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25/02/2021 | LUXEMBOURG | N°33/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 25 février 2021, 33/21


N° 33 / 2021 du 25.02.2021 Numéro CAS-2020-00054 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq février deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limité

e H), demanderesse en cassation, comparant par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour,...

N° 33 / 2021 du 25.02.2021 Numéro CAS-2020-00054 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq février deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limitée H), demanderesse en cassation, comparant par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société à responsabilité limitée S), défenderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Christian JUNGERS, avocat à la Cour.

Vu le jugement attaqué, numéro 2020TALCH03/00027, rendu le 4 février 2020 sous le numéro TAL-2019-07721 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière commerciale et en instance d’appel ;Vu le mémoire en cassation signifié le 31 mars 2020 par la société à responsabilité limitée H) à la société à responsabilité limitée S), déposé le 14 avril 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 27 mai 2020 par la société S) à la société H), déposé le 29 mai 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions de l’avocat général Sandra KERSCH ;

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le juge de paix de Luxembourg, saisi par la société H) d’une demande dirigée contre la société S) en paiement du solde d’une facture du chef de travaux et d’une demande reconventionnelle de la société S) tendant à l’achèvement des travaux et à l’exécution de travaux de réfection, sinon à l’allocation de dommages-intérêts, avait déclaré la demande principale fondée et la demande reconventionnelle non fondée. Le tribunal d’arrondissement a, par réformation, déclaré la demande principale non fondée et la demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 109 du Code de commerce servant de fondement juridique à la théorie de la facture acceptée, sinon de la violation de l'article 109 pour manque de base légale en ce que le jugement attaqué, après avoir retenu l'application de la théorie de la facture acceptée, fût-ce comme impliquant une présomption réfragable de l'existence de la créance y énoncée, a renversé la présomption en faisant état de courriers d'un architecte d'intérieur, dont la qualité de représentant juridique du débiteur n'a pas été établi, qui datent, pour la plupart, d'avant la réception de la facture, et qui ne contiennent, pour les courriers postérieurs, aucune référence à la facture alors que le renversement de la présomption d'acceptation de la facture, même s'il ne requiert pas la preuve de protestations précises valant négation de la créance alléguée dans un bref délai, comme en matière de vente commerciale, requiert la preuve de contestations se rapportant à la facture, aux travaux ou aux prix y référenciés et émanant du débiteur ou de son représentant légal. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, la violation de l’article 109 du Code de commerce et, d’autre part, le défaut de base légale qui se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation des articles 1134 et 1184 du Code civil en ce que le tribunal, dans le jugement attaqué, après avoir rejeté la demande en paiement fondée sur la théorie de la facture acceptée, a déchargé le débiteur de l'obligation de payer la somme facturée, en accueillant l'exception d'inexécution du contrat de prestation de services formulée par le débiteur, et condamné ensuite et de surcroît le créancier au même montant à titre de dommages et intérêts du chef d'inexécution du contrat alors que, une fois admis, au titre de l'exception d'inexécution, que le débiteur était en droit de refuser le paiement de la facture, le tribunal ne pouvait pas, dans un second temps, condamner le créancier en plus à des dommages et intérêts pour inexécution du même contrat, l'accueil de cette demande en dommages et intérêts, au titre d'une exécution par équivalent, ne pouvant se cumuler avec l'accueil de l'exception d'inexécution du contrat. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, la violation de l’article 1134 du Code civil qui traite de la force obligatoire des conventions et, d’autre part, la violation de l’article 1184 du même code qui traite de la condition résolutoire dans les contrats synallagmatiques, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 89 de la Constitution pour contradiction, sinon insuffisance, des motifs valant absence de motifs en ce que le tribunal, dans le jugement attaqué, après avoir rejeté la demande en paiement fondée sur la théorie de la facture acceptée, a déchargé le débiteur de l'obligation de payer la somme facturée, en accueillant l'exception d'inexécution du contrat de prestation de services formulée par le débiteur, au motif que le créancier est resté en défaut d'exécuter ses obligations, et condamné ensuite et de surcroît le créancier au même montant à titre de dommages et intérêts du chef d'inexécution du contrat, au motif que alors que l'accueil concomitant de l'exception d'inexécution invoquée par le débiteur, au motif que le créancier est resté en défaut d'exécuter ses obligations, et de la demande en dommages et intérêts pour le même montant formulée par le débiteur, demandeur reconventionnel, au titre d'une exécution par équivalent, entache la décision entreprise d'une contradiction de motifs, valant défaut de motifs sinon alors que la condamnation de l'actuelle demanderesse en cassation à des dommages et intérêts qui seraient différents d'une indemnité au titre d'une exécution par équivalent est dépourvue de la moindre motivation. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, le défaut de motifs en ce qu’il est tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution pour contradiction de motifs valant absence de motifs, et, d’autre part, le défaut de base légale en ce qu’il est tiré de l’insuffisance de motifs, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société en commandite simple KLEYR GRASSO, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de la société à responsabilité limitée H) s.àr.l.

