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23/12/2021 | LUXEMBOURG | N°45696C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 23 décembre 2021, 45696C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45696C ECLI:LU:CADM:2021:45696 Inscrit le 24 février 2021

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Audience publique du 23 décembre 2021 Appel formé par la société anonyme (CD), …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 janvier 2021 (n° 42435 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45696...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45696C ECLI:LU:CADM:2021:45696 Inscrit le 24 février 2021

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Audience publique du 23 décembre 2021 Appel formé par la société anonyme (CD), …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 janvier 2021 (n° 42435 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45696C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 24 février 2021 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS SCS, établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, inscrite à la liste V du tableau de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, la société à responsabilité limitée BSP SARL, établie et ayant son siège social L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par son gérant, Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de la société anonyme (CD), immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 13 janvier 2021 (n° 42435 du rôle), par lequel ledit tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation dirigé contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 29 novembre 2018, référencée sous le numéro de rôle C …, portant rejet de sa réclamation introduite le 2 novembre 2018 à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013 à 2016, tous émis le 1er août 2018, au fond, déclara ce recours non justifié, dit qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse et condamna cette dernière aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2021 ;

Vu les courriers électroniques des 26 mars et 1er avril 2021 de Maître Pol MELLINA, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, ainsi que les courriers électroniques des 31 mars, 1er avril et 2 avril 2021 concernant le caractère complet du dossier fiscal déposé par la partie étatique ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 avril 2021 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, représentée par Maître Alain STEICHEN, pour compte de la société anonyme (CD) ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 25 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pol MELLINA, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2021 ;

Vu l’avis de rupture du délibéré du 29 juin 2021 par lequel la Cour administrative demanda à l’Etat de déposer au greffe le dossier pénal comportant tous les échanges de l’administration des Contributions directes avec le Parquet de Luxembourg dans le contexte d’une coopération judiciaire fondée sur le § 189 de l’Abgabenordnung suite à une déclaration de soupçon de blanchiment visant l’appelante, l’invita à indiquer à la Cour quels documents ou renseignements contenus dans ce dossier seraient susceptibles de tomber dans le champ du secret de l’instruction et indiqua qu’elle communiquerait au mandataire de l’appelante les éléments dudit dossier ne tombant pas, selon elle, dans le champ du secret de l’instruction, avec invitation d’y prendre position à travers un mémoire supplémentaire ;

Vu le courrier du 2 juillet 2021 et le courrier électronique du 6 juillet 2021 de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER, ainsi que les pièces déposées par la partie étatique le 6 juillet 2021 ;

Vu l’avis du 14 juillet 2021 par lequel la Cour administrative informa les parties que sur base d’un courrier du 5 juillet 2021 de Monsieur le Substitut Principal … et de sa propre inspection du dossier pénal, ledit dossier pouvait être communiqué en son intégralité au mandataire de l’appelante, invita la partie appelante à déposer un mémoire supplémentaire au plus tard pour le 30 août 2021 et invita la partie étatique à prendre position par rapport au mémoire supplémentaire de la partie appelante au plus tard pour le 30 septembre 2021 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 30 août 2021 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, représentée par Maître Alain STEICHEN, pour compte de la société anonyme (CD) ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 30 septembre 2021 ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pol MELLINA, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 octobre 2021.

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A la suite du dépôt, les 4 mai 2015, 4 mai 2016, 2 juin 2017 et 27 février 2018 par la société anonyme (CD), ci-après désignée par la « société (CD) », de ses déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013 à 2016, le bureau d’imposition Sociétés 2 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », lui fit parvenir, par courrier du 4 juillet 2018, en application du § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », ci-après « AO », des projets d’imposition pour les années 2013 à 2016.

Ceux-ci indiquèrent que « [s]uite aux informations reçues en application du §189 A.O. et eu égard aux pièces communiquées à l’occasion de la procédure d’investigation fiscale menée en relation avec les assiettes définitives I.R.C./I.C.C. 2013-2016, la déduction fiscale des amortissements annuels 2013-2016 des immobilisations immatérielles cédées par la société apparentée (EF) (domiciliée aux British Virgin Islands) est refusée en vue de l’établissement des revenus imposables I.R.C./I.C.C. 2013-2016 de la (CD), et ce après mise en œuvre préalable de la disposition du §205 (3) A.O. », tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 27 juillet 2018.

En date du 23 juillet 2018, la société anonyme (MN), ci-après désignée par la « fiduciaire (MN) », prit position, en sa qualité de fiduciaire de la société (CD), au nom et pour le compte de celle-ci, par rapport aux projets d’imposition précités émis par le bureau d’imposition. Elle contesta ceux-ci, notamment pour ne pas contenir d’argumentation précise relative au refus des déductions litigieuses, et demanda un délai supplémentaire pour fournir des explications complémentaires.

Suivant une note manuscrite datée du 25 juillet 2018 et apposée sur le courrier précité de la fiduciaire (MN), le préposé du bureau d’imposition refusa d’accorder tout délai supplémentaire.

En date du 1er août 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (CD) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013 à 2016 indiquant respectivement un montant de (MONTANT 1) euros pour les années 2013 à 2015 et un montant de (MONTANT 2) euros pour l’année 2016 comme « amortissements inadmissibles ou excessifs pour usure et pour diminution de substance » et reprenant, sous la rubrique « détail concernant l’imposition », les mêmes développements que ceux indiqués dans les projets d’imposition précités.

Par courrier du 2 novembre 2018, la société (CD) fit introduire par le biais de son mandataire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013 à 2016.

Par une décision du 29 novembre 2018, référencée sous le numéro C … du rôle, le directeur rejeta comme non fondée ladite réclamation dans les termes suivants :

« (…) Vu la requête introduite en date du 2 novembre 2018 par Me Alain Steichen, au nom de la société anonyme (CD), L-…, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2013, 2014, 2015 et 2016, tous émis en date du 1er août 2018 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser en la forme ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir refusé, aux termes du placet, « la déduction, pour les besoins de l’établissement des revenus des années 2013, 2014, 2015 et 2016, des dotations aux amortissements en relation avec les immobilisations immatérielles acquises auprès de la société (EF)., ayant son siège social à …., aux Îles Vierges Britanniques. » ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

En fait Considérant que la réclamante s’exprime, par extraits, comme suit dans sa requête introductive :

« De 1993 à 2008, la société (EF) (N.B. avec siège social à …, aux Îles Vierges Britanniques) a été l’un des exportateurs et revendeurs exclusifs des produits en … produits par le groupe luxembourgeois, leader mondial dans son domaine, (KL) (…) pour les marchés (i) russe, (ii) des autres pays de la communauté des Etats indépendants, et (iii) ukrainien. Le contrat de distribution (intitulé Vertriebsvereinbarung), signé entre (KL) et (EF) en date du 28 novembre 2008 (…) confirme que (EF) disposait d’un droit exclusif de distribution pour les marchés en question. Les commandes effectuées par (EF) auprès de (KL) pour la période entre 2003 et 2010 ont atteint un volume global de EUR 10 millions (…).

En date du 7 janvier 2009, (EF) a cédé à la Société (i.e. à (CD)) son activité correspondant aux clients et contrats pour les marchés de la Russie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie et le Kirghizistan pour un prix de EUR (MONTANT 3),- (…).

(…) En date du 3 janvier 2011, (EF) a également cédé à [(CD)] son activité correspondant aux clients et contrats pour le marché ukrainien. Le prix convenu entre parties était de (MONTANT 4),- (…). Suite à ces deux ventes, [(CD)] a acquis les droits de commercialisation exclusive de certains produits (KL) pour ces marchés.

(…) Dès leurs acquisitions respectives, les fonds de commerce en relation avec les marchés russe et autres d’un côté et ukrainien de l’autre, ont été amortis dans la comptabilité de [(CD)] (…). (…) [(CD)] a déduit les charges afférentes à ces amortissements de sa base imposable.

Les amortissements pratiqués (et déduits) annuellement se sont élevés à EUR …,- pour le fonds de commerce « Russie et autres pays » et à EUR …,- pour le fonds de commerce « Ukraine ».

» ;

Considérant que le bureau d’imposition a compté refuser de porter en déduction des résultats réalisés les amortissements susénoncés ; qu’il s’est notamment basé sur l’hypothèse que la réclamante et la société (EF) n’auraient pas agi comme entre des acteurs tiers en ce qui concerne les modalités retenues lors des aliénations des fonds de commerce en cause ;

qu’en d’autres mots, elles n’auraient pas respecté le principe de pleine concurrence, encore connu sous la dénomination de « arm’s length principle », principe prôné par l’article 9 de la convention modèle de l’OCDE et ancré et spécifié plus en détail, en ce qui concerne la législation interne, par l’article 164, alinéa 3 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) (complété depuis peu et de manière plus explicite par les articles 56 et 56bis L.I.R.) ;

Considérant que c’est justement dans ce cadre, et afin d’analyser le bien-fondé et la véracité de l’hypothèse admise par le bureau d’imposition, qu’un fonctionnaire de la division économique de l’Administration des contributions fut chargé de procéder à une analyse approfondie du comportement économique, entre elles, de la réclamante et de la société (EF), faisant toutes deux partie du même groupe d’entreprises, dont les associés et bénéficiaires économiques sont à chaque fois membres de la famille (A-B), notamment le père et le fils, cette analyse portant sur les volets des principe de pleine concurrence, prix de transfert, marges bénéficiaires et conformité des contrats de distribution et/ou de vente conclus ;

Considérant que le rapport (non purifié) du fonctionnaire de la division économique de l’Administration des contributions se présente comme suit : […].

En droit Considérant, en matière de principe et à titre de point de départ de l’ensemble des réflexions développées de manière détaillée ci-après, qu’un des grands principes de base en matière de la fiscalité directe édicte que l’impôt qui est fixé dans le chef d’un certain contribuable se doit toujours de respecter de manière méticuleuse sa capacité contributive, alors même s’il s’agit, comme en l’espèce, de plusieurs contribuables agissant ensemble sous le toit d’un même groupe d’entreprises ; que les acteurs sont, chacun à lui seul, contraints d’agir comme entre tiers en ce qui concerne les actes commerciaux intragroupes qu’ils entreprennent (« arm’s length principle », cf. article 9 de la convention modèle de l’OCDE ;

articles 56, 56bis et 164, alinéa 3 L.I.R.) ; que cette idée fondamentale et omniprésente se trouve notamment ancrée dans les paragraphes 5 (le droit fiscal doit s’attacher à des faits réels de sorte que, pour les besoins de l’imposition, il n’y a pas lieu de tenir compte de simulations), 6 (lors d’un abus de droit, les impôts sont à percevoir de la même manière qu’ils l’auraient été au cas d’une conception juridique tenant compte des activités, des relations et de la réalité économique) et 11 (principe de l’appréciation d’après les critères économiques) de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) ;

Considérant que dans cet ordre d’idées, il a été retenu maintes et maintes fois en jurisprudence « que la juridiction saisie ne saurait s’arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais elle est appelée, au-delà de l’apparence juridique, de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques. En effet, il est de principe en droit fiscal que les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques.

(…) Les qualifications juridiques avancées par les parties ne sont retenues par le juge de l’impôt que dans la mesure où elles correspondent à l’intention réelle des parties. » (TA du 25 août 1999, n° 10456 du rôle ; CA du 26 juin 2008, n° 24061C du rôle ; TA du 3 juin 2015, n° 35745 du rôle) ;

Considérant qu’en premier lieu, la réclamante argue, afin de justifier le bien-fondé et la pertinence des amortissements pratiqués, qu’il y aurait lieu de respecter le principe de l’accrochement du bilan fiscal au bilan comptable, conformément à l’article 40 L.I.R. ; que celui-ci confère en effet une sorte de fonction de point de départ à la comptabilité en général, aux comptes consolidés et, partant, au bilan comptable afin de dresser le bilan fiscal, sauf à détecter dans le bilan comptable des valeurs et positions qui dévient des dispositions régissant en matière fiscale, auquel cas il échet de procéder à des redressements extra-bilantaires ;

qu’elle invoque encore qu’en vertu de l’article 23, alinéa 2 L.I.R., il y aurait lieu d’évaluer les immobilisations amortissables au prix d’acquisition ou de revient diminué des amortissements déterminés d’après les articles 29 à 34 L.I.R. ; qu’en dernier lieu, elle fait encore valoir que l’article 45 L.I.R. consignerait que sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise ; qu’en guise de conclusion, elle en déduit que les fonds de commerce en cause, jugés conformes à un prix de marché convenu entre des parties tierces non liées, devraient être amortissables selon les périodicités proposées ;

Considérant que s’il ne saurait certes être contesté que les prémisses énumérées par la requérante, chacune pour soi, s’avèrent justes et valables, il n’en reste pas moins qu’en matière fiscale, on ne saurait s’arrêter « aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais [que la juridiction saisie] (et le directeur dans le préalable, bien entendu) est appelée, au-delà de l’apparence juridique, de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques » ;

Considérant en matière de principe et à titre liminaire que le § 6 StAnpG dispose que « (1) Durch Missbrauch von Formen und Gestaltungsmöglichkeiten des bürgerlichen Rechts kann die Steuerpflicht nicht umgangen oder gemindert werden. (2) Liegt ein Missbrauch vor, so sind die Steuern so zu erheben, wie sie bei einer den wirtschaftlichen Vorgängen, Tatsachen und Verhältnissen angemessenen rechtlichen Gestaltung zu erheben wären (…) », de sorte qu’il reflète, ensemble avec le § 11 StAnpG, le principe de l’appréciation d’après les critères économiques, et règle ainsi le détournement abusif des dispositions légales en vigueur de leur objectif premier en vue de faire bénéficier les contribuables par des constructions artificielles d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur ;

Considérant qu’il y a dorénavant lieu d’analyser les critères énumérés et retenus à travers la jurisprudence constante (entre autres arrêt CA du 7 février 2013, n° 31320C du rôle), afin d’être en mesure de juger si la voie juridique choisie par la réclamante, enchaînant les activités des autres acteurs du groupe, est à qualifier d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG ; que les trois critères devant être remplis sont les suivants :

1) l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé 2) la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt 3) l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie ;

