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07/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47295C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 07 juin 2022, 47295C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47295C ECLI:LU:CADM:2022:47295 Inscrit le 11 avril 2022

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Audience publique du 7 juin 2022 Appel formé par Monsieur (V), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022 (n° 44284 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47295C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative

le 11 avril 2022 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47295C ECLI:LU:CADM:2022:47295 Inscrit le 11 avril 2022

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Audience publique du 7 juin 2022 Appel formé par Monsieur (V), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022 (n° 44284 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47295C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2022 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (V) né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 9 mars 2022 (n° 44284 du rôle) l’ayant débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 février 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mai 2022 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 31 mai 2022.

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Le 3 décembre 2018, Monsieur (V) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1Les déclarations de Monsieur (V) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 12 et 13 juin 2019, Monsieur (V) fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 17 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (V) en la déclarant non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est formulée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 3 décembre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-

après dénommée « la Loi de 2015 »).

Avant tout progrès en cause, notons que vous avez essayé de vous procurer un visa « Schengen » à cinq reprises, mais que votre demande a toujours été refusée. En effet, vous avez introduit les demandes suivantes:

-

Une première demande de visa le 30 avril 2014, avec comme but « business », auprès des autorités belges à … au Bénin, -

Une deuxième demande de visa le 19 juin 2014, avec comme but « business », auprès des autorités belges à … au Bénin, -

Une troisième demande de visa le 22 octobre 2014, motivée par « visiting family or friends » auprès des autorités belges, représentées par les autorités françaises à … au Togo, -

Une quatrième demande de visa le 24 mars 2016, motivée par « visiting family or friends » auprès des autorités françaises à … au Togo, -

Une cinquième demande de visa le 5 août 2016, avec comme but « business », auprès des autorités italiennes à … au Ghana.

Vous êtes finalement entré dans l’espace Schengen muni d’un visa court séjour établi le 15 mars 2018 par les autorités luxembourgeoises, représentées par les autorités néerlandaises au Bénin. Votre motivation pour la demande de visa a été le mariage de votre frère au Luxembourg.

Vous avez introduit une première demande de protection internationale en France en date du 23 mai 2018 qui a été rejetée sur base des dispositions du Règlement Dublin III. Le Luxembourg s’est déclaré responsable de l’examen de votre demande de protection internationale.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

21.

Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 3 décembre 2018 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 et 13 juin 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous auriez vécu avec votre femme et vos enfants à …. au Togo avant de déménager à …., « à 15-20 min. de voiture de …. » (p.2/14 du rapport d’entretien) jusqu’à votre départ de votre pays d’origine. Vous auriez tenu un petit commerce de matériel informatique et bureaucratique.

En ce qui concerne les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d’origine car « le 8 septembre 2017, je me suis fait tabasser dans mon domicile par les miliciens du Gouvernement pour avoir participé aux manifestations par l’opposition » (p.6/14 du rapport d’entretien). Après un court séjour à l’hôpital, vous seriez retourné à la maison le 16 septembre 2017. Quatre jours plus tard, la milice vous aurait une fois de plus recherché chez vous à la maison pour vous « enlever par force » (p.6/14 du rapport d’entretien), mais « par chance l’organisation (H) [Rem.: …] est intervenue » (p.6/14 du rapport d’entretien). Vous vous seriez caché pendant sept mois à …., une banlieue de …., avant de quitter votre pays d’origine.

Vous indiquez qu’en date du 23 avril 2018 vous auriez pris l’avion à …. en direction de France via …. en Ethiopie.

Vous présentez les documents suivants:

-

Une carte d’identité togolaise, -

Votre attestation de demande d’asile en France et des lettres de la Direction de la Citoyenneté et de l’Action Locale de la préfecture de … y relatives, -

Une copie de votre passeport, -

Une copie d’une attestation de votre vécu de l’organisation « (L) ».

2.

Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

● Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.

En effet, vous déclarez avoir introduit vos cinq demandes de visa refusées auprès des autorités belges, françaises et italiennes au Togo, Bénin et Ghana et ce soit pour effectuer un voyage d’affaires en Europe soit pour visiter la famille ou des amis. En ce qui concerne votre visa accordé par les autorités luxembourgeoises, représentées par les autorités néerlandaises au Ghana, votre motif pour avoir demandé le visa a été le mariage de votre frère.