contre la société à responsabilité limitée S) s.àr.l.

(n° CAS-2020-00054 du registre) Par mémoire signifié le 31 mars 2020 au siège social de la société à responsabilité limitée S) et déposé le 14 avril 2020, au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, a formé, au nom et pour le compte de la société à responsabilité limitée H), un pourvoi en cassation contre le jugement no 2020TALCH03/00027, rendu le 4 février 2020 par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière commerciale et en instance d’appel.

Le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les formes1 et délai2 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Maître Olivia COLLETTE, en remplacement de la société en commandite simple KLEYR GRASSO, représentée par Maître Christian JUNGERS, avocat à la Cour, au nom et pour compte de la société à responsabilité limitée S) a fait signifier un mémoire en réponse en date du 27 mai 2020 et l’a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 29 mai 2020. Ce mémoire en réponse peut être pris en considération pour avoir été signifié dans les formes et délai de la loi précitée du 18 février 1885.

Faits et rétroactes 1 La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour, signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi du 18 février de 1885 ont été respectées.

2 Selon les indications de la partie demanderesse en cassation, non autrement contestées, le jugement entrepris a été signifié le 25 février 2020, de sorte que le pourvoi introduit le 14 avril 2020 a été formé endéans le délai prévu à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Par exploit d’huissier de justice du 8 avril 2019, la société à responsabilité limitée H) a fait donner citation à la société à responsabilité limitée S), faisant le commerce sous la dénomination « C) » à comparaître devant le tribunal de paix de et à Luxembourg, siégeant en matière civile, aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 9.579,31 euros avec les intérêts légaux à partir de la demande en justice, jusqu’à solde.

Par jugement du 12 juillet 2019, le tribunal de paix de et à Luxembourg, a déclaré la demande principale de la société à responsabilité limitée H) fondée et a condamné la société à responsabilité limitée S), à payer à la société à responsabilité limitée H) la somme de 9.579,31 euros, avec les intérêts légaux à partir de la demande en justice jusqu’à solde.

Il a déclaré la demande reconventionnelle de la société à responsabilité limitée S) à voir condamner la société à responsabilité limitée H) au redressement des vices et malfaçons, sinon à des dommages et intérêts, non fondée dans tous ses chefs et l’en a déboutée.

Il a déclaré fondée la demande de la société à responsabilité limitée H) en obtention d’une indemnité de procédure sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile à hauteur de la somme de 250.- euros et a condamné la société à responsabilité limitée S) à payer à la société à responsabilité limitée H) la somme de 250.- euros à titre d’indemnité de procédure.

Il a déclaré non fondée la demande de la société à responsabilité limitée S), en obtention d’une indemnité de procédure et l’a condamnée aux frais et dépens de l’instance.

Par exploit d’huissier du 20 septembre 2019, la société à responsabilité limitée S) a régulièrement interjeté appel contre le prédit jugement.

Par jugement du 4 février 2020, le tribunal d’arrondissement, troisième chambre, a déclaré l’appel de la société à responsabilité limitée S) recevable et fondé et par conséquent réformé la décision du premier juge.

Ainsi, la société à responsabilité limitée S) a été déchargée de la condamnation à payer à la société à responsabilité limitée H) le montant de 9.579,31 euros avec les intérêts au taux légal à partir de la demande en justice jusqu’à solde, et de l’indemnité de procédure.

