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30/06/2022 | LUXEMBOURG | N°98/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 juin 2022, 98/22


N° 98 / 2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00116 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabi

lité limitée de droit allemand Q), demanderesse en cassation, comparant par Maître Gérard SCHAN...

N° 98 / 2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00116 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société à responsabilité limitée de droit allemand Q), demanderesse en cassation, comparant par Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société anonyme C), défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée BONN & SCHMITT, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Alain GROSJEAN, avocat à la Cour, 2) la société à responsabilité limitée F), défenderesse en cassation, comparant par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

_____________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 72/21 - IV - COM, rendu le 1er juin 2021, sous les numéros 42711 et 43150 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 27 septembre 2021 par la société à responsabilité limitée de droit allemand Q) (ci-après « la société Q) ») à la société anonyme C) (ci-après « la société C) ») et à la société à responsabilité limitée F) (ci-

après « la société F) »), déposé le 28 septembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 22 novembre 2021 par la société C) à la société Q) et à la société F), déposé le 25 novembre 2021 au greffe de la Cour ;

Ecartant le mémoire en réponse signifié le 17 novembre 2021 par la société F) aux sociétés Q) et C), déposé le 29 novembre 2021 au greffe de la Cour en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 15, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait déclaré fondée la demande de la société Q) tendant à la condamnation de la société C) à lui payer un certain montant en vertu d’un accord transactionnel et avait déclaré sans objet la demande en intervention dirigée contre la société F). Après avoir constaté, par arrêt du 7 février 2018, qu’il n’y avait pas eu transaction entre les sociétés Q) et C), la Cour d’appel a, par l’arrêt attaqué, déchargé la société C) des condamnations prononcées à son encontre et dit non fondée la demande de la société Q) à être tenue quitte et indemne par la société F).

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application des articles 1382 et 1383 du Code civil, sinon de l’article 266 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce que la Cour d’appel a dit non fondée la demande à être tenue quitte et indemne de Q) à l’encontre de F), au motif qu’ (…) à défaut de la preuve d’un contrat existant entre l’A) et F), la demande principale de Q) d’être tenue quitte et indemne par F) de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre, n’est pas fondée », alors qu’en statuant ainsi, sans examiner la demande en garantie formulée par Q) sur la base de la responsabilité délictuelle de F), la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision de défaut de base légale. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, le grief tiré de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil, sinon de l’article 266 du Nouveau Code de procédure civile et, d’autre part, le grief d’une motivation insuffisante, le défaut de base légale, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile pour défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel a dit non fondée la demande à être tenue quitte et indemne de Q) à l’encontre de F), au motif qu’ (…) à défaut de la preuve d’un contrat existant entre l’A) et F), la demande principale de Q) d’être tenue quitte et indemne par F) de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre, n’est pas fondée », alors qu’en décidant ainsi, sans avoir répondu aux conclusions de la demanderesse en cassation qui avait, en l’absence de spécification, basé sa demande en garantie à l’encontre de F) implicitement mais nécessairement sur la responsabilité contractuelle et, pour le cas où les juges seraient d’avis qu’il n’existerait aucun lien contractuel entre elle et F), implicitement mais nécessairement, par ordre de subsidiarité, sur la responsabilité délictuelle, la Cour d’appel a violé les textes susvisés. ».

Réponse de la Cour En tant que tiré de la violation des articles 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile et 89 de la Constitution, le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Le reproche fait aux juges d’appel de ne pas avoir examiné la demande en garantie sous l’angle de la responsabilité délictuelle est étranger aux dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 6, alinéa 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce que dans son arrêt du 1er juin 2021, la Cour d’appel a écarté du débat, sinon refusé de prendre en considération deux classeurs de pièces versées par Q) à l’appui de son nouveau décompte, au motif qu’ il n’appartient ni à la Cour, ni aux parties de faire le tri dans ces pièces afin de retrouver une justification des demandes de Q) », alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision par défaut de prise en considération de pièces produites au débat. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les articles 89 de la Constitution, 249 du Nouveau Code de procédure civile et 6, alinéa 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour ne pas avoir pris en compte des pièces produites aux débats, refus qui s’assimilerait à un défaut de motifs.

En retenant « C) reproche à Q) de verser plus de 600 pages de documentations sans aucune forme d’explication permettant de justifier le montant réclamé de 1.408.741,31 euros du chef de travaux supplémentaires.

Elle conclut ainsi à ce que ces pièces ne soient pas prises en considération pour établir le décompte entre parties.

Mis à part le fait que le nouveau décompte ne peut être pris en considération, la Cour doit examiner la demande de C) qui tend implicitement au rejet des deux classeurs d’annexes.

