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27/05/2021 | LUXEMBOURG | N°89/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 27 mai 2021, 89/21


Assistance judiciaire accordée à M) par décision du 19 juin 2020 du délégué du bâtonnier à l’assistance judiciaire.

N° 89 / 2021 du 27.05.2021 Numéro CAS-2020-00098 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Monique

SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

M), demande...

Assistance judiciaire accordée à M) par décision du 19 juin 2020 du délégué du bâtonnier à l’assistance judiciaire.

N° 89 / 2021 du 27.05.2021 Numéro CAS-2020-00098 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

M), demandeur en cassation, comparant par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, défendeur en cassation, comparant par Maître Claudio ORLANDO, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 2 mars 2020 sous le numéro 2020/0067 (No. du reg.: COMIX 2019/0149) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 17 août 2020 par M) à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, déposé le même jour au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 16 octobre 2020 par l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG à M), déposé le 19 octobre 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait confirmé la décision de la commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail ayant porté refus de l’octroi de l’indemnité professionnelle d’attente à M), au motif qu’il ne pouvait se prévaloir d’une ancienneté de service d’au moins dix ans auprès d’un même employeur. Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a confirmé ce jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la loi pour refus d'application de l'article L. 551-5 paragraphe 2 du Code du Travail, sinon pour fausse interprétation de l'article l'article L. 551-5 paragraphe 2 du Code du Travail en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a déclaré :

a entendu requérir une continuité dans les services rendus par le salarié, continuité qui ne peut en principe être retenue que si le salarié a travaillé pendant la période de référence pour le même employeur » pour en déduire que c'était partant à bon droit que les juges de première instance avaient vérifié si le sieur M) avait travaillé dans sa carrière professionnelle pendant au moins dix ans pour le même employeur et que lesdits juges de première instance n'avaient pas rajouté une condition à la loi, le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale relevant ensuite que le prédit sieur M) était, suivant relevé de l'ADEM, pendant trois ans et sept mois au service du groupe A) S.A., pendant cinq ans, trois mois et trente jours au service de la société P) S.A.

et que pour le surplus il avait travaillé pendant une durée de moins de dix ans en intérim, avant que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale n'en conclue que le demandeur au pourvoi ne pouvait partant se prévaloir d'une ancienneté de service de plus de dix ans auprès d'un même employeur et que c'était dès lors à bon droit que les juges de première instance avaient retenu que les conditions pour l'obtention de l'indemnité d'attente édictées par l'article L. 551-5 paragraphe 2 du Code du travail n'étaient pas remplies in specie ;

alors que l'article L. 551-5 paragraphe 2 du Code du Travail ne prévoit nullement, pour obtenir l'indemnité professionnelle d'attente, de condition relative à une unicité d'employeur auprès duquel l'ancienneté de service d'au moins dix ans aurait été accomplie ;

de sorte qu'en statuant comme il l'a fait, le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a violé l'article L. 551-5 paragraphe 2 du Code du Travail. ».

Réponse de la Cour En retenant que le salarié sous statut de personne en reclassement professionnel en fin de droits aux allocations de chômage qui n'a pu être reclassé sur le marché du travail est en droit de bénéficier de l’indemnité professionnelle d’attente s’il justifie d’une ancienneté de service d’au moins dix ans auprès du même employeur, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Claudio ORLANDO, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

PARQUET GENERAL Luxembourg, le 14 janvier 2021 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

________

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation M) c/ ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG (affaire n° CAS-2020-00098 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 17 août 2020, d’un mémoire en cassation, signifié le même jour au défendeur en cassation, est dirigé contre un arrêt rendu contradictoirement le 2 mars 2020 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro COMIX 2019/0149 du registre.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.

S’agissant du respect du délai de recours, ce dernier est fixé par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ensemble avec l’article 167, sous 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile, dans le cas, de l’espèce, d’un demandeur en cassation résidant sur un territoire, situé en Europe, d’un pays membre de l’Union européenne, en l’occurrence en Lorraine, en France, à deux mois et quinze jours.

Le délai a commencé à courir à partir de la réception de la notification de l’arrêt faite conformément à l’article 458, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale. Le récépissé de la poste, annexé à la copie de l’arrêt attaqué figurant au dossier, ne précise pas la date de réception, qui est forcément postérieure à la date d’envoi, qui est celle du 3 mars 20201. Le délai a été suspendu au cours de l’état de crise déclaré, sur base de l’article 32, paragraphe 4, de la Constitution, dans le contexte de la pandémie du COVID-192, par l’effet de l’article 1er, paragraphe 1, du Règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière 1 Cette date de réception ne résulte pas non plus de la photocopie de l’enveloppe ayant contenu l’arrêt attaqué transmis au demandeur en cassation dans le cadre de la notification, figurant comme pièce n° 2 parmi les actes de procédure annexés au mémoire en cassation.

