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03/06/2021 | LUXEMBOURG | N°93/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 03 juin 2021, 93/21


N° 93 / 2021 du 03.06.2021 Numéro CAS-2020-00088 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, président de chambre à la Cour d’appel, Sandra KERSCH, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limit

ée G), demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, e...

N° 93 / 2021 du 03.06.2021 Numéro CAS-2020-00088 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois juin deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, président de chambre à la Cour d’appel, Sandra KERSCH, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limitée G), demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société anonyme M), défenderesse en cassation, comparant par Maître Céline BOTTAZZO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 54/20, rendu le 1er avril 2020 sous le numéro CAL-

2019-00214 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, signifié le 20 mai 2020 ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 28 juillet 2020 par la société à responsabilité limitée G) (ci-après « la société G) ») à la société anonyme M) (ci-

après « la société M) »), déposé le 5 août 2020 au greffe de la Cour, dans le délai légal au regard du règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 25 septembre 2020 par la société M) à la société G), déposé le 28 septembre 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du président de chambre à la Cour d’appel Christiane JUNCK et les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait, sur base de la théorie de la facture acceptée, condamné la société G) à payer à la société M) le montant réclamé au titre d’une facture émise à son égard. La Cour d’appel, tout en retenant que la présomption irréfragable édictée par l’article 109 du Code de commerce n’avait pas vocation à s’appliquer, a retenu une présomption suffisante de la créance alléguée et a confirmé le jugement entrepris.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit l'appel non fondé et confirmé le jugement entrepris, aux motifs suivants :

, alors que, si les juges du fond apprécient librement, s'agissant d'un contrat commercial autre qu'une vente, si la facture acceptée invoquée par le demandeur en justice vaut ou non présomption suffisante de l'existence de la créance affirmée, leur pouvoir d'appréciation souverain est néanmoins encadré par des règles de droit dont le respect relève du contrôle de la Cour de cassation ;

que pour les engagements commerciaux autres que les ventes, l'acceptation ne constitue qu'une présomption de l'homme de conformité de la facture par rapport aux conditions du contrat ; que pour de tels engagements, le débiteur peut donc non seulement contester l'existence de l'acceptation, mais aussi, si l'acceptation est établie, il peut encore rapporter la preuve contraire du contenu de la facture ; que les juges du fond sont légalement obligés, dans ce cas, d'examiner les contestations opposées par le débiteur et d'apprécier si elles ne sont pas de nature à rapporter la preuve contraire du contenu de la facture même acceptée ;

qu'en l'espèce, la Cour d'appel avait été saisie de contestations précises de la part de la demanderesse en cassation, qui étaient tirées - de l'inexistence de la créance alléguée par M) & Fils au regard des conditions d'une révision des prix pour hausse du prix des matériaux (acte d'appel de G) & Fils du 19 février 2019, point 3.1, pages 11-13 ; conclusions récapitulatives I de G) & Fils du 18 septembre 2019, point 3.1, page 12) ;

- des erreurs de calcul détaillées dans les écritures de la demanderesse en cassation, et dont celle-ci déduisait que (acte d'appel précité, point 3.2, pages 13-18 ; conclusions récapitulatives I précitées, point 3.2, pages 13-15) ;

- de la responsabilité de M) & Fils en raison du qu'elle avait établi et fait parvenir à G) & Fils (conclusions récapitulatives I précitées, p. 14-15) ;

que l'arrêt attaqué n'a pas analysé au fond ces moyens de la demanderesse en cassation, mais s'est contenté de la motivation ci-dessus citée, qui a exclusivement trait à l'acceptation de la facture par la demanderesse en cassation ;

qu'en conséquence :

première branche :

la Cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions précitées, formulées dans l'acte d'appel et dans les conclusions récapitulatives I de la demanderesse en cassation ; que le défaut de réponse à conclusions vaut défaut de motifs et dès lors violation de l'article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l'article 587 du même code ;

deuxième branche, subsidiaire à la première :

pour autant que la réponse donnée par les motifs ci-dessus indiqués soit censée valoir réponse aux contestations du fond de la créance, formulées dans les conclusions de la demanderesse en cassation, cette réponse est juridiquement inopérante, puisqu'elle n'a trait qu'à l'acceptation de la facture et n'est pas en mesure de rencontrer des contestations ayant trait au fond de la créance affirmée par la facture, à supposer celle-ci acceptée - contestations que le destinataire d'une facture émise dans le cadre d'un contrat d'entreprise est admis à formuler ; qu'en conséquence, la Cour d'appel n'a pas procédé aux recherches qui s'imposaient légalement et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 1er du Code civil en combinaison avec l'article 1353 du même Code ;

troisième branche, elle aussi subsidiaire à la première :

pour les mêmes raisons que celles invoquées à l'appui de la deuxième branche, les juges du fond ont encore privé leur arrêt de base légale au regard de l'article 109 du Code de commerce en combinaison avec l'article 1353 du Code civil. ».

