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31/05/2022 | LUXEMBOURG | N°47212C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 31 mai 2022, 47212C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47212C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47212 Inscrit le 22 mars 2022 Audience publique du 31 mai 2022 Appel formé par Madame (J), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022 (n° 44883 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47212C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 22 mars 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (J), née le … à … (Iran), de

nationalité iranienne, demeurant à L-… …, …., …, dirigée contre le juge...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 47212C du rôle ECLI:LU:CADM:2022:47212 Inscrit le 22 mars 2022 Audience publique du 31 mai 2022 Appel formé par Madame (J), …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022 (n° 44883 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 47212C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 22 mars 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (J), née le … à … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant à L-… …, …., …, dirigée contre le jugement rendu le 9 mars 2022 (n° 44883 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries à l’audience publique du 17 mai 2022.

Le 25 juin 2019, Madame (J) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

1Les déclarations de Madame (J) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, du même jour.

En date des 28 novembre 2019 et 19 février 2020, Madame (J) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 23 juillet 2020, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », résuma les déclarations de Madame (J) auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« (…) 1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 juin 2019 et le rapport d’entretien complémentaire de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 novembre 2019 et du 19 février 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il ressort du rapport de Police Judiciaire que votre demande de visa pour l’Italie a été refusée le 28 novembre 2018, tout comme votre demande de visa pour la France, refusée le 11 décembre 2018 ; des demandes que vous auriez introduites avec votre mère qui aurait également voulu quitter l’Iran. Vous auriez quitté l’Iran en avril 2019 en direction de la Turquie, où le passeur aurait pris votre passeport iranien et où vous seriez ensuite montée à bord d’un avion pour la Belgique moyennant un passeport espagnol que le passeur aurait gardé après votre arrivée. Vous seriez ensuite venue au Luxembourg à bord d’une voiture. Vous auriez quitté l’Iran parce que vous auriez été violée par votre beau-père et que votre mère ne pourrait pas demander le divorce.

Il résulte de vos déclarations auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que vous seriez originaire de Téhéran, où vous auriez vécu avec votre mère et votre beau-père et fait des études en architecture.

Vous expliquez que vos parents auraient divorcé lorsque vous auriez été âgée de deux ans et que vous auriez vécu seule avec votre mère jusqu’à vos dix-sept ans. En 2018, la société employant votre mère l’aurait envoyée en Syrie pour une « mission de travail » et elle y aurait rencontré un dénommé (M), qui se serait présenté comme architecte. Il aurait par la suite souvent rendu visite à votre mère en Iran et aurait fini par demander sa main.

Après leur mariage le … (…) et votre déménagement dans le quartier de …. dans la maison qu’il aurait achetée, votre mère aurait découvert qu’en fait, (M) serait un haut placé de l’armée du ….. Dès votre déménagement son comportement aurait changé et il aurait fait des gestes déplacés envers vous. Vous vous seriez par la suite confiée à votre mère qui aurait fini par vous croire mais qui aurait aussi voulu sauver son mariage.

2Un soir, en l’absence de votre mère, (M) aurait voulu vous forcer à avoir des relations sexuelles avec lui, mais à ce moment, quelqu’un aurait sonné à la porte et il aurait été « obligé » de vous lâcher. Vous vous seriez alors enfermée dans votre chambre en écrivant à votre mère qu’elle devrait rentrer d’urgence. A son arrivée, elle se serait disputée avec votre beau-père qui aurait tout nié. Votre mère vous aurait par la suite amenée chez un psychiatre qui lui aurait expliqué que vous vous trouveriez dans une situation dangereuse et que son époux serait un « pédophile (…), qu’il n’y a aucun doute là-dessus ». Votre mère aurait par la suite voulu divorcer de cet homme, mais comme il n’aurait pas accepté, elle n’aurait pas eu le droit. Par la suite (M) serait parti en mission pendant deux mois et à son retour en … (…), il serait rentré à la maison et serait devenu « complètement normal », tout en vous interdisant de parler dudit incident ou de dormir chez des invités. Vous précisez qu’après son retour, il serait uniquement passé à la maison les weekends et que vous seriez alors partie chez vos grands-parents pour ne plus lui donner l’occasion d’à nouveau vous agresser. Une phrase plus tard, vous précisez toutefois qu’il ne vous aurait jamais permise d’aller seule chez vos grands-parents et qu’il aurait recommencé à vous toucher et à vous prendre dans les bras. Vous ajoutez que votre mère aurait étudié les lois du Sharia et du pays pour trouver une solution mais qu’elle n’aurait rien trouvé. De même, vous dites qu’un avocat vous aurait fait comprendre qu’il s’agirait « d’attitudes paternelles » et qu’aucun avocat, voire « personne », n’aurait voulu vous croire.

