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09/02/2021 | LUXEMBOURG | N°45337C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 février 2021, 45337C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45337C du rôle Inscrit le 9 décembre 2020

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Audience publique du 9 février 2021 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 17 novembre 2020 (n° 43120 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45337C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2020 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45337C du rôle Inscrit le 9 décembre 2020

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Audience publique du 9 février 2021 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 17 novembre 2020 (n° 43120 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 45337C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2020 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-… …, …, …, dirigée contre le jugement rendu le 17 novembre 2020 (n° 43120 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du … 2019 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2021;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 28 janvier 2021.

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Le … 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

1Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, service police des étrangers - criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 4 janvier et 12 mars 2019, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du … 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après le « ministre », l’informa qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le … 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du … 2018, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 4 janvier et 12 mars 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez d'ethnie kurde et originaire de … dans la province de ….

Vous indiquez qu'à partir de juin 2014, l'organisation terroriste dénommée Etat islamique aurait occupé la ville de … jusqu'en août 2017.

Vous expliquez que pendant la période d'occupation en 2014, des membres de « Daesh » seraient venus à votre domicile à deux reprises, une première fois afin de vous mobiliser pour participer aux combats, une deuxième fois pour solliciter votre assistance dans le cadre de leur ravitaillement en nourriture. A chaque fois, vous auriez refusé en leur expliquant que votre épouse serait malade et que vous seriez le seul à pouvoir vous occuper de votre famille. Vous soulignez qu'ils n'auraient pas apprécié vos refus de collaborer, mais qu'ils seraient à chaque fois repartis sans provoquer d'incidents.

Vous précisez que votre épouse serait décédée d'une mort naturelle en 2014 et que vous auriez quitté la ville de … la même année sous prétexte d'aller faire soigner votre fils.

Vous vous seriez rendu dans la région autonome du Kurdistan irakien. Vous expliquez que vous auriez été admis par les autorités sur place et que vous seriez resté dans un camp de réfugié dénommé « … » [sic] avec vos enfants.

2Suite à la défaite de l'Etat islamique en août 2017, vous seriez retourné à …. Vous précisez que votre maison aurait été détruite lors des bombardements et que vous auriez habité chez vos parents pendant plusieurs mois.

En mai ou juin 2018, voire presque un an après votre retour, vous auriez rencontré à … une personne dénommée « … », une connaissance de longue date. Cet individu en question aurait rejoint les rangs de « Daesh » pendant l'occupation de …. Vous ajoutez qu'il aurait même été présent lors des deux visites des membres de l'Etat islamique dans votre domicile en 2014, et qu'il risquerait encore de vous poser des problèmes. En effet, vous racontez qu'il vous aurait reconnu et qu'il risquerait de contacter d'autres membres de ladite organisation terroriste encore présents dans la région dans le seul but de vous nuire. Par la suite, vous auriez appris que des personnes auraient demandé après vous.

Vous évoquez qu'il existerait également un risque de recrutement forcé par « Daesh ».

Vous expliquez aussi que vous n'auriez pas pu vous rendre au Kurdistan irakien à cause d'une querelle entre votre tribu et le clan ….

Au vu de cette situation, vous auriez pris la décision de quitter votre pays d'origine en juin 2018, précisant que vous auriez laissé vos enfants chez votre oncle en Grèce avant de vous rendre au Luxembourg.

Vous présentez votre carte d'identité irakienne, ainsi que celles de vos enfants et celle de votre défunte épouse, votre carte d'électeur, un ticket de ravitaillement, votre acte de mariage et un certificat de décès de votre épouse.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

3L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

A titre liminaire, notons que vous faites état d'une crainte par rapport à l'organisation terroriste dénommée État islamique (ci-après dénommée « EI ») dans votre pays d'origine.

Vous évoquez que … aurait longuement été occupée par l'EI et vous laissez entendre qu'une menace persisterait.