Au sujet de l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé Considérant que la création de la réclamante, i.e. la mise sur pied d’une nouvelle société faisant partie d’un groupe d’entreprises préexistant dans le but de rassembler sous un même toit les affaires commerciales déjà en place, rentre sans équivoque dans la conception de l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, de manière que ce premier élément se trouve vérifié ;

Au sujet de la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt Considérant que le deuxième critère s’avère rempli à son tour, étant donné qu’une économie d’impôt dépassant les (MONTANT 5) euros, IRC et ICC confondus, peut être réalisée à l’aide de la mise en place de la requérante, notamment en cas de prise en considération des amortissements résultant de l’acquisition des fonds de commerce mis en cause ; que s’y ajoute que ce montant ne vaut que pour la période litigieuse de 2013 à 2016, les années subséquentes subissant, le cas échéant, le même sort ;

Au sujet de l’usage d’une voie inadéquate et au sujet de l’absence de motifs extra-

fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie Considérant, en ce qui concerne l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux, qu’il convient de préciser que le caractère simplement inhabituel des formes, constructions ou opérations de droit privé n’est pas à lui seul suffisant pour les voir qualifier d’inadéquates face à la liberté en principe reconnue au contribuable de choisir la voie la moins imposée, mais qu’il faut que l’objectif économique soit atteint par cette voie dans le contexte économique donné d’une manière telle qu’elle permet l’obtention d’un effet fiscal que le législateur ne peut pas être considéré comme ayant voulu accorder dans le cadre précis d’une application de la loi fiscale conforme à son intention ; que force est dès lors de rechercher et de consigner à l’aide d’arguments probants et compréhensibles où se cachent les effets fiscaux qui ne s’appuient sur d’autres raisons ou critères économiques pour, le cas échéant, converger dans leur ensemble vers un abus de droit au sens du § 6 StAnpG ;

Considérant qu’en l’occurrence, la prise en compte des fonds de commerce litigieux et, par ce biais, l’admission en déduction des amortissements contestés, permettrait à la réclamante d’épargner plus de (MONTANT 5) euros en IRC et ICC ; que la requérante, de droit luxembourgeois, fut en effet créée afin de reprendre et de rassembler sous un même toit l’ensemble des affaires commerciales auparavant menées par la société (EF)., avec siège social à …, aux Îles Vierges Britanniques, société « offshore », dont les actionnaires et les bénéficiaires effectifs sont, comme pour la requérante, la famille (A-B) ; que l’objet commercial, tant de (EF) que de la réclamante, était et est de racheter en exclusivité de la société luxembourgeoise (KL) des produits en … afin d’être en mesure d’approvisionner, en tant que seul revendeur, les marchés russe, ukrainien et des autres pays de la communauté des Etats indépendants (Azerbaïdjan, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan et Tadjikistan) ; que s’impose dorénavant la question de savoir pourquoi il y a eu nécessité de procéder, sur le plan commercial, à la création de la réclamante, si celle-ci et (EF). poursuivent exactement le même objectif ; que la réponse à cette question est facile, étant donné que le but de la mise sur pied de la société luxembourgeoise n’est que de l’ordre purement fiscal ; que cette hypothèse est tant et plus corroborée par le fait qu’à travers toute sa requête introductive, renfermant une dizaine de pages, la réclamante ne mentionne nulle part des raisons d’ordre commercial valables qui justifieraient sa création ; qu’elle se borne en effet, comme susénoncé, à défendre son point de vue à l’aide de dispositions légales bien concises mais inapplicables face à la découverte, étape par étape, de sa vraie raison d’être ;

Considérant, en ce qui concerne l’analyse qui s’impose afin de juger du bien-fondé, de l’essence et de la nature même de la réclamante, qu’il y a lieu de commencer par les contrats conclus entre la réclamante et (EF). au sujet de la cession du (des) fonds de commerce d’une valeur d’environ (MONTANT 6) euros ; que le bureau d’imposition, dans le but justement de procéder à un contrôle de la forme et de la substance des contrats conclus, s’est retourné vers la réclamante afin qu’elle lui fasse parvenir :

- « Copies des contrats de vente en bloc en 2009 et 2011 par (EF) afin de pouvoir déterminer les contreparties de (OP) - Copie de tout acte ou contrat signé avec (KL) stipulant que (OP) doit s’approvisionner exclusivement auprès de (KL) pour les marchés couverts par les contrats précisés ci-devant - Copies des contrats cédés en bloc lors des exercices fiscaux 2009 et 2011 par (EF) vers (CD) - Calcul de l’évaluation de l’actif intangible reconnu dans les comptes de la (OP) - Copies des résolutions du conseil d’administration pour les années 2011 (sic) » ;

que le sieur (A), associé et bénéficiaire économique tant de (EF) que de la réclamante, a fait savoir, lors d’une entrevue au sein des locaux de l’Administration, qu’un tel contrat ne serait plus disponible, étant donné qu’en Russie, il n’existerait aucune obligation légale de conserver les pièces comptables pendant plus de 4 ans ; que s’y oppose toutefois que ni la réclamante, ni (EF) ne constituent des entités de droit russe, mais qu’elles relèvent une fois de la législation luxembourgeoise et une fois de celle des Îles Vierges Britanniques ; que même à admettre les deux entités relevant du droit russe, il n’en resterait pas moins qu’un homme d’affaires même moyennement diligent et consciencieux ne détruirait jamais des contrats portant sur un montant important de (MONTANT 6) euros, fussent-ils en relation avec des fonds pécuniaires ou avec des immobilisations immatérielles ; que déjà à ce stade, il devient ostensible que la requérante et (EF) n’ont pas agi comme entre des acteurs tiers, surtout si on considère que les contrats conclus entre (EF) et (KL), établis en 2008, donc bien antérieurement à ceux conclus, en pure théorie, entre (EF) et la réclamante, sont à l’heure actuelle toujours disponibles et opposables ;

Considérant que même à supposer les contrats qui - apparemment - existent entre (EF) et la réclamante conclus en bonne et due forme, quod non, il n’en demeure pas moins que le prix de (MONTANT 6) euros, qui représente une acquisition en bloc d’une multitude de contrats sous-jacents - d’où la notion de fonds de commerce - ne fut même pas payé, mais fit l’objet d’un financement par crédit avec un taux d’intérêt de 4%, accordé par (EF) à la réclamante, de sorte que tout le risque lié à la transaction incombait à (EF), le remboursement du prêt accordé à la réclamante étant fonction directe et inhérente de la mise en valeur, de la commercialisation et de la bonne gestion du fonds de commerce aliéné ; qu’en d’autres mots (EF) a acquiescé à céder à titre onéreux mais sans le moindre contrat de vente un fonds de commerce valant, à ce qu’il paraît, environ (MONTANT 6) euros, le tout en octroyant parallèlement au repreneur, sans la moindre garantie car sans contrat, encore un crédit qui vaut à son tour (MONTANT 6) euros, tout en sachant qu’elle a perdu à travers cet acte tous ses droits portant sur les affaires commerciales engendrées par le fonds de commerce en question ; qu’il s’ensuit que le principe de pleine concurrence n’a manifestement pas été respecté en l’occurrence ;

Considérant, pour ce qui est de l’économie d’impôts proprement dite, que l’acquisition et à travers ce moyen la comptabilisation du fonds de commerce en question en tant qu’actif immobilier appartenant au patrimoine d’exploitation de la réclamante, a permis de déduire, d’année en année, un amortissement se chiffrant à (MONTANT 1) euros ; qu’à défaut d’avoir créé la réclamante, le groupe d’entreprises en cause se serait retrouvé dans l’impossibilité de déduire un quelconque amortissement, étant donné qu’on ne saurait porter en déduction, en matière comptable tout comme en matière fiscale, des dépréciations concernant un fonds de commerce qui fut créé par les propres soins et efforts apportés par l’exploitant au cours des années de son activité ; que seul un fonds de commerce acquis à titre onéreux saurait, le cas échéant, être amorti sur une période plus ou moins longue (en principe sur une période de 10 ans) ; que l’article 36 L.I.R. dispose en effet que lorsque le prix global d’acquisition d’une entreprise ou d’une partie autonome d’entreprise dépasse la somme des valeurs d’exploitation des biens acquis autres que les valeurs immatérielles du fonds d’exploitation, l’excédent représente le prix d’acquisition des valeurs immatérielles du fonds d’exploitation (i.e. du fonds de commerce) ; qu’en d’autres mots, sans la création de la réclamante et de l’acquisition à titre onéreux subséquente du fonds de commerce développé par (EF), pourvu bien entendu que ce dernier soit réel et non exagéré ou artificiellement gonflé, le groupe d’entreprises du sieur (A) se serait vu dans l’impossibilité de réduire - et de manière considérable - sa base imposable globale ;

Considérant encore et tel que cela se dégage du rapport de la division économique de l’Administration des contributions, que même à admettre, par hypothèse, toutes les considérations abordées ci-dessus libres du moindre inconvénient, i.e. en admettant les contrats conclus en bonne et due forme, que la réclamante ne trouverait sa raison d’être non uniquement dans des raisons visant l’économie d’impôt, et que le financement du fonds de commerce se serait fait comme entre des parties tierces, il resterait toujours la problématique des marges réalisées par la requérante ; qu’il y a en effet lieu de comparer les marges opérationnelles réalisées par la réclamante avec celles réalisées par (KL); que cette dernière est le fournisseur exclusif de la réclamante, de sorte qu’on se trouve parfaitement en mesure de comparer les marges réalisées par chacune d’elles ; que la réclamante ne représente toutefois qu’une sorte d’intermédiaire pour les ventes réalisées entre (KL) et (EF), et dès lors entre (KL) et le sieur (A), une activité de négoce en direct pour ainsi dire, rémunérée en général par de simples commissions de vente ; que le sieur (A) aurait tout aussi bien pu s’adresser lui-même à (KL), sans que l’intervention de la part de la réclamante n’aurait été nécessaire ; que sans maintenant rentrer trop dans le détail des calculs minutieusement effectués et repris dans leur intégralité sur les pages 6 à 12 de la présente décision sur réclamation, il est toutefois clair que les conclusions en tirées, et vérifiées quant à leur pertinence par la présente instance, convergent dans leur ensemble vers le détournement d’impôt ; que la création de la réclamante d’un côté, mais surtout l’acquisition d’un fonds de commerce amortissable qui fut financé au moyen d’un prêt octroyé par la partie venderesse à la réclamante sans que cette dernière ne soit en mesure de fournir la moindre garantie pécuniaire en contrepartie des avantages reçus de l’autre côté, ne peut trouver ses fondements que dans des raisons d’ordre purement fiscal, synonyme d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG ; que sous l’angle fiscal et face notamment à la théorie de l’abus de droit, il importe de faire abstraction des amortissements annuellement portés en déduction du résultat réalisé par la réclamante ;

Considérant qu’il en résulte que le troisième critère permettant de qualifier une certaine opération d’abus de droit au sens du paragraphe 6 StAnpG s’avère rempli à son tour ;

Considérant qu’il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de confirmer pleinement le bureau d’imposition dans sa manière d’agir ; que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2019, la société (CD) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée datée du 29 novembre 2018, lui notifiée le 4 décembre 2018.

Par jugement du 13 janvier 2021, le tribunal administratif reçut en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 29 novembre 2018, déclara ce recours non justifié, dit qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse et condamna cette dernière aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 24 février 2021, la société (CD) a régulièrement relevé appel du jugement précité.

La Cour n’est pas liée par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégage. Il convient ainsi de commencer par délimiter le champ des éléments factuels et des pièces soumis à son examen.

Quant à l’admissibilité des pièces versées et des éléments d’ordre factuel avancés par l’Etat Arguments des parties Selon la société (CD), l’article 8, paragraphe (5), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », imposerait à l’Etat une « obligation légale de mise à disposition de son dossier administratif intégral ». Il résulterait de la loi, de la jurisprudence et d’une circulaire du président du tribunal administratif du 25 avril 2016 que l’obligation incombant à l’administration de donner accès au dossier aux magistrats ainsi qu’à « l’administré-

demandeur en justice » ne se limiterait pas aux seules pièces du dossier sur lesquelles l’administration souhaiterait se baser plus particulièrement, ni à une sélection de documents ou d’informations que l’administration considèrerait comme « pertinentes » ou « communicables ». En effet, la ratio legis de l’obligation de communication du dossier administratif serait « d’instaurer une égalité des armes entre, d’une part, l’administration, dont la décision bénéficie d’une présomption de légalité, et, d’autre part, l’administré, qui doit, afin d’être en mesure de démontrer l’illégalité suspectée de l’acte attaqué, pouvoir avoir accès à l’ensemble de[s] pièces et documents détenus par l’administration ». Ce ne serait qu’une fois l’égalité des armes établie que le principe fondamental du contradictoire pourrait être respecté, et seul l’accès au dossier « complet, voire le cas échéant complété par les pièces additionnelles versées au dossier en cours de procédure » permettrait d’assurer cette égalité des armes.

En l’espèce, il serait apparu dans le contexte de la notification du mémoire en réponse de la procédure d’appel et des pièces appuyant ce mémoire que la partie étatique n’aurait pas respecté son obligation de communication intégrale du dossier en ne versant pas des « pièces, informations et autres échanges avec le Parquet » obtenus par l’administration des Contributions directes en exécution du § 189 AO. Or, lorsque le Parquet communique avec l’administration des Contributions directes « dans l’intérêt de la mission de fixation de la cote d’impôt » incombant à cette dernière, les échanges en question feraient nécessairement partie du dossier administratif puisqu’ils serviraient « à cette même (et unique) fin de fixation de la cote d’impôt ». De plus, l’administration des Contributions directes ne saurait se retrancher derrière le secret de l’instruction pour refuser la communication de pièces faisant partie de son dossier. D’une part, selon la jurisprudence, une décision au sujet d’un éventuel obstacle à la communication de certaines pièces en raison d’un secret quelconque serait à prendre par la juridiction et non par l’administration et, d’autre part, l’Etat ayant versé aux débats au moins une pièce obtenue du Parquet en exécution du § 189 AO, il contredirait sa propre thèse de la « prétendue nécessité de protéger le secret de l’instruction ».

