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04/02/2021 | LUXEMBOURG | N°44347

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 février 2021, 44347


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45127C Inscrit le 26 octobre 2020 Audience publique du 4 février 2021 Appel formé par Madame …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2020 (n° 44347 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 45127C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2020 par la société CERNO S.à r.l., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins des présentes par Maître Cora

MAGLO, avocat à la Cour, assistée de Maître Fatim-Zohra ZIANI, avocat, tout...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45127C Inscrit le 26 octobre 2020 Audience publique du 4 février 2021 Appel formé par Madame …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2020 (n° 44347 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 45127C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2020 par la société CERNO S.à r.l., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins des présentes par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, assistée de Maître Fatim-Zohra ZIANI, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Colombie), de nationalité colombienne, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement du 23 septembre 2020 (n° 44347 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 mars 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 24 novembre 2020 ;

Vu les missives de Maître Cora MAGLO du 11 janvier 2021, ainsi que du délégué du gouvernement Jean-Paul REITER du 18 janvier 2021, par lesquelles ils marquent leur accord avec la prise en délibéré de l’affaire sur base de leurs écrits à l’audience fixée pour les plaidoiries ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 21 janvier 2021.

Le 6 août 2019, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 8 novembre 2019, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Dans sa décision du 5 mars 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Madame … auprès du service de Police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« (…) Madame, il ressort de vos dires que vous êtes ressortissante colombienne, née le … à …, et que vous y auriez vécu ensemble avec votre … et vos … … ; votre … vivrait avec son père. Vous auriez travaillé pour une … en tant que gestionnaire de clients.

Selon vos déclarations faites auprès de la police, vous auriez quitté la Colombie en date du … 2019 pour …, puis vous seriez partie pour … via …. Une copine, une dénommée …qui habiterait au Luxembourg depuis 20 ans, vous aurait récupéré à l’aéroport de … pour vous ramener au Luxembourg. Vous auriez plusieurs connaissances au Luxembourg auprès desquelles vous auriez logé alternativement. Vous n’auriez pas immédiatement demandé une protection internationale, alors que les gens qui vous auraient accueillie ne vous auraient pas donné cette information. Ces dernières auraient dit que vous pourriez travailler au noir, mais vous n’auriez pas voulu faire cela. Selon remarque de l’OPJ ayant mené l’entretien « Da dieselbe lange Geschichten erzählt und nie zum Punkt kam warum sie Kolumbien verlassen hat, wurde hierauf verzichtet. » Sur votre fiche contenant les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous affirmez avoir quitté votre pays alors que votre vie et celle de votre famille serait en danger. A cause de cela, vous demanderiez « l’autorisation pour qu’ils puissent me rejoindre ». Vous auriez des problèmes très sérieux avec une personne qui appartiendrait aux « autodefensas » et qui aurait profité de votre amitié pour obtenir des informations sur votre ancien voisin qui appartiendrait apparemment à un groupe armé.

Ensuite, il résulte de vos déclarations faites lors de l’entretien du … 2019 que vous auriez « un problème de sécurité » en Colombie. De fin 2015 à fin 2017, vous auriez habité à …. Vous auriez travaillé pendant les vacances sur la plage de …, dans le village de …, à deux heures de route de …. Vous auriez eu pour mission d’accueillir des touristes et faire de la publicité pour vendre des … en construction à ce moment. Vous y auriez rencontré « entre tous les touristes » un dénommé … qui y aurait été en vacances avec ses …. Il serait vendeur de … et vous aurait proposé de vendre des … pour les … précitées. Il vous aurait demandé où vous habiteriez et vous lui auriez donné votre adresse. Il vous aurait rendu visite à … et vous lui auriez dit que vous ne pourriez pas l’aider pour la vente des … parce que vous auriez déjà travaillé pour l’agence … et vous auriez également un …. « Après », … vous aurait demandé des renseignements sur votre voisin. Vous lui auriez dit de ne pas avoir de contact avec votre voisin, mais vous lui auriez dit que ledit voisin ferait des réunions tous les mercredis qui, à votre avis, auraient été des réunions religieuses où les gens parleraient de christianisme.