C) soulève à juste titre qu’il n’appartient ni à la Cour, ni aux parties de faire le tri dans ces pièces afin de retrouver une justification des demandes de Q).

Ces deux classeurs comprennent 360 feuilles libres (Ordner 1) et 291 feuilles libres (Ordner 2). Aucune pièce n’est agrafée. Il s’agit d’un mélange de schémas, photos, rapports internes, communications, écrits divers, courriers ou factures. Elles ne sont ni inventoriées, ni correctement identifiées alors que les intercalaires ne portent que l’indication « Anlage » suivi d’un numéro de 1 à 25. Finalement, il y a lieu de noter qu’elles ne comportent aucune explication ou référence dans les conclusions de Q) du 9 octobre 2020.

Au vu de ce qui précède et de l’impossibilité matérielle de la Cour de prendre en considération ce volumineux pêle-mêle de pièces, il y a lieu de faire droit à la demande de rejet de C). », les juges d’appel ont motivé leur refus de prendre en considération les pièces en question et n’ont pas violé les dispositions légales visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la société C) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la société anonyme C) une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société à responsabilité limitée BONN & SCHMITT, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Christiane JUNCK en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre la société à responsabilité limitée de droit allemand Q) GmbH et 1. la société anonyme C) 2. la société à responsabilité limitée de droit allemand F) GmbH (n° CAS-2021-00116 du registre) Par mémoire signifié le 27 septembre 2021 à la société anonyme C) (ci-après « C) ») et à la société à responsabilité limitée de droit allemand F) GmbH (ci-après « F) ») et déposé le 28 septembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, agissant pour le compte de la société à responsabilité limitée de droit allemand Q) GmbH (ci-après « Q) »), a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement le 1er juin 2021 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, dans les causes inscrites sous les numéros 42711 et 43150 du rôle.

S’agissant du respect du délai de recours, ce dernier est, pour le cas de l’espèce d’une demanderesse en cassation résidant dans un pays membre de l’Union européenne, en l’occurrence en Allemagne, fixé à deux mois et quinze jours, en vertu par l’article 7, alinéas 1 et 2 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ensemble avec l’article 167, sous 1°, premier tiret du Nouveau Code de procédure civile.

L’arrêt entrepris a été signifié à Q) le 13 juillet 20211. Le délai pour introduire le pourvoi a partant expiré le 28 septembre 2021 à minuit, de sorte que le pourvoi introduit le 28 1 Pièce n° 15 de Me Gérard Schank.

septembre 2021 est recevable au regard des délais prévus dans la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le pourvoi répond encore aux conditions de forme prévues dans cette loi.

Il est donc recevable.

Le 25 novembre 2021 Maître Alain GROSJEAN, avocat à la Cour, agissant pour le compte de C), a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire en réponse signifié le 22 novembre 2021 à la demanderesse en cassation et à F). Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Le 17 novembre 2021 Maître Charles-Christian LAUER, avocat à la Cour, agissant pour le compte de F), a signifié un autre mémoire en réponse à la demanderesse en cassation et à C). Dans la mesure où ce mémoire n’a été déposé que le 29 novembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice, soit plus de deux mois après la signification du mémoire en cassation, il est, au vœu de l’article 16 de la loi modifiée du 18 février 1885, à écarter des débats.

Sur les faits et rétroactes :

Selon l’arrêt attaqué, par un jugement du 8 mai 2015, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait dit fondée la demande de Q) tendant à la condamnation de C) à lui payer une certaine somme au titre d’un accord transactionnel intervenu entre parties et à lui restituer sous peine d’astreinte des garanties fournies et avait dit sans objet la demande en intervention dirigée par Q) contre F).

Par un arrêt du 7 février 2018, la Cour d’appel, par réformation du jugement de première instance, avait dit qu’il n’y avait pas eu transaction entre Q) et C) et avait déchargé C) des condamnations prononcées à sa charge. Au vu de l’absence d’accord transactionnel entre parties et des demandes en paiement de part et d’autre, elle avait dit que l’affaire n’était pas état d’être jugée et avait renvoyé la cause devant le magistrat de la mise en état afin de permettre aux parties de compléter l’instruction du litige.

Par un arrêt du 1er juin 2021, la Cour d’appel, statuant en continuation de l’arrêt du 7 février 2018, par réformation du jugement de première instance, a débouté Q) de sa demande en paiement d’un bonus dirigée contre C), a condamné Q), après compensation, à payer à C) une certaine somme, a déchargé C) de la condamnation à restituer, sous peine d’astreinte, à Q) trois garanties et a dit non fondée la demande de Q) dirigée contre F) à être tenue quitte et indemne de toute condamnation prononcée à son encontre.

