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10/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45890C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 juin 2021, 45890C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45890C du rôle Inscrit le 12 avril 2021 Audience publique du 10 juin 2021 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 mars 2021 (n° 44283 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45890C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2021 par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise,

demeurant à L-…, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administr...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45890C du rôle Inscrit le 12 avril 2021 Audience publique du 10 juin 2021 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 mars 2021 (n° 44283 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45890C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2021 par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 8 mars 2021 (n° 44283 du rôle) par lequel elle a été déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 février 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shanez AKSIL et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries à l’audience publique du 3 juin 2021.

Le 30 octobre 2018, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

1Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée-

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 14 et 15 mai 2019, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 11 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 30 octobre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 octobre 2018, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 14 et 15 mai 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que votre certificat de mariage versé à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu avec votre famille à … au Cameroun et que vous auriez vendu des avocats au marché pour subvenir à vos besoins.

Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine à deux reprises pour venir en vacances au Luxembourg, et ce en 2016 et en 2017 afin de rendre visite à votre fille (B). Elle est mariée depuis 2014 avec (C), aussi de nationalité camerounaise, qui réside au Luxembourg.

En 2016, vous êtes venue au Luxembourg munie d’un visa Schengen court séjour valable du 10 décembre 2016 au 25 mars 2017 émis par les autorités luxembourgeoises. En 2017, vous avez été en possession d’un visa Schengen court séjour valable du 25 octobre 2017 au 6 février 2018.

Vous déclarez que le jour de votre retour au Cameroun en 2018, vous auriez rencontré une personne de nationalité camerounaise à l’aéroport du Luxembourg et elle vous aurait conseillée de ne pas retourner au Cameroun parce que la situation à … serait « very bad » (p.6/15 du rapport d’entretien). Vous auriez pris le train pour Paris et puis Metz, où vous avez introduit une demande de protection internationale en date du 6 juillet 2018, après y avoir séjourné illégalement pendant plus de huit mois. Vous avez été transférée au Luxembourg sur base des dispositions du Règlement Dublin III.

2Vous ajoutez que vous voulez rester au Luxembourg pour y profiter des traitements médicaux alors que vous seriez atteinte de plusieurs maladies.

Finalement vous mentionnez le conflit entre les francophones et les anglophones dans votre pays d’origine et vous précisez que « they are shooting and killing people every day […] There are fights between the army and the civilians » (p.10/15 du rapport d’entretien).

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, il découle de manière claire et non équivoque de vos dires que des motifs médicaux sont à l’origine de votre demande de protection internationale. En effet, vous signalez que vous ne disposez pas de moyens financiers suffisants pour financer vos soins médicaux au Cameroun.

Or, il convient de noter que des motifs médicaux ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015. Il s’agit là de motifs sans aucun lien avec l’un des critères définis dans la Convention de Genève qui garantit une protection internationale à toute personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Une demande de protection internationale basée uniquement sur des motifs médicaux constitue en plus un recours abusif aux procédures en matière de protection internationale.

3Ensuite, vous déclarez qu’il existe un conflit entre les anglophones et les francophones au Cameroun. Or, notons que vous n’êtes aucunement visé[e] personnellement par ce conflit.

Madame, notons que les craintes que vous exprimez s’analysent en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité. En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires qu’il s’agit là de considérations essentiellement générales et que vous n’avancez aucun élément personnel y relatif lors de l’entretien avec l’agent du Ministère. Ainsi vous évoquez que « they are shooting and killing people every day […] There are fights between the army and the civilians » (p.10/15 du rapport d’entretien) et que « there is no security, the town is not secure and there are gunshots everywhere » (p.12/15 du rapport d’entretien).

