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10/06/2021 | LUXEMBOURG | N°98/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 10 juin 2021, 98/21


N° 98 / 2021 du 10.06.2021 Numéro CAS-2020-00100 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) M), 2) S), 3) H), 4) E), 5) R), 6) A),

7) D), 8) P), demandeurs en cassation, comparant par Maître Guillaume MARY, avocat à...

N° 98 / 2021 du 10.06.2021 Numéro CAS-2020-00100 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) M), 2) S), 3) H), 4) E), 5) R), 6) A), 7) D), 8) P), demandeurs en cassation, comparant par Maître Guillaume MARY, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société anonyme T) précédemment dénommée V) S.A. et anciennement dénommée Y) S.A., défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître François KREMER, avocat à la Cour, 2) la société anonyme de droit suisse BANQUE X), défenderesse en cassation, comparant par Maître Alain GROSJEAN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) I), 4) Z), 5) C), 6) U), défendeurs en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 194/19, rendu le 11 décembre 2019, sous les numéros 37275 et 39506 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 6 juillet 2020 par les demandeurs en cassation aux défendeurs en cassation, déposé le 19 août 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 13 août 2020 par la société anonyme T) (ci-après « la société T) ») aux demandeurs en cassation, déposé le 17 août 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 septembre 2020 par la société anonyme de droit suisse BANQUE X) (ci-après « le BANQUE X) ») aux demandeurs en cassation, déposé le 23 septembre 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le nouveau mémoire intitulé « mémoire en réplique » signifié le 16 novembre 2020 par les demandeurs en cassation à la société T) et au BANQUE X), déposé le 18 novembre 2020 au greffe de la Cour en ce qu’il répond aux fins de non-

recevoir opposées au pourvoi par les défendeurs en cassation, la société T) et le BANQUE X) ; écartant le mémoire pour le surplus, en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi du 18 février 1885 ») ;

Sur le rapport du conseiller Lotty PRUSSEN et les conclusions du premier avocat général Marc HARPES ;

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée Aux termes de l’article 10, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885, la partie demanderesse en cassation doit, sous peine d’irrecevabilité, dans le délai légal, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse.

Il ne ressort pas des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que la signification du mémoire en cassation ait été valablement faite aux parties défenderesses I), Z), C) et C).

Il en suit que le pourvoi est irrecevable à leur égard.

Aux termes de l’article 7 de la loi du 18 février 1885, le délai pour l’introduction du pourvoi en cassation, qui court contre les arrêts contradictoires du jour de la signification ou de la notification à personne ou à domicile, est de deux mois pour le demandeur en cassation qui demeure dans le Grand-Duché.

Celui qui demeure hors du Grand-Duché a, pour introduire le recours en cassation, outre ce délai de deux mois, le délai prévu à l’article 167 du Nouveau code de procédure civile.

Les demandeurs en cassation S), H), E) et R) étant établis en France, le délai de l’article 7 de la loi du 18 février 1885 est augmenté de 15 jours.

L’arrêt attaqué leur a été signifié le 22 janvier 2020 et le délai endéans lequel ils devaient introduire leur pourvoi en cassation a commencé à courir à partir de cette date. Il a été suspendu, conformément au règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, à partir du 26 mars 2020 et cette suspension a pris fin, conformément à l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise déclaré par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le 24 juin 2020, à minuit. Par conséquent, le pourvoi introduit par un mémoire signifié le 6 juillet 2020 et déposé au greffe de la Cour le 19 août 2020, l’a été en dehors du délai légal.

Il en suit que le pourvoi est irrecevable pour autant qu’il a été introduit par les demandeurs en cassation S), H), E) et R).

Les défendeurs en cassation, la société T) et le BANQUE X), concluent à l’irrecevabilité du pourvoi en cassation pour indication d’adresses inexactes et pour défaut de qualité à agir dans le chef des demandeurs en cassation.

Les demandeurs en cassation M), A), D) et P) ayant été parties à l’instance ayant donné lieu à l’arrêt d’appel déféré et procédant dans l’instance en cassation en la même qualité, le pourvoi qu’ils ont introduit est recevable.

Il en suit que le moyen d’irrecevabilité soulevé par la société T) et le BANQUE X) n’est pas fondé.

Le pourvoi, introduit par M), A), D) et P) dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait condamné la société T) à payer à L), qui avait effectué un placement sous forme d’un contrat d’assurance-vie auprès de ladite société, un certain montant du chef d’un virement fait par la société T), en vertu de faux ordres de rachat, sur le compte bancaire d’un tiers ouvert dans les livres du BANQUE X).

Le tribunal avait rejeté la demande récursoire de la société T) dirigée contre le BANQUE X).

Saisie des appels de la société T) et du BANQUE X) ainsi que des reprises d’instance des demandeurs en cassation et des défendeurs en cassation sub 3-6 intervenant à l’instance à la suite du décès d’L) au cours de l’instance d’appel, la Cour d’appel a dit que les personnes ayant déclaré reprendre l’instance n’avaient pas établi leur qualité d’héritiers de feu L) et les a déboutées tant de leur demande basée sur une transaction conclue entre elles et la société T) que de celle tendant à voir condamner la société T) à leur payer le montant alloué à L) en première instance.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse interprétation de la Loi in specie de l’article 488 du Nouveau Code de Procédure Civile L’article 488 du NCPC dispose que En ce que les Juges d’appel déboutèrent les actuels demandeurs en cassation comme encore les actuels défendeurs sub-3 à 6.

Pour arriver à pareille sanction que les Juges d’appel considérèrent (à tort, cf. infra) que la qualité d’héritier tant des demandeurs au pourvoi que des parties défenderesses sub-3 à sub-6) n’était pas établie, Cependant, en cas de décès d’une des parties à l’instance, tel feu M. L), la conséquence par application de l’article 488 NCPC n’est pas le rejet (le dispositif de l’arrêt indique expressis verbis ) de la demande mais la nullité des actes postérieurs au décès.

Ainsi, doctrine et jurisprudences considèrent que .

La Cour d’appel dans une espèce voisine dans laquelle une question de reprise d’instance survient considéra que :

.

Au moment du décès de feu L), l’affaire n’était pas en état.

L’instance ne pouvait être valablement poursuivie en l’absence de reprise d’instance volontaire ou forcée par les héritiers.

Partant, pour autant que les successibles de feu M. L) ne soient pas représentés à l’instance, quod non, il n’y avait en tout état de cause pas lieu de rejeter leurs demandes, mais en application de l’article 488 du NCPC, de constater l’interruption de l’instance et de surseoir à statuer.

L’arrêt encours partant la Cassation en raison de ce qui précède. ».

Réponse de la Cour Le reproche fait aux juges d’appel de ne pas avoir ordonné un sursis à statuer aux fins de permettre aux demandeurs en cassation d’établir leur qualité d’héritiers de feu L) est étranger à la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen de cassation, pris en ses deux branches Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, in spe de la violation de l’article 65 du NCPC et de l’article 6 §1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

L’article 65 du Nouveau Code de Procédure Civile prévoit que .

L’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose que .