La société (CD) demande donc que la totalité des pièces versées par l’Etat ainsi que les éléments d’ordre factuel avancés par ce dernier soient écartés des débats, sinon que la décision du directeur du 29 novembre 2018 soit annulée, faute pour l’Etat d’avoir respecté son obligation de communication du dossier administratif intégral, en violation de l’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999, du principe d’égalité des armes et du principe du contradictoire.

L’Etat estime que la demande de mise à l’écart de toutes les pièces qu’il a versées, pour juger ensuite l’affaire par référence aux seuls faits allégués par l’appelante, serait une demande nouvelle, « au demeurant formulée pour la première fois en appel », que l’appelante n’aurait donc pas le droit de formuler. De plus, la sanction requise par l’appelante reviendrait à saper les droits de la défense de l’Etat. En outre, la critique de l’appelante découlerait de la communication de la pièce « Kurzlebenslauf zum Arbeitsleben » par l’Etat. Or cette communication aurait pleinement respecté le principe du contradictoire puisque la pièce aurait été versée « pour être soumise librement au débat contradictoire entre partie[s] et puisqu’elle parvient de surcroît du bénéficiaire effectif » de l’appelante. La demande de l’appelante serait donc irrecevable, sinon non fondée.

Analyse de la Cour En vertu de l’article 41, paragraphe (2), de la loi du 21 juin 1999, « [l]es demandes nouvelles en instance d’appel sont prohibées. En revanche, les moyens nouveaux sont admis ».

On entend par demande nouvelle en appel la demande qui diffère de celle contenue dans la requête introductive de première instance par son objet, par sa cause ou par les personnes entre qui elle est engagée, tandis que par moyen nouveau, on entend la raison de droit ou de fait invoquée pour la première fois par devant la Cour à l'appui d'une prétention (Cour adm., 7 mars 2013, n° 31343C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°1070).

En l’espèce, l’argumentation de l’appelante s’analyse en un moyen nouveau et non pas en une demande nouvelle. En effet, cette argumentation ne tend pas à obtenir la réformation ou l’annulation d’un acte séparé non encore déféré, mais elle s’analyse en un moyen supplémentaire à l’appui de sa demande telle que formulée au dispositif de sa requête d’appel, à savoir :

« Déclarer recevable en la pure forme le présent appel, Au fond le dire fondé et justifié, Par conséquent, Par réformation du Jugement entrepris, déclarer le recours introduit par la Requérante fondé et justifié, Partant, principalement, et par réformation de la décision entreprise, réformer la décision directoriale notifiée par courrier le 4 décembre 2018 dans le sens de (i) faire droit aux déductions pour amortissements opérés par la Requérante en relation avec les fonds de commerce acquis et (ii) d’ordonner en conséquence la modification des Bulletins, sinon l’émission de nouveaux bulletins pour les exercices litigieux.

Sinon, et à titre subsidiaire, déclarer le recours en annulation justifié et fondé ;

Partant annuler la décision directoriale notifiée le 4 décembre 2018 et renvoyer le dossier devant l’autorité compétente ; (…) ».

Par ailleurs, il convient de rappeler que le corollaire de la faculté offerte à l’administration de compléter en cours d’instance la motivation expressément fournie à la base d’une décision déférée consiste en la possibilité, pour l’administré, d’amplifier ses moyens en cours d'instance au-delà des développements déployés dans le cadre de la requête introductive d'instance (trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°866).

En outre, force est de constater que le litige autour de l’absence de communication de certaines pièces n’est apparu qu’au stade de l’instance d’appel, après le dépôt par la partie étatique de son mémoire en réponse. La partie étatique ne saurait donc valablement critiquer l’appelante en ce que cette dernière a invoqué une violation de l’obligation de communication du dossier administratif pour la première fois postérieurement au dépôt du mémoire en réponse d’appel, étant également relevé que la partie étatique a pu prendre – et a effectivement pris – position quant à ce moyen dans son mémoire en duplique.

Par voie de conséquence, l’argumentation en cause de l’appelante ne rentre pas dans le champ de la prohibition des demandes nouvelles en appel prévue par l’article 41, paragraphe (2), de la loi du 21 juin 1999, de sorte que la Cour est amenée à en examiner le bien-fondé.

Il convient dès lors de vérifier s’il y a effectivement eu un manquement de la part de l’Etat, tel qu’allégué par l’appelante, et le cas échéant, de déterminer quelle est la sanction d’un tel manquement.

L’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999 prévoit notamment que « [l]’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours ». Il appartient donc à l’autorité administrative qui a posé l’acte attaqué de déposer l’intégralité du dossier administratif, cette obligation ayant pour but de permettre au juge d’instruire l’affaire lui soumise suivant les principes d’une bonne administration de la justice et de garantir les droits de la défense des autres parties à l’instance.

La notion de dossier administratif est à comprendre comme l’ensemble de toutes les pièces relatives à l’acte attaqué, même celles qui ne le fondent pas directement, étant précisé qu'il appartient à l'administration d'établir pourquoi une pièce réclamée par l’administré n'est pas pertinente (Cour adm., 16 décembre 2014, n° 34766C du rôle). En ce qui concerne plus particulièrement le dossier fiscal, celui-ci doit donc nécessairement inclure toutes les pièces utilisées par l’administration fiscale pour fixer la cote d’impôt du contribuable.

En l’espèce, la partie étatique a indiqué dans ses courriers électroniques du 1er avril 2021 que la pièce intitulée « Kurzlebenslauf zum Arbeitsleben » a été obtenue par l’administration des Contributions directes dans le cadre d’une coopération judiciaire fondée sur le § 189 AO. Or le § 189 AO était mentionné dans les courriers du 4 juillet 2018 émis sur le fondement du § 205, alinéa (3), AO, par lequel le préposé du bureau d’imposition a communiqué à l’appelante un projet d’imposition divergeant des déclarations fiscales déposées par cette dernière pour l’impôt sur le revenu des collectivités et l’impôt commercial communal des années 2013 à 2016. Ledit projet d’imposition comportait les indications suivantes :

« Suite aux informations reçues en application du §189 A.O. et eu égard aux pièces communiquées à l’occasion de la procédure d’investigation fiscale menée en relation avec les assiettes définitives I.R.C./I.C.C. 2013-2016, la déduction fiscale des amortissements annuels 2013-2016 des immobilisations financières cédées par la société apparentée (EF) (domiciliée aux British Virgin Islands) est refusée en vue de l’établissement des revenus imposables I.R.C./I.C.C. 2013-2016 de la (CD), et ce après la mise en œuvre préalable de la disposition du § 205 (3) A.O. ».

Ces indications ont ensuite été reproduites dans les bulletins émis le 1er août 2018 sur le fondement dudit projet d’imposition.

La Cour ne saurait donc suivre la partie étatique lorsque celle-ci affirme dans son courrier électronique du 2 avril 2021 que « dans le cadre du litige de première instance, l’Etat a déposé l’intégralité du dossier fiscal », que ce dernier « comprend l’entièreté des pièces qui fondent la décision litigieuse et qui sont nécessaires pour le débat contradictoire du litige porté devant votre Cour » et que « la demande adverse tend uniquement à obtenir des pièces manifestement étrangères à la fixation de l’impôt par l’ACD ». Au contraire, il apparaît que les pièces reçues par l’administration des Contributions directes sur le fondement du § 189 AO ont servi à la fixation de la cote d’impôt de l’appelante, de sorte qu’elles font nécessairement partie du dossier fiscal.

La partie étatique indique encore dans un courrier électronique du 1er avril 2021 que « les échanges de l’administration avec les autorités judiciaires au sujet du volet pénal d’une affaire ne figurent pas au dossier fiscal, qui a été intégralement déposé, dans le but d’éviter d’empiéter sur des procédures pénales en cours ». Cependant, si dans certains cas, la communication du dossier administratif peut se heurter à l’obligation de secret, notamment en matière commerciale ou industrielle, le juge doit néanmoins disposer de l’intégralité du dossier pour apprécier si la confidentialité se justifie. Ce n’est que lorsque, au vu des pièces litigieuses, le juge aura décidé que la confidentialité ne s’impose pas, que l’administré pourra avoir accès à ces pièces (trib. adm., 15 décembre 1997, n° 9776 du rôle).

En l’espèce, après l’avis de rupture du délibéré de la Cour du 29 juin 2021 et le courrier du 5 juillet 2021 de Monsieur le Substitut Principal …, dans lequel ce dernier a estimé que « la communication des documents visés ci-avant n’est pas de nature à nuire à la bonne marche des enquêtes pénales », la partie étatique a déposé les documents détenus par l’administration des Contributions directes en relation avec la coopération judiciaire fondée sur le § 189 AO.

La Cour a déduit de ce courrier du 5 juillet 2021 et de sa propre inspection des documents en question qu’ils pouvaient être communiqués en leur intégralité au mandataire de l’appelante.

Il n’en demeure pas moins que la partie étatique n’a pas respecté l’obligation que lui impose l’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999, de déposer spontanément le dossier administratif intégral « dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours ».

L’appelante estime que la violation de cette obligation requiert d’écarter des débats la totalité des pièces versées par l’Etat ainsi que les éléments d’ordre factuel avancés par ce dernier, pour juger ensuite l’affaire par rapport aux seuls faits allégués par elle-même, et sinon, annuler la décision du directeur du 29 novembre 2018.

La Cour ne saurait cependant suivre cette opinion.

Premièrement, comme l’appelante l’a reconnu expressément, la situation en l’espèce est différente de celle gisant à la base du jugement du tribunal administratif du 21 mars 2002 (n° 13690 du rôle), jugement dont l’appelante se prévaut pour étayer sa thèse d’une mise à l’écart totale des pièces et éléments factuels provenant de la partie étatique. En effet, une communication partielle du dossier administratif a bien eu lieu, de sorte que, contrairement à ce que suggère l’appelante, la Cour a bien un autre choix que d’admettre comme avérés les faits allégués par la société (CD) dans ses mémoires.

Deuxièmement, la violation de l’obligation de communication spontanée du dossier administratif intégral a indubitablement porté atteinte au bon déroulement du service public de la justice en général et de la procédure engagée par l’appelante en particulier. Ce service public comporte que le juge dise le droit et, d’un point de vue de paix sociale, qu’il résolve autant que possible le point litigieux entre parties (Cour adm., 27 octobre 2016, n° 372999C et 37321C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°1), et aussi vite que possible.

Or, le juge ne peut remplir utilement son office que si les parties le mettent en position de découvrir la vérité. Afin de permettre au juge de statuer en pleine connaissance de cause et en temps utile, les parties doivent donc remplir spontanément et de bonne foi les obligations légales respectives qui leur incombent, dont celle instaurée par l’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999 à charge de la partie étatique. Pour autant, au regard du principe à valeur constitutionnelle de la proportionnalité (Cour const., 21 mars 2021, n°00146 du registre), la sanction de la violation par l’Etat de son obligation de communiquer, spontanément et endéans les délais impartis par la loi, le dossier administratif intégral ne saurait revenir à vider les principes de l’égalité des armes et du contradictoire de toute substance, en privant cette fois-ci l’Etat de ses moyens de défense.

Troisièmement, la Cour a déjà retenu que la non-communication du dossier administratif entier ne constitue pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision litigieuse, laquelle repose sur des motifs qui lui sont propres, et ne saurait affecter la légalité de la décision administrative que dans l’hypothèse d’une violation vérifiée des droits de la défense (Cour adm., 2 février 2016, n° 37452C du rôle, Pas. adm.

2021, V° Procédure contentieuse, n°823). Il se dégage de ce même arrêt du 2 février 2016 que lorsque la communication de l’intégralité du dossier administratif n’intervient qu’au cours de la procédure contentieuse, l’administré peut utilement préparer sa défense dès lors qu’il a la possibilité de fournir un mémoire supplémentaire.

Quatrièmement, la décision du directeur du 29 novembre 2018 ayant été prise avant la violation par la partie étatique de l’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999, un tel manquement intervenu au stade de la procédure contentieuse ne saurait entraîner l’annulation de la décision prise par le directeur lors de la phase précontentieuse, donc à un stade de procédure où l’article 8, paragraphe (5), de la loi du 21 juin 1999 n’était pas encore applicable.

Il convient donc de retenir que dans le respect des droits de la défense, et en particulier des principes de l’égalité des armes et du contradictoire, la communication avec retard de l’intégralité du dossier administratif doit en premier lieu avoir pour contrepartie la possibilité pour l’administré de discuter le bien-fondé des nouveaux éléments portés à sa connaissance.

Cette discussion doit pouvoir être menée par l’administré pour la première fois dans le cadre de son mémoire en réplique – si le délai pour fournir ce dernier n’était pas encore écoulé au moment de la communication des nouveaux éléments par la partie étatique, et en faisant éventuellement usage de la possibilité laissée respectivement par l’article 5, paragraphe (7), et l’article 46, paragraphe (4), de la loi du 21 juin 1999, de demander pour des raisons exceptionnelles et dûment motivées, une prorogation du délai de dépôt du mémoire en réplique –, ou dans le cadre d’un mémoire supplémentaire – si le dossier administratif versé a été complété après le dépôt par l’administré de tous les mémoires légalement prévus ou à un moment empêchant l’administré de solliciter la prorogation des délais sur le fondement des articles 5, paragraphe (7), ou 46, paragraphe (4), de la loi du 21 juin 1999. Le respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire exige qu’à son tour, la partie étatique puisse prendre position – à travers un mémoire supplémentaire, le cas échéant –, par rapport aux moyens développés par l’administré depuis la communication de l’intégralité du dossier.

En second lieu, la communication avec retard de l’intégralité du dossier administratif est un élément pertinent pour l’appréciation que le juge administratif effectue quand il est saisi d’une demande d’octroi d’une indemnité de procédure, eu égard aux conséquences négatives qu’un tel retard produit sur le bon déroulement de la procédure contentieuse.

En l’espèce, puisque l’appelante a bien été autorisée à déposer un mémoire supplémentaire endéans un délai raisonnable après la communication de l’intégralité du dossier fiscal, la Cour arrive à la conclusion qu’une violation des droits de la défense de l’appelante laisse d’être vérifiée en l’espèce. L’impact de la communication tardive du dossier administratif intégral sur la demande d’octroi d’une indemnité de procédure formulée par l’appelante sera examiné dans une section ultérieure du présent arrêt.

