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26/11/2019 | LUXEMBOURG | N°42582C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 26 novembre 2019, 42582C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 42582C Inscrit le 1er avril 2019

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Audience publique du 26 novembre 2019 Appel formé par M. …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 25 février 2019 (n° 41074 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’impôts (retenue libératoire sur intérêts)

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Vu l’acte d’appel,...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 42582C Inscrit le 1er avril 2019

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Audience publique du 26 novembre 2019 Appel formé par M. …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 25 février 2019 (n° 41074 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’impôts (retenue libératoire sur intérêts)

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 42582C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 1er avril 2019 par Maître Jean-Luc SCHAUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ingénieur civil, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-

Duché de Luxembourg le 25 février 2019 (n° 41074 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, premièrement, d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 1er mars 2018 (n° C 23826 du rôle) portant rejet de sa réclamation introduite à l’encontre d’une décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts de l’administration des Contributions directes du 13 juin 2017 portant refus d’assujettir à la retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière des intérêts en provenance de la Suisse mis à sa disposition au cours de l’année 2016, et, deuxièmement, de ladite décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts de l’administration des Contributions directes du 13 juin 2017 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 23 avril 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 20 mai 2019 par Maître Jean-Luc SCHAUS pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Luc SCHAUS et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 septembre 2019.

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Le 31 mars 2017, Monsieur … déposa auprès du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau de la retenue d’impôt », sa déclaration de la retenue d’impôt à la source libératoire sur certains paiements d’intérêts effectués hors du Luxembourg, relative à l’année 2016. Cette déclaration faisait état d’intérêts en provenance, d’une part, de la Belgique à hauteur de A euros et, d’autre part, de la Suisse à hauteur de B euros.

Par décision du 13 juin 2017, le bureau de la retenue d’impôt rejeta la demande de Monsieur … de voir les intérêts par lui déclarés assujettis à la retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière prévue par la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière, ci-après désignées respectivement par la « retenue libératoire » et la « loi du 23 décembre 2005 », introduite à travers la susdite déclaration du 31 mars 2017. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Par la présente, j’accuse réception de votre déclaration RELIBIbis de l’année 2016 en date du 31 mars 2017.

Cependant, je suis au regret de vous informer que votre demande pour l’application d’une retenue à la source libératoire de 10% ne peut être retenue.

Les dispositions de l’article 6bis de la loi modifiée du 23 décembre 2005 excluent du champ d’application les revenus provenant de la Suisse.

À partir de l’année d’imposition 2016, n’entrent en ligne de compte que les revenus dont l’attribution est opérée par un agent payeur établi dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État partie à l’Accord sur l’Espace Économique Européen (EEE).

Les intérêts en question sont donc à intégrer dans votre déclaration de l’impôt sur le revenu (modèle 100) de l’année 2016.

Les revenus déclarés dans la rubrique 3.1. du formulaire ne dépassent pas le seuil de 250 € et sont donc exempts d’impôts. (…) ».

Par courrier de son litismandataire du 23 août 2017, réceptionné le lendemain, Monsieur … fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », une réclamation à l’encontre de ladite décision du 13 juin 2017.

Par une décision du 1er mars 2018 (n° C 23826 du rôle), le directeur rejeta cette réclamation comme étant non justifiée sur base des motifs suivants :

« (…) Vu la requête introduite le 24 août 2017 par Me Jean-Luc Schaus, au nom du sieur …, demeurant à L-…, pour réclamer contre la décision de refus, émise en date du 13 juin 2017 par le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts, d’assujettir le sieur … à la loi modifiée du 23 décembre 2005 afférente à la retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière (loi Relibi) en ce qui concerne plus particulièrement des intérêts en provenance de la Suisse qui ont été mis à sa disposition au cours de l’année 2016 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 235, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit, dans les forme et délai de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition de lui avoir refusé le bénéfice des dispositions de l’article 6bis de la loi Relibi (dispositions communément appelées Relibi bis) au motif que « n’entrent en ligne de compte que les revenus dont l’attribution est opérée par un agent payeur établi dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) » ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant tout d’abord et en ce qui concerne la problématique de l’espèce que la loi du 23 juillet 2016 portant entre autres modification de la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière trouve ses origines dans l’abolition de la directive sur la fiscalité de l’épargne 2003/48/CE en date du 10 novembre 2015 ; que suite aux diverses modifications apportées par la loi du 23 juillet 2016 à la loi modifiée du 23 décembre 2005, l’article 6bis, alinéa 1er de cette dernière se lit dorénavant comme suit à partir du 1er janvier 2016, date de la prise d’effet de la loi du 23 juillet 2016 (cf. article 4 : « La présente loi est applicable à partir du 1er janvier 2016. ») :

« Les bénéficiaires effectifs qui touchent des revenus ou des produits faisant l’objet de l’article 4, dont l’attribution est opérée par un agent payeur défini à l’article 3, mais établi hors du Luxembourg dans un Etat membre de l’Union européenne, ou dans un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) autre qu’un Etat membre de l’Union européenne, peuvent opter pour le prélèvement libératoire de 10 pour cents. Ce prélèvement s’opère sur les montants qui seraient soumis à la retenue à la source, si l’agent payeur était établi au Luxembourg. Sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2, l’exercice de l’option doit couvrir la totalité des revenus et produits au cours de l’année civile au bénéficiaire effectif par l’ensemble des agents payeurs étrangers prévisés. (…) » ;