L’arrêt attaqué a violé ces dispositions légales à plusieurs titres, chacune des violations étant reprise dans une branche du moyen de cassation.

première branche En ce que la Cour d’appel a, de son propre chef, pour débouter les parties intimées de leurs demandes à l’égard de la société T) S.A. et déclaré l’appel de cette dernière fondée, soulevé d’office et sans le soumettre au débat contradictoire, le moyen tiré de l’absence de qualité pour agir dans le chef des parties intimées pour en conclure que celles-ci ne pouvaient poursuivre l’action que le défunt (feu L)) a intentée et que partant la Cour ne saurait attribuer un quelconque effet à la transaction prétendument conclue entre parties.

Alors que, un moyen de droit (en l’occurrence d’ordre privé) relevé d’office par le juge doit en toutes circonstances être soumis à un débat contradictoire entre parties.

En statuant ainsi, sans permettre aux parties de prendre position sur la prétendue absence de qualité pour agir dans le chef des parties intimées, la Cour d’appel a violé le principe du contradictoire et l’article 65 du NCPC, Les juges d’appel ont mis les parties intimées dans l’impossibilité de contredire le moyen en question.

Or que :

a) l’article 65 du Nouveau Code de Procédure Civile prohibe les moyens et faits soulevés d’office qui n’ont pu être débattus contradictoirement à l’audience.

Le juge ne peut retenir dans sa décision que .

Les juges ne sauraient d’office se substituer aux plaideurs et avancer un moyen d’ordre privé de leur propre chef ou des faits ou suppositions que les parties n’ont pas été mises en mesure de contredire et dont elles n’ont pas été mises en mesure de prouver l’inexactitude.

Si les juges d’appel avaient mis en mesure les demandeurs en cassation de débattre de la question de leur prétendue absence de qualité à agir, les demandeurs en cassation auraient été en mesure de démontrer la preuve contraire.

Il incombait à la juridiction d’appel soit d’introduire dans le débat la considération précitée, soit de prononcer la rupture du délibéré pour permettre aux parties - et notamment aux demandeurs au pourvoi - de prendre position.

En ayant manqué de ce faire et en ayant statué comme ils l’ont fait, les juges d’appel ont violé le texte susvisé et le principe du contradictoire.

b) Ce même principe du contradictoire est garanti par l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Le principe du contradictoire est inclus dans l’article 6 §1 de la Convention Européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce texte, introduit en droit luxembourgeois par la loi du 23 août 1953 approuvant la convention des droits de l’homme et les lois postérieures en ayant introduit les modifications, érige partant le principe du contradictoire en norme légale dont la violation donne ouverture à cassation.

En vertu de la règle du contradictoire, le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En déboutant en l’espèce les parties intimées pour prétendue absence de qualité pour agir sans leur avoir donné au préalable la possibilité de présenter leurs moyens de défense, les juges d’appel ont violé le texte susvisé.

C’est également cette règle qui interdit au juge du fond de baser sa décision sur les moyens de fait qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations : .

Ainsi, en invoquant la question d’un (prétendu) défaut qualité pour agir, les juges ont introduit d’eux-mêmes un élément en droit qui ne fut pas régulièrement soumis au débat.

En déboutant, sur base de ces considérations, les parties intimées de leurs demandes à l’égard de la société T) S.A. sans avoir donné au préalable la possibilité à aux parties intimées de présenter leurs moyens de défense et de contredire le moyen retenu ou supposé par les juges du fond, ceux-ci ont violé les textes susvisés et plus particulièrement le principe du contradictoire.

deuxième branche La Cour d’appel a encore violé les textes précités alors qu’elle est allée délibérément au-delà des moyens contradictoirement débattus en instance d’appel en concluant de sa propre initiative et sans le moindre débat contradictoire à l’absence de qualité pour agir dans le chef des parties intimées à défaut par elles de verser un acte de notoriété.

Alors même que la Cour d’appel était parfaitement au courant que l’acte de notoriété était en cours d’établissement et que les parties intimées ont précisé dans leurs conclusions notifiées en date du 15 mai 2019 que :

.

Cependant, lors de l’audience de mise en état du 29 avril 2019, la Cour d’appel a indiqué au mandataire précédent, Maître Cathy ARENDT, qu’un acte de notoriété n’était plus nécessaire eu égard à l’absence de contestation de la qualité d’héritiers des parties intimées par les parties appelantes, parties appelantes qui au demeurant avaient expressément demandé l’entérinement de la transaction, raison pour laquelle l’instruction de l’affaire a été clôturée sans attendre l’acte de notoriété pourtant en cours d’élaboration.

La jurisprudence luxembourgeoise applique l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dans des litiges civils en se référant notamment à un arrêt du 27 octobre 1993, DOMBO BEHEER B.V. / Pays-Bas, n°A274, dans lequel la Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré que .

La Cour d’appel a délibérément privé les demandeurs en cassation du procès équitable et loyal conformément aux exigences de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

La Cour d’appel a sans autre motivation ni complément de motivation, jugé sans respecter le caractère contradictoire des débats conformément à l’article 65 du NCPC, c’est-à-dire en déclarant leur demande non fondée pour ne pas avoir établi leur qualité d’héritiers de feu L), nonobstant le fait que la société T) S.A. et la société BANQUE X) S.A. admettaient la qualité d’héritiers des demandeurs en cassation puisqu’ils admettaient avoir transigé avec eux et que la Cour d’appel savait que l’établissement de l’acte de notoriété était en cours et que si elle estimait qu’un tel acte était tout de même nécessaire, il y avait lieu dès lors de prononcer la rupture du délibéré afin de permettre aux parties concernées de le verser.

Ce faisant, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article 65 du NCPC et de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ces dispositions ayant pour but et pour finalité de veiller à ce qu’un débat contradictoire soit toujours strictement garanti, débat contradictoire qui constitue une des conditions fondamentales du procès équitable et loyal. ».

Réponse de la Cour Les demandeurs en cassation font grief aux juges d’appel d’avoir soulevé d’office et sans le soumettre au débat contradictoire le moyen tiré de l’absence de qualité à agir dans leur chef.

Il ressort des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard qu’au cours de l’instance d’appel, le magistrat de la mise en état avait invité à d’itératives reprises les demandeurs en cassation à verser l’original de l’acte de notoriété relatif au décès d’L), ainsi que des pièces lisibles et probantes quant à leur identité et à leur qualité d’héritiers.

En retenant, sur base des conclusions versées en cause, que la société T) et le BANQUE X) avaient contesté la qualité d’héritiers dans le chef des demandeurs en cassation en raison de l’absence d’un acte de notoriété établissant leur qualité de successeurs de feu L) et en constatant que les demandeurs en cassation avaient pris position quant à cette contestation, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il en suit que le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, in spe de la violation de l’article 53 du NCPC Alors qu'aux termes de l'article 53 du NCPC, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense.

Il résulte sans équivoque des conclusions prises par les parties au litige que le litige se limitait à constater un accord définitif intervenu entre parties sans que la question de la qualité d’héritiers des parties intimées ne soit mise en cause.

Il aurait été pour le moins saugrenu que les parties appelantes concluent une transaction portant sur un montant de € 950.000.- avec des parties qui n’auraient aucun lien avec le défunt et pour lesquelles un doute quant à leur qualité d’héritiers subsistait.

Force est de constater en outre que la Cour d’appel disposait de la plupart des actes de naissance des parties intimées sur lesquels il était indiqué clairement le nom du père feu L).

En tout état de cause, dans ses conclusions d’appel du 28 mars 2019 à la page 7, la partie BANQUE X) S.A. précisait :

.