Après, … serait parti. Vous auriez alors demandé au vigil du lotissement comment s’appellerait votre voisin et ce qu’il ferait. Le vigil vous aurait dit que le voisin s’appellerait « Monsieur … » et que sa femme serait une …, vous affirmez néanmoins ne pas connaître le nom de cette femme.

Sinon, le vigil ne vous aurait rien dit. Vous auriez raconté « tout cela » à … qui vous aurait dit « qu’il ne s’agit pas de la même personne ». Vous lui auriez par la suite encore donné d’autres détails sur votre voisin, à savoir à quelle heure il partirait le matin, à quelle heure il reviendrait et quand il ferait ses réunions. Vous auriez vu qu’il y aurait aussi deux policiers qui auraient participé à ces réunions.

En novembre 2017, vous auriez décidé de rentrer à …. En décembre 2017, vous seriez venue en Europe, entre autre au Luxembourg, pour des vacances. En février 2018, vous seriez retournée en Colombie. En août 2018, … vous aurait appelé pour vous informer qu’il viendrait à …. Il serait venu le 18 août 2018 et reparti le 20 août 2018. Après, vous n’auriez plus eu d’informations sur lui.

En février 2019, vous auriez eu un appel téléphonique d’un ami, un dénommé …, qui vivrait à … et y aurait un restaurant, et qui lui-même aurait un ami qui aurait demandé où vous vous trouveriez. Le dénommé … vous aurait dit que votre voisin, un dénommé …, c’est-à-dire le précité « Monsieur … », serait à votre recherche. Ce dernier appartiendrait, selon les dires de …, à un groupe de guérilla colombienne, la ELN. … vous aurait dit qu’… dirait que vous travailleriez pour … et que vous auriez donné des informations à ce dernier, de sorte que vous travailleriez donc pour un groupe paramilitaire. … vous aurait dit que « C’est très délicat et très dangereux. (…) Tu dois te perdre car … veut te baiser. Tu dois te cacher, ils veulent te tuer (…) » (entretien), page 6/11). Vous estimez que « dès qu’ils pensent que tu as des informations, ils vont te torturer ». Votre vie aurait changé d’une seconde à l’autre. Vous auriez appelé une amie qui habiterait ici au Luxembourg qui vous aurait aidée. Vous auriez pris un ticket, votre valise, votre passeport et vous seriez partie. Vous auriez fait exprès de faire beaucoup d’escales en avion « pour effacer les traces et pour cacher la destination finale » (entretien page 6/11).

Quand vous seriez arrivée au Luxembourg, vous seriez venue avec l’idée de passer un certain temps ici en attendant que les choses se calmeraient chez vous. Mais en juin 2019, votre mère aurait reçu un appel d’un homme, dont votre mère ne se souviendrait pas du nom, qui lui aurait dit qu’il serait un de vos clients de l’… et aussi le père d’un camarade de classe de votre fils …. Il aurait demandé s’il pourrait avoir votre numéro de téléphone et si vous étiez encore en ville ou si vous aviez voyagé. Il aurait également dit qu’il voudrait renouveler son …. Votre mère aurait été effrayée et elle aurait raccrochée. Vous auriez expliqué à votre mère que vous ne vendriez pas d’…, mais des … et que vous n’auriez par ailleurs jamais vendu une … à un parent des enfants de la classe de votre fils. Vous auriez sorti votre fils … de l’école. Pour votre fils aîné, vous auriez changé à plusieurs reprises la compagnie qui le ramènerait de la maison à l’école, pour éviter qu’« ils » sauraient avec quelle compagnie votre fils ferait ses trajets.

Votre famille serait enfermée dans la maison et n’aurait pas de vie normale. Vous auriez peur de rentrer en Colombie « après tout cela ».

Rien ne se serait passé depuis l’appel de février 2019, et celui qu’aurait reçu votre mère en juin 2019.