Considérant que la Confédération suisse, en l’espèce le pays duquel sont originaires l’ensemble des intérêts litigieux, ne fait partie ni de l’Union européenne, ni des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE), de sorte que les intérêts en cause ne sauront rentrer dans le champ d’application de l’article 6bis, alinéa 1er de la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière (loi Relibi) ; qu’ils sont dès lors à imposer conformément à l’article 97 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) dans le cadre de l’imposition personnelle pour le revenu par voie d’assiette ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2018, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision, précitée, du bureau de la retenue d’impôt du 13 juin 2017 ayant refusé d’assujettir les intérêts en provenance de la Suisse à la retenue libératoire et, d’autre part, de la décision directoriale susmentionnée du 1er mars 2018 ayant rejeté sa réclamation introduite à l’encontre de ladite décision du 13 juin 2017.

Par son jugement du 25 février 2019, le tribunal administratif déclara irrecevable le recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du bureau de la retenue d’impôt du 13 juin 2017. Il reçut en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 1er mars 2018, mais, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur. Il dit encore qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit à l’encontre de ladite décision directoriale. Le tribunal débouta finalement le demandeur de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de … euros et le condamna aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 1er avril 2019, Monsieur … a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 25 février 2019.

A l’appui de son appel, il expose les faits et rétroactes gisant à la base du présent litige, en expliquant, notamment, qu’il serait titulaire d’obligations suisses et qu’à ce titre, il percevrait régulièrement des intérêts en provenance de la Suisse. Il ajoute qu’avant sa modification par la loi du 23 juillet 2016 portant 1) transposition de la directive (UE) 2015/2060 du Conseil du 10 novembre 2015 abrogeant la directive 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts; 2) modification de la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière; 3) abrogation de la loi modifiée du 21 juin 2005 transposant en droit luxembourgeois la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 du Conseil de l’Union européenne en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, ci-après désignée par la « loi du 23 juillet 2016 », la loi du 23 décembre 2005 aurait inclus dans le champ de la retenue libératoire les intérêts en provenance de la Suisse. En basant la décision de refus de la soumission de l’ensemble de ses intérêts d’origine suisse de l’année 2016 sur l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 tel qu’introduit par la loi du 23 juillet 2016, l’administration aurait fait une application rétroactive d’une nouvelle disposition légale. Il considère que ce serait à tort que le tribunal a rejeté son recours comme non justifié en faisant une mauvaise interprétation des articles 2 du Code civil (CC), des articles 11 et 112 de la Constitution et du § 3 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », dénommée ci-après « StAnpG ».

A cet égard, l’appelant explique que dans sa version initiale, la loi du 23 décembre 2005 n’aurait été applicable qu’à des paiements d’intérêts effectués au Luxembourg. La loi du 17 juillet 2008 modifiant la loi du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière, ci-après dénommée la « loi du 17 juillet 2008 », aurait étendu le régime mis en place par ladite loi du 23 décembre 2005 à certains paiements d’intérêts effectués par des agents payeurs établis hors du Luxembourg, en introduisant un nouvel article 6bis dans ladite loi du 23 décembre 2005, dont les dispositions se seraient appliquées non seulement à des paiements provenant d’un autre Etat membre de l’Union européenne, mais encore à des paiements en provenance d’un Etat ayant conclu une convention internationale directement liée à la directive modifiée 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, ci-après la « directive 2003/48 », tel que la Suisse. Cette rédaction de l’article 6bis « (…) a[urait] laissé entendre que la Suisse restera[it] à tout jamais un « Etat ayant conclu une convention internationale directement liée à la directive modifiée 2003/48 », peu importe que dans le futur la directive modifiée 2003/48 soit supprimée. (…) ». Or, sous prétexte de la nécessité d’adapter la loi du 23 décembre 2005 suite à l’abrogation de la directive 2003/48, la loi du 23 juillet 2016 aurait modifié l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 dans le sens de l’exclusion de son champ d’application des paiements d’intérêts en provenance d’Etats situés en dehors de l’Union européenne et de l’Espace Economique Européen (EEE), dont notamment la Suisse, et ce avec effet au 1er janvier 2016.Tout en admettant que le législateur aurait déjà fréquemment transposé avec retard des directives qui auraient déjà été en vigueur et que dans un tel cas, il pourrait arriver que la loi luxembourgeoise prévoie son application à des situations nées depuis le jour de l’entrée en vigueur de la directive en question antérieure à la promulgation de la loi luxembourgeoise de transposition, donc dans les faits avec effet rétroactif, l’appelant estime qu’une telle technique législative ne pourrait en aucun cas trouver application dans le présent cadre, au motif que l’objet de la loi du 23 juillet 2016 n’aurait pas résidé dans la transposition d’une directive, le législateur ayant restreint, par le biais de la loi du 23 juillet 2016, le champ d’application de l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 sans mettre en œuvre une disposition de droit de l’Union européenne afférente.

L’appelant fait valoir que si l’on pouvait accepter qu’une loi prévoyant une sanction pénale pour une infraction fiscale aurait un effet rétroactif dans l’hypothèse où cet effet serait favorable au justiciable, un tel effet rétroactif ne serait pourtant pas admissible dans l’hypothèse inverse d’un effet négatif pour la personne concernée. Il insiste sur le fait que l’application rétroactive de la loi du 23 juillet 2016 lui serait gravement préjudiciable, au motif qu’« (…) en tout cas du 1er janvier 2016 au 23 juillet 2016 (…) », il aurait perçu des revenus soumis à l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005.