A cet égard, force est de constater que l'EI a été éradiqué dans son ensemble aussi bien en Irak qu'en Syrie. Même s'il est vrai que l'EI était bien présent entre 2014 et 2017 dans la province de …. La situation a toutefois changé depuis fin 2017. En effet, l'EI a perdu tous les territoires qu'il contrôlait depuis 2014 et n'exerce plus aucune autorité sur le sol irakien. Ce constat est soutenu par une déclaration du Représentant spécial du Secrétaire général pour l'Irak. Ainsi, même les prétendus recrutements forcés par l'EI ne représentent plus aucun risque.

Ceci dit, la reconstruction de … a commencé et continue à se poursuivre depuis l'expulsion de l'EI. Même s'il est vrai que la ville a subi de grands dégâts lors des affrontements et que la réédification rencontre des difficultés, force est néanmoins de constater que les travaux avancent et que les écoles ainsi que les hôpitaux entrent de nouveau en service grâce, entre autre, au soutien financier de l'Union européenne. De plus, soulignons que le gouvernement irakien est très investi dans la reconstruction de la ville avec le soutien de la Fondation des Nations Unies pour l'habitat et les établissements humains (UNHHSF).

Ainsi, il y a lieu de conclure qu'au vu de la situation actuelle concernant l'EI en Irak aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Pour ce qui est de votre crainte concernant le dénommé … qui serait encore affilié à l'EI, il importe de préciser que ce fait n'est pas motivé par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. Votre prétendue crainte de persécution ne repose manifestement pas sur votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Monsieur, vous admettez qu'il vous aurait connu depuis votre enfance et qu'il entretiendrait une certaine animosité envers vous depuis de très nombreuses années. Il ressort donc avec évidence que votre souci avec cet individu est uniquement basé sur un conflit d'ordre purement privé ne répondant à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et par la Loi de 2015.

A cela s'ajoute que vous n'auriez personnellement perçu aucune menace de la part de cet individu en question et qu'aucun incident ne se serait produit depuis votre retour à …. Vous mentionnez uniquement qu'un ami de votre père l'aurait averti que des personnes seraient à votre recherche. Il échet dès lors de conclure que ce fait ne présenterait, même s'il rentrait dans le champ d'application de la Convention, pas un degré de gravité suffisant permettant de le qualifier d'acte de persécution au sens des prédits textes.

4Quand bien même les faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d'une gravité suffisante, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne. Ainsi, aucun reproche ne saurait donc être formulé à l'égard des autorités irakiennes qui n'auraient jamais été mises en mesure d'exécuter leur mission.

De plus, contrairement à vos allégations, force est de constater que les autorités irakiennes emploient les grands moyens afin de traquer et arrêter les militants de l'EI en fuite.

Ces anciens combattants, voire collaborateurs, sont inculpés et jugés devant les tribunaux irakiens pour des infractions liées au terrorisme.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Monsieur, vous déclarez que vous auriez quitté votre pays d'origine car vous craindriez une vieille connaissance qui serait affiliée à « Daesh » et qui vous aurait reconnu à votre retour à …. Vous mentionnez ensuite qu'un ami de votre père l'aurait averti que des personnes seraient après vous. Or, il ressort clairement de votre récit que vous n'auriez personnellement subi 5aucune menace quelconque depuis votre retour à … alors que vous seriez resté sur place pendant presqu'un an et qu'aucun incident ne serait survenu durant toute cette période.

Il appert donc que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de subir des actes qualifiés d'atteintes graves. Cependant, des craintes hypothétiques et un sentiment général d'insécurité ne rentrent pas dans le champ d'application du statut conféré par la protection subsidiaire.

De plus, rappelons que vous n'auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d'origine, ainsi aucun reproche ne peut être fait aux forces de l'ordre irakiennes.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif que « In … ist es unmöglich, da das Leben als Sunnit in … wegen der schiitischen Miliz in Gefahr ist. In Kurdistan, wie ich bereits erwähnt habe, kann … uns nicht leiden, da es eine Rache zwischen unserem Klan und der … Partei herrscht. Dazu braucht man eine Bürgschaft um ins kurdische Gebiet einzureisen. Wo sollte ich hin? Das sunnitische Gebiet ist verwüstet. In Kurdistan muss man einen Aufenthaltstitel durch eine Bürgschaft verlangen. » (p.14/17 du rapport d'entretien) Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.