Vous n’auriez pas porté plainte parce que vous auriez vu la police dans la maison d’… à …, mais vous ignoreriez ce que la police « faisait là ». (entretien page 8/11). Vous n’auriez également pas pu aller voir la police à … parce que vous auriez eu peur alors qu’il y aurait beaucoup de corruption dans la police en Colombie. Ils auraient des liens avec des groupes de guérilla et aussi avec des groupes paramilitaires. Vous n’auriez pas pu vous installer dans une autre ville ou une autre région de la Colombie, parce que le groupe de guérilla fonctionnerait partout en Colombie.

Vous pensez qu’« ils » pourraient vous retrouver, vous torturer et vous tuer. Vos enfants seraient aussi en danger car ils s’attaqueraient à la famille, aux personnes les plus proches.

Vous auriez peur qu’ils feraient quelque chose à vos enfants pour faire pression sur vous.

Vous présentez les documents suivants : une carte d’identité et un passeport. A part les documents ci-avant cités, vous n’avez remis aucun document à l’appui de vos dires. (…) ».

Le ministre informa ensuite Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’elle ne remplissait ni les conditions du statut de réfugié, ni celles de l’octroi d’une protection subsidiaire, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2020, Madame … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 5 mars 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par un jugement du 23 septembre 2020, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2020, Madame … a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Elle expose qu’elle aurait travaillé sous contrat saisonnier sur la plage à … en Colombie, où elle aurait fait la connaissance d’un dénommé … …, avec qui elle aurait sympathisé. Ce dernier lui aurait demandé des informations sur son voisin à elle, un dénommé …. Elle lui aurait indiqué que ce voisin organiserait des réunions religieuses chaque mercredi. Elle aurait également questionné le vigile de son lotissement sur son voisin et aurait informé le dénommé … des heures de sorties et de rentrées de son voisin. Ignorant que le dénommé … ferait partie de l’Armée de libération nationale (ELN), elle se serait retrouvée malgré elle dans la position d’ennemie de l’ELN. Elle aurait également ignoré que le dénommé … … appartenait à un groupe paramilitaire. Elle aurait alors été avertie par un ami que sa vie était en danger au motif que le dénommé … chercherait à la tuer pour avoir transmis des informations sur son compte.

Craignant pour sa vie, elle aurait quitté la Colombie. Après son départ, sa mère aurait reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui aurait cherché à obtenir des informations sur elle. Ayant compris que la situation en Colombie ne s’était pas calmée, elle aurait décidé d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

En droit, l’appelante reproche en substance aux premiers juges de ne pas avoir correctement apprécié sa situation. Elle réfute le reproche de ne pas avoir motivé davantage sa demande, en soulignant qu’il serait difficile pour un demandeur de protection internationale d’étayer sa demande et de se procurer des éléments de preuve, surtout lorsque le départ s’est fait dans la précipitation. Elle affirme s’être efforcée à étayer sa demande en fournissant un récit détaillé et cohérent, de sorte qu’il y aurait lieu d’admettre la crédibilité de son récit.

Elle estime remplir les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié au motif qu’elle aurait établi dans son chef une crainte fondée de persécution de la part de l’ELN, reconnue comme organisation terroriste par l’Union européenne.

En ordre subsidiaire, elle sollicite l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire au motif qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves de la part de l’ELN en cas de retour en Colombie, sans qu’elle puisse compter sur la protection des autorités colombiennes, lesquelles n’auraient pas réussi à venir à bout de ce groupe terroriste depuis sa création dans les années 60. Elle conteste ainsi la conclusion des premiers juges que ses craintes ne seraient que purement hypothétiques, en insistant sur les méthodes utilisées par l’ELN.

L’Etat, pour sa part, conclut à la confirmation du jugement dont appel à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus.

En ce qui concerne la demande du statut de réfugié, la notion de réfugié est définie par l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

En ce qui concerne la demande d’une protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire: tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Sur le vu des faits de la cause qui sont en substance les mêmes que ceux soumis aux premiers juges, la Cour arrive à la conclusion que les premiers juges les ont appréciés à leur juste valeur et en ont tiré les conclusions juridiques exactes.

L’appelante invoque en substance la crainte de subir des persécutions sinon des atteintes graves de la part de l’ELN en représailles du fait d’avoir fourni des renseignements sur un membre de cette organisation à des tiers.