En … (…), votre père, qui travaillerait pour le Hezbollah au Liban et avec lequel vous n’auriez plus été en contact depuis huit ans, vous aurait téléphoné, selon vous, parce que votre mère l’aurait appelé pour lui demander conseil. Il aurait alors trouvé la « bonne solution » que vous le rejoigniez au Liban pour marier un membre du Hezbollah et être « tranquille de cette façon ». Vous auriez refusé cette « offre », mais votre père aurait par la suite insisté auprès de votre mère.

Un autre soir en l’absence de votre mère (M) serait rentré à l’improviste et aurait immédiatement profité de la situation pour vous jeter sur le lit et vous agresser sexuellement. Vous vous seriez débattue en le frappant, mais il vous aurait frappée tellement fort que vous n’auriez plus réussi à parler. Lorsqu’il aurait commencé à vous déshabiller, votre mère serait rentrée et aurait commencé à crier. (M) aurait alors eu peur de perdre la face devant ses voisins et aurait immédiatement quitté la maison. Le lendemain vous seriez allée porter plainte à la police qui vous aurait envoyée chez un légiste pour avoir une attestation et il aurait été prévu que vous consulteriez un médecin le lendemain. Or, à votre retour à la maison, (M) aurait été présent et au courant de votre plainte contre lui. Le lendemain, en vous adressant de nouveau à la police, on vous aurait signalé qu’il n’existerait « aucun dossier » concernant votre plainte et vous auriez alors compris que votre beau-père aurait fait disparaître votre plainte, vu son poste et son pouvoir. En plus, la loi islamique exigerait trois témoins adultes pour enregistrer une plainte de viol. (M) vous aurait ensuite menacée de mort si vous quittiez la maison en plaçant régulièrement son revolver sur la table pour vous intimider. Vous précisez dans ce contexte que les gens du « SEPAH » seraient puissants et qu’ils pourraient agir en toute impunité. Vous auriez donc eu trop peur de continuer avec vos démarches, bien que les attouchements auraient continué et qu’il vous aurait expliqué que vous seriez comme sa concubine. Vous seriez par la suite tombée en dépression et auriez dû consulter un médecin.

3Vous ajoutez que vous et votre mère auriez par la suite découvert que votre père connaîtrait votre beau-père et que le mariage entre votre mère et (M) aurait en fait été un « plan » orchestré dans le but de vous échapper de la maison suite à ces harcèlements et de gagner le Liban pour vous y marier à un membre inconnu du Hezbollah.

Les deux derniers mois avant votre départ, (M) aurait continué à pratiquer des attouchements sur vous et à vous embrasser. Votre mère aurait alors tout entrepris pour vous faire sortir toutes les deux du pays, mais la situation aurait été « très mauvaise » pour elle, alors qu’elle devrait se soumettre à son époux et en même temps essayer de le « calmer » pour qu’il ne porte pas plainte contre elle pour avoir manqué à ses obligations lui revenant en vertu de la loi « tamkin ».

Le 19 février 2020, vous avez été convoquée à un entretien complémentaire, alors que vous étiez arrivée seule au Luxembourg à un très jeune âge, qu’entre-temps vous êtes majeure et que la Direction de l’Immigration a eu besoin de plus amples informations quant à votre personne et votre famille.

Il en ressort que vous auriez bien un compte « facebook » mais que vous ne vous en souviendriez pas, une réponse que vous avancez après avoir rigolé de la question de l’agent en charge de votre entretien concernant les comptes éventuels sur les réseaux sociaux et lui avoir demandé « Pourquoi dois-je vous le dire ? » (p.3 du rapport complémentaire). Vous n’auriez par ailleurs aucune idée où se trouverait votre père actuellement, alors que vous ne lui parleriez pas, tout comme votre mère, qui aurait rompu les contacts « après tous les évènements qu’il y a eus » (p.5 du rapport d’entretien complémentaire).

Vous ne présentez pas de documents d’identité et ne versez pas non plus un quelconque autre document à l’appui de vos dires, à part un certificat de naissance et la copie d’un livret de famille indiquant que le passeport de votre père aurait été établi au Ministère des Affaires étrangères à Bagdad, une information que vous n’êtes pas en mesure d’expliquer.