En page 10 des prédites conclusions, elle ajoute que :

.

La partie T) S.A. indiquait dans ses conclusions du 8 avril 2019 en page 7 :

.

La Cour d’appel a soulevé le moyen d’un prétendu défaut de qualité pour agir dans le chef des parties intimées, alors même que les parties appelantes, par l’effet de la transaction et dans leurs conclusions des 28 mars 2019 et 8 avril 2019, reconnaissaient expressément aux parties intimées leur qualité d’héritiers.

Il était demandé à la Cour d’appel de simplement prendre acte de l’accord définitif intervenu entre les parties.

En retenant un moyen non invoqué par les parties appelantes, respectivement les parties au litige, la Cour d’appel a statué au-delà de ce qui lui était demandé.

La Cour d’appel qui a dénaturé par omission des conclusions d’appel de T) S.A. et BANQUE X) S.A. d’où il résultait que T) S.A. et BANQUE X) S.A. admettaient la qualité d’héritiers des demandeurs en cassation (et défendeurs en cassation sub3) à 6)) et l’existence de la transaction dont ils demandaient expressément l’entérinement, a méconnu les termes du litige et violé l’article 53 du NCPC.

Le raisonnement de la Cour d’appel, respectivement l’arrêt de la Cour d’appel, établit une totale insécurité juridique dans les transactions librement élaborées entre les parties et fait échec ainsi aux modes alternatifs de règlement des litiges.

L’arrêt de la Cour d’appel rend illusoire toute sécurité juridique apportée par une transaction. ».

Réponse de la Cour Le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir statué ultra petita en se prononçant sur la qualité à agir des demandeurs en cassation.

Le grief tiré de ce que les juges d’appel auraient statué ultra petita ne donne pas ouverture à cassation, mais, aux termes de l’article 617, points 3° et 4°, du Nouveau code de procédure civile, à requête civile.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, en l’espèce violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure Civile L’article 89 de la Constitution prévoit que , Et L’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de Procédure Civile prévoit que .

L’arrêt attaqué a violé ces dispositions légales à un double titre, chacune des violations étant reprise dans une branche du moyen de cassation.

première branche En ce que l’arrêt attaqué dit fondé l’appel de T) S.A. aux motifs que :

.

La Cour d’appel, sur base de ce seul moyen, conclut que l’appel de T) S.A.

est fondé.

La Cour d’appel, en retenant ce seul moyen, laconique et soulevé d’office, n’a pas suffisamment motivé sa décision.

La justification de l’obligation de motiver est évidente alors que .

Pour satisfaire à cette obligation il ne suffit pas que le jugement comporte pour chaque chef de dispositif des motifs qui lui sont propres, il faut aussi que les motifs énoncés puissent être considérés comme justifiant la décision.

Pour justifier la décision, la motivation doit notamment être précise.

Il est entendu par motivation précise une motivation circonstanciée, propre à l’espèce, dans laquelle le juge s’explique sur les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé et qui ne laisse aucun doute sur le fondement juridique de la décision.

L’exigence d’une motivation précise a pour conséquence de refuser le caractère d’une motivation véritable à l’énoncé d’une simple affirmation ou à des motifs d’ordre général.

En effet en se fondant sur une simple affirmation, les Juges de la Cour d’Appel ne permettent pas de vérifier sur quels éléments de fait ils se sont basés pour en tirer cette conclusion.

Le principe de motivation doit être strictement respecté alors que ce principe est celui selon lequel les juges doivent s’expliquer sur les documents de la cause et notamment préciser les éléments de preuve dont ils ont fait usage pour déduire l’existence du fait contesté.

La Cour d’appel a encore dénaturé les éléments en cause pour en arriver à la conclusion voulue de déclarer l’appel de T) S.A. fondé de sorte que ces motifs dénaturés sont à considérer comme absence de motifs à la base de l’arrêt attaqué.

L’arrêt attaqué a en outre royalement passé outre l’existence d’un accord définitif intervenu entre les parties pour simplement déclarer fondé l’appel de T) S.A.

Ce faisant, une juridiction qui procède de la sorte prive nécessairement et inévitablement sa décision des motifs égaux, loyaux et valables, privation équivalent à une violation de l’article 89 de la Constitution et ne valant que cassation.

deuxième branche En ce que la Cour d’appel a manqué de répondre aux conclusions des demandeurs en cassation.

La jurisprudence constante de la Cour de Cassation française retient que :

(Cass.soc. 17 février 1960, Bulletin civil IV, n°193 ; Cass.com. 17 mars 1965, Bulletin civil III, n° 203).

Ainsi, la Cour de Cassation française estime que le Juge du fond doit répondre à tous les moyens invoqués par les parties quel qu’en soit la valeur ;

d’autre part, elle déclare qu’il n’a pas à répondre à des moyens inopérants (La Cassation en Matière Civile, Jacques BORE et Louis BORE, n°77205).

Si en effet, à le supposer fondé, le moyen n’aurait pu changer la solution du litige, le Juge du fond a pu légitimement s’abstenir d’y répondre (ibidem).

D’un autre côté, les Juges du fond sont tenus de s’expliquer sur les moyens qui leurs sont proposés quel qu’en soit le mérite (ibidem).

Le défaut de motif est un vice de forme de sorte que la lacune qui entache l’arrêt suffit à sa cassation (ibidem).

Dans la présente affaire, la Cour d’Appel a violé ses principes alors qu’elle n’a pas répondu à certains moyens développés par les demandeurs en cassation dans leurs conclusions en instance d’appel qui, s’ils avaient été analysés auraient eu une incidence sur la solution du litige.

En ce que la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions du précédent mandataire des demandeurs en cassation qui demandait dans ses conclusions notifiées en appel en date du 15 mai 2019 :

La motivation de l’arrêt d’appel est des plus lacunaire.

L’arrêt doit donc être cassé. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249, alinéa 1, du Nouveau code de procédure civile, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « (…) la Cour étant compétente pour connaître de l’exception de transaction, sous réserve toutefois que la qualité d’héritiers dans le chef des parties intimées soit établie, étant rappelé que la qualité pour agir, qui constitue pour le sujet de droit l’aptitude à saisir la justice dans une situation concrète donnée, n’est pas une condition particulière de recevabilité lorsque l’action est exercée par celui-

là même qui se prétend titulaire du droit, l’existence effective du droit invoqué étant uniquement la condition de son succès au fond ou en d’autres termes de son bien-

fondé.

Même si les parties semblent s’accorder à voir dire que le litige dont la Cour se trouve saisie est terminé du fait de la transaction dont elles se prévalent, il convient de rappeler que ce n’est que pour autant que le droit d’agir est régulièrement exercé qu’il peut s’éteindre en cours de procès, la cause de l’extinction résidant dans la volonté, expresse ou présumée, unilatérale ou commune des parties de renoncer à leur action, tel étant le cas dès lors qu’une transaction intervient en cours d’instance (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 332).

La qualité est le titre conférant le droit d’agir, c’est le pouvoir en vertu duquel une personne exerce l’action en justice. La qualité réalise la jonction entre l’action et le fond du litige. La recevabilité de toute action est, par le canal de la qualité, envisagée par rapport au fond même du litige que l’action a pour but de soumettre au juge (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 111-113).