Or, au-delà de toutes considérations quant à la crédibilité du récit, la Cour, à l’instar des premiers juges, arrive à la conclusion que les déclarations de l’appelante sont essentiellement vagues, non circonstanciées et étayées par aucun élément tangible qui puisse conforter son récit. Ses craintes reposent dès lors entièrement sur des suppositions et restent partant à l’état de simples allégations. Ainsi, sa crainte d’être recherchée par l’ELN et de faire l’objet de représailles de la part de membres de ce groupe armé rebelle, au motif qu’ils la soupçonneraient d’avoir divulgué à des tiers des informations sur le dénommé …, et donc également sur leur organisation, n’est sous-tendue par aucun élément objectif tangible. En plus, il convient de relever que l’appelante n’a rencontré aucun problème particulier pendant son séjour à … ou à son retour à … en novembre 2017, et ce jusqu’à son départ définitif de Colombie en février 2019. Ce serait uniquement sur le conseil d’un ami, qui aurait prétendu que des membres de l’ELN seraient à sa recherche, qu’elle aurait décidé de quitter son pays.

Ce constat n’est pas ébranlé par un appel téléphonique que la mère de l’appelante aurait prétendument reçu en juin 2019, soit après son départ, de la part d’un inconnu qui aurait voulu savoir si elle se trouvait toujours en ville, sans exprimer une quelconque menace, dès lors qu’elle ne fait que supposer que cet inconnu serait un membre de l’ELN, étant encore relevé que cet appel n’a été suivi d’aucun acte concret, selon les déclarations de l’appelante.

Pour le surplus, la Cour partage encore la conclusion des premiers juges que les enfants de l’appelante, qui sont restés en Colombie, n’ont pas rencontré de problèmes, alors que si des membres de l’ELN avaient vraiment voulu faire pression sur elle, ils auraient pu s’attaquer à ses enfants, ce qui n’a toutefois pas été le cas.

Il s’ensuit que les craintes exprimées par l’appelante sont purement hypothétiques et apparaissent tout au plus comme l’expression d’un sentiment général d’insécurité.

La Cour rejoint encore les premiers juges en leur constat que le caractère hypothétique des craintes avancées par l’appelante est encore conforté par le comportement qu’elle a adopté depuis son départ de son pays d’origine, étant donné qu’elle a traversé plusieurs pays de l’Union européenne avant d’arriver au Luxembourg en mars 2019, sans toutefois ressentir le besoin de déposer une demande de protection internationale dans l’un de ces pays et que même au Luxembourg, elle n’a déposé sa demande de protection internationale que cinq mois après son arrivée. Or, il est raisonnable d’attendre d’une personne qui se sent réellement persécutée dans son pays d’origine, respectivement y ressent une crainte fondée de subir des atteintes graves, qu’elle dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr dans lequel elle arrive, ce que l’appelante a pourtant omis de faire, les explications fournies quant à cette omission n’étant guère convaincantes.

Quant aux divers rapports et articles versés en cause par l’appelante pour souligner la situation sécuritaire généralement instable en Colombie et la prétendue impuissance des autorités colombiennes face aux activités de guérilla menées par l’ELN, la Cour rappelle que la simple invocation de rapports faisant état, de manière générale, de violations des droits de l’homme dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays encourt un risque d’être soumis à des persécutions ou à des atteintes graves. Il incombe au demandeur de démontrer in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre d’être persécuté ou de subir des atteintes graves au regard des informations disponibles sur son pays. Or, ainsi que cela a été retenu ci-dessus, la crainte de l’appelante est purement hypothétique pour ne reposer sur aucun élément tangible.

C’est donc à juste titre et pour des motifs que la Cour adopte et fait siens que les premiers juges ont retenu que les craintes invoquées par l’appelante peuvent tout au plus s’analyser en un sentiment général d’insécurité et ne sont dès lors pas de nature à justifier dans son chef une crainte fondée de faire l’objet de persécutions ou un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

Concernant l’ordre de quitter le territoire, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 23 septembre 2020, donner acte à l’appelante de ce qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller, en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. ….

s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 février 2021 Le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44347
Date de la décision : 04/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-02-04;44347 ?

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