Réponse de la Cour Sur les trois branches du moyen réunies Sous le couvert des griefs tirés de la violation de l’article 249, alinéa 1, du Nouveau code de procédure civile et du défaut de base légale, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des circonstances factuelles dont ils ont déduit une présomption suffisante de l’existence de la créance, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen, pris en ses trois branches, ne saurait être accueilli.

Sur la demande de la demanderesse en cassation en restitution de la somme payée en exécution de l’arrêt attaqué La demanderesse en cassation succombant dans ses prétentions, sa demande est à rejeter.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en restitution de la somme payée en exécution de l’arrêt attaqué et sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Céline BOTTAZZO, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Grand-Duché de Luxembourg Luxembourg, le 25 février 2021 PARQUET GENERAL CITE JUDICIAIRE Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation G), société à responsabilité limitée contre M), société anonyme N° CAS-2020-00088 du registre Le pourvoi en cassation, introduit à la requête de la société à responsabilité limitée G) (ci-après société G)), signifié en date du 28 juillet 2020 à la société anonyme M) (ci-après société M)) et déposé le 5 août 2020 au greffe de la Cour, est dirigé contre un arrêt rendu le 1er avril 2020 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2019-00214 du rôle.

Cet arrêt a été signifié à la société G) par exploit d’huissier de justice du 20 mai 20201.

Au vu de la suspension des délais, dont celle du délai de cassation en matière civile, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du Règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et 1 L’acte de signification n’a pas été versé, mais la date se dégage des indications de procédure du mémoire en cassation, page 1 adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales2, les délais institués par la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée n’ont pas commencé à courir à la date de la signification de l’arrêt. Cette suspension a pris fin, conformément à l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise3, le 24 juin 2020, à 24.00 heures4. La suspension « signifie que le délai ne court pas et reprend son cours normal une fois que le fait ou l’acte à l’origine de la suspension disparaît »5.

Le délai du recours de deux mois n’a donc commencé à courir qu’à partir du 25 juin 2020. Il aurait expiré le 25 août 2020, à minuit.

Le pourvoi, déposé dans les forme et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est dès lors recevable.

Le mémoire en réponse de la société M), signifié le 25 septembre 2020 à la société G) en son domicile élu et déposé le 28 septembre 2020 au greffe de la Cour, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Faits et rétroactes 2 Mémorial, A, 2020, n° 185, du 25 mars 2020. L’article 1, paragraphe 1, de ce Règlement disposait que : « Les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions judiciaires, administratives, militaires et constitutionnel e sont suspendus ». Le Règlement a été successivement modifié, sur d’autres points, par des Règlements modificatifs du 1er avril 2020 (Mémorial, A, 2020, n° 227, du 2 avril 2020), du 17 avril 2020 (Mémorial, A, n° 302, du 17 avril 2020) et du 29 avril 2020 (Mémorial, A, 2020, n° 340, du 29 avril 2020). Le Règlement modificatif précité du 17 avril 2020 a exempté de la suspension les délais de cassation en matière pénale prévus par les articles 41 à 43 de la loi précitée de 1885 (Article 2, paragraphe 1, alinéa 1, sous 8°, du Règlement grand-ducal précité du 25 mars 2020 tel que modifié). La suspension continua toutefois à s’appliquer aux délais de cassation en matière civile.

3 Voir les références dans la note n° 3.

4 La loi précitée du 24 mars 2020 est entrée en vigueur, conformément à son article 2, le jour de sa publication, soit le 24 mars 2020, de sorte que l’état de crise a pris fin trois mois plus tard, soit le 24 mars 2020 à 24.00 heures.

5 Avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi n° 7587 ayant donné lieu à la loi du 20 juin 2020 portant prorogation de mesures concernant la tenue d’audiences publiques pendant l’état de crise (Mémorial, A, 2020, n° 523, du 24 juin 2020) (Document parlementaire n° 7587-3), page 4, deuxième alinéa. Il est à préciser que la loi précitée du 20 juin 2020 comporte dans son article 6 une disposition suivant laquel e « les délais, légaux ou conventionnels, qui gouvernement l’introduction des procédures en première instance devant les juridictions judiciaires, administratives et militaires […] sont prorogés comme suit : 1° les délais venant à échéance pendant l’état de crise sont reportés de deux mois à compter de la date de la fin de l’état de crise ; 2° les délais venant à échéance dans le mois qui suit le mois qui suit l’entrée en vigueur de la présente loi, sont reportés d’un mois à compter de leur date d’échéance » (c’est nous qui soulignons). Il résulte des travaux préparatoires de cette loi que cette solution ne s’applique pas aux délais autres que ceux gouvernant l’introduction des procédures en première instance, donc ne s’applique pas aux délais d’appel, d’opposition ou de pourvoi en cassation, parce que ces délais ont été soumis pendant l’état de crise au régime de la suspension des délais (Rapport de la Commission de Justice de la Chambre des députés, Document parlementaire n° 7587-7, page 6, avant-dernier et dernier alinéas).