2 Voir le Règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 (Mémorial, A, 2020, n° 165, du 18 mars 2020) et la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise déclaré par le Règlement grand-ducal précité du 18 mars 2020 (Mémorial, A, 2020, n° 178, du 24 mars 2020).

juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales3. Cette suspension a pris fin, conformément à l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise4, le 24 juin 2020, à 24.00 heures5. La suspension « signifie que le délai ne court pas et reprend son cours normal une fois que le fait ou l’acte à l’origine de la suspension disparaît »6.

Il en suit que, en l’espèce, le délai de deux mois et quinze jours, a couru à partir de la réception de la notification de l’arrêt attaqué, intervenue postérieurement au 3 mars 2020 jusqu’au 25 mars 2020, puis a été suspendu entre le 26 mars7 et le 24 juin 2020 pour reprendre son cours le 25 juin 2020. Aux fins de déterminer si le délai a été respecté il y a lieu de tenir compte du principe que « lorsqu’un délai est exprimé en mois et jours […] les mois entiers sont d’abord comptés, puis les jours […] »8. Le cas d’espèce présente la particularité que, par suite de la suspension du délai, il ne se conçoit pas de calculer les mois conformément au droit commun, donc suivant le principe que « lorsqu’un délai est exprimé en mois […], il expire le jour du dernier mois […] qui porte le même quantième que le jour […] de la signification »9. Il y a dès lors lieu d’appliquer le principe régissant le cas de délais calculés en fractions de mois, donc de considérer « qu’un mois est composé de trente jours »10. Le délai du recours à prendre en 3 Mémorial, A, 2020, n° 185, du 25 mars 2020. L’article 1, paragraphe 1, de ce Règlement disposait que : « Les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions judiciaires, administratives, militaires et constitutionnelle sont suspendus ». Le Règlement a été successivement modifié, sur d’autres points, par des Règlements modificatifs du 1er avril 2020 (Mémorial, A, 2020, n° 227, du 2 avril 2020), du 17 avril 2020 (Mémorial, A, n° 302, du 17 avril 2020) et du 29 avril 2020 (Mémorial, A, 2020, n° 340, du 29 avril 2020). Le Règlement modificatif précité du 17 avril 2020 a exempté de la suspension les délais de cassation en matière pénale prévus par les articles 41 à 43 de la loi précitée de 1885 (Article 2, paragraphe 1, alinéa 1, sous 8°, du Règlement grand-ducal précité du 25 mars 2020 tel que modifié). La suspension continua toutefois à s’appliquer aux délais de cassation en matière civile.

4 Voir les références dans la note n° 3.

5 La loi précitée du 24 mars 2020 est entrée en vigueur, conformément à son article 2, le jour de sa publication, soit le 24 mars 2020, de sorte que l’état de crise a pris fin trois mois plus tard, soit le 24 mars 2020 à 24.00 heures.

Voir à ce sujet les articles 1258 (« Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, il expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la signification qui fait courir le délai. […]) et 1256 du Nouveau Code de procédure civile (« […] Le délai expire le dernier jour à minuit. »). Ces principes sont également rappelés par l’article 4, paragraphe 2, de la Convention européenne sur la computation des délais du 16 mai 1972, approuvée par une loi du 30 mai 1984 (Mémorial, A, 1984, page 923).

6 Avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi n° 7587 ayant donné lieu à la loi du 20 juin 2020 portant prorogation de mesures concernant la tenue d’audiences publiques pendant l’état de crise (Mémorial, A, 2020, n° 523, du 24 juin 2020) (Document parlementaire n° 7587-3), page 4, deuxième alinéa. Il est à préciser que la loi précitée du 20 juin 2020 comporte dans son article 6 une disposition suivant laquelle « les délais, légaux ou conventionnels, qui gouvernement l’introduction des procédures en première instance devant les juridictions judiciaires, administratives et militaires […] sont prorogés comme suit : 1° les délais venant à échéance pendant l’état de crise sont reportés de deux mois à compter de la date de la fin de l’état de crise ; 2° les délais venant à échéance dans le mois qui suit le mois qui suit l’entrée en vigueur de la présente loi, sont reportés d’un mois à compter de leur date d’échéance » (c’est nous qui soulignons). Il résulte des travaux préparatoires de cette loi que cette solution ne s’applique pas aux délais autres que ceux gouvernant l’introduction des procédures en première instance, donc ne s’applique pas aux délais d’appel, d’opposition ou de pourvoi en cassation, parce que ces délais ont été soumis pendant l’état de crise au régime de la suspension des délais (Rapport de la Commission de Justice de la Chambre des députés, Document parlementaire n° 7587-7, page 6, avant-dernier et dernier alinéas).