Il argue que du fait de la rétroactivité de la modification du champ d’application de l’article 6bis, la loi du 23 juillet 2016 serait contraire aux articles 112 de la Constitution et 2 CC, ces dispositions étant applicables également en matière fiscale. Il se réfère encore à la doctrine qui aurait également déjà reconnu l’existence d’un principe général de non-

rétroactivité en matière d’impôts. Il donne de même à considérer que pour garantir le principe de sécurité juridique, le contribuable devrait être en mesure d’apprécier les conséquences fiscales d’une opération au moment où il l’accomplirait et que l’obligation de publication de la loi y trouverait pareillement sa justification, l’appelant soulignant plus loin que la non-rétroactivité de la loi fiscale serait un facteur d’ordre et de sécurité juridique, car elle protègerait les droits patrimoniaux acquis contre les interventions ultérieures du législateur. Il s’empare également du principe de la confiance légitime en tant que principe général du droit qui exigerait que tant les règles juridiques que l’activité administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration.

En deuxième lieu, l’appelant invoque le principe de l’annualité de l’impôt, tel que consacré par l’article 100 de la Constitution, en faisant valoir que ledit principe, de même que celui de la non-rétroactivité de la loi fiscale, « (…) impose[raient] qu’une loi soit votée avant le début de l’année fiscale, ce qui en pratique [serait] toujours le cas, sauf en l’espèce (…) ».

En troisième lieu, l’appelant soutient que la matière du droit fiscal aurait un caractère réel et que les règles fiscales devraient être établies avant que le contribuable ne réalise des opérations durant la période du fait générateur de l’impôt qui influent sur son obligation fiscale. Il estime que l’Etat de droit serait mis en péril si l’Etat pouvait changer ex post une partie des règles du jeu à un moment où les contribuables ne pourraient plus changer les éléments de fait ayant donné lieu à une obligation fiscale. Il impute à une telle modification rétroactive de la loi fiscale un caractère confiscatoire s’analysant pour le surplus en une expropriation en touchant seulement un nombre limité de contribuables, entraînant que l’article 16 de la Constitution serait violé.

En quatrième lieu, l’appelant affirme que la modification rétroactive de l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 par la loi du 23 juillet 2016 soulèverait une question de respect du principe d’égalité devant la loi, au motif qu’elle serait exceptionnelle en conférant à cette modification un effet rétroactif défavorable à certains contribuables.

En conclusion, l’appelant fait valoir qu’en prévoyant l’applicabilité de l’article 6bis, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016 à partir du 1er janvier 2016, le législateur aurait violé tant le principe de la non-rétroactivité de la loi fiscale, que celui de l’annualité de l’impôt.

En soulignant qu’en vertu « (…) des principes du StAnpG, les administrations fiscales doivent appliquer la loi fiscale, conformément à la [C]onstitution et « aux principes de la législation » et que toute loi spéciale s’interpréterait sur base de l’ensemble de la législation fiscale, il fait valoir que ce serait à bon droit qu’il prétendrait à l’application d’une retenue à la source libératoire de 10% à l’ensemble de ses revenus provenant de la Suisse, perçus au cours de l’année 2016, de sorte que la décision déférée serait à réformer en ce sens. A titre subsidiaire, il demande l’application d’une telle retenue à la source libératoire de 10% à ses revenus provenant de la Suisse et perçus jusqu’à la date d’adoption de la loi du 23 juillet 2016.

L’Etat soutient par contre que le principe de non-rétroactivité des lois aurait une valeur législative et non pas constitutionnelle, de manière qu’il ne s’imposerait pas au législateur qui pourrait y déroger en conférant expressément une portée rétroactive à une disposition légale.

Au vu de l’article 4 de la loi du 23 juillet 2016, ayant prévu expressis verbis l’applicabilité des nouvelles dispositions portées par cette loi à partir du 1er janvier 2016, l’Etat argue que les intérêts attribués par un agent payeur suisse à partir du 1er janvier 2016 seraient soumis au nouvel article 6bis modifié par la loi du 23 juillet 2016, de manière à ne plus pouvoir bénéficier de l’application de la retenue libératoire de 10% et à être soumis en conséquence à l’imposition en tant que revenus de capitaux mobiliers dans le cadre de l’imposition par voie d’assiette.

L’Etat partage l’interprétation du tribunal suivant laquelle l’article 112 de la Constitution consacrerait seulement l’obligation de publication des lois en tant que condition de leur force obligatoire et ne régirait pas la question de la rétroactivité des lois. Il considère aussi que le principe de l’annualité de l’impôt inscrit à l’article 100 de la Constitution ne serait pas non plus violé, au motif que ni le libellé dudit article 100 de la Constitution ni la jurisprudence rendue en son application n’interdiraient au législateur de voter, au cours d’une année d’imposition, une loi fiscale s’appliquant dès le début de l’année d’imposition en question, cette manière de procéder n’affectant pas la fixation de l’impôt en fonction des bases d’imposition propres à l’année concernée. L’Etat conclut qu’aucune de ces règles constitutionnelles ne justifierait une application des dispositions légales en cause différente de celle retenue par le directeur.