Par conséquent, nous sommes d’avis que le motif principal de votre départ du Togo était d’ordre purement personnel ou économique et non pas pour fuir une prétendue 3persécution de la part du gouvernement pour avoir participé à des manifestations, comme vous le prétendez aujourd’hui. En effet il est clair que vous avez entamé les démarches pour obtenir un visa Schengen depuis 2014, donc depuis environ six années. Il est dans ce contexte surprenant que votre participation à des manifestations aurait engendré les problèmes dont vous faites état en même temps que l’octroi du visa Schengen en mars 2018. Notons que vous auriez déjà participé à de telles manifestations depuis 2010, et ce sans rencontrer le moindre problème. Cela montre de manière indubitable que vous avez inventé cette histoire de toutes pièces pour paraître plus crédible lors de votre demande de protection internationale, respectivement pour justifier votre demande de protection internationale.

De plus, votre frère indique clairement dans sa lettre d’invitation et attestation de prise en charge sur l’honneur que « Mr. (V) et moi-même prenons l’engagement de réaliser ce projet de voyage dans la régularité et dans le respect des contraintes du visa court séjour », ce qui montre clairement que vous n’avez réellement aucune crainte de persécution dans votre pays d’origine, comme vous avez apparemment planifié de faire l’aller-retour entre le Togo et l’Europe.

De plus Monsieur, vous indiquez avoir quitté le Togo parce que des « miliciens du Gouvernement » (p.6/14 du rapport d’entretien) vous auraient tabassé et cassé votre bras pour avoir participé à des manifestations de l’opposition le 8 septembre 2017.

Or, il convient de retenir que vous ignorez qui étaient les auteurs de ces faits et que vous n’avancez aucun élément concret permettant d’établir qu’il s’agissait effectivement des miliciens du gouvernement togolais. Ainsi, vous déclarez d’abord qu’il se serait agi des « miliciens du Gouvernement » (p.6/14 du rapport d’entretien). Plus tard lors de votre entretien, vous ne semblez plus savoir de quel groupe il s’agit, alors que vous relevez, après réflexion, que « Je ne peux pas les identifier, ils sont en tenue civile » (p.7/14 du rapport d’entretien), pour expliquer encore plus tard que « Ce sont des gens du Gouvernement » ou encore « Je pense qu’ils sont du Gouvernement parce que comme eux il y a des gens qui sont en tenue de militaire en bas et bigarré en haut » (p.8/14 du rapport d’entretien). Vous vous mélangez manifestement les pinceaux et ce parce que votre récit est clairement inventé. Face aux questions posées par l’agent du ministère, vous vous contredisez de manière flagrante et puisque votre récit est inventé, vous avez visiblement du mal à improviser.

Ajoutons à cela que vous n’êtes pas à même de présenter un quelconque rapport médical de votre séjour à l’hôpital ou d’une autre preuve de vos dires. Vous restez en défaut d’apporter des documents qui établiraient un lien entre vos blessures et votre prétendu vécu.

Cependant, vous avez apparemment aucune preuve de vos dires sauf une photocopie d’une attestation de l’organisation « (L) », dont l’authenticité ne peut être vérifiée.

Concernant vos dires que le dénommé (W), membre de l’association (H), vous aurait beaucoup aidé lorsque vous vous seriez trouvé dans l’hôpital et aussi lorsque les milices auraient voulu vous emmener, il convient de noter qu’ils sont manifestement faux. En effet, il ressort de nos recherches qu’un certain (W) est président et infirmier dans (Z), et non pas de l’(H) comme vous l’évoquez.

Il s’agit en l’occurrence d’incohérences flagrants (sic). Or, un demandeur de protection internationale ne saurait se tromper sur l’identité des prétendus agresseurs et du sauveur, des personnes qui auraient marqué sa vie d’une façon aussi marquante et qui de surcroît auraient été le point de départ de tous ses problèmes.