La société à responsabilité limitée H) a été condamnée à payer à la société à responsabilité limitée S) à titre de dommages et intérêts la somme de 9.579,31 euros avec les intérêts au taux légal à partir de la signification du présent jugement ainsi qu’à des indemnités de procédure pour la première instance et pour l’instance d’appel sur base de l’article 240 du nouveau code de procédure.

La demande de la société à responsabilité limitée H) en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel a été déclarée recevable mais non fondée.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre ce jugement.

Quant au premier moyen de cassation « tiré de la violation de l’article 109 du Code de commerce servant de fondement juridique à la théorie de la facture acceptée, sinon de la violation de l’article 109 pour manque de base légale. » La demanderesse en cassation fait grief au jugement entrepris, après avoir retenu l’application de la théorie de la facture acceptée, fût-ce comme impliquant une présomption réfragable de l’existence de la créance y énoncée, avoir renversé la présomption en faisant état de courriers d’un architecte d’intérieur , dont la qualité de représentant juridique du débiteur n’aurait pas été établit, qui dateraient pour la plupart, d’avant la réception de la facture, et qui ne contiendraient , pour les courriers postérieurs, aucune référence à la facture. Or le renversement de la présomption d’acceptation de la facture, même s’il ne requerrait pas la preuve de protestions précises valant négation de la créance alléguée dans un bref délai, comme en matière de vente commerciale, requerrait la preuve de contestations se rapportant à la facture, aux travaux ou aux prix y référenciés et émanant du débiteur ou de son représentant légal.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen met en œuvre, d’une part, la violation de la loi par son application erronée et, d’autre part, le défaut de base légale, par conséquent une insuffisance des constatations de fait, partant, deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit qu’au vu de sa complexité, le moyen est irrecevable3.

3 Cassation, arrêt no 87 / 2020 du 18.06.2020, numéro CAS-2019-00083 du registre.

A titre subsidiaire :

Les premiers juges ont résumé les moyens développés par la partie demanderesse en cassation comme suit :

« Suivant facture du 4 septembre 2018, la société à responsabilité limitée H) SARL réclame à la société à responsabilité limitée S) SARL le paiement de la somme de 9.579,31 euros du chef des travaux de pose de sol dans le restaurant C) sis au BAN DE GASPERICH.

Elle aurait certes la charge de la preuve que la prédite facture a effectivement été envoyée et réceptionnée par la société à responsabilité limitée S) SARL. Cette facture lui aurait été adressée par courrier simple de sorte qu’il n’existerait effectivement ni de recommandé ni d’accusé de réception, cependant les indices démontreraient en l’espèce à suffisance la réception de cette facture par la société à responsabilité limitée S) SARL.

En effet, y aurait lieu de constater que l’adresse postale de la société à responsabilité limitée S) SARL serait toujours la même que celle à laquelle tous les autres courriers relatifs au chantier auraient été réceptionnés par cette dernière. La société à responsabilité limitée S) SARL ferait preuve de sa mauvaise foi en contestant maintenant la seule réception de la facture du 4 septembre 2018.

Suite à la mise en demeure du 8 mars 2019, le mandataire de la société à responsabilité limitée S) SARL aurait fait valoir par courrier de réponse du 13 mars 2019 que les factures auraient été à plusieurs fois contestées par lui-même et sa mandante. Dès lors, il devrait y avoir eu réception de la facture du 4 septembre 2018 avant la mise en demeure du 8 mars 2019.

Subsidiairement, si le tribunal venait à la conclusion qu’il n’y a pas eu réception de la facture du 4 septembre 2018 il y aurait lieu de constater que le courrier de réponse du 13 mars 2019 ne constituerait pas de contestation au sens de la loi faute de précision.

Il ne serait même pas indiqué quelle facture est contestée.

En matière de contrat de prestation de service l’application de la théorie de la facture acceptée relèverait certes de l’appréciation du juge. Or, vu la réception de la facture du 4 septembre 2018 et en tout état de cause l’absence de contestations précises et circonstanciées dans un bref délai, la théorie de la facture acceptée s’appliquerait en l’espèce.

Toutes les contestations antérieures au 4 septembre 2018 seraient sans incidence étant donné qu’il ne saurait y avoir protestation contre une facture avant l’établissement et la réception de celle-ci.