L’Etat conteste finalement tant le principe que le quantum de l’indemnité de procédure sollicitée par l’appelant, au motif que ce dernier ne démontrerait pas à suffisance de droit en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais exposés lors de l’instance en question.

Aux termes de son article 1er, paragraphe (1), la loi du 23 décembre 2005 a pour objet d’introduire « (…) une retenue à la source libératoire sur les revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts effectués au Luxembourg en faveur de bénéficiaires effectifs, personnes physiques, qui sont des résidents du Grand-Duché de Luxembourg, sans être des résidents fiscaux d’un autre Etat. (…) », le paragraphe (2) dudit article 1er, introduit par la loi du 17 juillet 2008, prévoyant que « la retenue à la source libératoire est étendue sous forme de prélèvement libératoire, dans les conditions prévues à l’article 6bis, à certains paiements d’intérêts effectués hors du Luxembourg en faveur de bénéficiaires effectifs visés ci-dessus.

Les références et renvois à respectivement la retenue, la retenue à la source ou la retenue libératoire s’adressent par analogie au prélèvement prévu par l’article 6bis ».

La retenue libératoire constitue partant une forme de prélèvement de l’impôt sur le revenu sous la forme d’une retenue d’impôt – à opérer directement par l’agent payeur des intérêts s’il est établi au Luxembourg ou par le bénéficiaire effectif lui-même sur base d’une déclaration annuelle volontaire si l’agent payeur se trouve établi dans l’un des pays visés à l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 – ayant un effet libératoire en ce sens que les intérêts soumis à cette retenue ne doivent plus être intégrés au revenu imposable annuel imposable par voie d’assiette.

Dans sa teneur initiale, l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005, également introduit par ladite loi du 17 juillet 2008, était libellé comme suit dans son paragraphe (1), pertinent en l’espèce :

« (1) Les bénéficiaires effectifs qui touchent des revenus ou des produits faisant l’objet de l’article 4, dont l’attribution est opérée par un agent payeur défini à l’article 3, mais établi hors du Luxembourg dans un Etat membre de l’Union européenne, ou dans un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) autre qu’un Etat membre de l’Union européenne, ou dans un Etat ayant conclu une convention internationale directement liée à la directive modifiée 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts, peuvent opter pour le prélèvement libératoire de 10%. Ce prélèvement s’opère sur les montants qui seraient soumis à la retenue à la source, si l’agent payeur était établi au Luxembourg. Sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2, l’exercice de l’option doit couvrir la totalité des revenus et produits attribués au cours de l’année civile au bénéficiaire effectif par l’ensemble des agents payeurs étrangers prévisés.

Le prélèvement libératoire n’est pas applicable aux intérêts qui sont imposables dans le chef du bénéficiaire effectif au titre de bénéfice commercial, de bénéfice agricole et forestier ou de bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale ».

Le législateur avait, de la sorte, accordé aux bénéficiaires effectifs d’intérêts payés par certains agents payeurs établis hors du Luxembourg, dont ceux établis dans un Etat ayant conclu une convention internationale directement liée à la directive 2003/48, l’option de remettre aux autorités fiscales luxembourgeoises une déclaration annuelle relative aux intérêts qui leur étaient ainsi attribués et qui donnaient droit à l’application du prélèvement libératoire de 10%.

Cette disposition de l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 doit partant être mise en rapport avec l’article 10, paragraphe (2), de la directive 2003/48 qui prévoyait la conclusion, par la Communauté européenne, d’accords avec la Confédération suisse, la Principauté de Liechtenstein, la République de Saint-Marin, la Principauté de Monaco et la Principauté d'Andorre et qui prévoit l'échange d'informations sur demande, ainsi que l'application simultanée par ces pays d'une retenue à la source sur les paiements d'intérêts, tels que définis dans cette directive, effectués par des agents payeurs établis sur le territoire de ces pays à des bénéficiaires effectifs résidant dans un Etat membre au taux défini pour les périodes correspondantes visé à l'article 11, paragraphe (1), de la même directive.

Au vu de l’accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du 26 octobre 2004 et appliqué à partir du 1er juillet 2005, les paiements d'intérêts effectués par des agents payeurs établis sur le territoire de la Confédération suisse à des résidents luxembourgeois rentraient dans le champ d’application de l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005, tel qu’introduit par la loi du 17 juillet 2008.

Cependant, la directive UE/2015/2060 du Conseil du 10 novembre 2015 abrogeant la directive 2003/48/CE, ci-après la « directive 2015/2060 », a mis un terme à l’application de cette dernière avec effet au 1er janvier 2016 en ce sens que les intérêts perçus à partir de cette date ne faisaient l’objet ni d’un échange de renseignements, ni d’une retenue à la source sur base de la directive 2003/48. Conformément à l’article 1er, alinéa 2 de la directive 2015/2060, seules restaient applicables les dispositions nécessaires à l’exécution, essentiellement, des obligations de récolte des informations, d’exécution de l’échange automatique et d’application des exceptions à la retenue concernant l’année 2015.

Ladite directive 2015/2060 doit être mise en relation avec la directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal, ci-après la « directive 2014/107 », qui a introduit à partir du 1er janvier 2016 un régime d'échange automatique de renseignements à des fins fiscales relatifs aux comptes financiers détenus par des résidents d’un Etat membre dans un autre Etat membre. Ce régime se fonde sur la norme mondiale pour l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers à des fins fiscales élaborée au niveau de l’OCDE, approuvée par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 et matérialisée essentiellement par un modèle d'accord entre autorités compétentes et une norme commune en matière de déclaration (NCD). Un des buts affichés de la directive 2014/107 tend en effet à « s'assurer que l'élargissement du champ d'application de l'échange automatique d'informations au sein de l'Union cadre avec les évolutions au niveau international » (considérant n° (9) de la directive 2014/107).