4 Dès lors, force est de constater que ces incohérences laissent planer des doutes quant à votre motif de fuite invoqué.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Quand bien même votre récit serait crédible, il s’avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

● Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, notons que les faits dont vous faites état ayant trait à votre activisme politique, notamment votre participation à des manifestations, pourraient a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Or, ils ne revêtent manifestement pas un degré de gravité tels qu’ils puissent être assimilés à une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève. En effet, vous déclarez ne jamais avoir été un membre d’un parti politique ou un politicien : « je ne suis qu’un simple citoyen, je ne suis pas politicien » (p.7/14 du rapport d’entretien) et il résulte de vos déclarations que vous auriez participé à une dizaine de manifestations depuis 2010 sans que rien de grave ne vous serait arrivé. Cet incident isolé n’est dès lors pas suffisamment grave pour qu’on puisse retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

5A cela s’ajoute que vous vous seriez caché pendant sept mois à …., une banlieue de ….

avant de quitter votre pays d’origine et d’introduire une demande en obtention d’un visa pour « visiting family and friends » au Bénin. Par la suite, vous seriez retourné au Togo pour prendre l’avion à …. en direction de la France.

Il ressort de manière claire et sans équivoque que vous n’avez premièrement donc pas jugé primordial de quitter votre pays d’origine le plus vite possible, mais vous avez préféré rester à …. pendant sept mois. Deuxièmement, après être parti au Bénin afin de lancer cette procédure en obtention d’un visa, vous seriez de nouveau retourné au Togo avant de quitter votre pays d’origine. Or un retour dans votre pays d’origine n’est pas compatible avec une crainte de persécution éventuelle.

A cela s’ajoute que vous avez volontairement laissé votre famille au Togo, un comportement qui n’est manifestement pas celui d’une personne persécutée. Ceci montre clairement que votre la gravité de votre situation n’est manifestement pas celle que vous tentez de la dépeindre au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

● Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé. (…) ».

6Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2020, Monsieur (V) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 17 février 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire.

Par un jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2022, Monsieur (V) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, il soutient en substance avoir été contraint de quitter son pays d’origine, le Togo, par crainte d’être persécuté par les autorités togolaises. Le 8 septembre 2017, il aurait été agressé à son domicile par des miliciens du régime au pouvoir en raison de sa participation à des manifestations organisées par l’opposition. Il aurait eu le bras cassé et aurait été hospitalisé. Le 20 septembre 2017, il aurait été victime d’une tentative d’enlèvement par les mêmes miliciens, laquelle aurait pu être évitée de justesse, alors qu’à ce moment, des membres de l’organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme « (H) … » se seraient trouvés à ses côtés. Il aurait réussi à s’enfuir et se serait réfugié avec sa famille en dehors de la ville de ….. Sept mois plus tard, il aurait finalement quitté le Togo, alors qu’il y aurait toujours risqué de faire l’objet de persécutions de la part « des hommes au pouvoir ».

En droit, l’appelant reproche aux premiers juges d’avoir partagé les doutes du ministre quant à la crédibilité de son récit. Il estime que les différentes demandes de visa qu’il aurait introduites avant les faits ayant déclenché son départ du Togo ne pourraient pas lui être reprochées, alors qu’elles seraient étrangères au motif de sa fuite. De même, le fait d’être encore resté durant 7 mois dans son pays d’origine pour les besoins de son visa ne pourrait pas être utilisé contre lui, puisqu’il aurait nécessité ce temps pour organiser son départ. La lettre intitulée « Lettre d’invitation et attestation de prise en charge sur l’honneur » établie par son frère constituerait un simple moyen pour lui permettre d’obtenir un visa et quitter le Togo. Par rapport au reproche d’être resté vague dans ses déclarations, il estime avoir été aussi exhaustif que possible et d’avoir étayé son récit. Il aurait alors appartenu au ministre sinon aux premiers juges de demander une audition complémentaire pour des précisions éventuelles. Il critique ensuite les premiers juges pour avoir écarté l’attestation de l’organisation « (L) » pour défaut de pertinence et d’avoir fait une appréciation en sa défaveur des recherches effectuées par le ministre sur le dénommé (W) qui l’aurait aidé dans sa fuite. Il conclut que son récit serait parfaitement crédible et qu’il risquerait toujours d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine, dès lors que les mêmes agents qui auraient tenté de s’en prendre à lui seraient toujours au pouvoir au Togo.

Sur ce, il sollicite la reconnaissance du statut de réfugié ou, à défaut, l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain 7groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que l’appelant n’a pas fait état de manière crédible qu’il aurait des craintes fondées de persécution ou qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

L’appelant se prévaut en substance de sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part de miliciens au pouvoir dans son pays d’origine pour avoir participé à des manifestations de l’opposition.

A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à retenir que le récit de l’appelant est sujet à des doutes et que les explications et justifications fournies par l’appelant pour tenter de rétablir la crédibilité de son récit ne suffisent pas à établir la réalité des faits allégués.