Un plaideur peut agir pour son propre compte en se prévalant de la qualité d’héritier. La transmission héréditaire des actions du défunt est la conséquence de la continuation de sa personne par les héritiers. Ceux-ci peuvent ainsi se substituer au de cujus pour poursuivre l’instance à laquelle il était partie. Pour justifier de leur qualité à agir, ils devront démontrer que l’action par eux exercée est une action héréditaire ou transmise à cause de mort. L’héritier qui exerce une telle action agit pour son propre compte, puisque, en sa qualité de continuateur de la personne du défunt, il est devenu personnellement titulaire des droits et actions de son auteur, étant précisé que sa qualité d’héritier peut être contestée par la contestation de son titre (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 118).

La transmission du droit d’agir suppose que soit dévolu à une personne autre que son titulaire originaire le droit d’exercer une action en justice. Cette transmission peut être consécutive au décès du titulaire du droit en cause, cette transmission constituant la conséquence de la continuation de la personne du défunt par ses héritiers (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 324 et 327).

Il se dégage des enseignements qui précèdent que ce n’est qu’à la condition que les parties intimées établissent qu’elles se sont vu transmettre, du fait du décès du demandeur originaire, le droit d’exercer l’action introduite par feu L) que la Cour peut se pencher sur la question de savoir si le procès se trouve éteint par la transaction dont les parties au litige se prévalent. », les juges d’appel ont motivé leur décision sur le point considéré.

Il en suit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la seconde branche du moyen Le moyen vise le défaut de réponse à conclusions qui constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Par la motivation reprise dans la réponse à la première branche du moyen, complétée par le passage « En l’espèce, en l’absence de titre établissant la qualité d’héritiers de feu L) dans le chef des parties intimées, par le biais d’une pièce probante, tel un acte de notoriété, force est de constater que la preuve que les parties intimées se sont vu transmettre le droit d’agir du défunt et, partant, le droit de poursuivre l’action qu’il a intentée n’est pas rapportée, la Cour ne disposant d’aucun acte pertinent permettant d’admettre que les parties intimées soient les successeurs du demandeur originaire. En l’absence de cette preuve, la Cour ne saurait attribuer un quelconque effet à la transaction prétendument conclue entre parties, la circonstance que l’avocat initial des parties intimées, en date du 17 décembre 2016, a confirmé l’accord de l’ensemble des héritiers de feu L) pour le montant indemnitaire de 950.000,00 euros proposé par les sociétés T) et BANQUE X) étant sans incidence sur ce constat, cet écrit n’ayant aucune force probante par rapport à la qualité pour agir indispensable des parties intimées.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne saurait accorder à la transaction invoquée, l’effet voulu par les parties.

Dans le même ordre d’idées, force est de constater que les parties intimées n’établissant pas qu’elles ont qualité pour continuer l’action introduite par feu L), leur demande qui tend, par confirmation du jugement entrepris, à voir condamner la société T) à leur payer le montant de 1.067.143,12 euros est, par réformation de ce même jugement, à dire non fondée. », les juges d’appel ont implicitement, mais nécessairement répondu aux conclusions visées au moyen.

Il en suit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.

Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré du défaut de base légale Il fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré fondé l’appel de T) S.A. et d’avoir débouté les demandeurs en cassation de leurs demandes.

Pour statuer ainsi, la Cour d’appel a retenu que les parties intimées n’établissaient pas qu’elles avaient .

La Cour a privé sa décision de base légale en ce qu’elle n’a pas procédé aux constatations de fait nécessaires et suffisantes pour statuer sur le droit.

Les décisions de la Cour de cassation française considèrent le défaut de base légale comme un cas d’ouverture à cassation distinct du défaut de motivation.

Le défaut de base légale est défini .

La cassation prononcée sur ce fondement s’analyse en quelques sortes en .

La Cour de Cassation considère que .

En l’occurrence pour aboutir à la conclusion que les parties intimées n’établissaient pas leur qualité d’héritiers de feu L), la Cour d’appel se contente de constater qu’il n’y a pas de pièce probante, tel un acte de notoriété, valant preuve de la qualité.

Alors que pour agir en justice, il faut qu’une personne ait un intérêt à agir, qu’elle se prévale d’un intérêt légitime né et actuel.

Il faut donc justifier d’un intérêt personnel et direct.

La qualité à agir est le titre auquel on figure dans un procès.

L’intérêt est en principe une condition suffisante pour être investi du droit d’agir.

La qualité à agir n’est qu’un aspect particulier de l’intérêt à agir et est absorbée par celui-ci en ce sens que les deux notions se confondent : le titulaire de l’intérêt à agir a en même temps qualité pour agir.

En l’occurrence, les demandeurs en cassation ont indubitablement intérêt à agir et donc qualité pour agir.

La Cour d’appel a procédé par voie de simple affirmation et n’a pas basé sa motivation sur des constatations de fait suffisantes pour pouvoir qualifier la qualité à agir des demandeurs en cassation.

En procédant ainsi, alors que les constations de fait n’étaient pas suffisantes pour lui permettre de qualifier en droit l’existence de la qualité à agir des demandeurs en cassation, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.

L’arrêt d’appel encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi du 18 février 1885, chaque moyen doit, sous peine d’irrecevabilité, préciser le cas d’ouverture invoqué.

Le défaut de base légale constitue un moyen de fond qui doit être rattaché à une disposition prétendument violée du fait que la décision attaquée ne constate pas tous les faits nécessaires à la mise en œuvre de cette règle de droit.

Le moyen ne précise pas la disposition légale qui aurait été violée par la Cour d’appel.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Les demandeurs en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leur demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge des défenderesses en cassation, la société T) et le BANQUE X), l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chacune d’elles une indemnité de procédure de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

déclare irrecevable le pourvoi en ce qu’il a été introduit par S), H), E) et R) ;

le déclare irrecevable en ce qu’il a été dirigé contre I), Z), C) et U) ;

le déclare recevable pour le surplus ;

le rejette ;

rejette la demande des demandeurs en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne les demandeurs en cassation à payer à la société anonyme T) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

les condamne à payer à la société anonyme de droit suisse BANQUE X) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Alain GROSJEAN, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du premier avocat général Serge WAGNER et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre 1. M), 2. S), 3. H), 4. E), 5. R), agissant en sa qualité d’administratrice légale de sa fille F1), 6. A), 7. D), 8. P) agissant en sa qualité de représentante légale de l’enfant mineur F2) et 1) la société anonyme T) S.A.

2) la société anonyme de droit suisse BANQUE X) A.G.

3) I), 4) Z), 5) C), 6) U) (n° CAS-2020-00100 du registre) Par mémoire déposé le 19 août 2020 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Guillaume MARY, avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de 1. M), 2. S), 3. H), 4. E), 5. R), agissant en sa qualité d’administratrice légale de sa fille F1) 6. A), 7. D), 8. P) agissant en sa qualité de représentante légale de l’enfant mineur F2), a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement le 11 décembre 2019 par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous les numéros 37275 et 39506 du rôle.

Quant à la recevabilité du pourvoi en cassation :

Antérieurement à son dépôt au greffe de la Cour supérieure de justice, le mémoire en cassation a été signifié le 19 juin 2020 au défendeur en cassation T) S.A.1 et le 24 juillet 2020 au défendeur en cassation BANQUE X) A.G.2 En ce qui concerne la signification du mémoire en cassation aux défendeurs en cassation I), Z), C) et U) qui résident tous les quatre au Canada, s’il résulte des pièces versées que le mémoire a été transmis à l’autorité centrale canadienne aux fins de signification conformément à la Convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, l’attestation documentant l’exécution de la demande, telle que prévue à l’article 6 de ladite Convention, n’est pas versée.