En conclusion, les pièces versées par la partie étatique ainsi que les éléments factuels avancés par cette dernière entrent bien dans le champ des éléments soumis à l’examen de la Cour, de sorte que l’argumentation en sens contraire de la société (CD) est à rejeter.

Quant à la déduction pour amortissements opérés sur des fonds de commerce Arguments des parties En fait, la société (CD) expose que la société (EF)., ayant son siège social à … aux Îles Vierges Britanniques, ci-après désignée par la « société (EF) », aurait été de 1993 à 2008 l’un des exportateurs et revendeurs exclusifs des produits en … fabriqués par le groupe luxembourgeois (KL) pour les marchés (i) russe, (ii) des autres pays de la communauté des Etats indépendants (Azerbaïdjan, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan, Tadjikistan et (E)ménistan), ci-après désignés par les « pays CEI », et (iii) ukrainien, ce qui serait notamment confirmé par le contrat de distribution, intitulé « Vertriebsvereinbarung », signé entre la société anonyme (KL), ci-après désignée par la « société (KL) », et la société (EF) en date du 28 novembre 2008.

Cet état de fait serait encore confirmé par le « Directeur gérant » de la société (KL), Monsieur (C), dans une attestation testimoniale du 27 février 2019 dans laquelle celui-ci certifierait que « (KL) a maintenu une relation commerciale historique avec la société (EF) qui a été un revendeur des produits de … fabriqués par (KL) pour les marchés [r]usse (et pays C.E.I.) et [u]krainien depuis de nombreuses années ».

L’appelante indique que, suite à l’acquisition par ses soins des fonds de commerce de la société (EF), elle serait venue supplanter cette dernière dans sa relation commerciale privilégiée avec la société (KL). En effet, en date du 7 janvier 2009, la société (EF) lui aurait cédé « son activité correspondant aux clients et contrats » pour les marchés de la Russie et des pays CEI pour un prix de (MONTANT 3) d’euros. Le 3 janvier 2011, la société (EF) lui aurait, en outre, cédé « son activité correspondant aux clients et contrats » pour le marché ukrainien pour un prix de (MONTANT 4) d’euros.

La société (CD) précise qu’elle s’était déjà approvisionnée auprès de la société (KL) en 2007 et 2008 pour un montant total d’environ … euros et souligne que le volume des commandes qu’elle aurait passées auprès de ce fournisseur aurait connu un essor considérable suite à l’acquisition des portefeuilles clients et des droits de commercialisation de certains produits (KL) pour les marchés précités. Le volume de ces commandes se serait élevé à … euros en 2009, … euros en 2010, … euros en 2011, … euros en 2012 et … euros en 2013. La société appelante ajoute que la relation commerciale entre elle et la société (KL) serait confirmée une nouvelle fois par le contrat de distribution, intitulé « Vertriebsvereinbarung », signé en date du 23 novembre 2017.

L’appelante donne ensuite à considérer que sa constitution ainsi que la reprise des activités de la société (EF) s’expliqueraient par les souhaits exprimés par les responsables de la société (KL) de contracter, « pour des raisons réputationnelles », avec une société de droit luxembourgeois plutôt qu’avec une société établie dans une juridiction « offshore » telle que les Iles Vierges Britanniques, ce que le « Directeur gérant » de la société (KL) aurait encore explicitement confirmé dans son attestation testimoniale du 27 février 2019. Elle souligne que dans cette même attestation, le « Directeur gérant » de la société (KL) aurait aussi confirmé que la société (EF), contrôlée par la famille (A-B), était historiquement le seul revendeur de la société (KL) pour les marchés en question et que suite à l’acquisition des fonds de commerce, la société (CD), également contrôlée par la famille (A-B), devait venir supplanter la société (EF) dans sa relation commerciale privilégiée avec la société (KL).

L’appelante explique qu’en sus d’elle-même et de la société (EF), la famille (A-B), en particulier Monsieur (A) et son fils (B), dirigeraient d’autres sociétés, dont la société (GH), ayant son siège social à … et la société (IJ), établie en Russie.

Durant la crise financière russe de 1998, les clients de la société (EF) auraient connu des difficultés de paiement qui se seraient répercutées sur la société (EF). Durant cette période, la société (GH) serait intervenue à titre de garant des obligations contractuelles de la société (EF) envers la société (KL) et c’est dans son rôle de garant que la société (GH) aurait été signataire, aux côtés de la société (EF), d’un contrat de distribution précité du 28 novembre 2008 conclu avec la société (KL). La société (GH) n’aurait cependant pas participé à la commercialisation des produits (KL) dans les marchés précités d’Europe de l’Est et n’aurait donc pas contribué directement à la valorisation des fonds de commerce cédés par la société (EF) à la société (CD). Ce fait résulterait clairement du tableau récapitulatif des commandes auprès de la société (KL) versé par l’appelante, où seule la société (EF) et plus tard la société (CD) apparaîtraient comme les contreparties commerciales de la société (KL).

Quant à la société (IJ), elle jouerait un rôle de sous-traitant ou d’intermédiaire de l’appelante pour la distribution des produits (KL) auprès de certaines petites et moyennes entreprises établies en Russie et qui n’auraient pas les ressources ou la taille nécessaires pour s’occuper des formalités de douane pour importer elles-mêmes les produits (KL) depuis l’Union européenne. Puisque pour ces sociétés, il serait plus aisé d’acquérir lesdits produits auprès d’un importateur local, après dédouanement par ce dernier, l’appelante achèterait les produits auprès de la société (KL) et les revendrait à la société (IJ), laquelle les distribuerait auprès des petites et moyennes entreprises russes. Sur demande de la famille (A-B), la société (IJ) serait apparue sur le site internet officiel de (KL) en langue russe en 2014, afin de faciliter la communication avec les clients potentiels de la société (IJ) et la relation avec les bureaux de douane. Cependant, elle n’aurait jamais directement acheté de produits auprès de la société (KL), ce qui ressortirait aussi de l’attestation testimoniale susmentionnée du « Directeur gérant » de la société (KL).

La société appelante fait ensuite valoir que le bureau d’imposition aurait accepté la déduction opérée au niveau fiscal au titre des amortissements annuels pratiqués sur les fonds de commerce en relation avec les marchés « Russie et autres pays » et « ukrainien » pour les exercices fiscaux antérieurs 2010, 2011 et 2012.

En droit, l’appelante explique que pour rejeter son recours, le tribunal administratif se serait basé sur l’article 45, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR ». Selon les premiers juges, cette disposition exigerait « la preuve, non seulement de la valeur du fonds de commerce, mais aussi de la matérialité de l’acquisition en tant que telle et partant de l’existence d’une contrepartie à l’acquisition alléguée ». L’appelante avance à titre principal que ce serait à tort que le tribunal administratif a conclu qu’elle n’a pas apporté la preuve de la « réalité économique du prix d’acquisition du fonds de commerce litigieux » et à titre subsidiaire, elle annonce démontrer que les éléments invoqués par le directeur dans sa décision du 29 novembre 2018 – à savoir l’abus de droit et la simulation –, bien que non retenus par le tribunal administratif, ne seraient pas non plus de nature à justifier un refus de déduction des amortissements pratiqués.

Quant à la réalité économique du prix d’acquisition des fonds de commerce, l’appelante reconnaît qu’elle n’a pas fait établir un rapport d’évaluation par un expert tiers à l’époque du transfert de ces fonds de commerce. Cependant, d’après l’appelante, cette circonstance ne saurait justifier à elle seule le rejet des évaluations retenues. En effet, se fondant sur un extrait des principes de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique en matière de prix de transfert à destination des entreprises multinationales et des administrations fiscales, ci-après les « lignes directrices de l’OCDE », dans leur version de 2017, l’appelante estime qu’il n’y aurait clairement pas eu, au niveau international, de consensus quant aux exigences précises en matière de documentation des prix de transfert à l’époque litigieuse. De plus, aucune disposition légale luxembourgeoise n’aurait exigé à cette époque l’établissement d’un rapport d’évaluation par un tiers, de sorte que la preuve du caractère approprié de l’évaluation retenue en 2009 et 2011 serait nécessairement libre.

En l’espèce, la société (CD) aurait suivi la méthode « universellement connue et appliquée du multiple d’excédent brut d’exploitation ». La valorisation d’une entreprise ou d’un fonds de commerce dépendrait de la rentabilité future d’une entreprise, laquelle devrait être estimée sur base des flux de trésorerie disponibles. Ces derniers seraient en pratique déterminés par référence à l’excédent brut d’exploitation, ci-après « EBE », et désigné comme « EBITDA » dans la terminologie anglaise abrégée, indicateur qui représenterait la performance économique intrinsèque de l’entreprise. La valeur de l’entreprise serait égale à la multiplication d’un « multiple années » par l’EBE, le « multiple années » étant « déterminé à partir d’un échantillon d’entreprises qui sont similaires à l’entreprise à évaluer en termes d’activité et de performance ».

Plus concrètement, afin de calculer la valeur des fonds de commerce, l’appelante se serait fondée sur les ratios financiers de la société (EF), en appliquant une décote pour « tenir compte des risques géopolitiques dans la région et l’évolution incertaine des prix du pétrole ».

Elle explique ensuite plus en détail comment les paramètres utilisés pour le calcul du prix d’acquisition ont été choisis, estime que les chiffres retenus étaient « raisonnables » et souligne qu’il ressort des comptes annuels de l’appelante relatifs aux années 2009 à 2016 que l’EBE projeté lors de l’évaluation a été réalisé en pratique. A cet égard, l’appelante estime que l’OCDE suggérerait explicitement qu’une administration fiscale puisse dans certaines conditions opposer au contribuable les résultats réalisés ex post pour en tirer des conséquences sur l’évaluation retenue ex ante aux fins de déterminer le prix de transfert applicable au transfert d’un actif incorporel. Par conséquent, l’on ne saurait raisonnablement interdire au contribuable de se référer aux mêmes résultats réalisés ex post afin de démontrer le caractère raisonnable de l’évaluation retenue. Enfin, les documents comptables de la société (EF) n’auraient certes pas été produits pour justifier les ratios financiers utilisés, ladite société n’ayant pas conservé ces documents au-delà du délai légal de conservation de cinq ans applicable aux Iles Vierges Britanniques, mais depuis la première instance, l’appelante aurait réussi à obtenir une copie de contrats conclus en 2008 par la société (EF) avec des clients importants établis en Ukraine et en Russie et ces contrats feraient apparaître un chiffre d’affaires minimum confirmant la valorisation effectuée. Ces contrats démontreraient en outre l’existence d’une « clientèle captive » développée par la société (EF).

Par ailleurs, les contrats de cession des fonds de commerce se réfèreraient certes à des « commercial rights to sell these products in these countries » mais sans pour autant faire état d’un droit d’exclusivité sur une période définie. L’existence d’un droit de distribution exclusif pour les produits (KL) dans les marchés russe, ukrainien et des autres pays CEI, au moment de la cession des fonds de commerce litigieux, résulterait clairement du contrat conclu le 28 novembre 2008 entre la société (KL) et la société (EF), en présence de la société (GH), mais ce contrat, valable jusqu’en février 2011, ne constituerait pas une garantie juridique du maintien de la relation d’exclusivité. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement puisqu’en droit luxembourgeois, le transfert d’un fonds de commerce n’entraînerait pas le transfert automatique des contrats au profit du cessionnaire, l’accord du cocontractant – ici, la société (KL) – étant au contraire requis. Ce serait donc à tort que le tribunal administratif a estimé que l’exclusivité constituerait un élément important du prix de cession des fonds de commerce litigieux. De plus, le risque auquel l’appelante aurait été soumise quant à la reprise des relations commerciales avec la société (KL), mais aussi avec les clients existants de la société (EF), aurait bien été pris en compte lors de la valorisation des fonds de commerce, à travers la sélection de paramètres « prudents ».

De surcroît, l’attestation testimoniale du « Directeur gérant » de la société (KL) ainsi que le contrat d’exclusivité signé par cette dernière avec l’appelante le 23 novembre 2017 et valable jusqu’en février 2019 prouveraient la continuité et la pérennité de la relation commerciale entre ces deux parties après la reprise des fonds de commerce par l’appelante.

Elle rappelle que le transfert des fonds de commerce aurait été expressément demandé par la société (KL), de sorte que la continuité de ces relations commerciales ne serait guère étonnante.

De plus, les rôles joués par les sociétés (GH) et (IJ) dans le processus de commercialisation des produits (KL) ne pourraient remettre en cause la réalité et la valeur des fonds de commerce acquis par l’appelante, la progression spectaculaire du chiffre d’affaires de cette dernière ne pouvant s’expliquer que par le fait que la société (CD) a pu bénéficier du carnet d’adresses de la société (EF).

Enfin, selon l’appelante, le fait que l’acquisition des fonds de commerce par elle ait été effectuée contre reconnaissance d’une dette, portant intérêts, vis-à-vis de la société (EF), ne saurait remettre en cause l’existence et la valeur des fonds de commerce cédés par cette dernière. La société (EF) supporterait certes le risque d’un « financier », qui aurait prêté les sommes en question à l’appelante en vue de l’acquisition du fonds de commerce, mais ce risque serait loin d’être anormal ou démesuré puisque la société (EF) connaissait la valeur des fonds de commerce et la rentabilité qui pouvait en résulter. En outre, le choix du financement n’aurait aucune incidence sur la réalité de l’opération financée.

A titre subsidiaire, l’appelante conteste les allégations d’abus de droit et de simulation avancées par la partie étatique.

Elle rappelle d’abord que la jurisprudence aurait défini quatre conditions cumulatives pour reconnaître l’existence d’un abus de droit, à savoir (i) l’utilisation de formes ou d’institutions du droit privé, (ii) une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, (iii) l’usage d’une voie inadéquate et (iv) l’absence de motifs extra-fiscaux valables justifiant la voie choisie.