Le pourvoi est dirigé contre l’arrêt du 1er juin 2021.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon de la fausse application des articles 1382 et 1383 du Code civil, sinon de l’article 266 du Nouveau code de procédure civile, « en ce que la Cour d’appel a dit non fondée la demande à être tenue quitte et indemne de Q) à l’encontre de F), au motif qu’ « (…) à défaut de la preuve d’un contrat existant entre l’A) et F), la demande principale de Q) d’être tenue quitte et indemne par F) de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre, n’est pas fondée. », alors qu’en statuant ainsi, sans examiner la demande en garantie formulée par Q) sur base de la responsabilité délictuelle de F), la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision de défaut de base légale. » A titre principal, le moyen est irrecevable en ce qu’il articule deux cas d’ouverture distincts, à savoir celui tiré de la violation des dispositions légales reproduites au moyen et celui tiré du défaut de base légale par rapport aux mêmes dispositions légales, qui concerne une insuffisance de motifs2.

A titre subsidiaire, il est rappelé que c’est au demandeur en cassation qu’incombe la chA) de la preuve de justifier de la recevabilité du moyen qu’il présente, et par conséquent, d’établir son défaut de nouveauté s’il ne résulte pas des énonciations de la décision attaquée ou du dépôt de conclusions devant les juges d’appel3.

En l’espèce, il ne résulte pas de l’arrêt entrepris que Q) ait invoqué l’application de la responsabilité délictuelle des articles 1382 et 1383 du Code civil devant les juges du fond à l’appui de sa demande en garantie dirigée contre F), les conclusions d’appel de 2 Voir p.ex. Cass. 14 janvier 2021, numéro CAS-2020-00015 du registre.

3 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 82.101.

Q) n’ayant par ailleurs pas été versées en cause. Au contraire, il résulte de l’arrêt entrepris et notamment du passage suivant : « Q) fait valoir que Donges [i.e. D) GmbH] a en date du 30 juillet 2007 chargé F) de mettre en place des panneaux Trespa ;

l’existence de cette commande serait établie au vu des pièces. »4, que Q) s’est prévalue devant les juges du fond d’une relation contractuelle entre F) et D) GmbH qui, jusqu’à sa mise en faillite, faisait partie, ensemble avec Q), de l’association momentanée A) avec laquelle C) avait contracté.

Le moyen, qui est mélangé de fait et de droit, en ce qu’il comporte l’examen de l’existence d’une faute délictuelle ou quasi-délictuelle, d’un préjudice subi et d’un lien causal entre les deux, est partant à déclarer irrecevable pour être nouveau.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile pour défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel a dit non fondée la demande à être tenue quitte et indemne de Q) à l’encontre de F), au motif qu’ « (…) à défaut de la preuve d’un contrat existant entre l’A) et F), la demande principale de Q) d’être tenue quitte et indemne par F) de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre, n’est pas fondée » , alors qu’en décidant ainsi, sans avoir répondu aux conclusions de la demanderesse en cassation qui avait, en l’absence de spécification, basé sa demande en garantie à l’encontre de F) implicitement mais nécessairement sur la responsabilité contractuelle et, pour le cas où les juges seraient d’avis qu’il n’existerait aucun lien contractuel entre elle et F), implicitement mais nécessairement, par ordre de subsidiarité, sur la responsabilité délictuelle, la Cour d’appel a violé les textes susvisés. » Le grief tiré de la violation des dispositions légales reproduites au moyen vise le défaut de motivation, dont le défaut de réponse à conclusions constitue une expression, et qui est constitutif d’un vice de forme. Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation expresse ou implicite, fût-elle incomplète ou viciée, 4 Arrêt entrepris, page 19, avant-dernier alinéa.

sur le point considéré. Le défaut de motifs suppose donc l’absence de toute motivation sur le point considéré.5 Or, toutes les conclusions n’exigent pas réponse. Ainsi, conformément à l’article 586, alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile6, la Cour d’appel n’est tenue de répondre qu’à des prétentions et moyens formulés expressément7 dans les conclusions et il ne saurait partant lui être reproché de ne pas avoir répondu à une prétention ou un moyen formulés de manière implicite8.

Ainsi, faute pour Q) d’avoir fondé son appel en garantie expressément sur les articles 1382 et 1383 du Code civil relatif à la responsabilité délictuelle, la Cour d’appel n’a pas violé les dispositions légales reproduites au moyen en déclarant non fondée cette demande formulée à l’encontre de F), au motif que la preuve d’un contrat existant entre l’association momentanée A) et F) n’était pas rapportée. Par ce motif, elle a formellement justifié sa décision de dire l’appel en garantie non fondé.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 6, alinéa 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce que dans son arrêt du 1er juin 2021, la Cour d’appel a écarté du débat, sinon refusé de prendre en considération deux classeurs de pièces versées par Q) à l’appui de son nouveau décompte, au motif qu’ « il n’appartient ni à la Cour, ni aux parties de faire le tri dans ces pièces afin de retrouver une justification des demandes de Q) » , alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision par défaut de prise en considération de pièces produites au débat. » 5 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.31.