La société à responsabilité limitée H) SARL demande à voir écarter des débats l’expertise établie par l’ORGANISATION GESTION ET CONTROLE du 6 septembre 2019 au vu de son caractère unilatéral. Cette expertise ne se prononcerait en outre ni sur le coût de réfection ni sur les causes des problèmes allégués. Au cas où le tribunal faisait droit à la demande en institution d’une expertise judiciaire, la société à responsabilité limitée H) SARL se rapporte à prudence de justice quant à la nomination de l’expert mais demande à ce que les frais soient mis à charge de la partie appelante.

L’attestation testimoniale d’L) qui serait ni pertinente ni concluante serait à rejeter. Il s’agirait d’un copier-coller de l’attestation testimoniale déjà établie dans un autre litige opposant les parties quant à un chantier dans le centre commercial CITY CONCORDE.

De même, les pièces n° 4, 6, 8, 10, 11 et 12 versées par la société à responsabilité limitée S) SARL seraient à ignorer alors qu’elles seraient sans rapport avec le chantier au BAN DE GASPERICH.

Le devis de la société A) ne constituerait pas non plus de preuve d’un prétendu dommage et il ne serait pas établi qu’il n’existe pas d’autre solution que celle envisagée par la société A). 4 ».

Il ressort de l’extrait du jugement cité ci-dessus que la partie demanderesse en cassation s’est limitée à plaider l’absence de toute incidence sur la solution du litige des contestations antérieures au 4 septembre 2018, date d’établissement de la facture litigieuse, au motif qu’il ne saurait y avoir protestation d’une facture avant son établissement et sa réception.

Dans le cadre du moyen sous examen, la société à responsabilité limitée H) conteste que les réclamations antérieures au 4 septembre 2018 puissent être prises en compte, d’une part, au vu de leur caractère imprécis et, d’autre part, comme émanant d’un tiers, qui ne serait pas le représentant légal du débiteur.

Le moyen sous examen est dès lors à qualifier de nouveau, étant donné qu’il propose une argumentation juridique qui n’a pas été présentée antérieurement par la demanderesse au pourvoi en instance d’appel5.

Or, le moyen est mélangé de fait et de droit, en ce qu’il comporterait pour Votre Cour l’examen du contenu-même des courriers litigieux, ainsi que les cas échéant des relations contractuelles entres parties en vue de déterminer la qualité de l’architecte pour pouvoir contester la facture litigieuse.

Sous le couvert du grief de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, d’éléments factuels et de preuve leur soumis, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le premier moyen de cassation est à déclarer irrecevable.

4 Pages 7 et 8 de la décision entreprise 5 Jacques et Louis. BORE, La cassation en matière civile, édition 2015, n°82.20 Quant au deuxième moyen de cassation « tiré de la violation des articles 1134 et 1184 du Code civil en ce que le tribunal, dans le jugement attaqué après avoir rejeté la demande en paiement fondée sur la théorie de la facture acceptée, a déchargé le débiteur de l’obligation de payer la somme facturée, en accueillant l’exception d’inexécution du contrat de prestation de services formulées par le débiteur, et condamné ensuite et de surcroît le créancier au même montant à titre de dommages et intérêts du chef d’inexécution du contrat, alors que, une fois admis, au titre de l’exception d’inexécution, que le débiteur était en droit de refuser le paiement de la facture, le tribunal ne pouvait pas, dans un second temps, condamner le créancier en plus à des dommages et intérêts pour inexécution du même contrat, l’accueil de cette demande en dommages et intérêts, au titre d’une exécution par équivalent, ne pouvant se cumuler avec l’accueil de l’exception d’inexécution du contrat. ».

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi la décision attaquée encourt le reproche allégué.

Il est de jurisprudence constante que les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 du même article 10, peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent pas suppléer à la carence originaire de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité.6 Au regard des exigences légales énoncées ci-dessus, le moyen sous examen encourt les critiques suivantes :

- la complexité La demanderesse en cassation fait grief à la juridiction d’appel d’avoir violé l’article 1134 du Code civil, qui a trait à la force obligatoire des conventions, et l’article 1184 du Code civil, qui porte sur la résolution des contrats, partant deux cas d’ouverture distincts7.

6 A titre d’exemple dans ce sens : cassation, arrêt no 01/2019, rendu le 10 janvier 2019, numéro 4059 du registre, cassation arrêt no 24/2019, rendu le 7 février 2019, numéro 4089 du registre, cassation, arrêt no 101/2019, rendu le 6 juin 2019, numéro CAS-2018-00059 du registre.