Le présent pourvoi se situe dans le cadre d’un litige ayant pris naissance à propos d’un marché public confié par l’Administration des Bâtiments Publics à la société G) concernant des travaux de réalisation d’une toiture en cuivre du Centre

_____.

La société G) sous-traita ces travaux à la société M) qui émit un devis à hauteur de 176.785,42.- Euros en date du 25 mai 2005.

Suite à la réception définitive des travaux en date du 14 octobre 2008, la société M) envoya le 22 avril 2008 une facture finale à hauteur de 132.401,94.-

Euros, qui fut réglée.

Le 8 juin 2010, soit près de deux années plus tard, la société M) fit parvenir à la société G) une « lettre de créance », faisant état d’une hausse du prix du cuivre et réclamant à ce titre un montant de 120.812,75.- Euros. La société G) continua cet écrit à l’Administration des Bâtiments Publics qui refusa toutefois de procéder au règlement de cette somme, même suite à une réclamation de la part de la société M) en date du 17 novembre 2011.

Cette dernière mit alors, par courrier recommandé du 25 novembre 2012, la société G) en demeure de lui payer le montant de sa « lettre de créance » contre laquelle celle-ci n’aurait jamais protesté.

Par exploit d’huissier de justice du 25 avril 2016, la société M) assigna la société G) devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch afin de se voir régler le montant de 120.812,75.- Euros, avec les intérêts légaux.

Le tribunal d’arrondissement de Diekirch fit droit à cette demande par jugement du 19 décembre 2018, en décidant que la « lettre de créance » du 8 juin 2010 valait facture acceptée au sens de l’article 109 du Code de commerce.

Sur appel de la société G), la Cour d’appel, par un arrêt du 1er avril 2020, qualifia le contrat liant les deux sociétés de « contrat de louage d’ouvrage de droit commun »6 et confirma les premiers juges en ce qu’ils avaient décidé que la « lettre de créance » était à considérer comme facture7.

Citant un arrêt de Votre Cour du 24 janvier 20198, elle rappela que la présomption irréfragable édictée par l’article 109 du Code de commerce 6 Arrêt attaqué, page 9, alinéa 2 7 Idem, page 9, alinéa 8 et 9, et page 10, alinéa 1er 8 Cass. 24 janvier 2019, n°4072 du registre n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, les parties n’étant pas liées par un contrat de vente9.

Elle poursuivit ensuite :

« Pour les engagements commerciaux autres que les ventes, pour lesquels il est habituel d’émettre des factures, l’acceptation constitue une présomption de l’homme de conformité de la facture par rapport aux conditions du contrat. La facture acceptée en cette matière pourra donc faire preuve de la réalité du contrat, mais cette question sera toujours soumise à l’appréciation du juge. »10 Elle en déduisit :

« La société M) peut se prévaloir du silence gardé par la société G) à la réception de la facture comme présomption simple de l’existence de la créance y affirmée. Il devra ensuite être analysé, sur base des éléments du dossier, si l’acceptation de la facture constitue une présomption suffisante de l’existence de la créance.

Il est en effet admis que le fait de ne pas émettre de contestations endéans un bref délai contre une facture permet de présumer que le client commerçant marque son accord sur la facture et ses mentions. Il appartient au débiteur de renverser cette présomption simple (Cour d’appel, 4e chambre, 6 mars 2019, n°44848 du rôle). »11 En appliquant ces principes au cas d’espèce lui soumis, la Cour d’appel décida qu’étant donné que la première contestation de la facture du 8 juin 2010, documentée par des pièces versées aux dossier, ne datait que du 18 décembre 2012, celle-ci devait être considérée comme étant largement tardive.

Par conséquent, elle arriva à la conclusion suivante :

« La Cour déduit de l’ensemble de ces circonstances une présomption suffisante de l’existence de la créance alléguée.