A noter que vous prétendez en plus d’un côté que le passeur aurait pris votre passeport en Turquie (rapport de Police Judiciaire) et de l’autre côté que vous auriez « tout » laissé en Iran en parlant de vos documents d’identité (p.2 du rapport d’entretien) (…). ».

A travers cette décision, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Madame (J) comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 en mettant, d’une part, en doute la crédibilité de son récit, et d’autre part, en retenant que les conditions d’une protection internationale ne seraient pas remplies, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020, Madame (J) fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 23 juillet 2020.

Par jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en la condamnant aux frais de l’instance.

4Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 22 mars 2022, Madame (J) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 9 mars 2022.

Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelante réitère en substance l’exposé de son vécu tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et elle soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

Ainsi, elle réexpose être originaire de Téhéran en Iran, que sa mère se serait remariée le … septembre 2018 et que son beau-père se serait livré à des agressions sexuelles quotidiennes et à des tentatives de viol à son encontre lorsque sa mère aurait été absente du foyer. Elle aurait tenté en vain, ensemble avec sa mère, de quitter l’Iran en sollicitant des visas pour la France et l’Italie.

Par la suite, elle aurait contacté son père biologique vivant au Liban qui lui aurait proposé de « l’offrir en mariage à un membre du Hezbollah » ayant une vingtaine d’années de plus qu’elle, proposition qu’elle aurait refusée. De même, elle aurait appris que le mariage entre sa mère et son beau-père, ainsi que les attouchements sexuels à son égard, n’auraient été qu’une manigance de la part de son père biologique pour la forcer à accepter la proposition de mariage au Liban. Comme cette situation aurait gravement mis en danger sa santé physique et mentale, il aurait été impératif qu’elle quitte son pays d’origine pour venir se réfugier au Luxembourg.

Sur ce, l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir partagé les doutes de l'autorité ministérielle quant à la véracité de son récit, estimant que le bénéfice du doute doit lui bénéficier quant à la crédibilité de ses déclarations, par application de l'article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, et que partant ses déclarations et explications soient retenues comme suffisantes, surtout eu égard au constat qu’elle était encore mineure au moment des prétendues agressions à son égard de la part de son beau-père et au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale.

En effet, son jeune âge devrait lui permettre de profiter d’une interprétation large du principe du bénéfice du doute, ce d’autant plus qu’elle aurait été victime d’une situation traumatisante et qu’elle aurait laissé sa mère en danger dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, l’appelante insiste encore sur son état de santé mentale en renvoyant à un certificat médical daté au 31 janvier 2022 du Dr (K), expert en psychologie de l’enfant, lui attestant un trouble stress post-traumatique, tout en concluant à une violation de l’article 10, paragraphes (3) et (4), de la loi du 18 décembre 2015 au motif que la décision ministérielle prise à son encontre n’aurait pas fait l’objet d’un examen approprié à défaut de prise en considération des informations actualisées du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

L’appelante insiste encore sur la situation réservée en général aux femmes actuellement en Iran, tout en invoquant la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011, et approuvée par une loi du 20 juillet 2018. Elle relève dans ce contexte que l’exercice de la pluralité des « droits essentiels » serait respectivement interdit ou limité aux femmes en Iran « selon le bon vouloir d’un homme ».

5Elle estime encore qu’elle peut être soumise, en cas de retour en Iran, à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), de même qu’elle est privée d’un procès équitable et d’un recours effectif au regard des articles 6 et 13 de la CEDH.

Or, la véracité de son récit une fois admise, il conviendrait de lui reconnaître une protection internationale en raison de la nature et de la gravité des faits subis par elle.

Le jugement a quo serait partant à réformer et le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire, devrait lui être accordé et l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois devrait à son tour être rapporté.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Le moyen d’annulation préalable de la décision ministérielle entreprise pour violation de l’article 10, paragraphes (3) et (4), de la loi du 18 décembre 2015 laisse d’être fondé.

En effet, si lesdites dispositions exigent que les demandes de protection internationales soient prises à l’issue d’un examen approprié sur base d’informations précises et actualisées, rien n’interdit que le ministre, et par la suite les juridictions saisies, retiennent que le récit présenté par un demandeur de protection internationale n’est pas crédible dans son ensemble et que la demande de protection internationale est à rejeter pour défaut de crédibilité, le ministre étant dans ce contexte bien évidemment également appelé à se prononcer sur la réalité et la sincérité des déclarations du demandeur d’une mesure de protection internationale.