En l’espèce, quant au premier critère, la mise en place de l’appelante et l’acquisition des fonds de commerce pourraient être qualifiées d’utilisation de formes ou d’institutions du droit privé, contrairement à l’amortissement des fonds de commerce acquis, lequel ne serait qu’une technique comptable dont l’appelante ne serait pas libre de faire ou non l’usage.

Quant au deuxième critère, la constitution de l’appelante et l’acquisition par cette dernière des fonds de commerce litigieux n’auraient pu engendrer une économie d’impôt, étant donné que la constitution de l’appelante serait au contraire à l’origine de toute obligation fiscale au Luxembourg et qu’avant l’acquisition des fonds de commerce, les bénéfices liés à la vente des produits (KL) étaient réalisés par la société (EF), contribuable non-résident ne disposant pas d’établissement stable au Luxembourg. L’amortissement des fonds de commerce entraînerait certes une déduction fiscale et donc une économie d’impôt, mais découlerait d’une prescription légale dont le contribuable ne saurait abuser.

Quant aux deux derniers critères, la mise en place de l’appelante et le transfert des fonds de commerce auraient été réalisés pour se conformer aux exigences de la société (KL) et ainsi « maintenir les bonnes relations commerciales entre parties, indispensables à la poursuite des activités d’achat-revente », donc pour des motifs valables d’ordre commercial, tandis que la déduction fiscale de l’amortissement serait imposée par la loi comptable, obligeant à constater un amortissement, et par la loi fiscale, prévoyant l’accrochement du bilan fiscal au bilan commercial. Les conditions de l’abus de droit ne seraient donc pas réunies.

Enfin, en raison du réel transfert d’activité de la société (EF) à l’appelante, pouvant être observé à suffisance dans les chiffres relatifs aux commandes passées par ces deux sociétés auprès de la société (KL), il n’y aurait pas de simulation.

La partie étatique demande la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Elle commence par expliquer que l’appelante aurait acquis en bloc de prétendus contrats de livraison de la société (EF) mais que ces contrats n’auraient pas été précisés dans les contrats conclus entre l’appelante et la société (EF) les 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 et n’auraient jamais été communiqués par l’appelante.

Elle avance ensuite plusieurs éléments qui prouveraient l’incohérence factuelle de la thèse de l’appelante et qui permettraient de constater que « vraisemblablement », ce seraient la société (QR), fondée en 1990 par Monsieur (A) ainsi que la société (IJ) qui auraient développé la clientèle et conclu des contrats de livraison pour la distribution des produits (KL).

A la fin de l’année 2019, la version russe du site internet de (KL) aurait uniquement mentionné la société (IJ) comme partenaire commercial mais aurait entretemps été modifiée pour mentionner aussi l’appelante et « correspondre [au] narratif factuel de cette dernière ». Le rôle de la société (GH) comme garant ne serait pas prouvé et il semblerait plutôt que cette société ait commercialisé directement en Russie des produits (KL) et ainsi contribué « à développer des contrats de livraison sur ce marché ». En outre, l’appelante ne prouverait pas le lien de causalité entre la cession des prétendus contrats de livraison et l’augmentation de son chiffre d’affaires et elle pourrait tout aussi bien avoir réalisé ces profits par des ventes à une clientèle qu’elle aurait développée elle-même ou en raison d’une autre activité économique qu’elle aurait exercée, compte tenu de l’approvisionnement de l’appelante auprès de la société (KL) dès 2007 et des frais de représentation figurant dans les comptes 2011 à 2016 de l’appelante.

A titre principal, la partie étatique estime qu’il incomberait à l’appelante de « rapporter les preuves du bien-fondé des dépenses invoquées conformément aux exigences de l’article 45, paragraphe (1) [LIR], qui requiert en particulier la preuve du lien causal exclusif entre l’activité de l’entreprise et la dépense engagée ». Elle conteste « la matérialité ainsi que la valeur de l’objet des contrats de cession qui sont à la base de l’amortissement sollicité à titre de dépenses d’exploitation ». En effet, l’absence d’identification des prétendus contrats de livraison cédés rendrait l’objet des contrats conclus entre l’appelante et la société (EF) les 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 « indéterminé et indéterminable ». Seule la production de ces documents permettrait d’apporter la preuve requise par l’article 45, paragraphe 1er, LIR. Les contrats versés depuis par l’appelante, conclus entre la société (EF) et des clients allégués de cette dernière, ressembleraient à des contrats cadre incomplets et ne permettraient pas d’appuyer la thèse de l’appelante.

A titre subsidiaire, la partie étatique invoque la simulation sur le fondement du « §6 » de la loi d’adaptation fiscale appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après « StAnpG ». En l’absence de la preuve de la réalité des prétendus contrats de livraison cédés, la contrepartie de la transaction serait inexistante de sorte que « l’acte réellement voulu » ressemblerait à une « donation à la société ‘offshore’ qui n’est pas susceptible d’amortissement ».

A titre plus subsidiaire, il y aurait abus de droit. Le premier critère serait rempli, la constitution de l’appelante et les deux contrats de cession de prétendus contrats de livraison constituant sans équivoque des utilisations de formes et d’institutions du droit privé. De plus, ce serait à tort que l’appelante affirmerait que l’amortissement constitue une technique comptable découlant du principe de prudence par opposition à une utilisation de formes ou d’institutions du droit privé.

Le deuxième critère serait également rempli au motif qu’il serait manifeste que la cession des prétendus contrats de livraison et leur amortissement auraient permis à l’appelante de « réaliser une économie d’impôt dépassant les (MONTANT 3) EUR, IRC et ICC confondus, pour les années imposables 2013 à 2016 ». En outre, la charge fiscale, existante ou non, de la société (EF) ne serait nullement pertinente pour l’analyse de ce critère, lequel devrait être apprécié dans le chef de l’appelante et en fonction des opérations litigieuses.

Les deux derniers critères seraient aussi remplis. La mise en place de l’appelante et la cession des contrats de livraison n’obéiraient à aucune logique commerciale et constitueraient une violation flagrante du principe de non-concurrence car « un tiers n’aurait jamais acquis un actif pour un montant total de (MONTANT 6) EUR sans aucune précision quant à l’existence et l’envergure des contrats sous-jacents non autrement déterminés ou déterminables et, a fortiori, sans garantie de pouvoir exploiter [lesdits] contrats de livraison à défaut de sécurité juridique quant à l’approvisionnement auprès du seul et unique fournisseur des produits ». La partie étatique estime qu’un tel risque opérationnel n’aurait jamais été accepté par un tiers et que les conditions de la cession seraient défavorables à la société (EF), celle-ci ayant accepté l’intégralité du risque financier en octroyant un prêt à l’appelante pour l’acquisition du « prétendu fonds de commerce » au lieu de se faire payer le prix au moment de la cession, et sans exiger une quelconque sûreté pour assurer le paiement du prix ni convenir d’un échéancier de remboursement du prêt, ce dernier devant être remboursé à la discrétion de l’appelante dans les dix années suivant la conclusion du contrat.

De surcroît, l’explication de l’appelante consistant à dire que la société (KL) aurait demandé à la famille (A-B) de créer une nouvelle société pour limiter le risque réputationnel découlant potentiellement de relations commerciales avec une société « offshore » serait certes attestée par le « Directeur gérant » de la société (KL) mais serait peu convaincante, eu égard aux relations commerciales maintenues entre cette société et la société (EF) « pendant de nombreuses années, soit de 2003 à 2010 ».

A titre encore plus subsidiaire et « pour autant que de besoin », la partie étatique estime que l’appelante n’a pas apporté la preuve que la valorisation des actifs cédés respecte le principe de pleine concurrence. La méthodologie reposant sur l’EBE serait inadaptée au cas d’espèce et, en retenant comme prémisse le chiffre d’affaires de la société (EF), elle se fonderait sur une prémisse non établie, « en l’absence d’une étude de prix de transfert effectuée au moment des transactions et/ou en l’absence de la comptabilité de la société (EF) ». De plus, la comparaison de la valorisation ex ante avec le chiffre d’affaires réalisé ex post par l’appelante n’obéirait « à aucune logique ». Enfin, « sous l’appréciation du principe de pleine concurrence », l’activité de l’appelante ainsi que la valorisation des contrats de livraison se réduiraient en l’espèce à néant, « à défaut de garantie juridique quant à l’approvisionnement auprès du seul et unique fournisseur (KL) ». Les prétendus contrats de livraisons n’auraient dès lors « aucune valeur intrinsèque pour un tiers » et ne permettraient pas de « pratiquer un quelconque amortissement ».

Analyse de la Cour Comme relevé à juste titre par les premiers juges, la question centrale du présent litige tourne autour de la déductibilité de l’amortissement de fonds de commerce que l’appelante aurait acquis de la société (EF) à travers deux contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011.

Les parties sont d’accord sur le principe de la déductibilité de l’amortissement en cas d’acquisition d’un fonds de commerce. En revanche, la partie étatique considère que ce principe ne saurait être appliqué en l’espèce.

Quant à l’objet des contrats de cession des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 Le premier point qu’il convient de trancher est le désaccord entre l’appelante et la partie étatique sur l’objet de ces contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011, l’appelante estimant avoir été partie à des cessions de fonds de commerce alors que l’Etat qualifie les cessions opérées de cessions de contrats.

La cession de contrat peut être définie comme « une convention par laquelle est opéré le transfert d’un contractant à un tiers l’ensemble des rapports juridiques issus de ce contrat ». Elle est l’opération par laquelle un tiers, nommé le cessionnaire, succède à un contractant, nommé le cédant, dans un contrat ayant été conclu avec un autre contractant nommé le cédé (Cour d’appel, 9 mai 2012, n° 36434 du rôle). En revanche, lorsque parmi les éléments à céder figure la clientèle, élément essentiel et caractéristique du fonds de commerce, la cession s’analyse en une cession de fonds de commerce (Cour d’appel, 16 décembre 2015, n° 41215 du rôle). De plus, dans le cadre d’un contrat de cession de fonds de commerce, la clause de non-concurrence participe même de la prestation caractéristique du contrat, en ce qu’il faut éviter que le cédant ne reprenne d’une main ce qu’il prétend céder de l’autre (trib.

arr. Lux., 21 octobre 2016, n° 1669/2016).

Il convient donc d’examiner les deux contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 versés par l’appelante afin de déterminer s’ils présentent les caractéristiques d’une cession de contrat ou d’une cession de fonds de commerce.

Ces deux contrats, rédigés en anglais, sont intitulés « sales agreement » et ont été conclus entre la société (EF), désignée comme le vendeur, et la société (CD), désignée comme l’acquéreur. Ces contrats sont succincts – deux pages chacun, sans annexe – et comportent quatre sections.

La première section, définissant l’objet des contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011, est intitulée « Contractual relationships ». Elle énumère d’abord les pays dans lesquels la société (EF) « possède » des contrats et des clients (« owns contracts and customers ») – les pays CEI (« groupe A ») et la Russie (« groupe B ») pour le premier contrat de cession, l’Ukraine pour le second –, précise que ces contrats concernent la vente d’… spécifiques (« …, …, …, … ») à des clients situés dans les pays énumérés et indique que le vendeur détient également les droits commerciaux pour vendre lesdits produits dans lesdits pays. La clause suivante énonce que l’acquéreur souhaite « acheter » les contrats et les clients dans lesdits pays. Suit enfin une clause de non-concurrence, par laquelle le vendeur s’engage à ne pas entreprendre d’activité commerciale dans lesdits pays pendant les huit prochaines années pour le contrat du 7 janvier 2009, et pendant les dix prochaines années pour le contrat du 3 janvier 2011.

La deuxième section de chacun des contrats de cession définit le prix et les conditions de paiement. Cette section du contrat de cession du 7 janvier 2009 mentionne notamment que la « valeur du contrat » pour le groupe A (« [t]he value of the contract concerning the Group A ») est de … d’euros, tandis que la « valeur du contrat » pour le groupe B est de … d’euros, la valeur totale pour les groupes A et B (« [t]he total value for GROUP A and B ») s’élevant donc à (MONTANT 3) d’euros. La section équivalente du contrat de cession du 3 janvier 2011 signale que la « valeur du contrat » concernant l’Ukraine (« [t]he value of the contract concerning this country ») s’élève à (MONTANT 4) d’euros.

Quant à la troisième section des deux contrats de cession, intitulée « Purchase terms », elle indique que de l’accord du vendeur et de l’acquéreur, les … pouvant être livrés aux clients doivent être achetés auprès de la société (KL).

Enfin, la quatrième section définit la juridiction compétente et la loi applicable en cas de litige.

La Cour relève d’abord l’emploi du singulier dans la deuxième section de chacun des contrats de cession. Ladite section ne définit donc pas la valeur de plusieurs contrats sous-jacents qui feraient l’objet de chacune des cessions – si tel avait été le cas, il aurait dû être question de la valeur des contrats. Autrement dit, l’actif acquis par l’appelante en contrepartie du prix d’acquisition de respectivement (MONTANT 3) et (MONTANT 4) d’euros n’est pas uniquement constitué de contrats déjà conclus par la société (EF), que cette dernière céderait à l’appelante.

Cette analyse est confirmée par les références non seulement à des contrats « possédés » par la société (EF), mais aussi à ses clients établis dans des régions spécifiques, au droit de vendre des … dans ces régions et à l’obligation d’acquérir auprès d’un fournisseur déterminé les … ensuite vendus aux clients établis dans ces régions. Ces éléments, pris ensemble, renvoient donc à l’exercice d’une activité dans des marchés déterminés, auprès d’une clientèle qui, comme énoncé ci-avant, constitue un élément indispensable d’un fonds de commerce.

La Cour relève ensuite la présence de la clause de non-concurrence. Outre qu’il s’agit, comme indiqué ci-avant, d’une clause importante en cas de cession d’un fonds de commerce, c’est à juste titre que l’appelante a souligné qu’une cession de contrats n’aurait pas nécessité d’engagement de non-concurrence du cédant, puisque seules des transactions déjà conclues, pour lesquelles une concurrence n’est donc matériellement plus possible, auraient été concernées.