Monsieur, pour ce qui est de vos allégations qu'il y aurait un conflit entre le clan … et la tribu …, force est de constater qu'il existait en effet une querelle entre les deux camps vers la moitié du 20ème siècle, plus précisément dans les années 1960 et 1970. Or, tel n'est plus le cas actuellement. En effet, ce conflit en question a pris fin avec l'intervention des forces de coalition en Irak pendant des années 1990.

6Quoi qu'il en soit, il ressort des recherches en nos mains qu'une réinstallation dans les régions du Kurdistan, est actuellement tout à fait envisageable : « Relocation to the Kurdistan Region of Iraq (KRI) 2.5.10 In general, Kurds who do not originate from the KRI can relocate to the region.

Information suggests that ethnic Kurds are free to enter the KRI, although some sources say this may depend on certain circumstances. » Ainsi, vous auriez pu vous installer dans une région du Kurdistan, notamment à … ou à …. En effet, vous auriez par exemple pu vous rendre à … en avion ou avec d'autres moyens de transport public.

Pour ce qui est des possibilités d'embauche, vous avez déclaré que vous auriez travaillé dans le secteur de la construction. Force est de constater que vous pourriez facilement retrouver un travail dans ce domaine dans n'importe quelle ville.

Il échet également de mentionner que vous êtes bien encadré en Irak, alors que vous avez une famille nombreuse et que vos parents, ainsi que vos frères et sœurs se trouvent tous à … qui est une ville à proximité du Kurdistan irakien (p.3-5/17 du rapport d'entretien).

A titre subsidiaire, il y a lieu de souligner que des vols réguliers sont proposés par « Turkish Airlines » à partir de l'Aéroport du Luxembourg en direction d'… avec une escale à Istanbul. Ainsi, vous n'avez même pas besoin de transiter par … dans le cas d'un éventuel retour.

Il appert donc que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2019, inscrite sous le numéro 43120 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du … 2019 portant rejet de sa demande de protection internationale ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en condamnant ce dernier aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2020, Monsieur … a régulièrement fait entreprendre le jugement du 17 novembre 2020.

7Au titre des faits à la base de sa demande de protection internationale, l’appelant réitère en substance son exposé des faits tel qu’il se dégage de sa requête introductive de première instance et il soutient remplir les conditions exigées par les dispositions de la loi du 18 décembre 2015 pour se voir reconnaître une mesure de protection internationale.

En substance, il expose être de nationalité irakienne et de confession religieuse musulmane sunnite et avoir vécu à … avec ses 3 enfants, ainsi que sa femme jusqu'au décès de cette dernière en 2014. En tant que sunnite, il aurait été sollicité à plusieurs reprises par des membres de Daesh afin de rejoindre leurs rangs, ce qu’il aurait toujours refusé. Après avoir été déplacé de … durant les combats, il s’y serait réinstallé, après que Daesh en aurait été expulsé, mais il se serait révélé qu’il risquerait toujours d’être en proie à des violences de membres de ce groupe armé toujours actifs sur le territoire irakien en raison de son refus antérieur de rejoindre leurs rangs.

Il reproche aux premiers juges d’avoir considéré qu’il ne remplirait pas les conditions d'octroi du statut de réfugié ni celles de se voir bénéficier d’une mesure de protection subsidiaire.

En effet, comme il aurait d'ores et déjà subi des persécutions dans son pays d’origine, par le fait d’avoir été en proie à des menaces, avant de quitter son pays d'origine, il craindrait légitimement de subir une exécution arbitraire en cas de retour dans son pays et la partie étatique ne rapporterait pas la preuve de ce qu’aucun risque n’existerait plus pour lui en cas de retour en Irak.

Or, le fait de vivre dans la crainte constante que les menaces, persécutions, voire exécutions se réalisent constitueraient de véritables traitements inhumains, sinon des traitements dégradants et les faits seraient suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l'Homme, spécialement comme l'Etat iraquien ne remplirait pas ses obligations de protection de ses citoyens.