Le tribunal est partant à confirmer en ce qu’il a déclaré la demande fondée sur base de la théorie de la facture acceptée pour le montant de 120.812,75 euros, outre les intérêts. »12 9 Arrêt attaqué, page 10, alinéa 3 10 Idem, page 10, alinéa 4 11 Arrêt attaqué, page 10, alinéas 5 et 6 12 Idem, page 11, alinéas 5 et 6 Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Quant au moyen unique de cassation :

première branche : tirée d’un défaut de réponse à conclusions et violation de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l’article 587 du même code deuxième branche, à titre subsidiaire : tirée de l’absence de base légale au regard des articles 1134 alinéa 1er du Code civil en combinaison avec l’article 1353 du même code troisième branche, à titre subsidiaire : tirée de l’absence de base légale au regard de l’article 109 du Code de commerce en combinaison avec l’article 1353 du Code civil L’unique moyen de cassation, articulé en trois branches, fait grief à la Cour d’appel de ne pas avoir procédé à l’analyse des différentes contestations formulées par l’actuelle demanderesse en cassation à l’encontre de la créance lui réclamée, en faisant à tort application de la théorie de la facture acceptée, alors que le contrat liant les parties n’était pas un contrat de vente, mais un contrat d’entreprise.

Selon le moyen, même « si les juges du fond apprécient librement, s’agissant d’un contrat commercial autre qu’une vente, si la facture acceptée invoquée par le demandeur en justice vaut ou non présomption suffisante de l’existence de la créance affirmée, leur pouvoir d’appréciation souverain est néanmoins encadré par des règles de droit dont le respect relève du contrôle de la Cour de cassation »13.

Ainsi, « pour les engagements commerciaux autres que les ventes, l’acceptation ne constitue qu’une présomption de l’homme de conformité de la facture par rapport aux conditions du contrat » de sorte que « pour de tels engagements, le débiteur peut donc non seulement contester l’existence de l’acceptation, mais aussi, si l’acceptation est établie, il peut encore rapporter la preuve contraire du contenu de la facture »14.

Par conséquent, même si la facture a fait l’objet d’une acceptation, « les juges du fond sont légalement obligés, dans ce cas, d’examiner les contestations 13 Mémoire en cassation, page 4, alinéa 3 14 Idem, page 4, alinéa 4 opposées par le débiteur et d’apprécier si elles ne sont pas de nature à rapporter la preuve contraire du contenu de la facture même acceptée. »15 Le moyen a trait aux conséquences qui découlent de l’interprétation de Votre arrêt précité du 24 janvier 201916 qui marque un revirement de jurisprudence quant à la portée de l’article 109 du Code de commerce.

Selon le prédit article, « les achats et les ventes se constatent (…) par une facture acceptée ».

Cette disposition légale, concernant la preuve en matière commerciale, avait reçu par la jurisprudence luxembourgeoise une interprétation qui l’étendait bien au-delà du contrat de vente. Les juridictions lui avaient en effet attribué une portée générale, en l’appliquant non seulement aux ventes commerciales, mais encore à tous les autres contrats à caractère commercial17.

Selon la théorie de la facture acceptée, une facture est acceptée tacitement par le silence gardé par le client, lorsque celui-ci, l’ayant reçue, ne proteste pas dans un délai normal. Le commerçant qui n’est pas d’accord au sujet de la facture de son cocontractant, doit prendre l’initiative d’émettre des protestations précises valant négation de la dette affirmée dans un bref délai à partir de la réception de la facture. Un silence prolongé au-delà du temps nécessaire pour prendre connaissance de la facture, pour contrôler ses mentions et les fournitures ou services auxquels elle se rapporte, constitue une acceptation tacite de cette facture. Il incombe au client de prouver qu’il a protesté, voire que son silence s’explique autrement que par son acceptation.

Les protestations contre la facture doivent être précises, des protestations vagues sont sans incidence, ne sauraient contredire la présomption d’acceptation et la priver d’effet18.

L’absence de protestation dans un bref délai à partir du moment de réception d’une facture fait donc présumer l’acceptation tacite de la facture en cause.

Cette présomption peut être contrecarrée, soit par la preuve, à rapporter par le réceptionnaire de la facture, de la protestation précise et en temps utile de la facture litigieuse, soit de ce que son silence s’expliquait autrement que par son acceptation.

Si une telle preuve n’est pas rapportée, l’acceptation de la facture fait présumer l’existence de la créance.

15 Idem, page 4, alinéa 4 16 Cass. 24 janvier 2019, n°4072 du registre 17 Cass. 9 janvier 1985, Pas.26, p. 316 18 Cour d’appel 29 mai 2013, Pas.36, p.353 Selon Votre arrêt du 24 janvier 2019, il s’agit en l’occurrence d’une présomption irréfragable, mais uniquement si l’on se trouve en présence d’un contrat de vente commerciale.