De plus, la Cour note l’absence d’annexes aux deux contrats de cession. L’Etat, en cela suivi par les premiers juges, reproche à l’appelante de ne pas avoir fourni les contrats sous-jacents qui auraient été cédés en bloc, ni la preuve du transfert d’un droit d’exclusivité accordé par la société (KL) à la société (EF), le contrat de distribution conclu entre la société (KL) et la société (EF) le 28 novembre 2008 confirmant que cette dernière disposait d’un droit exclusif pour les marchés russe, ukrainien et des autres pays CEI au minimum pendant la durée de validité du contrat, soit du 28 novembre 2008 jusqu’à la fin du mois de février 2011. Or, le fait qu’aucun contrat sous-jacent n’ait été annexé conforte précisément l’argument de l’appelante consistant à écarter la qualification de cession de contrats.

En effet, la Cour d’appel a posé les principes suivants dans un arrêt du 4 mars 2009 :

« Si un contrat conclu intuitu personae ne peut être transmis qu’avec l’accord du cédé ou du moins sans avertissement ou avis préalable (Paris, 3 novembre 1994, Defrénois n° 36145-106) la cession d’un contrat non basé sur la considération de la personne du cocontractant est libre, sauf si elle était exclue lors de la négociation du contrat initial » (Cour d’appel, 4 mars 2009, n° 32277 du rôle). En principe, l’accord du cédé n’est donc pas nécessaire, sauf lorsque le contrat cédé est un contrat intuitu personae, ce qui était le cas à tout le moins pour le contrat de distribution exclusive conclu entre la société (KL) et la société (EF). La société (CD) explique de manière concordante que n’ayant pas été partie à une cession de contrats, elle n’a pas à démontrer – et n’a jamais cherché à le faire – un transfert juridique de relations contractuelles opposable aux différents cocontractants de la société (EF).

Par ailleurs, la Cour constate que l’existence de liens d’affaires noués de longue date entre la société (KL) et la famille (A-B) a été mentionnée par Monsieur (A) dans son « Kurzlebenslauf zum Arbeitsleben » – pièce datant du 7 décembre 2004 et versée par l’Etat – et confirmée par le « Directeur gérant » de la société (KL) dans son attestation testimoniale du 27 février 2019. Or, d’une part, d’après son « Kurzlebenslauf zum Arbeitsleben », Monsieur (A) est ingénieur de formation, donc susceptible de posséder les connaissances techniques nécessaires à la bonne poursuite de relations d’affaires dans le domaine d’activité de la société (EF) puis de l’appelante. D’autre part, il n’est pas contesté que Monsieur (A) contrôle les sociétés (EF) et (CD), donc les deux parties aux contrats de cession litigieux, et en est le bénéficiaire effectif au sens de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme. Par conséquent, l’appelante pouvait raisonnablement compter avoir accès au carnet d’adresses in fine développé par Monsieur (A) – une société, en tant que fiction juridique, devant nécessairement agir par l’intermédiaire d’une personne physique –, sans que les contacts de ce carnet d’adresses ne soient énumérés dans les contrats de cession des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011.

Au vu de ce qui précède, la Cour suit l’appelante dans ses affirmations que les contrats de cession des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 concernent le transfert de fonds de commerce relatifs à une activité de distribution d’… et de … dans différentes zones géographiques, à savoir la Russie et les pays CEI pour le premier contrat et l’Ukraine pour le second, et que ces fonds de commerce ne comportaient pas d’éléments corporels, mais un carnet d’adresses de clients actuels et potentiels ainsi qu’une relation commerciale (et non un contrat spécifique) avec le producteur des produits distribués, c’est-à-dire la société (KL).

Quant à la charge de la preuve de la déductibilité des amortissements sur fonds de commerce La nature des transactions telle que ressortant des contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 ayant été clarifiée, il convient à présent de déterminer la charge de la preuve incombant respectivement à l’appelante et à la partie étatique pour respectivement obtenir ou refuser la déduction des amortissements opérés sur les fonds de commerce ayant fait l’objet desdits contrats.

Conformément à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 :

« La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable.

La charge de la régularité de la procédure fiscale appartient à l’administration.

La preuve peut être rapportée par tous les moyens, hormis le serment. » En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la possibilité pour l’appelante de déduire les amortissements qu’elle a pratiqués sur les fonds de commerce ayant fait l’objet des cessions des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011. La déduction des amortissements consistant en une réduction de la cote d’impôt du contribuable, la charge de la preuve incombe en premier lieu à l’appelante.

Les premiers juges ont retenu que l’article 45, paragraphe 1er, LIR détermine les conditions dans lesquelles les charges en relation avec les amortissements peuvent être déduites à titre de dépenses d’exploitation. Il convient cependant de noter qu’en l’espèce, la question de l’amortissement des fonds de commerce litigieux est non pas régie par l’article 45 LIR – lequel est effectivement relatif aux dépenses d’exploitation et à leur déductibilité –, mais par les articles 29 à 34 LIR. Le principe de la déduction d’un tel amortissement est posé à l’article 30 LIR, en vertu duquel : « L’amortissement normal, tel qu’il est spécifié aux articles 32 et 33 [LIR], doit être porté en déduction du résultat ».

Si l’exigence d’un lien causal exclusif entre l’amortissement et l’entreprise n’est pas formulée explicitement comme à l’article 45 LIR, une telle exigence découle néanmoins des articles 21 et 28 LIR. En effet, pour pouvoir être qualifiés d’« immobilisations amortissables », les fonds de commerce litigieux doivent en premier lieu faire partie de l’actif net investi de la société (CD). Aux termes de l’article 21 LIR :

« 1. Les biens de l’actif net investi comprennent les immobilisations, les biens du réalisable et du disponible et les éléments du passif envers les tiers.

2. Sont considérés comme immobilisations les biens qui sont destinés à servir de manière permanente à l’entreprise ».

Par conséquent, l’appelante doit établir que les fonds de commerce litigieux sont destinés à servir de manière permanente à son activité afin de démontrer que ces fonds de commerce sont des « immobilisations » au sens de l’article 21, paragraphe (2), LIR, et plus précisément des « immobilisations susceptibles d’amortissement pour usure » au sens de l’article 28, paragraphe (2), LIR.

Quant à la justification de la valeur attribuée par le contribuable aux fonds de commerce, comme relevé pertinemment par l’appelante, la question de la valorisation des fonds de commerce transférés entre deux entreprises liées – en l’espèce, les sociétés (CD) et (EF) – est au final une question de prix de transfert, donc du respect du principe de pleine concurrence. Ce dernier soumet les relations entre acteurs économiques à certaines exigences mais n’a été consacré formellement au niveau de la LIR comme principe général que par la modification de l’article 56 LIR à travers l’article 9 de la loi du 19 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du paquet d’avenir – première partie (Cour adm., 12 octobre 2021, n° 45260C du rôle), donc postérieurement à la conclusion des deux contrats de cession de fonds de commerce sous analyse.

Il n’en demeure pas moins que le principe de pleine concurrence trouvait déjà à s’exprimer, à l’époque de la conclusion de ces contrats, à travers le régime des distributions cachées de bénéfices prévu par l’article 164, paragraphe (3), LIR (Cour adm., 12 octobre 2021, précité). En effet, la situation visée par une distribution cachée de bénéfices est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers, l’existence d’une distribution cachée impliquant qu’un associé, sociétaire ou intéressé reçoive directement ou indirectement de la société en question des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien.

Ainsi, d’un côté, il incombe au seul contribuable de déterminer l’étendue de son activité commerciale, les moyens y engagés et le niveau de profit qu’il entend en tirer. Par voie de conséquence, le contribuable est seul juge de l’opportunité d’une dépense et la notion d’un lien de causalité suffisamment étroit et exclusif entre la dépense et l’activité n’implique pas de contrôler si la dépense était nécessaire ou si elle était effectivement susceptible de profiter à l’activité du contribuable (Cour adm., 1er décembre 2016, n° 37844C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Impôts, n° 202). Mais d’un autre côté, les choix du contribuable quant à ses opérations économiques, même réalisées avant la modification de l’article 56 LIR, sont susceptibles d’être requalifiés en vertu de l’article 164, paragraphe (3), LIR. A cet égard, en vertu de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999, la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur la partie étatique. C’est essentiellement lorsque la partie étatique peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable qu’elle peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées (Cour adm., 12 février 2009, n° 24642C, Pas. adm. 2021, v° Impôts, n° 629).

Par ailleurs, la Cour a déjà insisté sur la nécessité d’opérer une distinction entre, d’une part, le redressement des bénéfices d’une société et, d’autre part, l’existence d’une distribution cachée pour un montant correspondant au redressement des bénéfices. En effet, une simple économie dans le chef de certaines autres sociétés d’un même groupe reste limitée à un avantage accordé à ces sociétés et ne peut pas être considérée comme ayant donné lieu à l’octroi d’un avantage constitutif d’un revenu de capitaux mobiliers en faveur des associés, sociétaires ou bénéficiaires finaux de la société en question que ce soit directement voire même indirectement, sauf si des éléments particuliers indiquent que l’avantage a été effectivement remonté aux associés, sociétaires ou bénéficiaires finaux (Cour adm., 11 mars 2021, nos 45247C-45248C du rôle).

En l’espèce, force est de constater que la partie étatique n’a pas cherché à justifier le redressement litigieux par l’existence d’une distribution cachée.

Le quatrième motif avancé par la partie étatique pour refuser la déduction de l’amortissement, reposant sur une violation du principe de pleine concurrence, est fondé sur les affirmations que l’activité de l’appelante ainsi que la valorisation des « contrats de livraison » se réduiraient en l’espèce à néant, « à défaut de garantie juridique quant à l’approvisionnement auprès du seul et unique fournisseur (KL) », que ces « prétendus contrats de livraison » n’auraient dès lors « aucune valeur intrinsèque pour un tiers » et ne permettraient donc pas de « pratiquer un quelconque amortissement ». La partie étatique a donc fondé ce motif sur une prémisse erronée – à savoir que la société (CD) aurait été partie à des cessions de contrats et non de fonds de commerce – et n’avance pas d’élément particulier indiquant qu’un avantage aurait été effectivement remonté aux associés ou bénéficiaires effectifs de l’appelante.

Pour autant, si en l’espèce, l’appelante n’est pas directement obligée par le principe de pleine concurrence de justifier la valeur attribuée aux fonds de commerce en question et n’est donc pas tenue d’expliquer cette valeur sous le prisme des prix de transfert, elle n’en demeure pas moins tenue de justifier cette valeur en vertu des principes comptables d’image fidèle et de prudence ancrés dans la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales, ci-après, la « loi du 19 décembre 2002 ». Les mêmes exigences découlent de l’article 23 LIR, de sorte que, même dans une situation où la démonstration de la conformité au principe de pleine concurrence n’est pas requise, le contribuable demeure tenu de justifier la réalité du prix qu’il a mis en avant.

Il convient donc de conclure que l’appelante doit prouver la matérialité de l’acquisition des fonds de commerce en tant que telle et partant, l’existence d’une contrepartie au prix d’acquisition total de (MONTANT 6) d’euros – l’article 1108 du Code civil exigeant un « objet certain qui forme la matière de l'engagement » et l’article 1582 du même Code définissant la vente comme « une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer » –, ainsi que l’existence d’un lien causal présentant un caractère d’exclusivité suffisant entre l’amortissement sollicité et son activité, et qu’elle doit aussi justifier la valeur attribuée aux fonds de commerce litigieux.

Enfin, il convient de rappeler que la juridiction saisie ne saurait s’arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais qu’elle est appelée, au-delà de l’apparence juridique, à rechercher et analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques. En effet, il est de principe en droit fiscal que les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques et que les qualifications juridiques avancées par les parties ne sont retenues par le juge de l’impôt que dans la mesure où elles correspondent à l’intention réelle des parties (Cour adm., 26 juin 2008, n° 24061C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 78). A cet égard, l’Etat estime que « seul[e] la communication de l’intégralité des contrats de livraison des clients est de nature à pouvoir identifier précisément quels clients ont fait l’objet de la cession et à pouvoir documenter la matérialité de la contrepartie des transactions litigieuses ». Cette affirmation est cependant à écarter, l’Etat étant parti d’une prémisse erronée quant à la nature des transactions documentées par les contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011. Comme retenu ci-avant, du point de vue de la documentation juridique, ces transactions n’ont pas consisté en des cessions de contrats, mais en des cessions de fonds de commerce.

Par conséquent, au vu des principes relatifs à la charge de la preuve exposés ci-avant, il incombe à l’appelante de démontrer qu’elle a bien participé, dans les faits, à deux cessions de fonds de commerce, donc de prouver la matérialité des fonds de commerce ainsi que de leur acquisition, de sorte à établir un lien causal exclusif suffisamment étroit entre, d’une part, l’acquisition des fonds de commerce litigieux et leur amortissement et, d’autre part, son activité. Il lui appartient ensuite de justifier la valeur attribuée à ces fonds de commerce.

Quant à la matérialité des fonds de commerce créés par la société (EF) L’appelante a avancé un faisceau d’indices concordants démontrant la réalité des fonds de commerce créés par la société (EF).

En effet, plusieurs éléments étayent son affirmation que de 1993 à 2008, la société (EF) a été l’un des exportateurs et revendeurs exclusifs, pour les marchés russe, ukrainien et des autres pays CEI, des produits en … fabriqués par le groupe (KL).

Ainsi, le contrat de distribution conclu entre la société (KL) et la société (EF) le 28 novembre 2008 confirme que cette dernière disposait d’un droit exclusif pour les marchés en question au minimum pendant la durée de validité du contrat, soit du 28 novembre 2008 jusqu’à la fin du mois de février 2011.

Ensuite, Monsieur (C), le « Directeur gérant » de la société (KL), a confirmé dans son attestation testimoniale du 27 février 2019 que « (KL) a maintenu une relation commerciale historique avec la société (EF) qui a été un revendeur des produits en … fabriqués par (KL) pour les marchés [r]usse (et pays C.E.I.) et [u]krainien depuis de nombreuses années ».

L’appelante reconnaît que l’attestation mentionne « (EF) » sans préciser s’il s’agit de la société (EF) ou de la société (GH), mais relève à juste titre que l’auteur de l’attestation se réfère ensuite aux Iles Vierges Britanniques, qui sont la juridiction d’établissement de la société (EF), tandis que la société (GH) est établie à …, de sorte qu’il convient d’admettre que c’est bien la société (EF) qui est visée dans l’attestation.