Dans la mesure où l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation exige sous peine d’irrecevabilité une signification du mémoire en cassation à la partie adverse, le soussigné se rapporte à sagesse de Votre Cour en ce qui concerne la recevabilité du pourvoi à l’égard des parties I), Z), C) et U).

Le pourvoi est recevable quant à la forme.

En ce qui concerne la recevabilité du pourvoi quant aux délais, tant T) S.A., qui a entrepris les formalités de signification de l’arrêt entrepris, que BANQUE X) A.G.

considèrent dans leurs mémoires en réponse3 que la signification n’a été faite régulièrement à aucun des actuels demandeurs en cassation et ils ne remettent pas en cause la recevabilité du pourvoi quant aux délais.

1 Mémoire en réponse de Me François Kremer, p. 3.

2 Suivant attestation émise par le tribunal civil de la République et du Canton de Genève, annexée au mémoire en cassation.

3 Voir notamment le mémoire en réponse de Me François Kremer, p. 4, dernier alinéa où il est dit que « (…) dans le contexte de la signification de l’arrêt d’appel, il s’est avéré que toutes les parties demanderesses en cassation étaient introuvables aux adresses indiquées par elles-mêmes dans le cadre de la procédure d’appel. Chaque remise de l’arrêt d’appel aux actuelles parties demanderesses en cassation a échoué (…). » Or, au vu des pièces versées4, le constat du défaut de signification valable de l’arrêt entrepris s’impose uniquement à l’égard des demandeurs en cassation M), A), D) et P) et le pourvoi introduit par eux est donc recevable quant aux délais.

En ce qui concerne les demandeurs en cassation S), H), E) et R), qui habitent à la même adresse en France, il résulte par contre des mêmes pièces5 que la signification de l’arrêt entrepris a valablement été faite à l’adresse des destinataires par l’huissier de justice français commis, conformément au règlement (CE) n°1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Cette signification a été faite le 22 janvier 2020.

S’agissant du respect du délai de recours, ce dernier est, pour le cas de l’espèce de demandeurs en cassation résidant dans un pays membre de l’Union européenne, en l’occurrence en France, fixé à deux mois et quinze jours, en vertu par l’article 7, alinéas 1 et 2 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ensemble avec l’article 167, sous 1°, premier tiret du Nouveau Code de procédure civile.

Le délai a commencé à courir à partir du 22 janvier 2020, date de la signification de l’arrêt entrepris, à minuit6. Le délai ordinaire de deux mois prévu à l'article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation a expiré le 22 mars 2020, à minuit. Le délai supplémentaire de distance de quinze jours a couru à raison de trois jours jusqu'au 25 mars 2020 et a ensuite été suspendu à partir du 26 mars 2020 pendant la durée de l’état de crise provoqué par la pandémie Covid-19 par l’effet de l’article 1er, paragraphe 1 du règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales7. Cette suspension a pris fin, conformément à l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise déclaré par le règlement grand-

ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la 4 Pièces n°s 10 à 18 de Me François Kremer.

5 Pièces n°s 12 à 15 de Me François Kremer.

6 Article 1256 du Nouveau code de procédure civile.

7 Mémorial, A, 2020, n° 185, du 25 mars 2020. L’article 1, paragraphe 1, de ce règlement disposait que : « Les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions judiciaires, administratives, militaires et constitutionnelle sont suspendus ». Le règlement a été successivement modifié, sur d’autres points, par des règlements modificatifs du 1er avril 2020 (Mémorial A, n° 227 du 2 avril 2020), du 17 avril 2020 (Mémorial A, n° 302 du 17 avril 2020) et du 29 avril 2020 (Mémorial A, n° 340 du 29 avril 2020). Le règlement modificatif précité du 17 avril 2020 a exempté de la suspension les délais de cassation en matière pénale prévus par les articles 41 à 43 de la loi précitée de 1885 (article 2, paragraphe 1, alinéa 1, sous 8°, du règlement grand-ducal précité du 25 mars 2020 tel que modifié). La suspension continua toutefois à s’appliquer aux délais de cassation en matière civile. Conformément à son article 7, le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 est entré en vigueur le lendemain de sa publication, qui a eu lieu le 25 mars 2020, donc le 26 mars 2020. Les développements précités sont tirés des conclusions de Monsieur le procureur général d’Etat adjoint John Petry du 14 janvier 2021 dans l’affaire de cassation CAS-2020-00098 du registre.

lutte contre le Covid-198, le 24 juin 2020, à minuit. La suspension « signifie que le délai ne court pas et reprend son cours normal une fois que le fait ou l’acte à l’origine de la suspension disparaît »9. Les douze jours résiduels du délai de distance ont repris leur cours le 25 juin 2020 et le délai pour introduire le pourvoi a donc expiré le 6 juillet 2020 à minuit.

Il en suit que le pourvoi introduit par les demandeurs en cassation S), H), E) et R) seulement le 19 août 2020 est irrecevable quant aux délais.

Dans leurs mémoires formulés en réponse au pourvoi, les défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G. soulèvent l’irrecevabilité, respectivement la nullité du pourvoi pour inexistence des parties demanderesses en cassation, sinon pour indication d’adresses inexactes et pour défaut de qualité à agir dans le chef des parties demanderesses en cassation.

Ces moyens ne sont pas fondés.

En effet, dans la mesure où les parties demanderesses en cassation ont été parties à la décision attaquée et qu’elles procèdent dans l’instance en cassation en la même qualité que devant la Cour d’appel10, elles ont qualité et sont recevables à se pourvoir en cassation11.

En ce qui concerne le reproche de l’indication d’une adresse inexacte dans le chef des demandeurs en cassation, celui-ci ne saurait entraîner la nullité ou l’irrecevabilité du pourvoi, puisque d’après l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, la signature de l’avocat à la Cour au bas du mémoire en cassation vaut élection de domicile chez lui. L’indication par les 8 Mémorial A, n° 178 du 24 mars 2020.

9 Avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi n° 7587 ayant donné lieu à la loi du 20 juin 2020 portant prorogation de mesures concernant la tenue d’audiences publiques pendant l’état de crise (Mémorial A, n° 523 du 24 juin 2020, document parlementaire n° 75873, page 4, deuxième alinéa). Il est à préciser que la loi précitée du 20 juin 2020 comporte à son article 6 une disposition suivant laquelle « les délais, légaux ou conventionnels, qui gouvernement l’introduction des procédures en première instance devant les juridictions judiciaires, administratives et militaires […] sont prorogés comme suit : 1° les délais venant à échéance pendant l’état de crise sont reportés de deux mois à compter de la date de la fin de l’état de crise ; 2° les délais venant à échéance dans le mois qui suit le mois qui suit l’entrée en vigueur de la présente loi, sont reportés d’un mois à compter de leur date d’échéance » (c’est nous qui soulignons). Il résulte des travaux préparatoires de cette loi que cette solution ne s’applique pas aux délais autres que ceux gouvernant l’introduction des procédures en première instance, donc ne s’applique pas aux délais d’appel, d’opposition ou de pourvoi en cassation, parce que ces délais ont été soumis pendant l’état de crise au régime de la suspension des délais (Rapport de la Commission de Justice de la Chambre des députés, document parlementaire n° 75877, page 6, avant-dernier et dernier alinéas). Les développements précités sont tirés des conclusions de Monsieur le procureur général d’Etat adjoint John Petry du 14 janvier 2021 dans l’affaire de cassation CAS-2020-00098 du registre.

