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25/02/2021 | LUXEMBOURG | N°28/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 25 février 2021, 28/21


N° 28 / 2021 du 25.02.2021 Numéro CAS-2020-00048 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq février deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, président de chambre à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

B), demanderesse en cassat

ion, comparant par Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, avocat à la Cour, en l’étude d...

N° 28 / 2021 du 25.02.2021 Numéro CAS-2020-00048 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq février deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, président de chambre à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

B), demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société anonyme X) (LUXEMBOURG), défenderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple CLIFFORD CHANCE, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Albert MORO, avocat à la Cour.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 105/19, rendu le 15 juillet 2019 sous le numéro CAL-2018-00176 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail ;Vu le mémoire en cassation signifié le 16 mars 2020 par B) à la société anonyme X) (LUXEMBOURG), déposé le 25 mars 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 mai 2020 par la société X) (LUXEMBOURG) à B), déposé le 14 mai 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réplique signifié le 2 septembre 2020 par B) à la société X) (LUXEMBOURG), déposé le 14 septembre 2020 au greffe de la Cour, en ce qu’il répond aux fins de non-recevoir opposées au pourvoi par la partie défenderesse ;

écartant le mémoire pour le surplus, en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions de l’avocat général Elisabeth EWERT ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal du travail de Luxembourg avait déclaré non fondée la demande dirigée par B) contre son ancien employeur, la société X) (LUXEMBOURG), en paiement d’une certaine somme du chef de frais professionnels. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée La défenderesse en cassation conclut à l’irrecevabilité du pourvoi au motif qu’un premier mémoire en cassation contre l’arrêt du 15 juillet 2019 lui avait déjà été signifié le 4 mars 2020.

L’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose :

« Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais déterminés ci-avant, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse, lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée. ».

Dès lors que le mémoire en cassation du 4 mars 2020 n’a pas fait l’objet d’un dépôt au greffe de la Cour, le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé.

La défenderesse en cassation conclut ensuite à l’irrecevabilité du pourvoi pour défaut d’intérêt dans le chef de la demanderesse en cassation au motif que le moyen de cassation serait contraire aux moyens qu’elle avait soutenus dans ses conclusions d’appel.

La Cour d’appel ayant confirmé le jugement qui avait déclaré non fondée la demande de B), celle-ci justifie d’un intérêt à agir.

La défenderesse en cassation conclut encore à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que le moyen de cassation serait complexe, sinon imprécis.

Une éventuelle irrecevabilité du moyen de cassation est sans incidence sur la recevabilité du pourvoi.

Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article L.121-9 du Code du travail en combinaison avec l'article L.121-3 du Code du travail, L'article L.121-9 du Code du travail dispose que :

.

L'article L.121-3 du Code du travail dispose que :

.

En ce que le Cour d'appel a dit l'appel de la demanderesse non fondé et a confirmé le jugement entrepris qui avait déclaré non fondée la demande en remboursement de la demanderesse en relation avec les frais professionnels, Au motif qu'une clause édictée par l'employeur, dans une règlementation interne, permettant de restreindre le droit de ses salariés au remboursement des frais professionnels, était valable parce qu'il s'agit d'une clause favorable au salarié, Alors qu'il découle de l'article L.121-9 du Code du travail que l'employeur supporte les risques de son entreprise et de l'article L.121-3 du Code du travail que toute clause restreignant les droits du salarié ou aggravant ses obligations est nulle, Que la jurisprudence considère que les frais professionnels correspondent à des risques de l'entreprise lorsqu'ils ont été exposés pour les besoins de l'activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur, qu'elle considère encore que faire supporter les frais professionnels au salarié reviendrait à lui faire prendre en charge une partie des risques d'exploitation et que l'employeur ne peut engager contractuellement la responsabilité pécuniaire du salarié en les lui imposant (JPL, 9 mars 2001, n°1236/2001 du rôle ; Cour d'appel, 13 février 2014, n°35904 du rôle), Que, dès lors, il découle de cette jurisprudence que l'article 121-9 du Code du travail s'applique aux frais professionnels, Qu'une clause visant à forclore le salarié pour la demande de remboursement des frais professionnels constitue une restriction de ses droits au remboursement, alors qu'aucun délai de forclusion n'est prévu par la loi et que le délai de droit commun qui viendrait à s'appliquer est supérieur à trois mois, En l'espèce, la Cour d'appel, en décidant que , a violé les dispositions impératives visées au moyen. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen met en œuvre, d’une part, la violation de l’article L. 121-9 du Code du travail qui prévoit que l’employeur supporte les risques engendrés par l’activité de l’entreprise et, d’autre part, la violation de l’article L. 121-3 du même code qui sanctionne de nullité toute clause restreignant les droits du salarié ou aggravant ses obligations, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