Le législateur luxembourgeois a transposé la directive 2014/107 à travers la loi du 18 décembre 2015 concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale et portant 1. transposition de la directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal ; 2. modification de la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, également désignée sous une forme abrégée comme la loi du 18 décembre 2015 relative à la Norme commune de déclaration (NCD). Conformément à son article 9, cette loi a ainsi rendu applicable le régime d'échange automatique de renseignements à des fins fiscales prévu par la directive 2014/107 à partir du 1er janvier 2016.

A travers la loi du 23 juillet 2016, le législateur luxembourgeois a poursuivi un double objectif.

En premier lieu, il a transposé l’abolition de la directive 2003/48 avec effet au 1er janvier 2016 en abolissant à la même date la loi du 21 juin 2005 transposant en droit luxembourgeois la directive 2003/48, sauf à laisser applicables, à l’instar de l’article 1er, alinéa 2 de la directive 2015/2060, les dispositions nécessaires à l’exécution des obligations concernant l’année 2015. Il se dégage en effet des travaux parlementaires relatifs à la loi du 23 juillet 2016 qu’« avec la loi du 18 décembre 2015 relative à la Norme commune de déclaration (NCD), portant notamment transposition de la directive 2014/107/UE pré-

mentionnée en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, le Gouvernement a entendu introduire en droit interne luxembourgeois la nouvelle norme mondiale d’échange automatique de renseignements.

Le dépôt du présent projet de loi est donc la conséquence logique de l’introduction de la NCD et tend à abroger la législation européenne afférente à la fiscalité de l’épargne afin d’éviter des doubles emplois en matière d’échange automatique d’informations financières et de soulager les charges administratives des établissements financiers » (doc. parl. n° 6978, exposé des motifs, p. 5).

En deuxième lieu, la loi du 23 juillet 2016 a tiré les conséquences de l’abolition de la loi du 21 juin 2005 sur le contenu de la loi du 23 décembre 2005. En effet, cette dernière avait réglé plusieurs volets du régime luxembourgeois de la retenue libératoire par renvoi aux dispositions afférentes de la loi du 21 juin 2005. L’abolition de celle-ci a dès lors entraîné la nécessité d’intégrer dans la loi du 23 décembre 2005 des dispositions spécifiques sur ces volets reprises pour l’essentiel de la loi du 21 juin 2005, telles les définitions du bénéficiaire effectif, de l’agent payeur des intérêts et du champ d’application de la retenue et les modalités de prélèvement de ladite retenue.

L’ensemble de ces modifications législatives opérées par la loi du 23 juillet 2016 étaient liées à l’abolition de la directive 2003/48 et à son remplacement par le nouveau régime d’échange automatique de renseignements financiers introduit par la directive 2014/107 à la date clé du 1er janvier 2016, de manière que le caractère rétroactif de ces modifications jusqu’à cette même date clé s’explique par la nécessité de la transposition correcte de ce changement du cadre législatif communautaire et par le souci d’empêcher le maintien, même temporaire, de deux systèmes d’obligations de collecte de renseignements à charge du secteur financier.

A priori, ces modifications législatives n’étaient pas de nature à affecter directement la situation fiscale de l’appelant concernant l’imposition des intérêts en question.

Cependant, la loi du 23 juillet 2016 a également modifié l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 en lui conférant le libellé suivant :

« Les bénéficiaires effectifs qui touchent des revenus ou des produits faisant l’objet de l’article 4, dont l’attribution est opérée par un agent payeur défini à l’article 3, mais établi hors du Luxembourg dans un Etat membre de l’Union européenne, ou dans un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) autre qu’un Etat membre de l’Union européenne, peuvent opter pour le prélèvement libératoire de 10 pour cent. Ce prélèvement s’opère sur les montants qui seraient soumis à la retenue à la source, si l’agent payeur était établi au Luxembourg. Sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2, l’exercice de l’option doit couvrir la totalité des revenus et produits attribués au cours de l’année civile au bénéficiaire effectif par l’ensemble des agents payeurs étrangers prévisés.

Le prélèvement libératoire n’est pas applicable aux intérêts qui sont imposables dans le chef du bénéficiaire effectif au titre de bénéfice commercial, de bénéfice agricole et forestier ou de bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale ».

En vertu de l’article 4 de ladite loi du 23 juillet 2016, la modification de l’article 6bis, paragraphe (1), est pareillement applicable à partir du 1er janvier 2016.

A l’instar des premiers juges, la Cour se trouve dès lors amenée à conclure que c’est a priori à juste titre, car en application du libellé des articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016, que le bureau de la retenue d’impôt, confirmé par le directeur, a refusé d’accorder le bénéfice de ce prélèvement libératoire aux intérêts en provenance de la Suisse, tels que déclarés par l’appelant pour l’année 2016.

