amené à constater que les demandeurs ont délibérément fait de fausses déclarations, en affirmant ne jamais avoir séjourné dans un pays de l’Union européenne et ne jamais avoir déposé de demande d’asile dans un pays européen, et d’une manière générale n’avoir jamais vécu en-dehors du Congo.

Les époux …-… affirment encore tous deux s’être mariés le 18 janvier 1995 à … au Congo, et entendent appuyer ce fait en versant leur acte de mariage. Or il résulte non seulement du document précité que Monsieur … se trouvait – sous une autre identité – à cette date aux Pays-

Bas, où il avait déposé une demande d’asile, mais il appert encore à la lecture du document versé aux débats, intitulé « acte de mariage », que celui-ci a été établi le 19 janvier 2004 au Congo, pour constater un mariage prétendument célébré le 18 janvier 1995, de sorte qu’il doit être considéré à tout le moins comme non probant.

A partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère incrédible du récit des demandeurs, établi à suffisance de droit, ainsi que du caractère vérifié de fausses déclarations verbales, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle n’a pas accordé le statut de réfugié sur base de la Convention de Genève.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17524
Date de la décision : 07/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-07;17524 ?

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