déclare le pourvoi recevable ;

le rejette ;

condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société en commandite simple CLIFFORD CHANCE, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Grand-Duché de Luxembourg Luxembourg, le 22 décembre 2020 PARQUET GENERAL CITE JUDICIAIRE Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation B) c/ la société anonyme X) (Luxembourg) S.A.

(Affaire n° CAS-2020-00048 du registre)

______________________

Par mémoire signifié le 16 mars 2020 et déposé au greffe de la Cour le 25 mars 2020, B) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt n°105/19 rendu contradictoirement le 15 juillet 2019 par la huitième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière de droit du travail, dans la cause entre les parties citées ci-dessus et inscrite sous le numéro CAL-2018-00176 du rôle, signifié à la demanderesse en cassation en date du 31 janvier 2020.

Le pourvoi en cassation formé par B) a été interjeté dans les délais et formes prévus par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Il est partant recevable.

Le mémoire en réponse de la société anonyme X) (ci-après la société X) S.A.), signifié le 7 mai 2020 et déposé au greffe de la Cour en date du 14 mai 2020, peut être pris en considération pour être conforme aux articles 15 et 16 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le mémoire en réplique de B) signifié le 2 septembre 2020 à la société X) S.A. et déposé le 14 septembre 2020 au greffe de la Cour, est à écarter des débats conformément à l’article 17 de de la loi du 18 février 1885 alors qu’il ne fait que rencontrer les objections en droit dans le mémoire en réponse de la défenderesse en cassation1.

Faits et rétroactes 1 Cass. 24 mars 1983, P.25, 408 Par jugement n°69/2018 rendu le 8 janvier 2018, le Tribunal du Travail de Luxembourg a déclaré non fondée la demande en remboursement de B) relative à ses frais professionnels qu’elle réclamait contre son ancien employeur la société X) S.A.

B) avait été engagée par la société X) S.A. en vertu d’un contrat de travail signé le 27 février 2014 en qualité de « Head of Compliance ».

La société X) S.A. a licencié B) en date du 24 mars 2016 avec un préavis de deux mois.

Par mise en demeure du 20 avril 2016, B) a réclamé à la société X) S.A. le remboursement de la somme de 19.794,24 euros à titre de frais professionnels qu’elle avait avancé en 2014 et 2015 dans le cadre de séjours professionnels à l’étranger.

B) a assigné la société X) S.A. devant le Tribunal du Travail étant donné que son ancien employeur refusait de lui rembourser le montant réclamé.

Le Tribunal du Travail retient que les articles 3 et 5a du règlement interne prévoient que les frais professionnels seront remboursés à l’employé pour autant que ce remboursement soit demandé par l’employé dans les trois mois et qu’au-delà de ce délai de trois mois, les dépenses engagées ne seront plus remboursées.

Le Tribunal du Travail a retenu que B) avait connaissance de ce règlement interne, donc des délais et de la procédure à suivre.

Le Tribunal du Travail retient encore que l’article L.121-9 du Code du travail, invoqué par B), à la base de sa demande, n’est pas applicable « dans la mesure où ce texte s’applique aux dommages occasionnés dans l’exercice de l’entreprise ».

Le Tribunal du Travail a partant déclaré la demande de B) en remboursement de ses frais professionnels non fondée au motif que B) n’avait « en connaissance de cause pas respecté les délais et les procédures de remboursement des frais professionnels ».

B) a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt n°105/19 du 15 juillet 2019, la Cour d’appel a confirmé que B) avait connaissance de la procédure de remboursement des frais professionnels et du délai de trois mois inscrit à la règlementation interne.