Un sentiment général d’insécurité basé sur des suppositions hypothétiques de votre part, non autrement étayées, ne saurait constituer une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que vous avez décidé de retourner dans votre région d’origine en 2017 malgré le fait que ce conflit existe depuis des décennies et que des altercations armées entre les communautés ont déjà repris en 2016. Ceci soutient le fait que la gravité de la situation n’est manifestement pas celle que vous tentez de dépeindre au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale et que vous tentez par tout moyen de rester au Luxembourg et que vous évoquez ce conflit auquel vous êtes nullement persécuté pour augmenter vos chances d’obtenir une protection internationale.

Ajoutons à titre d’information qu’« en juin 2018, le gouvernement camerounais lance un plan d’assistance humanitaire (The Government emergency humanitarian assistance plan in the North-West and South-West regions 2018-2019) aux populations touchées par le conflit.

Ce plan prévoit notamment une assistance humanitaire d’urgence aux populations dans le besoin, la réinsertion socioéconomique des populations affectées et la réhabilitation des infrastructures détruites ».

De plus, les forces de la sureté nationale camerounaises sont chargées de maintenir l’ordre public : « Le maintien de l’ordre public peut se définir comme un ensemble de mesures et de dispositions prises par les autorités compétentes, pour éviter le désordre social. Il vise à préserver la paix sociale, la tranquillité publique, la sécurité des personnes et des biens. Et lorsque cet ordre a été perturbé, des mesures adéquates sont prises pour un retour au calme ».

De plus, une fois la décision prise de ne pas retourner au Cameroun, vous avez sciemment décidé de ne pas introduire de demande de protection internationale au Luxembourg et de partir en France. Après y avoir séjourné illégalement pendant plus de huit mois, il vous a apparemment semblé convenable d’introduire une première demande de protection internationale.

Notons dans ce contexte que votre choix de ne pas introduire de demande de protection internationale au Luxembourg mais de partir en France, où vous auriez vécu clandestinement pendant huit mois, est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée qu’elle introduise une demande de protection internationale dès qu’elle a l’occasion de le faire, c’est-à-dire dans le premier pays sûr rencontré et dans les délais les plus brefs. Vos dires selon lesquelles vous n’auriez pas voulu introduire une telle demande au Luxembourg parce que « I dint [sic] want to go there because 1 had some problems with the 4husband [Rem. : the daughters husband]… In my country, it is not good to stay with the children permanent » (p.7/15 du rapport d’entretien) ne saurait excuser votre inactivité.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d’être persécutée respectivement que vous risquez d’être persécutée en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Notons dans ce contexte que vous ne faites pas état dans votre entretien d’un acte qui vous aurait exposé à une atteinte grave telle que définie ci-dessus.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2020, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre 5du 11 février 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire.

Dans son jugement du 8 mars 2021, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2021, Madame (A) a fait régulièrement entreprendre ce jugement.

L’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir correctement évalué le bien-fondé de sa demande de protection internationale, faisant valoir qu’étant originaire de la ville de …, située dans une région anglophone du Cameroun, elle risquerait à ce titre de subir des persécutions ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine.

Elle précise qu’elle était bien retournée dans son pays d'origine en 2017, mais qu’à cette époque, la situation conflictuelle entre les communautés anglophone et francophone n’aurait pas été aussi grave qu’elle ne le serait actuellement. Son mari serait resté à …, mais y vivrait caché par peur d’être tué.

Elle se réfère à des rapports et articles de presse relatifs à la crise anglophone au Cameroun, et notamment à un rapport d’Amnesty International du 11 juin 2018 et du 6 février 2020, pour souligner que la crise se serait nettement aggravée à partir du 1er octobre 2017 lorsque les indépendantistes anglophones ont proclamé la région du Sud du Cameroun comme étant l’« Ambazonie ». Les séparatistes auraient mis en place une opération de verrouillage afin d’isoler les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du reste du pays. Pour ce faire, ils auraient obligé de jeunes anglophones à rejoindre leur mouvement pour combattre les forces armées camerounaises. Son fils aurait été ainsi contraint à rejoindre « The Ambazonia Military ». Il aurait cependant réussi à s’évader et aurait demandé l’asile en Chypre le 3 décembre 2019. Il serait évident que si elle devait retourner au Cameroun, elle serait arrêtée par les forces de l’ordre afin de lui soutirer des informations sur l’endroit où son fils se trouverait.