7 Dans ce sens : Cassation, arrêt n° 65 / 2020, du 7 mai2020, numéro CAS-2019-00064 du registre.

- le manque de précision Si le moyen, portant sur la combinaison de l’exceptio non adimpleti contractus et de l’allocation de dommages et intérêts, indique certes les articles 1134 et 1184 du Code civil comme textes de loi prétendument violés, il ne précise pas pour autant en quoi les dispositions visées auraient été violées.

Le moyen est dès lors à déclarer irrecevable.

A titre subsidiaire :

Dans le moyen sous examen la partie demanderesse en cassation fait grief à la juridiction d’appel d’une part d’avoir retenu l’exception d’inexécution et d’autre part de l’avoir condamnée au paiement de dommages et intérêts.

L’exception d’inexécution est certes d’origine jurisprudentielle. Contrairement à l’affirmation de la partie demanderesse en cassation elle a cependant été consacrée au Luxembourg par l’article 1134-2 du Code civil et, en France par un article 1219 du Code civil8. Elle est, à défaut de texte, considérée en Belgique comme principe général du droit9. Cependant selon O) « En aucun cas l’exception d’inexécution ne trouve fondement dans l’article 1184 du Code civil comme cela avait été soutenu par la doctrine de l’exégèse : ce texte ne concerne que la résolution du contrat et non la suspension. 10».

Ce n’est dès lors pas une application combinée des articles 1134 et 1184 du Code civil qui est en cause, mais celle de l’article 1134-2 du Code civil.

Les dispositions visées au moyen sont partant étrangères au grief invoqué, de sorte que le moyen est irrecevable.

A titre plus subsidiaire Il ressort de la motivation de la décision11 dont pourvoi que la juridiction d’appel ne s’est pas basée sur les dispositions légales visées, de sorte que le moyen manque en fait et ne saurait être accueilli.

Quant au troisième moyen de cassation 8 Introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, en vigueur à partir du 1er octobre 2016.

9 Pierre VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil, Tome II, Les obligations, n° 570, page 874. Cour de cassation de Belgique, 15 juin 1981, Pas. 1981, I, page 1179.

10 Pierre VAN OMMESLAGHE précité, n° 570, page 874 11 Pages 13 à 18 du jugement dont pourvoi « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution pour contradiction, sinon insuffisance, des motifs valant absence de motifs ».

Il est fait grief aux juges d’appel d’avoir motivé la décision entreprise de manière contradictoire, sinon insuffisante, en rejetant, d’une part, la demande en paiement et, d’autre part, en condamnant l’actuelle partie demanderesse en cassation à verser une indemnité au titre d’une réparation par équivalent du dommage issu de l’inexécution du contrat.

La partie demanderesse en cassation remet également en question l’existence même d’une motivation relative au préjudice « particulier autre que celui déjà couvert par l’admission de l’exception d’inexécution. ».

La formulation du moyen appelle les critiques suivantes :

Dans l’énoncé du moyen, la société à responsabilité limitée H) parle de « la violation de l’article 89 de la Constitution pour contradiction, sinon insuffisance, valant absence de motifs ».

Dans le développement du moyen plus aucune référence n’est cependant faite à une insuffisance de la motivation de la décision entreprise et la partie demanderesse en cassation ne précise en outre pas en quoi la motivation de l’arrêt entrepris serait lacunaire.

Selon une lecture stricte, le moyen met en œuvre d’une part la violation de l’article 89 de la Constitution, qui sanctionne l’absence de motifs qui constitue un vice de forme et d’autre part une insuffisance de motifs, moyen de fond, qui ne saurait être invoqué sous le visa de l’article 89 de la Constitution, partant deux cas d’ouverture différents.

La partie demanderesse en cassation formule en outre dans un seul moyen deux griefs différents, non autrement structurés, qui se rattachent certes au même texte légal à savoir : celui de la violation de l’article 89 de la Constitution du chef d’une contradiction de motifs équivalente à une absence de motifs au vu du rejet de la demande en paiement formulée par la société au titre d’une facture émise et la condamnation à des dommages et intérêts et celui de la violation de l’article 89 de la Constitution au vu d’une absence de motifs en relation avec le préjudice retenu à la base de la condamnation à des dommages et intérêts.