En effet, Votre Cour a décidé :

« Vu l’article 109 du Code de commerce ;

Attendu qu’aux termes de cet article, les achats et ventes se constatent par une facture acceptée ;

Attendu que ce texte instaure une présomption légale, irréfragable, de l’existence de la créance affirmée dans la facture acceptée pour le seul contrat de vente ; que pour les autres contrats commerciaux, la facture acceptée n’engendre qu’une présomption simple de l’existence de la créance, le juge étant libre d’admettre ou de refuser l’acceptation de la facture comme présomption suffisante de l’existence de la créance affirmée ;

Attendu qu’en appliquant l’article 109 du Code de commerce au contrat d’entreprise, la Cour d’appel a partant violé la disposition visée au moyen ; ».

Dans l’hypothèse d’un contrat commercial autre qu’une vente, et notamment d’un contrat d’entreprise comme en l’espèce, le silence gardé par le réceptionnaire de la facture n’engendre donc, conformément à Votre arrêt, qu’une présomption simple, laissée à la libre appréciation du juge.

Il s’agit plus particulièrement d’une présomption de l’homme, régie par l’article 1353 du Code civil qui dispose que « les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ».

L’une des questions soulevées par le moyen de cassation est donc celle de savoir quels sont les principes qui régissent une telle présomption de l’homme et quelles sont les conséquences qui s’en dégagent quant au pouvoir d’appréciation du juge.

Dans ses conclusions du 4 février 2021 concernant le pourvoi n°CAS-2020-

00092, Monsieur le Procureur Général Adjoint John PETRY écrit à cet égard :

« Il y a lieu d’insister dans cet ordre d’idées sur la différence existant entre une présomption légale, telle que celle de l’article 109 du Code de commerce, présumant, en matière de contrats de vente, l’existence de la créance à partir de l’acceptation de la facture par le commerçant, et une présomption de l’homme au sens de l’article 1353 du Code civil, telle que celle par laquelle le juge peut, en matière de contrats commerciaux autres que la vente, décider de déduire l’existence de la créance de l’acceptation de la facture par le commerçant.

L’article 1349 du Code civil définit les présomptions comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tiré d’un fait connu à un fait inconnu ».

Cette définition a été critiquée dès l’adoption du Code civil :

« Merlin19, à la suite de nos anciens auteurs, observait qu'il convenait, en réalité, de bien distinguer la « présomption » stricto sensu (qui fait tenir quelque chose pour vrai… sumit pro vero… avant… præ… qu'il n'en ait été fait directement la preuve) de « l'indice » (« marque ou démonstration que la chose a été faite ») ou la « conjoncture » ou bien encore le « signe » (marque sensible d'une chose ; on songe à la maxime : res ipsa loquitur : la chose parle d'elle-

même). Après Danty, Merlin déplorait que, « dans notre usage, on confonde la signification de tous ces noms, surtout en matière civile » (Merlin, préc. n° 7, spéc. p. 678, col. 1). Il était donc sans doute trompeur de donner dans l'ancien article 1349, une définition générale regroupant, finalement, un principe général et un mode de preuve. »20 La présomption légale « est l’œuvre du législateur […], lequel établit, à partir d’un fait connu (ou notoire), une présomption de fait qu’il généralise et systématise, de telle sorte que, postérieurement, le fait inconnu doit être tiré du fait connu par le juge, sur ordre de la loi »21. Les présomptions légales « constituent des dispenses de preuve ou plutôt des allégements ou des déplacements de l’objet de la preuve »22.

« En simplifiant, l’on pourrait dire, que la présomption légale est (ou est présumée être…) une règle de droit probatoire (de renversement de la charge de la preuve) généralisant à tout litige ce qui n’était peut-être au départ qu’un présomption du fait de l’homme (d’aide du juge dans l’appréciation de la preuve) »23. Selon BARTIN, « les présomptions légales ne sont donc que des hypothèses où le procédé logique du déplacement de la preuve a été généralisé et systématisé par la loi »24. Pour qu’il y ait véritablement présomption légale, « il faut que le législateur ait prévu deux faits distincts, la preuve de l’un servant de preuve à l’autre »25.

La présomption légale peut être simple, irréfragable ou mixte. Elle est simple si elle peut être renversée par tous les moyens de preuve que la loi autorise26, « notamment 19 Philippe-Antoine MERLIN, dit Merlin de Douai (1754-1838), Procureur général près de la Cour de cassation française à l’époque de l’Empire et auteur d’ouvrages de droit.

20 Jurisclasseur Civil, Art. 1354, Fascicule unique : Preuve des obligations – Présomptions légales, par Didier GUEVEL, septembre 2017, n° 8.

21 Idem, n° 22.

22 Idem, n° 23.

23 Idem, n° 24.

24 Idem, n° 41, citant Ch. AUBRY et Ch. RAU par Etienne BARTIN, Cours de droit civil français, Paris, 5e édition, 1917, tome XII, § 749, note 10bis.