7 Le Règlement grand-ducal précité du 25 mars 2020 est, conformément à son article 7, entrée en vigueur le lendemain de sa publication, qui a eu lieu le 25 mars 2020, donc le 26 mars 2020.

8 Articles 1259 du Nouveau Code de procédure civile et 4, paragraphe 3, de la Convention européenne sur la computation des délais, précitée.

9 Articles 1258 du Nouveau Code de procédure civile et, de façon similaire, 4, paragraphe 2, de la Convention précitée.

10 Articles 1259 du Nouveau Code de procédure civile et 4, paragraphe 3, de la Convention précitée.

considération est donc de 75 jours11. Entre la fin de l’état de crise, le 25 juin 2020, et la date du pourvoi, le 17 août 2020, 47 jours se sont écoulés. La partie subsistante du délai est donc de 28 jours. Comme la notification a eu lieu après le 3 mars 2020, date d’envoi de l’arrêt, et que le délai a été suspendu à partir du 26 mars 2020, le délai écoulé entre la date de notification et celle de la suspension a été forcément inférieur à 28 jours. En considérant que l’arrêt a été notifié à la date la plus précoce concevable, à savoir le 4 mars 2020, le délai écoulé entre ces deux dates a été de 22 jours.

Il en suit que le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai.

Le demandeur en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, rendues applicables par l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale, ont été respectées.

Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi de 1885, rendues applicables par l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.

Il est, partant, recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, ayant été saisi par M) d’un recours contre la décision de la commission mixte de reclassement des travailleurs incapables d’exercer leur dernier poste de travail, créée par l’article L. 552-1 du Code du travail, lui refusant l’indemnité professionnelle d’attente prévue par l’article L. 551-5 du Code du travail, le Conseil arbitral de la sécurité sociale disait le recours non fondé. Sur appel du requérant, le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma le jugement entrepris.

Sur le cadre juridique L’article L. 551-1, paragraphe 1, alinéa 1, du Code du travail, modifié par une loi du 27 juillet 201512 consécutive à des lois adoptées à la suite d’un arrêt de votre Cour de 199613, réserve au « salarié qui n’est pas à considérer comme invalide au sens de l’article 187 du Code de la sécurité sociale, mais qui par suite de maladie ou d’infirmité présente une incapacité pour exécuter les tâches correspondant à son dernier poste de travail » un droit de bénéficier d’un « reclassement interne ou d’un reclassement professionnel externe, ainsi que du statut de 11 (2 x 30) + 15 jours = 75 jours.

12 Loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe (Mémorial, A, 2015, n° 143, page 2946).

13 Les travaux préparatoires de la loi renvoient à un arrêt de votre Cour du 28 novembre 1996 (Affaire T c/EVI) qui a « mis en place une interprétation restrictive des conditions d’attribution de la pension d’invalidité en exigeant une incapacité pour toute occupation sur le marché général de l’emploi » (Document parlementaire n° 6555, Exposé des motifs, page 2, premier alinéa), à la suite duquel le législateur a, antérieurement à la loi du 23 juillet 2015, adopté successivement trois lois instituant le régime du reclassement (des lois du 25 juillet 2002, 21 décembre 2004 et 1er juillet 2005 : Document parlementaire précité, pages 3 à 7).

personne en reclassement professionnel ». Le reclassement professionnel interne « consiste, en ce qui concerne le secteur privé, dans un reclassement professionnel au sein de l’entreprise et, en ce qui concerne le secteur public, dans un reclassement professionnel au sein de l’administration ou du service public d’origine de l’agent, éventuellement à un autre poste ou sous un régime de travail adaptés à ses capacités résiduelles »14. Le reclassement professionnel externe « consiste dans un reclassement professionnel sur le marché du travail »15.

