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07/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17460

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 2004, 17460


Tribunal administratif N° 17460 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2004 Audience publique du 7 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17460 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 par Maître Marc LUCIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom 1. des époux …, né le … , et… , née le… , 2. des époux…, né leâ

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Tribunal administratif N° 17460 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2004 Audience publique du 7 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17460 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 par Maître Marc LUCIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom 1. des époux …, né le … , et… , née le… , 2. des époux…, né le… , et …, née le … , 3. ainsi que de leurs deux filles …, née le … et …, née le … , tous originaires d’Ouzbékistan, demeurant actuellement ensemble à L-… , à l’exception de Madame … laquelle demeure à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 décembre 2003, confirmant sur recours gracieux une décision initiale du même ministre du 11 novembre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, ayant repris le mandat de Maître Marc LUCIUS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mai 2004.

En date du 27 février 2001, les époux … et… , … et …, accompagnés de leurs deux filles … et … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus en outre séparément en dates respectivement des 13 mars 2001, 23 mars 2001, 30 mars 2001, 20 avril 2001, 26 avril 2001 et 14 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 novembre 2003, notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 14 novembre 2003, le ministre de la Justice informa les consorts … de ce que leur demande avait été refusée comme étant non fondée aux motifs que le fait d’appartenir à une minorité, en l’occurrence la minorité russe, ne saurait entraîner d’office le statut de réfugié, qu’il résulterait de plus des renseignements du ministre que les chrétiens orthodoxes ne seraient pas sujets à des persécutions en Ouzbékistan, mais que par contre les problèmes de ce pays seraient essentiellement de nature économique et partant étrangers au cadre de la Convention de Genève, et que par ailleurs les wahhabites qu’ils disent craindre ne sauraient pas non plus être considérés comme des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Le recours gracieux que les consorts … ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 9 décembre 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 17 décembre 2003, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 15 janvier 2004, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles ainsi visées des 11 novembre et 17 décembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours les demandeurs font valoir que la situation générale en Ouzbékistan serait loin d’être sécurisée, étant donné qu’après avoir voulu transformer ce pays en une République islamique, vraisemblablement moyennant les attentats sanglants à Tachkent en février 1999, le mouvement islamique d’Ouzbékistan et d’autres groupements d’extrémistes musulmans, respectivement de wahhabites seraient illégaux et que les autorités ouzbèkes auraient une politique très répressive à l’égard de leur adhérents ainsi que des sympathisants réels et présumés de leurs idées ou visées.

Ils font relever dans ce contexte qu’à la suite des réformes du code criminel ouzbèke en 1998 et 1999, les organisateurs d’associations sociales et religieuses défendues ou non enregistrées, ainsi que ceux qui seraient enclins à y participer seraient punissables de sévères peines d’emprisonnement et que les organes étatiques procéderaient fréquemment à des arrestations arbitraires, ainsi qu’à des actes de torture et à des pressions psychologiques.

Ils font valoir que dans ce contexte général, le fait pour Monsieur … d’avoir eu en mains et de s’être fait traduire des tracts émanant d’extrémistes musulmans l’aurait fait suspecter d’être leur sympathisant et aurait entraîné sa détention pendant deux semaines au poste de la milice qui l’aurait soumis à des pressions pour le faire avouer ce qu’elle suspectait.

Ils relèvent que c’est cette arrestation prolongée qui aurait été à l’origine de la perte de son emploi, ainsi que du fait que Madame… , en tant que conjoint d’un opposant virtuel du régime en place, aurait été licenciée à son tour. Ce serait encore cet incident qui exposerait tant les ascendants que les descendants de Monsieur … à des risques de persécutions, ceci d’autant plus qu’ils appartiennent à la minorité russe. Les demandeurs attirent en outre l’attention sur le fait que sous l’approbation tacite des autorités, Monsieur … aurait été maltraité à deux reprises et que l’appartement de ses parents aurait été incendié. Ils estiment que dans la mesure où le ministre n’aurait pas expressis verbis contesté les faits par eux relatés, ils devraient dès lors être admis au statut de réfugié, alors qu’en cas de retour dans leur pays d’origine ils devraient s’attendre tôt ou tard à ce que l’un ou l’autre d’eux serait arrêté et soumis à la torture.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs. Il relève que s’il est vrai que le gouvernement ouzbèke réprime les wahhabites, encore faudrait-il remarquer qu’en janvier 2004 plus de trois mille prisonniers auraient été amnistiés pour marquer l’anniversaire de la Constitution ouzbèke et que parmi les personnes ainsi libérées auraient figuré également des membres de partis ou de mouvements islamistes.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ;

ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même à admettre la véracité des déclarations des demandeurs, force est de constater que les craintes de persécutions par eux alléguées et retenues dans le cadre de la requête introductive d’instance trouvent leur origine essentiellement dans une confusion alléguée au niveau de la milice en rapport avec le fait que Monsieur … détenait des tracts d’extrémistes islamistes et que dès lors la milice l’aurait considéré comme étant de connivence avec le mouvement des wahhabites. Or, les craintes afférentes ne sauraient être considérées comme entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève, faute d’avoir trait à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou encore aux opinions politiques des demandeurs, lesquels, d’après leurs propres déclarations, ne font pas partie dudit mouvement. Il s’y ajoute que l’incident relaté dans ce cadre est resté isolé et n’a pas connu d’autres suites, de sorte qu’il ne saurait en tout état de cause justifier à lui seul la persistance d’une crainte de persécution actuelle dans le chef des demandeurs.

Quant aux arguments des demandeurs basés sur leur appartenance à la minorité russe dans leur pays d’origine, il y a lieu de relever qu’ils restent en défaut de justifier à suffisance d’existence d’un lien quelconque entre les craintes de persécutions par eux mises en avant résultant du fait que Monsieur … fut suspecté d’être de connivence avec les wahabbites et le fait pour la famille … d’appartenir à la minorité russe, ces deux faits ne présentant a priori aucun lien direct.

Pour le surplus il y a lieu de relever que même si la situation générale des russes peut s’avérer difficile en Ouzbékistan, elle n’est cependant pas telle que tout Russe y serait de ce seul fait exposé à des persécutions individualisées au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

Or, il résulte de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état de persécutions ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève en relation avec leur appartenance à la minorité russe qui serait susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Par ailleurs, ils n’ont pas autrement rencontré l’affirmation du délégué du Gouvernement relativement à la situation actuelle dans leur pays d’origine en rapport avec la répression des wahhabites, de sorte que les craintes en rapport avec les problèmes allégués avec la milice ouzbèke en raison de l’incident avec les tracts ne sont en tout état de cause pas justifiées à suffisance en l’espèce par rapport à la situation actuelle dans le pays d’origine des demandeurs.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Partant le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17460
Date de la décision : 07/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-07;17460 ?

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