Comme les premiers juges l’ont pareillement relevé à bon escient, la nouvelle formulation de l’article 6bis, paragraphe (1), a eu pour effet que la référence aux agents payeurs établis « (…) dans un Etat ayant conclu une convention internationale directement liée à la directive 2003/48/CE (…) » a été supprimée, de sorte que depuis le 1er janvier 2016, les paiements d’intérêts en provenance d’agents payeurs suisses ne pouvaient plus faire l’objet du prélèvement libératoire de 10% mis en place par la loi du 23 décembre 2005, la Confédération suisse n’étant ni un Etat membre de l’Union européenne, ni un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE).

La Cour se doit de constater que cette modification de l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 n’a pourtant pas été imposée par une disposition de la directive 2015/2060 ni de la directive 2014/107, mais qu’elle découle du choix délibéré du législateur luxembourgeois de modifier le régime national de la retenue libératoire sur les paiements d’intérêts en réduisant dorénavant le champ d’application territorial concernant l’origine du paiement d’intérêts strictement aux autres Etats membres de l’Union européenne et aux Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) par l’exclusion de la sorte de plusieurs Etats tiers inclus jusque lors dans le champ d’application territorial, dont la Confédération suisse. L’effet rétroactif au 1er janvier 2016 de cette modification de l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 ne saurait partant être justifiée par l’obligation d’une transposition correcte de dispositions contraignantes du droit de l’Union européenne. Elle n’a par ailleurs fait l’objet d’aucun commentaire dans le projet de loi relatif à la loi du 23 juillet 2016.

De plus, il convient de relever que l’accord susvisé avec la Confédération suisse du 26 octobre 2004 a été modifié par un protocole du 27 mai 2015 prévoyant le remplacement du système de la retenue d’impôt et de l’échange de renseignements sur seule demande en cas de fraude par l’échange automatique conformément à la NCD et au modèle d’échange automatique de l’OCDE. Alors que ce protocole a été approuvé par la Décision (UE) 2015/2400 du Conseil du 8 décembre 2015 relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, du protocole de modification de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (document 32015D2400 ; JO L 333, 19.12.2015, p. 10–11), il n’a été approuvé par l’Assemblée fédérale suisse qu’en date du 17 juin 2016 et est dès lors entré en vigueur seulement le 1er janvier 2017. Il s’ensuit que pour l’année 2016, la Confédération suisse faisait encore application de l’accord initial du 26 octobre 2004 aux revenus d’intérêts à titre de cette année.

C’est le changement législatif opéré par l’article 1er, point 5°, ensemble l’article 4 de la loi du 23 juillet 2016 ayant modifié l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 qui fait l’objet des critiques de l’appelant dans la mesure où il a pour effet que des intérêts d’ores et déjà payés par un agent payeur suisse à un bénéficiaire effectif résident luxembourgeois au cours de l’année 2016 jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, ne pouvaient plus être soumis à la retenue libératoire telle que prévue jusque lors mais se trouvaient rétroactivement intégrés au revenu imposable soumis à l’application du barème normal progressif de l’impôt sur le revenu, de manière à se voir appliquer un impôt a priori plus élevé.

Il convient en effet de constater que sur le total d’intérêts à hauteur de B euros attribués à l’appelant par des agents payeurs suisses au cours de l’année 2016, un montant d’environ C euros lui a été payé, d’après la déclaration de la retenue d’impôt soumise par ses soins, avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016. Par voie de conséquence, l’appelant critique de manière pertinente que la modification rétroactive de l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005 opérée à travers la loi du 23 juillet 2016 a eu, pour lui, l’effet défavorable de remplacer l’imposition forfaitaire à travers la retenue libératoire à hauteur de 10% du montant des intérêts, du moins du montant d’environ C euros lui payé avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, par une imposition par voie d’assiette dans le cadre de laquelle l’intégration des intérêts en question au revenu imposable a pour effet l’application des taux marginaux progressifs du barème instauré par l’article 118 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », culminant au taux de ..% pour la tranche de revenu imposable global dépassant les … euros.

En vertu de l’article 2 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après la « loi du 27 juillet 1997 », celle-ci est exclusivement compétente pour statuer sur les questions de constitutionnalité des lois. Aux termes de l’article 6 de la même loi, « lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que:

a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement;

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».

Comme les premiers juges l’ont déjà dégagé à juste titre, le juge administratif est, dès lors, de prime abord amené à vérifier si les questions de constitutionnalité soulevées par l’appelant tombent dans l’un des cas de dispense énumérés par l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 et, si tel n’est pas le cas, il lui appartiendra d’en saisir la Cour constitutionnelle.

Par rapport au moyen tiré du caractère confiscatoire et équipollent à une expropriation de la modification rétroactive de la loi fiscale à travers les articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016, la Cour tient à souligner que ladite modification a pour seul effet de remplacer l’imposition des intérêts d’origine suisse de l’appelant par application de la retenue libératoire de 10% par celle de l’imposition par voie d’assiette entraînant l’inclusion de ces intérêts dans le revenu imposable du contribuable et l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu prévu par l’article 118 LIR avec les modalités découlant de la classe d’impôt dans laquelle l’appelant était à ranger. Cette modification n’a nullement pour effet d’imposer plus lourdement ces intérêts par rapport à l’imposition qui découlerait de l’application du régime de droit commun de l’application du barème prévu par l’article 118 LIR. Or, ce dernier ne saurait être considéré comme une imposition confiscatoire des intérêts au vu des taux d’impôt prévus par le barème même pour les tranches supérieures du revenu imposable, aucun taux supérieur à 50% ne s’en dégageant par ailleurs.