10 C’est-à-dire, en ce qu’elles entendent reprendre l’instance en qualité d’héritiers de feu L).

11 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 42.20 ; Jurisclasseur Procédure civile, Fasc. 1000-

75, Pourvoi en cassation, n°s 17 et suivants.

demandeurs en cassation, ou plutôt par certains d’entre eux12, d’une adresse erronée ou non actuelle dans le pourvoi ne cause donc aucun préjudice aux défendeurs en cassation.

D’ailleurs, les défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G. ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont fait signifier leurs mémoires en réponse au domicile élu, c’est-

à-dire en l’étude du mandataire judiciaire des demandeurs en cassation.

Quant à la recevabilité des mémoires en réponse :

Un mémoire en réponse a été signifié par Maître François KREMER, avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de la partie défenderesse en cassation T) S.A., le 13 août 2020 et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 17 août 2020. Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Un autre mémoire en réponse a été signifié par Maître Alain GROSJEAN, avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de la partie défenderesse en cassation BANQUE X) A.G., le 21 septembre 2020 et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 23 septembre 2020. Ce mémoire peut pareillement être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Quant à la recevabilité du mémoire en réplique :

Les demandeurs en cassation ont fait signifier aux défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G. un mémoire en réplique qui répond à l’exception d’irrecevabilité du pourvoi ainsi qu’aux moyens mis en avant par les défendeurs en cassation pour dire que le pourvoi n’est pas fondé.

L’article 17, ensemble avec l’article 19, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation prévoit que jusqu’au jour fixé pour le rapport à l’audience de la Cour de cassation, la partie demanderesse en cassation peut faire signifier un nouveau mémoire, soit pour redresser l’appréciation fausse que la partie défenderesse aura faite des faits qui servent de fondement au recours, soit pour répondre à un pourvoi incident ou aux exceptions et aux fins de non-recevoir opposées au pourvoi par la partie défenderesse.

12 Voir supra : Le reproche de l’indication d’une adresse erronée ou non actuelle ne saurait valoir qu’à l’égard des demandeurs en cassation Magloire MUNDELE MASEVO, A), D) et P) puisque la signification de l’arrêt entrepris a valablement été faite aux autres demandeurs en cassation.

Une fausse interprétation des faits n’étant en l’espèce pas reprochée aux défendeurs en cassation, et un pourvoi indicent n’ayant pas été introduit, il en suit que le mémoire en réplique n’est recevable que quant à son point I) qui concerne la recevabilité du pourvoi.

Sur les faits et rétroactes :

Par un jugement du 14 octobre 2010, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a dit fondée la demande d’L) dirigée contre la société T) S.A. et a condamné celle-ci à lui payer le montant de 1.067.143,12 euros, outre les intérêts au taux conventionnel, qui lui avait été remis en exécution d’un contrat d’assurance-vie et qui avait été viré frauduleusement, en vertu de faux ordres de rachat, sur le compte bancaire d’un tiers ouvert dans les livres de la société BANQUE X) A.G.

L) étant décédé au cours de l’instance d’appel, la Cour d’appel a dit que les personnes ayant déclaré reprendre l’instance n’avaient pas établi leur qualité d’héritiers de feu L) et, par réformation du jugement de première instance, les a déboutés de leur demande.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt d’appel.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse interprétation de l’article 488 du Nouveau code de procédure civile qui dispose que « Dans les affaires qui ne seront pas en état, toutes procédures faites postérieurement à la notification de la mort de l’une des parties seront nulles; il ne sera pas besoin de signifier les décès, démissions, interdictions ni destitutions des avocats;

les poursuites faites et les décisions obtenues depuis seront nulles, s’il n’y a constitution de nouvel avocat ».

Les défendeurs en cassation concluent au rejet de ce moyen, au motif qu’il s’agirait d’un moyen nouveau irrecevable devant la Cour de cassation.

Il est rappelé que c’est au demandeur en cassation qu’incombe la charge de la preuve de justifier de la recevabilité du moyen qu’il présente, et par conséquent, d’établir son défaut de nouveauté s’il ne résulte pas des énonciations de la décision attaquée ou du dépôt de conclusions devant les juges d’appel13.

13 J. et L. BORÉ, précité, n° 82.101.

En l’espèce, il ne résulte ni de l’arrêt entrepris, ni des conclusions échangées en instance d’appel, que l’application des dispositions de l’article 488 du Nouveau code de procédure civile ait été soulevée devant les juges du fond.

Le moyen, mélangé de fait et de droit, est partant à déclarer irrecevable pour être nouveau.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 65 du Nouveau code de procédure civile et de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Aux termes de ce moyen, divisé en deux branches, les demandeurs en cassation font grief aux juges d’appel, pour les débouter de leur demande à l’égard de la société T) S.A., d’avoir « soulevé d’office et sans le soumettre au débat contradictoire, le moyen tiré de l’absence de qualité pour agir dans le chef des parties intimées [actuelles parties demanderesses en cassation] (…) » (1ère branche). La Cour d’appel serait ainsi « allée délibérément au-delà des moyens contradictoirement débattus en instance d’appel en concluant de sa propre initiative et sans le moindre débat contradictoire à l’absence qualité pour agir dans le chef des intimées [actuels demandeurs en cassation] à défaut pour elles de verser un acte de notoriété » (2ème branche).

Ce moyen est à rejeter en ses deux branches.

En effet, dans son arrêt, la Cour d’appel a constaté que « Après avoir contesté la qualité d’héritiers dans le chef des parties intimées au motif de l’absence d’actes de notoriété établissant leur qualité de successeurs de feu L) [cf. conclusions du 12 juillet 2016 (BANQUE X)) et conclusions du 25 février 2016 (T))], les sociétés BANQUE X) et T) invoquent, en ordre principal, l’exception de transaction (…).14 » Il résulte encore des constatations de la Cour d’appel que les actuels demandeurs en cassation ont pris position sur le moyen du défaut de qualité à agir en leur chef en faisant valoir que du fait de la transaction qui aurait été conclue entre les parties en cause, « les parties appelantes [actuels défendeurs en cassation] ne contesteraient plus la qualité d’héritiers dans le chef des parties intimées [actuels demandeurs en cassation] qui donnent à considérer qu’elles ne disposent pas, à l’heure actuelle, d’actes de notoriété justifiant la qualité d’héritiers dans leur chef. » 15 14 Arrêt entrepris, page 10, avant-dernier alinéa.

15 Arrêt entrepris, page 11, deuxième alinéa, dernière phrase.

Il en suit que loin d’avoir soulevé d’office le moyen du défaut de qualité à agir dans le chef des actuels demandeurs en cassation, les juges d’appel n’ont fait que répondre à un moyen soulevé par les défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G. lors de l’instance d’appel, par rapport auquel les actuels demandeurs en cassation ont pris position et qui, par conséquent, était dans les débats devant les juges d’appel.