25 Idem, n° 44.

26 Idem, n° 52. Cette solution a été formel ement consacrée par l’article 1354 du Code civil français, tel qu’il a été modifié par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des par la preuve indiciaire, la présomption du fait de l’homme […] réduisant à néant, dans une espèce donnée, la présomption légale »27. Elle est irréfragable lorsqu’elle ne peut pas être renversée28. Elle est mixte lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée29. Il s’agit donc de présomptions qui « ne tolèrent que certaines preuves contraires »30.

A la présomption légale s’oppose la présomption de l’homme, actuellement qualifiée en droit français de présomption judiciaire31. Elle vise le cas dans lequel « c’est le juge qui, ayant usé de ses propres « lumières » (comme [dit l’]article 1353), tire lui-

même le fait inconnu du fait connu »32. Il est fréquemment fait recours au « terme d’« indice » pour désigner ce type de présomption, même si, stricto sensu, l’indice n’est que l’élément initial qui permet au juge de raisonner par présomption »33. La présomption de l’homme « est un véritable mode de preuve »34, ce qui explique que l’article qui la définit a été placé, dans le cadre de la récente réforme française du droit des obligations de 201635, dans une section du chapitre du Code civil intitulé « Les différents modes de preuve »36.

La présomption de l’homme est « le fait du juge »37. Celui-ci, « en effet, interprète un indice qui lui a été soumis par l’un des plaideurs, afin d’en déduire l’existence du fait contesté par l’autre plaideur. Une présomption judiciaire ne prend dès lors sa valeur que par l’interprétation et l’usage qu’en fait le juge. De plus, la présomption judiciaire ne repose que sur le bien ou le mal-jugé du magistrat. Elle constitue donc, non point une dispense de preuve comme la présomption légale, mais un mode de preuve d’un fait précis, dans une instance déterminée, mode de preuve fondé sur la force de conviction que ce raisonnement entraîne dans l’esprit du juge saisi. »38.

Contrairement à la présomption légale, elle « ne déplace pas la charge de la preuve »39. » contrats, du régime général et de la preuve des obligations : « La présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains dispense celui au profit duquel el e existe d’en rapporter la preuve. El e est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ; el e est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels el e peut être renversée ou l’objet sur lequel el e peut être renversée ; el e est dite irréfragable lorsqu’el e ne peut être renversée. ».

27 Idem et loc.cit., se référant à BARTIN, précité, § 750, note 6.

28 Idem, n° 80. Cette solution a été formel ement consacrée par l’article 1354, nouveau, du Code civil français, précité.

29 Idem, n° 64. Cette solution a également été formel ement consacrée par l’article 1354, nouveau, du Code civil français.

30 Idem, et loc.cit.

31 Article 1382 du Code civil français tel qu’il a été introduit par l’ordonnance précitée n° 2016-131 :

« Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi, sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si el es sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen » (qui reprend, en substance, l’ancien article 1353 du Code civil).

32 Jurisclasseur Civil, Art. 1354, précité, par Didier GUEVEL, n° 20.

33 Idem et loc.cit.

34 Idem, n° 21.

35 Cette réforme a été opérée, comme rappelé ci-avant, par l’ordonnance précitée n° 2016-131.

36 Jurisclasseur Civil, Art. 1354, précité, par Didier GUEVEL, n° 21.

37 Jurisclasseur Civil, Art. 1382, précité, par Didier GUEVEL, n° 12.

38 Idem et loc.cit.

39 Idem, n° 13.

En l’espèce, puisque la facture litigieuse a été émise à propos d’un contrat d’entreprise, c’est à juste titre que la Cour d’appel, en se référant à Votre arrêt précité du 24 janvier 2019, a rappelé que « pour les autres contrats commerciaux la facture acceptée n’engendre qu’une présomption simple de l’existence de la créance, le juge étant libre d’admettre ou de refuser l’acceptation de la facture comme présomption suffisante de l’existence de la créance affirmée », que « la présomption irréfragable de l’article 109 du Code de commerce n’a pas vocation à s’appliquer » et que « la facture acceptée en cette matière pourra donc faire preuve de la réalité du contrat, mais cette question sera toujours soumise à l’appréciation du juge » 40.

Elle en a déduit :

« La société M) peut se prévaloir du silence gardé par la société G) à la réception de la facture comme présomption simple de l’existence de la créance y affirmée. Il devra ensuite être analysé, sur base des éléments du dossier, si l’acceptation de la facture constitue une présomption suffisante de l’existence de la créance.