L’article L. 551-5, paragraphe 2, du Code du travail définit le droit à une indemnité d’attente dont peut se prévaloir le salarié sous statut de personne en reclassement professionnel qui, au terme de la durée légale de paiement de l’indemnité de chômage n’a pu être reclassé sur le marché du travail :

« Art. L. 551-5. […] (2) Si, au terme de la durée légale de paiement de l’indemnité de chômage, y compris la durée de prolongation, le salarié sous statut de personne en reclassement professionnel pouvant se prévaloir d’une aptitude d’au moins dix ans au dernier poste de travail, constatée par le médecin du travail compétent, ou d’une ancienneté de service d’au moins dix ans, n’a pu être reclassé sur le marché du travail, il bénéficie, sur décision de la Commission mixte16 d’une indemnité professionnelle d’attente dont le montant correspond à quatre-vingt pour cent du revenu mensuel moyen cotisable au titre de l’assurance pension réalisé au cours des douze mois de calendrier précédant la décision de reclassement professionnel, ou, le cas échéant, précédant la mise en invalidité, respectivement l’attribution d’une rente complète, sans que ce montant ne puisse dépasser le plafond visé à l’article L. 521-14, paragraphe 1er, alinéa 5.

L’indemnité professionnelle d’attente est adaptée aux variations du coût de la vie conformément aux dispositions de l’article 11, paragraphe 1er de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat.

[…] ».

La loi subordonne donc l’octroi de l’indemnité professionnelle d’attente servie au salarié sous statut de personne en reclassement personnel qui, au terme de la durée légale de paiement de l’indemnité de chômage, n’a pas pu être reclassé sur le marché du travail, à la condition que l salarié puisse se prévaloir :

- soit « d’une aptitude d’au moins dix ans au dernier poste de travail, constatée par le médecin du travail compétent », - soit « d’une ancienneté de service d’au moins dix ans ».

14 Article L. 551-1, paragraphe 3, alinéa 1, première phrase, du Code du travail.

15 Article L. 551-1, paragraphe 4, du même Code.

16 La commission mixte à laquelle se réfère la disposition précitée, intitulée « Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail », instituée auprès du Ministre ayant le travail et l’emploi dans ses attributions, est créée par l’article L. 552-1, paragraphe 1, première phrase, du Code du travail.

Sur le litige Le demandeur en cassation a, entre 1992 et 2018, exercé des activités salariées auprès de différents employeurs à Luxembourg17. Il a, dans ce cadre, occupé en dernier lieu, pendant sept ans, neuf mois et vingt-quatre jours, le poste de travail de pontier cabine/opérateur en industrie18.

Par décision du 30 janvier 2017 la commission mixte a décidé son reclassement externe et lui a conféré le statut de salarié en reclassement professionnel19. Cette décision suppose que sans être invalide au sens de l’article 187 du Code de la sécurité sociale, l’intéressé présente une incapacité pour exécuter les tâches correspondant à son dernier poste de travail20.

Par décision du 3 octobre 2018 la commission mixte lui refusa l’octroi de l’indemnité professionnelle d’attente, au motif que les conditions d’octroi de cette indemnité ne sont pas remplies, l’intéressé ne pouvant se prévaloir ni d’une ancienneté de service d’au moins dix ans, ni d’une aptitude d’au moins dix ans au dernier poste de travail, constatée par le médecin du travail compétent21.

Sur son recours, le Conseil arbitral de la sécurité sociale l’en débouta22. Il rappela que l’article L. 551-5, paragraphe 2, du Code du travail suppose que le salarié justifie soit d’une aptitude médicalement constatée d’au moins dix ans au dernier poste de travail, auprès d’un ou de plusieurs employeurs, soit d’une ancienneté de service d’au moins dix ans auprès d’un même employeur23. Il constata que l’intéressé ne peut pas se prévaloir d’une aptitude médicalement constatée au dernier poste de travail de dix ans24, ni d’une ancienneté de service d’au moins dix ans auprès d’un même employeur25. Il rejeta le moyen du demandeur en cassation tiré de ce que la seconde condition alternative, d’une ancienneté de service d’au moins dix ans, ne suppose pas que ces services aient été prestés auprès d’un même employeur au motif que « affirmer que l’ancienneté de service s’apprécie par rapport à plusieurs employeurs vient à dénuer la condition d’aptitude documentée par des fiches d’examen médical [donc la première des deux conditions alternatives] de tout sens »26.

Sur appel du demandeur en cassation le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma le jugement entrepris.