6 L’article 586, alinéa 1 du Nouveau code de procédure civile dispose que « les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée.

» 7 C’est nous qui soulignons.

8 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.161.

Comme relevé ci-avant en réponse au moyen précédent, le moyen tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 du Nouveau code de procédure civile vise le défaut de motivation au sens de l’absence totale de motifs9. Ce grief est constitutif d’un vice de forme10.

La demanderesse en cassation considère que le « défaut de prise en considération de pièces produites au débat » constitue un défaut de motifs. Or, si le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs, il n’en est pas de même du « défaut de prise en considération de pièces produites au débat ». Le rejet par le juge de pièces versées aux débats par une partie peut, le cas échéant, constituer une violation des dispositions légales relatives au principe du contradictoire et à la communication des pièces, lorsqu’il n’est pas ordonné pour un motif légitime. Constitue un motif légitime de rejet d’une pièce le défaut de communication de cette pièce en temps utile11 ou le cas de figure d’une pièce dont la production n’est pas légalement admissible12. Votre Cour a considéré dans ce contexte que violait le principe du contradictoire inscrit à l’article 65 du Nouveau code de procédure civile, le refus du juge de tenir compte de pièces supplémentaires versées aux débats contradictoires, au motif qu’elles n’avaient pas été communiquées à l’expert antérieurement au dépôt de son rapport d’expertise13. Par contre, le « défaut de prise en considération de pièces produites au débat » ne saurait être sanctionné au titre du défaut de motifs que pour autant que la décision du juge de rejeter les pièces considérées n’est pas motivée14. Or, en l’espèce, la demanderesse en cassation n’allègue pas que la décision de rejeter les pièces en question n’ait pas été motivée.

Il en suit que les dispositions légales visées au moyen sont étrangères au grief invoqué et que le moyen est, à ce titre, irrecevable.

A titre subsidiaire, l’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :

« C) reproche à Q) de verser plus de 600 pages de documentations sans aucune forme d’explication permettant de justifier le montant réclamé de 1.408.741,31 euros du chef de travaux supplémentaires.

9 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.31.

10 Cass. 29 janvier 2009, n° 2592 du registre.

11 Article 282 du Nouveau code de procédure civile.

12 p.ex. pour des raisons qui tiennent au secret professionnel ou à celui des affaires, au respect de la vie privée, de la loyauté, du secret de l’inscription ou encore au principe de proportionnalité : cf. Répertoire Dalloz de procédure civile, A. BOLZE, Communication de pièces, n°s 61 et 62.

13 Cass. 3 décembre 2020, n° CAS-2019-00175 du registre.

14 A rapprocher : Cass. 31 octobre 2019, numéro CAS-2018-00101 du registre.

Elle conclut ainsi à ce que ces pièces ne soient pas prises en considération pour établir le décompte entre parties.

Mise à part le fait que le nouveau décompte ne peut être pris en considération, la Cour doit examiner la demande de C) qui tend implicitement au rejet des deux classeurs d’annexes.

C) soulève à juste titre qu’il n’appartient ni à la Cour, ni aux parties de faire le tri dans ces pièces afin de retrouver une justification des demandes de Q).

Ces deux classeurs comprennent 360 feuilles libres (Ordner 1) et 291 feuilles libres (Ordner 2). Aucune pièce n’est agrafée. Il s’agit d’un mélange de schémas, photos, rapports internes, communications, écrits divers, courriers ou factures. Elles ne sont ni inventoriées, ni correctement identifiées alors que les intercalaires ne portent que l’indication « Anlage » suivi d’un numéro de 1 à 25. Finalement, il y a lieu de noter qu’elles ne comportent aucune explication ou référence dans les conclusions de Q) du 9 octobre 2020.

Au vu de ce qui précède et de l’impossibilité matérielle de la Cour de prendre en considération ce volumineux pêle-mêle de pièces, il y a lieu de faire droit à la demande de rejet de C). » Par ces motifs, la Cour d’appel a formellement motivé sa décision de rejeter les pièces en question, et n’a par conséquent pas violé les dispositions légales visées au moyen, peu importe par ailleurs la justesse de cette motivation.

Il en suit qu’à titre subsidiaire, le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Marc HARPES 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 98/22
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-06-30;98.22 ?

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