Elle insiste sur la gravité de la crise dans son pays d'origine où les civils anglophones continueraient de se faire tuer.

Elle se prévaut encore de ses problèmes de santé, tout en précisant qu’elle n’aurait invoqué ces problèmes que pour illustrer le fait qu’en raison de son état de santé, elle ne pourrait pas se protéger ni fuir lesdites violences.

En conclusion, elle sollicite, à titre principal, la reconnaissance du statut de réfugié et, à titre subsidiaire, l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel.

Concernant le statut de réfugié, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons 6susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage par ailleurs de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Quant à l’octroi de la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

La Cour relève encore liminairement que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Concernant tout d’abord la situation générale régnant au Cameroun, la Cour considère, à l’instar des premiers juges, que s’il se dégage certes des éléments d’appréciation soumis en cause que ce pays est actuellement affecté par une crise appelée « crise anglophone », il s’agit toutefois d’un conflit plutôt localisé, qui se limite principalement aux deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Dans ces deux régions, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et des groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, causant des victimes parmi la population civile, mais il n’en ressort néanmoins pas que la situation générale serait telle que tout civil, du seul fait de sa présence sur le territoire camerounais, courrait un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves.

7 Certes, les informations produites par l’appelante font état d’opérations militaires et d’exactions ainsi que d’actes terroristes sporadiques, toutefois, en l’état actuel, la Cour considère qu’elles ne permettent pas de conclure à l’existence dans ce pays d’une situation de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.

Les premiers juges ont encore pointé à bon droit que la simple invocation de rapports ou d’articles de presse faisant état, de manière générale, de violations des droits de l’homme dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays encourt un risque d’être soumis à des persécutions ou des atteintes graves, mais il incombe au demandeur de démontrer qu’il a personnellement des raisons de craindre d’être persécuté ou de subir des atteintes graves au regard des informations disponibles sur son pays.

Or, si l’appelante affirme certes en instance appel qu’elle risquerait de se faire arrêter, en cas de retour dans son pays d'origine, par les forces de l’ordre de camerounaises qui voudraient connaître l’endroit où se trouve son fils, qui se serait échappé d’un groupe d’Ambazoniens, cette crainte n’est sous-tendue par aucun élément concret permettant de déterminer si elle est exposée de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie ou sa liberté ou si elle risque d’être exposée à des atteintes graves, et reste partant à l’état de simple supposition.

Ainsi, il n’est pas démontré dans le chef de l’appelante une crainte fondée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet.

L’appelante sollicite encore, par réformation du jugement, la réformation sinon l’annulation de l’ordre de quitter le territoire.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

Les développements ci-avant faits ayant mené au constat que les craintes invoquées par l’appelante de subir des persécutions sinon des atteintes graves au Cameroun ne sont pas fondées, le renvoi de l’intéressée vers son pays d’origine ne saurait logiquement emporter une atteinte au principe de non-refoulement, et notamment à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ou au principe de précaution.

Quant au moyen fondé sur l’article 8 de la CEDH, la Cour tient à rappeler que le juge administratif, dans le cadre de sa compétence lui attribuée par la loi du 18 décembre 2015, est appelé à se prononcer exclusivement sur l’existence, dans le chef d’un étranger, de raisons de craindre d’être persécuté dans son pays d’origine ou sur l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, cette personne encourrait un risque réel 8de subir des atteintes graves visées à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Elle n’est pas habilitée à se prononcer, dans ce contexte, sur la question d’une éventuelle violation du droit au respect de la vie privée et familiale, tel que garanti par l’article 8 de la CEDH, étant donné que cette question ne relève ni du champ d’application de la Convention de Genève, ni de celui de la loi du 18 décembre 2015.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 8 mars 2021, donne acte à l’appelante de ce qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juin 2021 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45890C
Date de la décision : 10/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-10;45890c ?

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