Il rejeta à cette fin le moyen du demandeur en cassation tiré de ce que la condition de l’ancienneté de service ne suppose pas que le salarié ait presté ses services auprès d’un même employeur aux motifs que « en exigeant une « ancienneté de service d’au moins dix ans », le législateur a entendu requérir une continuité dans les services rendus par le salarié, continuité 17 Voir les pièces 1 et 2 des pièces dites essentielles annexées au mémoire en cassation.

18 Arrêt attaqué, page 3, quatrième alinéa.

19 Pièce n° 3 des pièces dites essentielles annexées au mémoire en cassation (décision de refus de l’indemnité d’attente par la Commission mixte, qui se réfère à la décision citée (troisième alinéa)).

20 Article L. 551-1, paragraphe 1, alinéa 1, du Code du travail.

21 Pièce n° 3 des pièces dites essentielles annexées au mémoire en cassation (voir le sixième et le huitième alinéa, ainsi que le dispositif de la décision).

22 Pièce n° 4 des actes de procédure annexés au mémoire en cassation.

23 Idem, page 3, sixième alinéa.

24 Idem, même page, deuxième alinéa.

25 Idem, même page, troisième alinéa.

26 Idem, même page, septième alinéa.

qui ne peut en principe être retenue que si le salarié a travaillé pendant la période de référence pour le même employeur »27.

Il considéra par ailleurs qu’un arrêt de votre Cour de cassation invoqué par le demandeur en cassation à l’appui de sa thèse28 « ne saurait trouver application dans le présent cas d’espèce, dès lors qu’il vise une hypothèse différente en ce qu’il traite d’un refus d’une demande en obtention d’une indemnité d’attente au motif que le requérant n’avait pas bénéficié des indemnités de chômage au titre de la mesure de reclassement externe »29.

Sur l’unique moyen de cassation L’unique moyen de cassation est tiré de la violation de l’article L. 551-5, paragraphe 2, du Code du travail, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale a confirmé le jugement du Conseil arbitral de la sécurité sociale rejetant le recours du demandeur en cassation contre la décision de la commission mixte de reclassement des travailleurs incapables d’exercer leur dernier poste de travail, créée par l’article L. 552-1 du Code du travail, lui refusant l’indemnité professionnelle d’attente prévue par l’article L. 551-5 du Code du travail, aux motifs que, le demandeur en cassation, qui, parmi les deux conditions alternatives auxquelles l’octroi de l’indemnité est subordonné par cet article, ne respecte pas la première, tirée d’une aptitude médicalement constatée au dernier poste de travail occupé le cas échéant auprès de plusieurs employeurs, ne respecte pas non plus la seconde condition, tirée d’une ancienneté de service d’au moins dix ans parce qu’il n’a pas exercé ses services au cours de cette période de référence auprès d’un même employeur et que « en exigeant une « ancienneté de service d’au moins dix ans », le législateur a entendu requérir une continuité dans les services rendus par le salarié, continuité qui ne peut en principe être retenue que si le salarié a travaillé pendant la période de référence pour le même employeur »30, alors que l’article L. 551-5, paragraphe 2, du Code du travail ne prévoit nullement, pour obtenir l’indemnité professionnelle d’attente, de condition relative à une unicité d’employeur auprès duquel l’ancienneté de service d’au moins dix ans devrait être accomplie.

Dans votre arrêt n° 139/2020, numéro CAS-2019-00144 du registre, du 29 octobre 2020, vous avez été saisis d’un moyen similaire, tiré de ce que « aux termes de l’article L.551-5 (2) du Code du travail, « si, au terme de la durée légale de paiement de l’indemnité de chômage, y compris la durée de prolongation, le salarié sous statut de personne en reclassement professionnel pouvant se prévaloir d’une aptitude d’au moins dix ans au dernier poste de travail, constatée par le médecin du travail compétent, ou d’une ancienneté de service d’au moins dix ans, n’a pu être reclassé sur le marché du travail, il bénéficie, sur décision de la Commission mixte, d’une indemnité professionnelle d’attente », de sorte que la loi ne prévoit pas que la condition de l’ancienneté de service d’au moins dix ans soit remplie auprès du même employeur ; qu’en ajoutant à la condition de l’ancienneté de service d’au moins dix ans la condition supplémentaire de la réalisation de cette ancienneté de service auprès d’un seul et même employeur, non prévue par la loi, l’arrêt a quo a violé la disposition légale susvisée par fausse interprétation ».