Ce premier moyen de l’appelant est partant à écarter comme étant dénué de tout fondement.

Quant au moyen de l’appelant basé sur l’article 100 de la Constitution et le principe de l’annualité de l’impôt y consacré, il y a lieu de rappeler que cette disposition prévoit que « les impôts au profit de l’Etat sont votés annuellement. - Les lois qui les établissent n’ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées ». La Cour rejoint les premiers juges en ce que cette disposition constitutionnelle ne précise pas que toute loi fiscale devrait être votée avant le début de l’année fiscale à laquelle elle se rapporte, mais qu’elle prévoit que l’impôt, obligatoirement institué par le Parlement, ne peut être levé qu’après une autorisation annuelle de celui-ci, alors même que les lois organiques de l’impôt sont permanentes. En outre, les premiers juges ont souligné à bon droit que le principe plus général de l’annualité de l’impôt, instauré notamment par l’article 1er LIR, impose la fixation de l’impôt en fonction des bases d’imposition propres à l’année concernée, sans que des bases d’imposition y étrangères et en relation avec d’autres années puissent entraîner automatiquement et péremptoirement une augmentation ou diminution du résultat imposable de l’année concernée, mais que ce principe n’interdit point au législateur de voter, au cours d’une année d’imposition, une loi fiscale s’appliquant dès le début de l’année d’imposition en question, cette manière de procéder n’affectant pas la fixation de l’impôt en fonction des bases d’imposition propres à l’année concernée.

Ce deuxième moyen de l’appelant est partant également à écarter comme étant dénué de tout fondement.

En troisième lieu, l’appelant invoque le principe de non-rétroactivité des lois qu’il fonde sur les articles 11 et 112 de la Constitution, ainsi que l’article 2 CC et le § 3 StAnpG.

Dans le même cadre, il estime que les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime devraient empêcher le législateur de modifier le régime fiscal applicable à un certain revenu de manière négative à travers une modification législative adoptée après la réalisation du revenu en question.

Ce moyen appelle la Cour à préciser davantage les contours de la rétroactivité critiquée par l’appelant.

Dans son acceptation générale, la rétroactivité vise la situation où une loi nouvelle revient sur la constitution achevée d’une situation juridique, impliquant un ensemble de droits et de devoirs, sur son extinction acquise ou sur ses effets passés (S. GAUDEMET : L’application de la loi dans le temps, in Jurisclasseur civil Code, art. 2, fasc. 10, n° 7). La loi rétroactive agit ainsi essentiellement en régularisant une situation achevée mais illégale ou en faisant procéder à la reconstitution fictive des effets que la loi aurait produits quant à la situation achevée si elle était entrée en vigueur plus tôt (M. UYTTENDAELE : Précis de droit constitutionnel belge, 3e édit., Bruylant, p. 377).

En matière d’impôts, on distingue traditionnellement entre la rétroactivité juridique et la rétroactivité économique (A. STEICHEN, Manuel de droit fiscal, 4e édit., pp. 530-531).

Le critère pour distinguer entre les deux réside dans le fait générateur de l’impôt concerné. Pour les impôts directs périodiques dus en raison de la matière imposable réalisée durant une certaine période, dont surtout l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal, le fait générateur correspond à la fin de la période d’imposition en cause, conformément au § 3 StAnpG. Dans le cadre des impôts indirects frappant une certaine opération économique, le fait générateur correspond au moment que la loi en cause définit comme étant le moment dans le cadre de l’exécution de l’opération qui rend l’impôt applicable.

La rétroactivité juridique s’entend dès lors d’une loi qui instaure ou modifie une imposition qui est fondée sur des faits générateurs intervenus et achevés avant l’entrée en vigueur de la loi afférente. Par rapport aux impôts périodiques, une loi fiscale est partant juridiquement rétroactive lorsqu’elle modifie le régime fiscal pour des périodes d’imposition achevées au moment de l’entrée en vigueur de la loi, tel en matière d’impôt sur le revenu lorsqu’elle étend ses effets à une année d’imposition antérieure à la date de son entrée en vigueur. A l’égard des impôts indirects, une loi est rétroactive lorsqu’elle soumet à l’impôt ou modifie le régime d’imposition à l’égard d’opérations imposables ayant déclenché l’imposabilité avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

La rétroactivité économique par contre concerne essentiellement les impôts périodiques et vise des cas où le fait générateur n’est pas, légalement parlant, déjà accompli, mais où certains éléments de ce fait générateur sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle qui se déclare néanmoins applicable à toute la période d’imposition, y compris la partie se situant avant son entrée en vigueur en présence de situations juridiques créées ou constituées encore sous l’égide de la loi ancienne. La loi fiscale prend ainsi en considération des éléments qui lui sont antérieurs alors même que le fait générateur lui soit postérieur (cf. S. SCHROEDER : The Constitutional Limits of Retroactivity in Tax Law, in Time and Tax, Issues in International, EU and Constitutional Law, édit. W. Haslehner, G. Kofler, A. Rust, Wolters Kluwer 2019, pp. 239-240).