Le soussigné tient encore à relever à cet égard qu’il résulte des pièces versées par les défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G. que suivant avis du 21 novembre 2017, la Cour d’appel, en la personne du magistrat de la mise en état, a formellement invité le mandataire judiciaire des actuels demandeurs en cassation, « au vu des contestations des parties V) S.A. [actuellement dénommée T) S.A.] et BANQUE X) quant à la qualité d’héritiers dans le chef des parties ayant repris l’instance suite au décès d’L) (…), à verser l’original de l’acte de notoriété de feu L), ainsi que des pièces lisibles et probantes quant à leur identité et à leur qualité d’héritiers ». Dans son avis du 5 décembre 2018, la Cour d’appel a rappelé son avis du 21 novembre 2017 et a accordé un ultime délai au mandataire judicaire des actuels demandeurs en cassation pour verser les pièces réclamées dans son avis précédent16.

Il en suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches.

Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 53 du Nouveau code de procédure civile qui dispose que « L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. (…) ».

Aux termes de ce moyen, il est fait grief aux juges d’appel d’avoir « soulevé le moyen d’un prétendu défaut de qualité pour agir dans le chef des parties intimées [actuels demandeurs en cassation], alors même que les parties appelantes [actuels défendeurs en cassation], par l’effet de la transaction et dans leurs conclusions (…), reconnaissent expressément aux parties intimées leur qualité d’héritiers. » Les demandeurs en cassation considèrent qu’ « en retenant un moyen non invoqué par les parties appelantes, respectivement les parties au litige, la Cour d’appel a statué au-delà de ce qui lui était demandé ».

Les demandeurs en cassation reprochent ainsi à la Cour d’appel, sous le visa de l’article 53 du Nouveau code de procédure civile, d’avoir statué ultra petita, au-delà de ce qui 16 Pièces n°s 14 et 15 de Me Alain Grosjean, respectivement pièces n°s 22 et 23 de Me François Kremer.

lui était demandé et d’avoir ainsi violé l’obligation qui est faite au juge de se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Sous cet angle, le moyen est irrecevable alors que le fait pour le juge de se prononcer sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d’ouverture à cassation mais relève de la requête civile en vertu de l’article 617 3° du Nouveau code de procédure civile.

A titre subsidiaire, le moyen n’est pas fondé. Comme exposé dans la réponse au moyen précédent, la Cour d’appel était saisie du moyen du défaut de qualité à agir dans le chef des actuels demandeurs en cassation qui avait été soulevé par les parties T) S.A. et BANQUE X) A.G. Il n’était donc pas demandé à la Cour d’appel « simplement de prendre acte de l’accord définitif intervenu entre les parties », ainsi que cela est affirmé par les demandeurs en cassation17. La Cour d’appel a ainsi légitimement pu considérer qu’elle était « compétente pour connaître de l’exception de transaction, sous réserve toutefois que la qualité d’héritiers dans le chef des parties intimées [actuels demandeurs en cassation] soit établie »18.

Sur le quatrième moyen de cassation :

Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249, alinéa 1er du Code de procédure civile qui imposent aux juges de motiver leurs décisions.

Le moyen est divisé en deux branches.

Aux termes de la première branche du moyen, les demandeurs en cassation font grief à la Cour d’appel de ne pas avoir « suffisamment motivé sa décision »19 de débouter les actuels demandeurs en cassation de leur demande pour le motif qu’ils n’auraient pas qualité pour continuer l’action introduite par feu L). Ils font encore valoir que la motivation de l’arrêt d’appel ne permettrait pas de vérifier « sur quels éléments de fait [les juges d’appel] se sont basés pour en tirer cette conclusion »20.

Les dispositions légales visées au moyen imposent aux juges de motiver leurs décisions.

Le grief tiré de la violation de ces dispositions vise le défaut de motivation qui est constitutif d’un vice de forme. Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation expresse ou implicite, fût-elle incomplète ou viciée, 17 Mémoire en cassation, page 12, alinéa 2.

18 Arrêt entrepris, page 14, alinéa 3.

19 Mémoire en cassation, page 13, alinéa 3.

20 Mémoire en cassation, page 13, alinéa 9.

sur le point considéré. Le défaut de motifs suppose donc l’absence de toute motivation sur le point considéré.21 Or, en faisant grief aux juges d’appel d’avoir formulé une motivation insuffisante ne permettant pas de vérifier sur quels éléments de fait ils se sont basés pour rendre leur décision, le moyen vise le cas d’ouverture du défaut de base légale, qui est défini comme étant l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit22 et qui, contrairement à celui tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249, alinéa 1er du Code de procédure civile, est un vice de fond.

Il en suit qu’à titre principal, le moyen est irrecevable, puisque le grief invoqué est étranger au cas d’ouverture reproduit au moyen.

A titre subsidiaire, l’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :

« … la Cour [est] compétente pour connaître de l’exception de transaction, sous réserve toutefois que la qualité d’héritiers dans le chef des parties intimées soit établie, étant rappelé que la qualité pour agir, qui constitue pour le sujet de droit l’aptitude à saisir la justice dans une situation concrète donnée, n’est pas une condition particulière de recevabilité lorsque l’action est exercée par celui-là même qui se prétend titulaire du droit, l’existence effective du droit invoqué étant uniquement la condition de son succès au fond ou en d’autres termes de son bien-

fondé.

Même si les parties semblent s’accorder à voir dire que le litige dont la Cour se trouve saisie est terminé du fait de la transaction dont elles se prévalent, il convient de rappeler que ce n’est que pour autant que le droit d’agir est régulièrement exercé qu’il peut s’éteindre en cours de procès, la cause de l’extinction résidant dans la volonté, expresse ou présumée, unilatérale ou commune des parties de renoncer à leur action, tel étant le cas dès lors qu’une transaction intervient en cours d’instance (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 332).

La qualité est le titre conférant le droit d’agir, c’est le pouvoir en vertu duquel une personne exerce l’action en justice. La qualité réalise la jonction entre l’action et le fond du litige. La recevabilité de toute action est, par le canal de la qualité, envisagée par rapport au fond même du litige que l’action a pour but de soumettre au juge (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 111-113).

21 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.31.

22 Idem, n° 78.21.

Un plaideur peut agir pour son propre compte en se prévalant de la qualité d’héritier. La transmission héréditaire des actions du défunt est la conséquence de la continuation de sa personne par les héritiers. Ceux-ci peuvent ainsi se substituer au de cujus pour poursuivre l’instance à laquelle il était partie. Pour justifier de leur qualité à agir, ils devront démontrer que l’action par eux exercée est une action héréditaire ou transmise à cause de mort. L’héritier qui exerce une telle action agit pour son propre compte, puisque, en sa qualité de continuateur de la personne du défunt, il est devenu personnellement titulaire des droits et actions de son auteur, étant précisé que sa qualité d’héritier peut être contestée par la contestation de son titre (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 118).

La transmission du droit d’agir suppose que soit dévolu à une personne autre que son titulaire originaire le droit d’exercer une action en justice. Cette transmission peut être consécutive au décès du titulaire du droit en cause, cette transmission constituant la conséquence de la continuation de la personne du défunt par ses héritiers (DALLOZ, Répertoire civil, Verbo Action, éd. 1997, n° 324 et 327).