27 Arrêt attaqué, page 3, septième alinéa.

28 Cour de cassation, 2 juillet 2009, n° 47/09, numéro 2614 du registre.

29 Arrêt attaqué, page 3, avant-dernier alinéa.

30 Idem, page 3, septième alinéa.

Ce moyen attaqua un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale qui avait retenu que « L'article L.551-5 (2) du code du travail prévoit une condition alternative donnant droit à l'indemnité d'attente pour le salarié en fin de droits aux allocations de chômage qui se trouve en reclassement professionnel, soit le salarié doit prouver une aptitude médicalement constatée par le médecin du travail compétent au dernier poste de travail pendant au moins dix ans, étant implicitement entendu qu'il ne doit pas nécessairement avoir occupé ce poste de travail pendant dix années auprès du même employeur, soit le salarié doit prouver une ancienneté de service pendant au moins dix ans »31, qu’« A l'opposé du raisonnement soutenu par l'appelant, l'ancienneté est un attribut essentiel du salarié et s'apprécie en principe par rapport aux services auprès d'un même employeur […]. En effet, dépendent notamment de l'ancienneté, les délais de préavis et de démission respectifs, certains avantages dont le nombre de jours de congé ou les primes, les indemnités de départ, la possibilité en droit du travail collectif pour être élu représentant du personnel etc. L'ancienneté couvre la période de travail depuis l'entrée en services jusqu'au moment considéré. Elle représente la fidélité à l'entreprise. »32, que « Par ailleurs, si, comme veut le faire croire l'appelant, l'ancienneté de service ne signifie pas ancienneté auprès du même employeur, et si cette ’’ancienneté de service’’ pouvait être comptabilisée auprès de plusieurs employeurs sans nécessité de prouver une aptitude médicale constatée pendant cette période au dernier poste de travail, la deuxième condition alternative, à savoir l'ancienneté de service selon la définition proposée par l'appelant absorberait toujours la première condition alternative de l'aptitude médicalement constatée au dernier poste de travail, pour en alléger singulièrement la preuve, et priverait de la sorte la première condition alternative de tout sens. »33, que « La notion d'’’ancienneté de service’’ implique donc une ancienneté auprès du même employeur et donne à ce titre un certain nombre de droits au salarié tels que prévus par le code du travail, sans qu'il ait besoin de prouver pendant cette même période une aptitude médicalement constatée par le médecin du travail au dernier poste de travail […] »34, pour en conclure que « L'appelant ne se trouve pas dans l'hypothèse d'une ancienneté de service de dix ans au moins auprès du dernier employeur […] »35.

Vous avez rejeté le moyen aux motifs que :

« En retenant, par les motifs développés dans l’arrêt attaqué, repris au moyen, que le salarié sous statut de personne en reclassement professionnel en fin de droits aux allocations de chômage qui n'a pu être reclassé sur le marché du travail est en droit de bénéficier de l’indemnité professionnelle d’attente s’il justifie d’une ancienneté de service d’au moins dix ans auprès du même employeur, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen. »36.

Dans plusieurs autres arrêts récents vous avez également rejeté des pourvois critiquant cette même interprétation de l’article L. 551-5, paragraphe 2, du Code du travail, comprenant la condition tirée « d’une ancienneté de service d’au moins dix ans » comme une ancienneté auprès d’un même employeur37. Les moyens de ces pourvois n’ont cependant pas directement critiqué le bien-fondé de l’interprétation de l’article précité, mais ont critiqué des vices formels 31 Arrêt COMIX 2019/0048 du 11 juillet 2019, tel que cité par le premier moyen de cassation jugé dans votre arrêt précité n° 139/2020, numéro CAS-2019-00144 du registre, du 29 octobre 2020.

32 Idem.

33 Idem.

34 Idem.

35 Idem.

36 Arrêt précité n° 139/2020, numéro CAS-2019-00144 du registre, du 29 octobre 2020, réponse au premier moyen.

37 Cour de cassation, 4 juin 2020, n° 75/2020, numéro CAS-2019-00081 du registre ; idem, 19 novembre 2020, n° 147/2020, numéro CAS-2019-00151 du registre.

de motivation ou le refus de saisir la Cour constitutionnelle de questions de constitutionnalité soulevées en cause. Ces arrêts ne constituent donc, contrairement à celui précité du 29 octobre 2020, pas des précédents pertinents pour juger le présent pourvoi.

Eu égard à votre arrêt précité du 29 octobre 2020 et aux motifs précités y acceptés à juste titre par votre Cour de l’arrêt y attaqué du Conseil supérieur de la sécurité sociale, le moyen n’est pas fondé.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 89/21
Date de la décision : 27/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-05-27;89.21 ?

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