8Ainsi, il n’est pas contesté qu’avant son arrivée au Luxembourg, entre 2014 et 2016 l’appelant a tenté, à cinq reprises et sans succès, d’obtenir un visa pour l’espace Schengen. Il s’est ainsi successivement adressé aux autorités belges au Bénin, aux autorités françaises au Togo et puis aux autorités italiennes au Ghana, en invoquant tantôt des motifs professionnels, tantôt des motifs personnels. Si l’appelant avance en instance d’appel que ces différentes démarches n’auraient rien à avoir avec les événements ayant finalement déclenché son départ du Togo, il n’en demeure pas moins que ces démarches démontrent dans son chef une volonté certaine de venir en Europe.

Quant au fait d’être resté encore durant sept mois au Togo après la prétendue agression, si l’appelant tente de le justifier en expliquant que cette période lui aurait été nécessaire pour organiser son départ, il convient toutefois de relever que l’appelant a quitté le Togo une première fois pour se rendre au Bénin afin d’y introduire une demande de visa, cette fois auprès des autorités néerlandaises, et qu’il est ensuite retourné au Togo où il a pu prendre sans encombres l’avion à …. pour rejoindre …. La Cour rejoint ainsi les premiers juges en leur conclusion que ce comportement est incompatible avec une personne qui se dit persécutée, alors qu’il est pour le moins incohérent pour une personne réellement persécutée de retourner volontairement dans son pays après s’être rendue dans un pays tiers dans lequel elle était a priori en sécurité.

S’agissant du document que le frère de l’appelant lui aurait fourni en vue de l’obtention d’un visa, à savoir une « Lettre d’invitation et attestation de prise en charge sur l’honneur », établie en date du 12 janvier 2018, dans lequel ce dernier précise vouloir accueillir son frère « pour le compte des célébrations de [s]on mariage prévu pour le … » et ce afin que ce dernier puisse être son témoin, l’explication fournie par l’appelant en appel qu’il se serait agi d’un simple prétexte pour parvenir à l’obtention d’un visa afin de pouvoir quitter le Togo, n’est pas de nature à convaincre la Cour, compte tenu du caractère vague et contradictoire des déclarations de l’appelant en ce qui concerne les raisons à la base de sa prétendue agression et l’identité des auteurs de cette agression.

Ainsi, il a déclaré avoir été agressé à la suite de sa participation à une manifestation organisée pour « le retour à la Constitution originaire de 1992 », sans vraiment connaître l’identité de ses agresseurs qu’il suppose être des miliciens, alors qu’il a également expliqué avoir participé à ce genre de manifestations depuis 2010.

Quant à l’attestation de l’organisation « (L) » du 15 janvier 2019, censée confirmer l’agression dont se prévaut l’appelant, la Cour, à l’instar des premiers juges, considère que cette pièce, produite en simple copie qui ne garantit pas son authenticité, ne revêt qu’une force probante limitée, qui est insuffisante pour que ce document rétablisse la crédibilité de son récit.

Enfin, il convient encore de relever que l’appelant a indiqué que le dénommé (W) qui, d’après lui, serait membre de l’(H) et l’aurait aidé lorsqu’il se serait trouvé à l’hôpital, est, d’après les recherches ministérielles, en réalité président et infirmier dans (Z), ce qui est encore de nature à jeter le discrédit sur le récit de l’appelant.

Au vu de tous ces éléments, la Cour arrive à la conclusion que l’appelant ne développe aucune argumentation pertinente et convaincante de nature à rétablir la crédibilité de son récit et le bien-fondé des craintes qu’il allègue.

9Il découle de ce qui précède que l’appelant n’a pas fait état de manière crédible qu’il a des raisons fondées de craindre d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine ou qu’il court un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015 par rapport aux faits allégués.

Enfin, la Cour constate que l’appelant ne prétend pas que la situation qui prévaut actuellement au Togo correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. Par ailleurs, ni les déclarations de l’appelant ni les pièces du dossier administratif ne permettent de conclure à l’existence d’une telle situation.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et que le jugement est à confirmer sous ce rapport.

L’appelant sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de la protection internationale, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Dans la mesure où le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 9 mars 2022 ;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

10 Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 juin 2022 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47295C
Date de la décision : 07/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-06-07;47295c ?

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