Il se dégage des enseignements qui précèdent que ce n’est qu’à la condition que les parties intimées établissent qu’elles se sont vu transmettre, du fait du décès du demandeur originaire, le droit d’exercer l’action introduite par feu L) que la Cour peut se pencher sur la question de savoir si le procès se trouve éteint par la transaction dont les parties au litige se prévalent.

En l’espèce, en l’absence de titre établissant la qualité d’héritiers de feu L) dans le chef des parties intimées, par le biais d’une pièce probante, tel un acte de notoriété, force est de constater que la preuve que les parties intimées se sont vu transmettre le droit d’agir du défunt et, partant, le droit de poursuivre l’action qu’il a intentée n’est pas rapportée, la Cour ne disposant d’aucun acte pertinent permettant d’admettre que les parties intimées soient les successeurs du demandeur originaire.

En l’absence de cette preuve, la Cour ne saurait attribuer un quelconque effet à la transaction prétendument conclue entre parties, la circonstance que l’avocat initial des parties intimées, en date du 17 décembre 2016, a confirmé l’accord de l’ensemble des héritiers de feu L) pour le montant indemnitaire de 950.000,00 euros proposé par les sociétés T) et Banque X) étant sans incidence sur ce constat, cet écrit n’ayant aucune force probante par rapport à la qualité pour agir indispensable des parties intimées.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne saurait accorder à la transaction invoquée, l’effet voulu par les parties.

Dans le même ordre d’idées, force est de constater que les parties intimées n’établissant pas qu’elles ont qualité pour continuer l’action introduite par feu L), leur demande qui tend, par confirmation du jugement entrepris, à voir condamner la société T) à leur payer le montant de 1.067.143,12 euros est, par réformation de ce même jugement, à dire non fondée. » En se déterminant par ces motifs, la Cour d’appel a formellement justifié, par une motivation suffisante, sa décision de débouter les actuelles parties demanderesses en cassation de leur demande d’indemnisation dirigée contre la société T) S.A.

Il en suit qu’à titre subsidiaire, le moyen n’est pas fondé.

Aux termes de la seconde branche du moyen, il est fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions des demandeurs en cassation sur le point suivant :

« Les parties concluantes informent Votre Cour que l’établissement du certificat de notoriété est en cours, mais que le généalogiste chargé par le notaire français a, au vu du fait que certains héritiers sont nés en Afrique, annoncé un délai de plusieurs mois avant l’établissement de son rapport.

Si les concluants sont dispensés, sans préjudice pour eux de verser ledit acte de notoriété, il n’y a effectivement pas lieu de retarder la clôture de l’instruction.

Si cependant Votre Cour estime qu’il y a lieu de verser ledit certificat de notoriété, il faudra tenir la clôture de l’instruction en suspens en attendant la finalisation de celui-ci. » A titre principal, il est relevé que le passage en cause des conclusions ne formule pas un moyen, entendu comme « l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte, d’où, par un raisonnement juridique, elle prétend déduire le bien-fondé d’une demande ou d’une défense »23, mais une demande, à savoir celle de tenir la clôture de l’instruction en suspens pour le cas où la Cour d’appel estimerait qu’il y a lieu de verser le certificat de notoriété établissant, dans le chef des actuels demandeurs en cassation, leur qualité de successeurs de feu L). Il est donc reproché aux juges d’appel d’avoir omis de se prononcer sur un chef de demande formulé par les actuels demandeurs en cassation dans leurs conclusions.

23 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.202.

Or, aux termes 617 5° du Nouveau code de procédure civile, le fait pour le juge d’avoir omis de se prononcer sur l’un des chefs de la demande relève de la requête civile et ne constitue donc pas un cas d’ouverture à cassation.

Il en suit qu’à titre principal, le moyen est irrecevable.

A titre subsidiaire, le moyen est encore irrecevable puisque, comme relevé par les défendeurs en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G., la Cour d’appel n’est tenue de statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties24 et la demande de surseoir à statuer « en attendant la finalisation [du certificat de notoriété] », ne figure pas au dispositif des conclusions d’appel des actuels demandeurs en cassation25.

A titre plus subsidiaire, le moyen n’est pas fondé puisqu’aux termes de l’article 279 du Nouveau code de procédure civile, la communication des pièces doit être spontanée. Les parties doivent verser spontanément les pièces qu’elles considèrent comme étant pertinentes ou simplement opportunes à verser à l’appui de leurs prétentions. Hormis le cas de l’article 280 du Nouveau code de procédure civile au sujet de l’injonction faite par le juge à une partie, sur demande d’une autre, de verser une pièce, la décision de verser ou non une pièce n’incombe pas au juge et il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir ordonné un sursis à statuer pour permettre à une partie de verser une pièce pour laquelle elle impute au juge la décision de l’opportunité de la verser ou non.

Ensuite, comme relevé ci-avant en réponse au deuxième moyen de cassation, suite aux contestations formulées par les actuelles parties défenderesses en cassation quant à la qualité à agir dans le chef des actuelles parties demanderesses en cassation, la Cour d’appel avait expressément invité les dernières à verser l’acte de notoriété de feu L), ainsi que des pièces lisibles et probantes quant à leur identité et à leur qualité d’héritiers.

Les actuelles parties demanderesses en cassation n’ayant pas donné de suite à cette invitation, même répétée une deuxième fois avec fixation d’un délai ultime pour verser la pièce en question, il appartenait aux juges d’appel d’en tirer les conséquences légales quant à la preuve de leur qualité à agir et il ne saurait être reproché à la Cour d’appel, saisie d’un appel par les parties adverses, sous peine de se voir reprocher un déni de justice, de ne pas avoir sursis à statuer sine die en attendant le versement hypothétique de la pièce réclamée. Il en suit que, vu sous cet angle, le moyen n’est pas fondé non plus.

Sur le cinquième moyen de cassation :

24 Idem, n° 77.161.

25 Pièces n°s 24 et 26 à 32 de Me François Kremer.

Le cinquième moyen de cassation est tiré du défaut de base légale.

Aux termes du moyen, il est fait grief aux juges d’appel, « pour aboutir à la conclusion que les parties intimées [actuelles parties demanderesses en cassation] n’établissaient pas leur qualité d’héritiers de feu L) » de s’être contentés « de constater qu’il n’y a pas de pièce probante, tel un acte de notoriété, valant preuve de la qualité [à agir] ».

A titre principal, le moyen est irrecevable, alors qu’il n’indique pas de cas d’ouverture à cassation par référence à une disposition légale qui aurait été violée.

A titre subsidiaire, le moyen ne saurait être accueilli puisqu’il ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve, en vertu de laquelle la Cour d’appel a considéré que la qualité à agir dans le chef des actuelles parties demanderesses en cassation n’était pas établie, cette appréciation échappant au contrôle de votre Cour.

Conclusion Le pourvoi introduit par les parties S), H), E) et R) est irrecevable, le pourvoi introduit par les parties M), A), D) et P) est recevable à l’égard des parties défenderesses en cassation T) S.A. et BANQUE X) A.G., le soussigné se rapporte à sagesse de Votre Cour quant à la recevabilité du pourvoi introduit par les parties M), A), D) et P) à l’égard des parties défenderesses en cassation I), Z), C) et U), le pourvoi n’est pas fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Marc HARPES 33


Synthèse
Numéro d'arrêt : 98/21
Date de la décision : 10/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-06-10;98.21 ?

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