Par conséquent, il conviendrait de réformer le jugement intervenu et de lui accorder le statut de réfugié.

En ordre subsidiaire, l’appelant invoque encore le fait que la situation actuelle en Irak, « suite à la soi-disant victoire sur les membres de l'Etat islamiste » serait toujours marquée par des conflits et incidents graves journaliers émanant de cellules toujours actives du groupe « Etat islamique », tels que le confirmeraient les éléments d’appréciation soumis en cause par lui, de sorte qu’il conviendrait de retenir que sa situation individuelle serait telle qu'en cas de retour en Irak, il serait exposé à un risque grave de subir des traitements inhumains et dégradants et que les autorités en place ne seraient pas en mesure de lui apporter une quelconque protection.

Il conviendrait par ailleurs de considérer qu’un conflit armé serait toujours en cours en Irak, au motif que Daesh y continuerait ses exactions.

Ainsi, il remplirait pour le moins les conditions légales pour être admis à l'obtention de la protection subsidiaire.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

8 Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, comme relevé à bon escient par les premiers juges, la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Il s’y ajoute que par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du juge administratif devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur de protection avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Sur ce, en l’espèce, la Cour se rallie et se fait sienne l’analyse exhaustive des premiers juges qui les a amenés à la conclusion que les craintes invoquées par l’appelant en rapport avec l’organisation terroriste Daesh se résument en substance en l’expression d’un sentiment général d’insécurité insuffisant en lui-même pour justifier l’octroi d’un statut de réfugié.

9 En effet, s’il est indéniable que le groupe Daesh continue à perpétrer des attaques terroristes dans le Nord de l’Irak, il n’en reste pas moins qu’il a perdu toute influence politique concrète dans cette région depuis qu’il a été vaincu par l’armée irakienne et que l’armée irakienne continue à combattre les membres disséminés de Daesh.

Ainsi, il appert que les craintes de représailles de la part de Daesh invoquées par l’appelant, sans être sous-tendues par des indices concrets y relatifs, se résument partant en la susdite expression d’un simple sentiment d’insécurité insuffisant à lui seul pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Dans ce contexte, les premiers juges ont à bon escient mis l’accent sur la nature et le cadre d’ordre privé des problèmes qu’il aurait eus avec le dénommé …, un malfrat terrorisant les alentours avec sa bande déjà avant l’émergence du groupement Daesh.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, ont retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de l’appelant.

Quant à la demande subsidiaire, au regard des éléments d’appréciation actualisés lui soumis, la Cour ne dégage pas non plus un risque concret et individualisé dans le chef de l’appelant d’être exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions, à une condamnation à la peine de mort, à l’exécution, à la torture, à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore à des menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Cette conclusion s’impose au regard de ce qu’il a pu être retenu ci-avant que la crainte de représailles de la part du groupement terroriste Daesh ne s’analyse qu’en un sentiment général d’insécurité et n’est pas empreinte de faits précis et individuels permettant de conclure à l’existence d’un risque personnel concret dans le chef de l’appelant et que les menaces émanant du dénommé … n’apparaissent ni être concrètes ni être d’une gravité suffisante pour permettre de retenir un risque de tortures ou de traitements inhumains et dégradants, étant précisé de surcroît que l’appelant, qui ne semble jamais s’être tourné vers les autorités irakiennes pour obtenir une protection, omet d’établir que les autorités irakiennes compétentes aient refusé ou seraient dans l’incapacité de fournir à l’appelant une protection quelconque contre les menaces émanant du dénommé ….

Il s’ensuit que les motifs invoqués ne suffisent pas non plus pour justifier l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

La légalité de l’ordre de quitter le territoire, conséquence automatique du refus de protection internationale, n’ayant pas été autrement discutée en instance d’appel, la Cour est partant amenée à rejeter l’appel et à confirmer le jugement dont appel.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel du 9 décembre 2020 en la forme;

10 au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 17 novembre 2020;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. CAMPILL 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45337C
Date de la décision : 09/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-02-09;45337c ?

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