Partant, la procédure d’instruction de la demande de protection internationale sous rubrique n’encourt pas de reproche justifiant son annulation, l’examen de la crédibilité des déclarations de l’appelante relevant du fond du litige examiné ci-après.

Ceci étant dit, au fond, il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la 6protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite point à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que la crédibilité générale du récit de Madame (J) est fondamentalement affectée par un certain nombre d’incohérences et de contradictions patentes.

La Cour ne saurait par ailleurs point suivre l’appelante en ce qu’elle estime que ses explications données en instance d’appel renversent ce constat.

En effet, à l’instar des premiers juges, la Cour tient à relever les contradictions de l’appelante au sujet de la question de savoir si elle disposait de papiers d’identité, prétextant à un premier stade devant l’agent de la direction de l’Immigration que tous ses papiers seraient restés en Iran pour soutenir par la suite qu’un passeur lui aurait enlevé son passeport une fois arrivée en Turquie et lui aurait procuré un faux passeport espagnol afin de continuer son voyage à destination de Bruxelles.

Pour le surplus, les déclarations de Madame (J) que sa mère ne pourrait pas lui envoyer des documents pour confirmer la réalité de son vécu et de ses dires ne paraissent pas convaincantes, étant relevé sur ce point qu’elle a déclaré elle-même que sa mère lui avait envoyé son acte de naissance par la poste.

7L’appelante n’a pas non plus réussi, en instance d’appel, à clarifier les contradictions relevées dans le cadre de la décision ministérielle et par les premiers juges au sujet du comportement de son beau-père, élément-clé de son vécu, à savoir sa première version consistant dans l’affirmation que son beau-père serait redevenu « normal » en lui interdisant toutefois de se rendre chez d’autres personnes, une deuxième version consistant dans l’affirmation qu’il ne se serait trouvé que les weekends au domicile familial et qu’elle se serait rendue chez ses grands-parents dès sa venue, et une troisième version consistant, quant à elle, dans l’affirmation que le concerné lui aurait interdit d’aller chez ses grands-parents et aurait recommencé les attouchements.

De même, la Cour partage encore l’appréciation des premiers juges au sujet des incohérences du récit de Madame (J) concernant les circonstances dans lesquelles elle et sa mère auraient découvert que son père serait membre du Hezbollah, l’appelante ayant d’abord déclaré que celui-ci lui aurait avoué cette appartenance lors d’un entretien téléphonique, pour affirmer par après que ce serait son oncle paternel, respectivement son beau-père même qui leur auraient révélé l’appartenance de son père au Hezbollah, voire même son grand-père paternel, incohérences pour lesquelles celle-ci reste en défaut de donner une quelconque explication valable, si ce n’est d’insister sur le fait que ses parents se seraient séparés quand elle avait deux ans.

La Cour partage ensuite les doutes de la partie étatique selon lesquels il n’est guère plausible que son père aurait, à partir du Liban, organisé la rencontre et le mariage de son ex-épouse avec le beau-père de l’appelante et aurait demandé à ce dernier de la harceler et de l’importuner dans le seul but qu’elle quitte le domicile familial et qu’elle se réfugie au Liban et y épouse un membre du Hezbollah.

Finalement, le certificat psychologique du Dr (K), daté au 31 janvier 2022 et déposé par le mandataire de l’appelante à l’audience des plaidoiries du 17 mai 2022, n’est pas non plus de nature à dissiper les doutes quant à la crédibilité du récit de Madame (J). En effet, dans ledit certificat, il est insinué pour la première fois que l’appelante aurait été la victime d’une agression sexuelle et de maintes agressions physiques dans l’enceinte familiale également à l’initiative de son père, affirmation qui est cependant en contradiction flagrante avec les déclarations précédentes d’après lesquelles les parents de l’appelante se seraient séparés quand elle avait deux ans et que son père serait allé vivre au Liban.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le récit du vécu de l’appelante n’a pas été considéré comme étant crédible et, de la sorte, qu’il ne saurait suffire pour justifier l’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport, sans qu’il n’y ait lieu de faire droit à la mesure d’instruction sollicitée par l’appelante au dispositif de sa requête d’appel.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelante le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire 8par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 22 mars 2022 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 9 mars 2022 ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s.… s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2022 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47212C
Date de la décision : 31/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2022-05-31;47212c ?

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