Il est en effet admis que le fait de ne pas émettre de contestations endéans un bref délai contre une facture permet de présumer que le client commerçant marque son accord sur la facture et ses mentions. Il appartient au débiteur de renverser cette présomption simple. »41 La Cour d’appel a donc souligné par là que la présomption que fait naître la non-contestation de la facture pour les contrats commerciaux autres que les ventes est réfragable, de sorte que le débiteur peut la renverser.

Elle a ensuite analysé les circonstances factuelles lui soumises pour en déduire une présomption suffisante de l’existence de la créance réclamée par l’actuelle défenderesse en cassation.

On pourrait donc argumenter, à titre principal, que puisque les présomptions de l’homme impliquent nécessairement une appréciation factuelle et que le juge est «libre d’admettre ou de refuser l’acceptation de la facture comme présomption suffisante de l’existence de la créance affirmée », tel que Votre Cour l’a énoncé dans son arrêt précité, le moyen ne ferait que remettre en cause l’appréciation par les magistrats d’appel des circonstances de fait dont ils ont déduit une présomption suffisante de l’existence de la créance. Etant donné que cette appréciation impose un examen des circonstances factuelles, elle est souveraine aux juges du fond et échappe au contrôle de Votre Cour.

40 Arrêt attaqué, page 10, alinéas 2, 3 et 4 41 Arrêt attaqué, page 10, alinéas 5 et 6 Dans cette optique, il faudrait en conclure que le moyen est à rejeter en sa première branche, tirée d’un défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel aurait omis de statuer sur les contestations formulées par l’actuelle demanderesse en cassation concernant l’existence, respectivement le quantum de la créance, dès lors qu’en décidant que l’existence de la créance litigieuse est établie par la présomption suffisante découlant des circonstances factuelles lui soumises, elle a nécessairement, mais implicitement répondu, en les rejetant comme non fondées, aux conclusions de l’actuelle demanderesse en cassation ayant trait à des contestations concernant tant le principe que le quantum de la créance réclamée.

Quant à ses deuxième et troisième branches, mettant en œuvre le grief du défaut de base légale, au regard des articles 1134 et 1353 du Code civil (deuxième branche), respectivement 109 du Code de commerce et 1353 du Code civil (troisième branche), le moyen ne saurait être accueilli, en ce que sous le couvert du grief allégué, il ne ferait que remettre en cause le pouvoir souverain d’appréciation des juges d’appel des circonstances factuelles dont ils ont déduit la présomption suffisante de l’existence de la créance.

A titre subsidiaire, l’on pourrait toutefois considérer que le moyen pose la question de l’étendue de la force probante de la présomption découlant de l’acceptation de la facture dans le cadre des contrats commerciaux autres que les ventes.

En effet, si l’acceptation de la facture ne constitue qu’une présomption de l’homme, donc par principe réfragable, encore faut-il savoir comment le renversement de cette présomption, qui doit toujours être possible, doit s’opérer. Est-ce que le débiteur peut s’attaquer uniquement à la question de l’acceptation et donc prouver qu’en réalité, il avait soit protesté en temps utile contre la facture, respectivement que même s’il a gardé le silence, cette attitude s’explique par d’autres raisons que l’acceptation ? Ou alors le débiteur peut-il, au-delà et indépendamment de la question de l’acceptation de la facture, contester le fond de la créance lui réclamée, en critiquant son existence, son exigibilité ou son quantum ? Dans la première hypothèse, l’on se retrouverait de facto à nouveau dans le cadre de la théorie de la facture acceptée, qui ne permet au débiteur que de remettre en cause le principe de l’acceptation. Une fois que le juge a décidé que l’acceptation est établie, la preuve de la créance en est déduite de manière automatique. Ce n’est que si le juge arrive à la conclusion qu’il n’y a point eu d’acceptation valable de la facture que le débiteur est admis à prouver que la créance sur laquelle elle porte n’est pas redue.

Or, en présence d’une présomption de l’homme, de par nature réfragable, il devrait en principe rester possible de rapporter non seulement la preuve que le silence ne valait pas acceptation de la facture, mais encore celle que la créance n’est pas redue, pour des raisons concernant son existence-même, voire son quantum.

De ce point de vue, il s’agit de déterminer si, lorsque le juge admet, au vu des circonstances factuelles lui soumises, que le silence gardé suite à la réception de la facture fait suffisamment présumer son acceptation, il doit quand-même procéder à l’analyse des contestations soulevées par le réceptionnaire de la facture dans le cadre du procès.

Un arrêt de la Cour d’appel du 27 février 201942, cité dans le mémoire en cassation, semble répondre par l’affirmative, en ce qu’il a retenu que « pour de tels engagements43, le débiteur peut donc non seulement contester l’existence de l’acceptation, mais aussi, si l’acceptation est établie, il peut encore rapporter la preuve contraire du contenu de la facture ».