La Cour retient encore que la clause du règlement interne qui prévoit un délai de prescription de trois mois pour réclamer le remboursement des frais professionnels n’est pas contraire à l’article L. 121-3 du Code du travail au motif que cette clause obligeant l’employeur à rembourser au salarié les frais professionnels avancés lui est favorable même si la clause est assortie de conditions quant à la procédure de remboursement de ces frais.

La Cour d’appel confirme également le jugement de première instance en ce qu’il a retenu que l’article L.121-9 du Code du travail n’était pas applicable aux frais professionnels.

Par arrêt n°105/19 du 15 juillet 2019, la Cour d’appel a partant déclaré l’appel de B) non fondé et a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré non fondée la demande en remboursement des frais professionnels de B).

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt.

Quant à l’unique moyen de cassation :

Le moyen de cassation est tiré de la « violation de l’article L.121-9 du Code du travail en combinaison avec l’article L.121-3 du Code du travail » en ce que les juges d’appel ont retenu que la clause déterminant la procédure de remboursement des frais professionnels et soumettant le remboursement à un délai de trois mois, était valable alors que selon la demanderesse en cassation il « découle de l’article L.121-9 du Code du travail que l’employeur supporte les risques de son entreprise et de l’article L. 121-3 du Code du travail que toute clause restreignant les droits du salarié ou aggravent ses obligations est nulle. ».

Le demandeur en cassation affirme que l’article L.121-9 du Code du travail s’applique aux frais professionnels et « qu’une clause visant à forclore le salarié pour la demande de remboursement des frais professionnels constitue une restriction de ses droits au remboursement, alors qu’aucun délai de forclusion n’est prévu par la loi et que le délai de droit commun qui viendrait à s’appliquer est supérieur à trois mois. ».

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule en l’espèce d’une part la violation de l’article L.121-3 du Code du travail qui autorise les parties à un contrat de travail à déroger aux dispositions du Livre Ier, Titre II du Code du travail dans un sens plus favorable au salarié, et d’autre part la violation de l’article L. 121-9 du Code du travail qui vise la responsabilité délictuelle de l’employeur relatif aux risques engendrés par l’activité de l’entreprise, partant deux cas d’ouverture distincts.

Le moyen est partant irrecevable.

Subsidiairement, quant au fond Si Votre Cour considère néanmoins que le moyen est recevable, il est cependant à rejeter pour être non fondé.

La soussignée relève que l’article L.121-9 vise la responsabilité délictuelle de l’employeur dans l’hypothèse d’un dommage lié au risque engendré par l’activité de la société.

L’employeur étant responsable du préjudice qu’il a causé par sa faute au salarié.

Or, en l’espèce, le refus de rembourser les frais professionnels avancés par la demanderesse en cassation découle d’un engagement conventionnel liant les parties qui est étranger à l’éventuelle responsabilité de l’employeur prévue à l’article L.121-

9 du Code du travail.

Les jurisprudences citées par la demanderesse en cassation ne retiennent d’ailleurs nullement que les frais professionnels déboursés par un salarié doivent lui être remboursés sur base de l’article L.121-9 du Code du Travail2.

C’est partant à bon droit que les juges du fond ont retenu que l’article L.121-9 du Code du travail n’était en l’espèce pas applicable aux frais professionnels.

A cela s’ajoute que sous le couvert de la violation des dispositions visées aux moyens, ceux-ci ne tendent qu’à remettre en discussion l’interprétation, par les juges du fond, du contrat de travail signé entre parties et, notamment, le règlement interne relatif à la procédure du remboursement des frais professionnels, la détermination du contenu des obligations et droits qui en forment l’objet et celle de l’étendue de la dérogation apportée par ses stipulations, à une disposition légale, en l’espèce 2 Cour d’appel, arrêt du 13 février 2014, n°35904 du rôle, p.7 : « Il est de principe que les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnel e et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés sans qu’ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuel ement prévu qu’il en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au minimum garanti. Il suit de ces considérations que le principe est le remboursement, l’exception la clause contractuel e aménageant les modalités du remboursement sous forme forfaitaire, et la limite à l’exception, le respect du salaire minimun (Dal oz, cf. salaire n° 365 et suivants, C. Cass. Fr.

25.02.1998). » l’article L.121-3 du Code du travail, interprétation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Le moyen est partant non fondé.

Conclusion - Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Elisabeth EWERT 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 28/21
Date de la décision : 25/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-02-25;28.21 ?

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