De plus, l’appelante a versé deux pièces – un tableau récapitulatif des commandes passées par la société (EF) et par l’appelante auprès de la société (KL) pendant la période de 2003 à 2010 ainsi qu’un relevé détaillé des transactions conclues entre la société (EF) et la société (KL) pendant cette même période – détaillant l’importance des relations d’affaires entre la société (EF) et la société (KL), les commandes effectuées par la première auprès de la seconde ayant atteint un volume global de … d’euros pendant cette période. Si le tribunal administratif a qualifié le tableau récapitulatif de « document purement unilatéral », la Cour note que l’appelante a confirmé que ce document émanait d’un tiers, la société (KL), et n’a pas été utilement contredite sur ce point par l’Etat. C’est donc à juste titre que l’appelante a estimé que ce caractère « unilatéral » est sans importance et que, contrairement à la conclusion des premiers juges, ce tableau pouvait valablement servir d’élément de preuve de la réalité et de l’envergure du développement d’une clientèle par la société (EF).

Par ailleurs, les premiers juges ont souligné que la société (CD) reconnaissait que la comptabilité de la société (EF) visant les années antérieures à la cession n’était plus disponible et en ont déduit que ses allégations quant au développement d’une clientèle par la société (EF) pendant ces années ne pouvaient être fondées. Cependant, d’une part, l’appelante a expliqué d’une manière convaincante l’absence de documents comptables de la société (EF) par l’expiration du délai légal de conservation de cinq ans aux Iles Vierges Britanniques, sur la toile de fond de l’acceptation sans réserves par le bureau d’imposition des amortissements déduits par la société (CD) pendant les exercices 2010 à 2012. L’appelante avance donc de manière plausible que la famille (A-B) n’avait pas de raison d’anticiper des discussions ultérieures avec l’administration des Contributions directes, lesdites discussions n’étant apparues qu’en 2018, soit sept ans après la cession du deuxième fonds de commerce, d’où l’absence de conservation des documents comptables de la société (EF) au-delà du délai légal.

D’autre part, outre le tableau récapitulatif des commandes susmentionné, l’appelante a versé une copie de deux contrats conclus en 2008 par la société (EF) – le premier avec un client ukrainien et le second avec un client russe –, portant sur des ventes d’un montant total de … d’euros, et explique que depuis la première instance, la société (EF) a réussi à se procurer ces copies auprès de deux de ses anciens clients. Ces contrats sont également des éléments concordants de nature à démontrer l’existence d’une clientèle développée par la société (EF) avant les deux contrats de cession de fonds de commerce.

Pour le surplus, les arguments avancés par l’Etat pour démontrer l’absence de fonds de commerce dans le chef de la société (EF) n’emportent pas la conviction de la Cour. En effet, l’appelante a fourni des explications détaillées et étayées par diverses pièces pour contredire la thèse de la partie étatique selon laquelle la clientèle en Russie, en Ukraine et dans les autres pays CEI n’aurait pas été développée par la société (EF), mais par les sociétés (IJ), (QR) ou (GH).

En particulier, de nombreuses factures adressées par l’appelante indiquent la société (KL) comme « Versender » et la société (IJ) comme « Güterempfänger », tandis que plusieurs autres factures sont adressées directement par l’appelante à des sociétés tierces, ce qui rend crédible l’affirmation de l’appelante selon laquelle la société (IJ) ne joue qu’un rôle de sous-

traitant – jadis de la société (EF) et désormais de l’appelante – et qu’elle a été mise en place pour faciliter les importations pour des petites et moyennes entreprises situées en Russie qui ne peuvent pas remplir elles-mêmes les formalités douanières. Ce rôle est également confirmé par la lettre de l’administration des douanes du bureau sud de Rostov, Russie, datée du 21 octobre 2019, qui indique que la société (IJ) a fait effectivement dédouaner des marchandises durant la période du 22 juin 2009 au 14 octobre 2019.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation de la partie étatique selon laquelle le site internet de la société (KL) aurait été entretemps « adapté » pour « correspondre [au] narratif factuel » de l’appelante, l’Etat se prévalant à cet égard de deux captures d’écran qui correspondraient à la page internet du site du groupe (KL) telle qu’elle aurait été accessible en date respectivement du 7 août 2014 et du 23 décembre 2019, desquelles il ressortirait que la société (IJ) était présentée comme le représentant officiel du groupe (KL) en Russie et en Ukraine. Cependant, les captures d’écran du site internet concernent les années 2014 et 2019, donc postérieurement aux deux cessions de fonds de commerce. Or d’éventuelles modifications dans les relations entre la société (KL) et les diverses sociétés détenues par la famille (A-B) intervenues postérieurement aux deux cessions ne sont pas de nature à invalider la réalité de ces cessions. En outre, les informations figurant sur la page du site internet au 23 décembre 2019 ne sont pas à prendre à la lettre car selon le texte de la capture d’écran, « since 1993, (IJ) has been supplying metal, cutting and measuring instruments manufactured by the Luxembourg company (KL) » alors qu’il ressort du certificat d’immatriculation certifié conforme de la société (IJ) que cette dernière n’a été immatriculée que le 10 décembre 1997.

A titre superfétatoire, la Cour note que comme indiqué par l’appelante, le site internet du groupe (KL) mentionne désormais la société (CD) parmi ses distributeurs tandis que la société (IJ) n’est désignée que comme un revendeur.

Par ailleurs, les explications de l’appelante sur le rôle déterminant de la société (EF) pour le développement des activités de distribution d’… produits par la société (KL) avant la conclusion des deux contrats de cession sont cohérentes par rapport aux informations que la (Banque), dans sa déclaration de soupçon du 2 août 2013 – soit bien antérieurement au litige fiscal de l’espèce –, indique avoir reçues du client, à savoir que « la société (CD) disposerait à Luxembourg d’une représentation physique limitée à une secrétaire et à Monsieur (D). (CD) travaillerait principalement avec (IJ) (Russie) qui emploierait … ingénieurs et … techniciens dans le secteur de la production pétrolière ». Ces explications sont aussi cohérentes par rapport aux déclarations effectuées par Monsieur (D) (alors administrateur-délégué à la gestion journalière de la société (CD)) lors d’un entretien téléphonique du 27 novembre 2013 avec Monsieur … de la Cellule de renseignement financier, déclarations qui ont été consignées par Monsieur … dans un compte-rendu du même jour figurant dans le dossier fiscal.

La partie étatique a certes souligné que le contrat de distribution exclusive du 28 novembre 2008 avait pour signataire non seulement la société (KL) et la société (EF), mais aussi la société (GH). Cependant, la partie étatique ne démontre pas en quoi cette présence de la société (GH) au contrat prouverait un développement des fonds de commerce imputable essentiellement voire intégralement à la société (GH). De plus, l’appelante a expliqué que ce contrat avait été maladroitement rédigé par des non-juristes, en ce qu’il ne faisait pas apparaître que la société (GH) y figurait exclusivement en vertu de son rôle de garant de la société (EF) dans un contexte de difficultés financières provoquées par la situation en Russie. Cette explication de l’appelante est plausible et confortée par l’absence de référence à des relations entre les sociétés (GH) et (KL) dans l’attestation testimoniale du « Directeur gérant » de la société (KL).

Par ailleurs, l’appelante a insisté à juste titre sur le fait que les deux contrats de cession de fonds de commerce font référence à des « commercial rights to sell » sans pour autant faire état d’un droit d’exclusivité sur la période définie. C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu que l’appelante « n’a pas non plus fourni la preuve d’un transfert d’un droit d’exclusivité accordé par la société (KL) à la société (EF) ou l’octroi d’un tel droit à son bénéfice, lui donnant la garantie de l’exclusivité pour une certaine période, alors qu’une telle exclusivité devrait être un élément important pris en considération pour fixer le prix de cession et constituant de la sorte un élément important permettant de retracer la réalité des fonds de commerce ».

Enfin, le tribunal administratif a correctement noté que le prix de vente n’a pas été réglé intégralement par l’appelante lors de la conclusion des contrats de cession, mais convenu sous forme d’un prêt portant intérêts accordé par la société (EF) à l’appelante, remboursable selon les capacités de l’acquéreur et dans tous les cas endéans huit ans pour le premier contrat, et endéans dix ans pour le second. Cependant, au vu des indices concordants relevés ci-avant, ce seul constat d’un risque économique reposant sur la société (EF) du fait du choix d’un certain mode de financement du transfert des fonds de commerce ne saurait remettre en cause l’existence des fonds de commerce cédés.

Au vu de ce qui précède, c’est à tort que le tribunal administratif a remis en cause la matérialité des fonds de commerce développés par la société (EF) et donc la matérialité de l’objet des contrats de cession portant sur ces fonds de commerce.

Quant à la preuve de la cession des fonds de commerce à l’appelante L’appelante a également fourni la preuve que les fonds de commerce développés par la société (EF) lui ont été cédés.

Comme déjà retenu par la Cour, les contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 ont bien pour objet la cession de fonds de commerce de la société (EF) à la société (CD).

De plus, l’existence du paiement du prix d’acquisition des fonds de commerce ne saurait être remise en cause, puisque ce sont précisément les versements importants effectués par l’appelante en faveur de la société (EF) qui ont alerté la banque luxembourgeoise auprès de laquelle l’appelante conservait à l’époque des fonds et qui ont conduit cette banque à effectuer une déclaration de soupçon auprès de la Cellule de renseignement financier.

L’appelante a aussi démontré l’exploitation subséquente des fonds de commerce acquis. Elle a ainsi soumis onze contrats de distribution (parfois exclusive, selon les produits) conclus avec la société (KL), couvrant la période du 28 janvier 2010 jusqu’à la fin du mois de février 2022, ce qui prouve la continuité de la relation d’affaires entre ces deux sociétés. Le premier de ces contrats a été conclu le 28 janvier 2010, soit bien avant la réception par l’appelante du premier courrier de l’administration des Contributions directes l’informant de son intention de dévier de ses déclarations fiscales, de sorte que ces contrats ne peuvent pas être considérés comme ayant été conclus juste en vue de corroborer le récit de la société (CD).

Cette dernière a également soumis des contrats qu’elle avait conclus en janvier 2008 avec des clients russes et ukrainiens portant sur des … fabriqués par la société (KL), des factures ainsi que des bordereaux de transport témoignant de l’exécution de commandes d’… passées auprès de l’appelante, dont cinq classeurs documentant des ventes d’… effectuées par l’appelante entre 2013 et 2016 en Russie, en Ukraine et dans d’autres pays CEI.

Un élément concordant supplémentaire est l’attestation testimoniale du « Directeur gérant » de la société (KL), dans laquelle son auteur explique que « (KL) a eu pour principal interlocuteur pour les marchés en question des … en Russie et pays CEI et Ukraine la famille (A-B) et n’a pas eu recours à d’autre revendeur que la société que [sic] (EF) et après (CD) pour la vente de ces … spécifiques pour l’usinage de tubes. Il était entendu entre les parties que (CD) viendrait supplanter la société (EF) dans sa relation commerciale avec (KL) ». Les explications fournies dans cette attestation quant aux relations commerciales entre la société (KL) et la société (CD) et aux transferts des fonds de commerce corroborent également les documents versés par l’appelante pour retracer l’historique des commandes qu’elle a effectuées auprès de la société (KL) de 2007 à 2018, ces commandes augmentant considérablement à partir de 2009.

Par ailleurs, la partie étatique elle-même reconnaît que l’appelante réalise son chiffre d’affaires grâce à sa clientèle et son activité économique. Elle suggère cependant que l’appelante elle-même aurait développé cette clientèle, de sorte qu’il n’y aurait pas de lien causal exclusif entre l’exercice par l’appelante de son activité économique et les charges d’amortissement litigieuses. Cet argument, invoqué par la partie étatique comme premier motif de refus de la déduction des charges d’amortissement, est cependant à écarter. Certes, l’appelante a commencé à se fournir auprès de la société (KL) en 2007, mais comme souligné pertinemment par la société (CD), l’évolution de son chiffre d’affaires suit l’évolution des commandes qu’elle a passées auprès de la société (KL) et une comparaison du chiffre d’affaires de l’appelante sur base de ses comptes annuels fait ressortir une augmentation très importante de ce chiffre d’affaires en 2009, 2010 et 2011, donc au cours de la période concernée par le transfert d’activité de la société (EF) à la société (CD). L’existence de frais de représentation supportés par l’appelante n’est pas un élément suffisant pour accréditer l’hypothèse de la partie étatique d’un développement d’une clientèle complètement distinct des cessions des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011. En effet, outre les éléments concordants déjà mentionnés ci-avant, l’appelante a mis en exergue que la conclusion des contrats de cession des fonds de commerce ne l’exonérait pas d’un certain risque commercial quant à la continuation des relations d’affaires entretenues par le cédant avec son fournisseur et ses clients. L’acquisition d’un accès au carnet d’adresses de clients actuels ou potentiels n’est donc nullement incompatible avec la survenance de frais de représentation, les contacts cédés par la société (EF) pouvant librement décider d’entrer ou non en relation d’affaires avec la société (CD), de sorte qu’il n’est pas étonnant que cette dernière ait cherché à effectivement récupérer des anciens clients de la société (EF) et à les fidéliser.

Enfin, le second motif de refus avancé par la partie étatique, qui repose sur la simulation (rattachée erronément par l’Etat au § 6 StAnpG au lieu du § 5 StAnpG) n’emporte pas la conviction de la Cour. En effet, d’une part, cet argument est fondé sur la prémisse erronée que l’objet des contrats des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011 aurait été la cession de contrats sous-jacents et non de fonds de commerce. D’autre part, la partie étatique n’a pas démontré que les deux cessions de fonds de commerce auraient été des opérations fictives destinées à cacher une opération réelle consistant en une donation à la société (EF), les éléments en cause témoignant au contraire de la réalité des fonds de commerce constitués par la société (EF), de leur cession et de leur exploitation consécutive par la société (CD).