Ce raisonnement se retrouve également dans la jurisprudence et la doctrine belges datant d’avant un changement législatif intervenu en 201844, ayant étendu la présomption légale de facture acceptée, initialement limitée aux seules ventes commerciales, à tous les types de contrats et notamment aux contrats de services.

Même si une certaine controverse a existé en droit belge, il se dégage d’une partie de la doctrine ainsi que de la jurisprudence de la Cour de cassation belge45 que si l’on se trouve en présence d’une présomption réfragable, la preuve contraire doit pouvoir être rapportée. Et, dans cette hypothèse, le débiteur qui conteste peut non seulement attaquer l’existence de l’acceptation, mais aussi, si l’acceptation est établie, il peut encore rapporter la preuve contraire du contenu de la facture 46.

Si tel devait être l’enseignement à tirer de Votre arrêt précité du 24 janvier 2019, quelles en sont les conséquences quant aux griefs mis en œuvre par le moyen de cassation ? Sous réserve qu’il ne se heurte pas à l’appréciation souveraine des juges du fond, échappant au contrôle de Votre Cour, le moyen devrait alors être reconnu comme étant fondé en sa première branche, dès lors que ce serait à tort que la 42 Cour d’appel, 4ème chambre, 27 février 2019, n°44737 du rôle 43 C’est-à-dire des contrats commerciaux autres que la vente 44 Loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises. Cette loi a abrogé l’article 25 du Code de commerce belge en le remplaçant par un article 1348bis nouveau du Code civil belge. Cette disposition a finalement été reprise par une loi du 13 avril 2019 qui a porté création d’un nouveau Code civil en y insérant, à titre de premier élément, un livre consacré à la preuve, comportant un article 8.11, disposant dans son paragraphe 4 que « sauf preuve contraire, une facture acceptée par une entreprise ou non contestée dans un délai raisonnable fait preuve contre l’entreprise de l’acte juridique al égué. » 45 Cass. belge, 24 janvier 2008, n°C.07.0355.N 46 L’acceptation de la facture en matière commerciale, Dominique MOUGENO, Journal des tribunaux, 2010/1, n°6377, p.2-4 ; A. CLOQUET, La facture, Larcier 1959, p.185 Cour d’appel aurait omis de répondre aux conclusions de l’actuelle demanderesse en cassation concernant ses contestations quant à l’existence, respectivement au quantum de la créance lui réclamée.

En effet, s’agissant d’une simple présomption de l’homme, donc d’un indice parmi d’autres, la preuve du contraire devant rester possible, les juges du fond avaient l’obligation de répondre aux moyens avancés par l’actuelle demanderesse en cassation tenant à ces contestations, et ils ne pouvaient se limiter à constater que la première protestation contre la facture, qui se trouvait documentée par des pièces, était tardive, de sorte que le tribunal était à confirmer en ce qu’il avait déclaré la demande fondée sur base de la théorie de la facture acceptée. L’obligation de réponse découle de ce que les contestations avancées s’analysent en un véritable moyen, susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige.

Dans le même ordre d’idées, le moyen serait encore fondé en sa seconde branche, tirée du défaut de base légale au regard des articles 1134 alinéa 1er du Code civil et de l’article 1353 du Code civil, en ce qu’en présence d’une simple présomption de l’homme, les magistrats d’appel se sont à tort arrêtés dans leur raisonnement au constat que la contestation de la facture était tardive, dès lors que cette circonstance n’était qu’un indice qui ne les dispensait pas de s’adonner à l’analyse des moyens avancés quant à l’existence et au quantum de la créance réclamée, tendant à prouver le contraire du contenu de la facture.

En omettant de prendre position auxdits arguments, la Cour d’appel a constaté de manière insuffisante les faits qui sont nécessaires pour statuer sur le droit, en l’occurrence sur l’existence et le montant exigible de la créance, privant ainsi Votre Cour de la possibilité d’exercer son contrôle à cet égard.

La troisième branche du moyen, tirée du défaut de base légale au regard des articles 109 du Code de commerce en combinaison avec l’article 1353 du Code civil semble toutefois inopérante, étant donné qu’il se dégage de Votre arrêt du 24 janvier 2019 que l’article 109 du Code de commerce ne s’applique pas en l’espèce, le contrat en cause n’étant pas une vente commerciale, mais un contrat d’entreprise.

Conclusion - Le pourvoi est recevable - A titre principal, le moyen n’est pas fondé en sa première branche et il ne saurait être accueilli en ses deuxième et troisième branches - A titre subsidiaire, le moyen est fondé en ses première et deuxième branches, la troisième branche étant inopérante Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Simone FLAMMANG 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 93/21
Date de la décision : 03/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-06-03;93.21 ?

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