Le moyen met en œuvre deux griefs distincts qui, tout en se rattachant aux mêmes textes, constituent, au sens du susdit article 10 de la modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, deux cas d’ouverture distincts.

Or, selon l’article 10 un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture, de sorte que le moyen sous examen encourt l’irrecevabilité.

A titre subsidiaire L’exception d’inexécution permet à l’excipiens de suspendre l’exécution de ses obligations jusqu’à ce que son débiteur reprenne l’exécution des siennes. En principe donc, elle a un effet dilatoire : dès que le débiteur de l’excipiens reprend l’exécution de ses obligations, l’excipiens doit à son tour exécuter les siennes.

La suspension du rapport synallagmatique n’est qu’une situation provisoire dont la durée n'est pas définie : il sera mis fin à cette situation soit par l'exécution effective par le partenaire de l'excipiens de ses engagements, soit par des mesures d'exécution ou d'extinction du rapport contractuel à l'initiative de l'excipiens.

En l’espèce, la juridiction saisie a certes accueilli l’exception d’inexécution, sans pour autant se prononcer sur l’éventuelle suite des relations entre parties, aucune des parties en cause n’ayant formulé de demande en ce sens.

On s’est interrogé sur la question de savoir dans quelle mesure l’exception peut être invoquée, lorsqu’il est acquis que le débiteur de l’excipiens ne reprendra jamais l’exécution des ses obligations, en sorte que l’exception ne pourrait plus être considérée en réalité comme un instrument en vue de le contraindre à exécuter le contrat. Tant la jurisprudence de la Cour de cassation belge que la doctrine ont admis, en réponse à cette question, que même dans cette hypothèse, l’exception peut produire ses effets, en sorte qu’elle peut devenir, dans les rapports entre les parties aux relations synallagmatiques, un moyen de défense définitif, même si formellement la résolution du contrat pour inexécution n’était pas prononcée, ni même sollicitée12.

L’exception d’inexécution peut ainsi devenir en pratique un moyen de défense permanent13, situation susceptible de se présenter dans le présent cas de figure.

Dans l’affaire sous examen, l’excipiens a, par voie reconventionnelle, sollicité la condamnation de la demanderesse en cassation au redressement des vices, malfaçons et inachèvements constatés. En l’absence d’indication de base légale et de développements sur ce point, cette demande semble se situer sur le terrain de la réparation en nature du préjudice subi, à la suite de l’exécution défectueuse des obligations contractuelles par la partie demanderesse en cassation. La réparation en nature étant devenue impossible au vu des circonstances factuelles, la partie défenderesse en cassation a formulé, à titre 12 Pierre VAN OMMESLAGHE, précité., n° 576, page 887 13 Cour de cassation belge, arrêt du 13 mai 2004, C.02.0497.N ; Le juge du fond peut, après avoir admis l’application de l’exception d’inexécution pour un contrat à prestations successives pendant une certaine période, résoudre ensuite ce même contrat sans pour autant verser dans la contradiction ni méconnaître ces institutions.

subsidiaire, une demande en réparation par équivalent, sous forme de dommages-

intérêts, qui a été accueillie par les juges d’appel.

Or la condamnation à des dommages et intérêts n’est pas incompatible avec l’admission l’exception d’inexécution, de sorte que les juges d’appel ont pu décider, sans la contradiction invoquée, que la partie défenderesse est libérée de son obligation de paiement et, en ordre subsidiaire, qu’elle a droit à des dommages et intérêts14.

L’existence et l’étendue du préjudice relèvent cependant de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui ont basé leur décision sur les pièces produites au dossier et ont motivé le jugement entrepris dans ce sens15.

Si la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, telle que retenue en l’espèce, est certes susceptible de susciter certaines observations, celles-ci ne sauraient cependant être formulées sous le couvert du grief de la contradiction de motifs, valant absence de motifs.

Le moyen est dès lors à déclarer non fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Sandra KERSCH 14 Cf. Cour de cassation belge, arrêt du 13 mai 2004, C.02.0497.N 15 Page 19 de la décision dont pourvoi 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 33/21
Date de la décision : 25/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-02-25;33.21 ?

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