Il ressort de ce qui précède que l’appelante a bien démontré avoir acquis des fonds de commerce auprès de la société (EF) et avoir exploité les fonds de commerce en question.

L’appelante ayant établi un lien causal exclusif entre, d’une part, l’acquisition des fonds de commerce litigieux et leur amortissement et, d’autre part, son activité, c’est à tort que la partie étatique et les premiers juges ont refusé la déductibilité de l’amortissement opéré par l’appelante sur les fonds de commerce au motif qu’elle n’aurait pas apporté la preuve d’un tel lien causal.

Quant à la justification de l’évaluation des fonds de commerce acquis par l’appelante La Cour a déjà conclu ci-avant qu’eu égard au cadre juridique en vigueur au moment des deux cessions de fonds de commerce et à l’absence de démonstration par la partie étatique d’éléments laissant supposer l’existence d’une distribution cachée de bénéfices, l’appelante n’a pas à justifier au regard du principe de pleine concurrence le montant du prix qu’elle a versé à la société (EF) en contrepartie des fonds de commerce, mais qu’il lui incombe néanmoins d’apporter la justification de ce prix au regard des exigences d’évaluation découlant de la loi du 19 décembre 2002 et de l’article 23 LIR.

La Cour note que l’appelante a fourni des explications détaillées sur les modalités de détermination du prix d’acquisition des fonds de commerce. S’il est regrettable que les comptes annuels de la société (EF) ne soient plus disponibles, étant donné que l’appelante a fondé sa valorisation sur le chiffre d’affaires de la société (EF), la Cour a déjà retenu que l’absence de ces comptes avait été plausiblement expliquée par l’appelante par référence à l’expiration du délai légal de conservation des documents comptables aux Iles Vierges Britanniques avant la naissance du litige avec l’administration fiscale luxembourgeoise.

De plus, l’appelante a justement souligné que la disposition légale domestique régissant la documentation des prix de transfert, à savoir le § 171, alinéa (3), AO, n’a été introduite que par l’article 4 de la loi du 19 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du paquet d’avenir – première partie. Il ressort certes des travaux parlementaires que « [l]e nouvel alinéa 3 inséré au paragraphe 171 AO vise à clarifier que les obligations d’information et de documentation ancrées aux alinéas 1 et 2 dudit paragraphe s’appliquent également en matière de prix de transfert » (projet de loi relative à la mise en œuvre du paquet d'avenir-première partie, doc. parl. 6722/00, commentaire des articles, p. 56), mais cette disposition n’exige toujours pas l’établissement d’un rapport d’évaluation par un expert tiers. Pour autant, l’appelante a fourni, lors de l’instance d’appel, un tel rapport d’évaluation étayant le caractère approprié de l’évaluation qu’elle avait effectuée à l’époque de la cession des fonds de commerce.

Il s’agit certes d’un document préparé ex post, mais émanant d’un tiers en principe indépendant et compétent puisqu’il s’agit d’un réviseur d’entreprises agréé. En outre, la partie étatique n’a pas fourni d’élément permettant de remettre en cause les conclusions de ce rapport. En effet, elle reconnaît qu’il est valable de recourir, dans certaines situations, à une valorisation ex post – ce que l’appelante a également argumenté, sur le fondement des lignes directrices de l’OCDE concernant les actifs incorporels difficiles à évaluer – mais estime qu’en l’espèce, une telle valorisation ex post ne saurait être effectuée qu’à condition d’avoir prouvé la continuité de l’activité de la société (EF) par la société (CD) et qu’une telle preuve ferait défaut. Or la Cour a retenu que l’appelante a bien apporté une telle preuve.

Par conséquent, l’appelante a bien justifié l’évaluation des fonds de commerce ayant servi de base aux amortissements qu’elle a opérés, de sorte que c’est à tort que la partie étatique et les premiers juges ont fondé leur refus d’accorder la déduction sollicitée par l’appelante sur le défaut d’une telle preuve.

Quant à l’existence d’un abus de droit Il convient enfin de toiser l’argument de l’Etat reposant sur l’abus de droit, que les premiers juges n’ont pas examiné puisqu’ils ont conclu – à tort – à l’absence de preuve de la réalité de l’amortissement dont l’appelante se prévaut et du lien de cet amortissement avec son activité.

Le § 6 StAnpG définit l’abus de droit en ces termes: « (1) Durch Missbrauch von Formen und Gestaltungsmöglichkeiten des bürgerlichen Rechts kann die Steuerpflicht nicht umgangen oder gemindert werden. (2) Liegt ein Missbrauch vor, so sind die Steuern so zu erheben, wie sie bei einer den wirtschaftlichen Vorgängen, Tatsachen und Verhältnissen angemessenen rechtlichen Gestaltung zu erheben wären ».

La reconnaissance d’un abus de droit suppose la réunion de plusieurs éléments, à savoir l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie (Cour adm., 18 mars 2014, n° 33125C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 32).

Quant au premier critère, les parties ont toutes deux valablement considéré que la mise en place de la société (CD) et l’acquisition par cette dernière de fonds de commerce sont à qualifier d’utilisation de formes et d’institutions du droit privé. L’appelante a également exclu à juste titre l’amortissement des fonds de commerce de ce premier critère, étant donné qu’il s’agit d’un enregistrement comptable prescrit par la loi.

Quant au deuxième critère, l’appréciation globale à effectuer lors de l’application du § 6 StAnpG permet de constater qu’en l’espèce, des bénéfices antérieurement non imposés dans le chef d’une société non soumise à une obligation fiscale au Luxembourg sont devenus imposables dans le chef d’une société soumise à une obligation fiscale illimitée au Luxembourg. Premièrement, la Cour suit le raisonnement de l’appelante en ce que sa constitution est à l’origine de toute obligation fiscale au Luxembourg, étant donné qu’avant cette constitution, les bénéfices liés à la vente des produits (KL) étaient réalisés par la société (EF), contribuable non-résident ne disposant pas d’établissement stable au Luxembourg.

L’absence de constitution de la société (CD) aurait signifié le maintien de la situation telle qu’elle existait avant ladite constitution, de sorte que la simple constitution de cette société n’est pas de nature à faire apparaître une économie d’impôt. Deuxièmement, si l’amortissement entraîne une déduction fiscale, donc une forme d’économie d’impôt, l’absence d’acquisition des fonds de commerce par l’appelante impliquerait certes l’absence de cette déduction fiscale, mais elle impliquerait aussi l’absence de la source des revenus imposables potentiels de l’appelante, l’activité de cette dernière consistant précisément en l’exploitation des fonds de commerce acquis auprès de la société (EF). Par conséquent, l’importance de la charge fiscale potentielle résultant de l’assujettissement de l’appelante aux impôts luxembourgeois, à travers sa constitution et sa reprise des activités commerciales de la société (EF), prime le poids à accorder, dans l’évaluation du deuxième critère de l’abus de droit, à la déduction fiscale découlant de l’amortissement des fonds de commerce. La partie étatique n’ayant pas avancé d’autre élément permettant de conclure – au regard de la globalité des opérations faites en l’espèce et des personnes intervenues dans ce cadre – à l’existence d’une économie d’impôt, il y a lieu de retenir que le deuxième critère de l’abus de droit n’est pas rempli en l’espèce.

Les critères de l’abus de droit devant être remplis cumulativement, l’absence d’un seul de ces critères permet d’écarter l’allégation d’un abus de droit.

A titre superfétatoire, la Cour constate que, comme relevé par l’appelante, la partie étatique n’a pas désigné la voie qui aurait été adéquate. Une telle identification est pourtant nécessaire pour pouvoir conclure que le contribuable ne s’est pas contenté de faire un usage inhabituel des formes et institutions du droit privé et qu’il a, au contraire, atteint par cette voie un objectif économique d’une manière telle qu’elle permet l’obtention d’un effet fiscal que le législateur ne peut pas être considéré comme ayant voulu accorder dans le cadre d’une application de la loi fiscale conforme à son intention. Or, en l’espèce, la déduction de charges d’amortissement sur des fonds de commerce que le contribuable a effectivement acquis et qu’il exploite effectivement ne saurait être considérée comme un effet fiscal contraire à l’intention du législateur. Enfin, le « Directeur gérant » de la société (KL) a expressément confirmé dans son attestation testimoniale que « (KL) a demandé aux administrateurs bénéficiaires économiques de la société (EF) de procéder à la création d’une société dans une autre juridiction que les Iles Vierges Britanniques afin de limiter les risques réputationnels pour (KL) qui découlerai[en]t potentiellement de relations commerciales avec une société ‘offshore’ ». Les motifs extra-fiscaux invoqués par l’appelante pour justifier sa constitution et son acquisition des fonds de commerce créés par la société (EF) sont donc valables et suffisamment plausibles.

En conclusion, c’est à tort que la partie étatique s’est prévalue de l’abus de droit pour refuser la déduction des amortissements sur fonds de commerce.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel de la société (CD) est justifié et qu’il y a lieu, par réformation du jugement entrepris du 13 janvier 2021, de déclarer fondé le recours en réformation de la société (CD) à l’encontre de la décision du directeur du 29 novembre 2018 et partant, par réformation de ladite décision, de faire droit aux déductions pour amortissements opérés par la société (CD) en relation avec les fonds de commerce acquis et de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le directeur.

Quant à l’indemnité de procédure Arguments des parties Se fondant sur l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, l’appelante a initialement demandé dans sa requête d’appel l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros. Elle a ensuite porté le montant sollicité à 25.000 euros, au motif qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge tous les frais non compris dans les dépens au regard de l’attitude de l’Etat quant à sa « façon de mener le litige et de construire son argumentation ».

En premier lieu, l’appelante déplore le long délai écoulé entre le moment où l’administration des Contributions directes a été informée de la déclaration de soupçon réceptionnée par la Cellule de renseignement financier et des doutes de cette dernière quant à la réalité économique des opérations sous-tendant les paiements effectués par la société (CD) à la société (EF), soit décembre 2013, et le moment où elle a engagé une procédure de vérification du dossier fiscal de l’appelante, soit 2018. En effet, l’appelante donne à considérer que plus le temps passe, plus il est difficile au contribuable de fournir les explications et les preuves requises. Cette lenteur serait d’autant moins compréhensible que le litige porterait sur les conséquences comptables et fiscales d’acquisitions ayant eu lieu en 2009 et 2011 et que le dossier aurait manifestement eu un « caractère particulièrement sensible » au vu des suspicions – certes infondées – d’infractions pénales relevées par la Cellule de renseignement financier puis par l’administration des Contributions directes.

De plus, la stratégie procédurale de la partie étatique aurait porté préjudice à l’appelante, le délégué du gouvernement ayant présenté « tranche par tranche, au gré des mémoires, voire pour la première fois en appel seulement, certaines pièces qu’il estimait particulièrement utiles à sa thèse » et ayant refusé de respecter la loi en ne déposant pas spontanément le dossier fiscal intégral. Cette stratégie aurait nécessité de multiples mémoires supplémentaires (deux en première instance et un en instance d’appel) ayant engendré pour l’appelante des coûts additionnels considérables.

L’Etat conclut au rejet de cette demande.

Analyse de la Cour L’article 33 de la loi du 21 juin 1999 énonce que : « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».

L’article 54 de la même loi rend ledit article 33 applicable à la Cour.

A titre liminaire, la Cour rappelle que la simple augmentation, en cours d’instance, du quantum d’une demande en allocation d'une indemnité de procédure formulée dans la requête introductive d’instance, ne saurait pas être qualifiée de demande nouvelle, mais elle constitue une demande additionnelle admissible (trib. adm., 19 janvier 2017, n° 37597 du rôle, Pas. adm.

2021, V° Procédure contentieuse, n° 1169). L’augmentation au cours de l’instance d’appel du montant de l’indemnité sollicitée par l’appelante est donc admissible.

Quant au bien-fondé de cette demande, la Cour constate, d’un côté, qu’au vu de la référence expresse aux informations reçues sur le fondement du § 189 AO dans la motivation des projets d’imposition communiqués à l’appelante dans le cadre des courriers émis en vertu du § 205, alinéa (3), AO, puis dans les bulletins litigieux eux-mêmes, l’appelante ou son mandataire aurait pu demander des explications sur ces informations reçues sur le fondement du § 189 AO à un stade bien antérieur à celui de l’instance d’appel.

D’un autre côté, la Cour a retenu ci-avant que l’Etat aurait dû spontanément déposer le dossier fiscal intégral dans les trois mois de l’introduction du recours par la société (CD), ce qu’il n’a pas fait. Or comme déjà souligné par la Cour, la violation de l’obligation de communication spontanée du dossier administratif intégral a indubitablement porté atteinte au bon déroulement du service public de la justice en général et de la procédure engagée par l’appelante en particulier. En l’espèce, cette omission, niée avec persévérance par la partie étatique et découverte de manière fortuite et à un stade très avancé de la procédure par le contribuable sur base du constat que l’Etat avait utilisé des informations ne figurant pas au dossier fiscal versé pour fixer la cote d’impôt, a entraîné la production de plusieurs mémoires supplémentaires par la société (CD) – dont un en appel – pour qu’elle puisse prendre position par rapport aux éléments additionnels communiqués tardivement.

Eu égard à ces considérations et à l’issue du litige, l’octroi d’une indemnité de procédure est justifié en son principe. Pour autant, l’octroi d’une indemnité de procédure ne peut revenir à contourner l’absence de compétence pour le juge administratif d’octroyer des dommages-intérêts. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la société (CD) en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel et de la fixer ex aequo et bono au montant de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 24 février 2021 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 13 janvier 2021, déclare fondé le recours en réformation de la société anonyme (CD) à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 29 novembre 2018 et, par réformation de ladite décision, fait droit aux déductions pour amortissements opérés pendant les exercices 2013 à 2016 par la société (CD) en relation avec les fonds de commerce qu’elle a acquis par les contrats de cession des 7 janvier 2009 et 3 janvier 2011, renvoie l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes pour exécution, condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg à régler à la société anonyme (CD) le montant de 2.500 euros à titre d’indemnité de procédure, fait masse des dépens des deux instances et les impose à l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 23 décembre 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 décembre 2021 Le greffier de la Cour administrative 36


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45696C
Date de la décision : 23/12/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-12-23;45696c ?

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