Le système de la retenue libératoire instauré par la loi du 23 décembre 2005 établit une dualité de régime. En effet, à l’égard d’intérêts payés par un agent payeur luxembourgeois, celui-ci est tenu d’effectuer directement la retenue libératoire lors de la mise à disposition du revenu au bénéficiaire, de manière que le fait générateur se trouve définitivement réalisé dans cette hypothèse dès le moment du paiement de l’intérêt. A l’égard d’intérêts payés à un résident luxembourgeois par un agent payeur établi en dehors du Luxembourg, c’est le résident bénéficiaire qui doit opter, à l’issue de l’année d’imposition, pour l’application de la retenue libératoire sur les revenus d’intérêts éligibles à travers une déclaration spécifique. Dans cette hypothèse, également vérifiée en l’espèce, le fait générateur de la retenue libératoire ne se cristallise pas définitivement avant la fin de l’année d’imposition au vu de la nécessité de l’exercice de l’option afférente par le contribuable pour les revenus d’intérêts éligibles au début de l’année qui suit celle de la perception du revenu. Il faut donc conclure que les dispositions des articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016 ont conféré à la nouvelle mouture de l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 un effet rétroactif qu’il convient de qualifier d’économique conformément à la distinction opérée ci-avant.

Ensuite, il y a lieu de constater que la Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée sur la valeur du principe de non-rétroactivité de la loi.

Par contre, la Cour constitutionnelle a reconnu une valeur constitutionnelle au principe fondamental de l’Etat de droit. Elle a en effet admis dans son arrêt du 28 mai 2019 (n° 00146 du registre) que « les règles de primauté du Droit et de soumission de tout acte public ou privé à la règle de droit, toutes deux caractérisant le principe fondamental de l’État de droit, sont inhérentes à l’article 1 de la Constitution suivant lequel le Grand-Duché de Luxembourg est un État démocratique et à son article 51, paragraphe 1, suivant lequel le Grand-Duché de Luxembourg est placé sous le régime de la démocratie parlementaire ;

Que le principe de légalité et l’article 95 de la Constitution constituent une émanation du principe fondamental de l’État de droit auquel ils participent ».

Le principe de légalité, qualifié de principe émanant du principe fondamental de l’Etat de droit par la Cour constitutionnelle, est usuellement compris comme règle selon laquelle l'exercice du pouvoir par les organes publics doit être conforme au Droit et que les obligations imposées aux citoyens doivent être prévues par le Droit. Afin de pouvoir assurer son rôle d’encadrement et de fondement de l’action du pouvoir public et des citoyens, la règle de droit doit être suffisamment claire, accessible et prévisible, exigences qui sont considérées comme constituant les éléments essentiels du principe de la sécurité juridique qui découle ainsi du principe de légalité et, plus loin, du principe fondamental de l’Etat de droit.

Or, le caractère prévisible du droit implique que la règle de droit définisse le régime d’un certain acte de telle manière que le pouvoir public ou le citoyen puissent raisonnablement prévoir ses conséquences au moment où ils le réalisent, ce qui implique que la règle de droit ait été établie préalablement à la réalisation de l’acte et qu’elle ne soit pas modifiée après la réalisation définitive de l’acte. Le principe de la non-rétroactivité de la loi doit, sous cet angle de vue, être considéré comme constituant un volet du principe de la sécurité juridique.

Il est néanmoins vrai que la doctrine luxembourgeoise a qualifié dans le passé la règle de la non-rétroactivité juridique comme principe général du droit de valeur législative (A. STEICHEN, Manuel de droit fiscal, 4e édit., p. 532 ; D. SPIELMANN, La rétroactivité de la loi fiscale face au principe de sécurité juridique, in Annales du Droit Luxembourgeois, vol. 5, pp. 132 + 141).

D’un autre côté, le Comité du contentieux du Conseil d’Etat a précisé les circonstances dans lesquelles l’application juridiquement rétroactive de la loi nouvelle lui paraissait justifiée par un arrêt du 12 mars 1985 dans lequel il a retenu le « … principe de droit commun suivant lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a pas d’effet rétroactif, à moins que le législateur, dans des circonstances exceptionnelles et pour des raisons spéciales, ne lui attribue pareil effet » (CE 12 mars 1985, n° 7399, Administration communale de la Ville de Luxembourg). En outre, le Conseil d’Etat a affirmé dans différents avis, à l’égard de projets de loi, sa position d’une limitation au pouvoir législatif d’adopter des normes législatives rétroactives et l’a fondée sur la nécessité du respect des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime des administrés à l’égard des pouvoirs publics. Il y a lieu de renvoyer à cet égard notamment au deuxième avis complémentaire n° 49.681 du 14 mars 2017 sur le projet de loi concernant l'activité d'assistance parentale, à l’avis n° 51.222 du 8 mars 2016 sur le projet de loi concernant la réforme des prestations familiales, à l’avis n° 50.683 du 18 novembre 2014 sur le projet de loi modifiant la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire et à l’avis n° 47.559 du 27 novembre 2007 sur le projet de loi portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes.

La Cour tient pareillement à relever qu’en droit belge, dont le droit constitutionnel luxembourgeois tire son origine historique, la règle de la non-rétroactivité des lois se trouve également inscrite aux articles 2 respectifs du Code civil et du Code pénal, mais non pas en tant que règle générale dans la Constitution, mais que la Cour constitutionnelle belge reconnaît une valeur constitutionnelle à la règle de non-rétroactivité des lois et délimite strictement les hypothèses dans lesquelles le législateur est admis à s’en écarter. Elle a ainsi déjà jugé que « la non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l’insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que le justiciable puisse prévoir, dans une mesure raisonnable, les conséquences d’un acte déterminé au moment où cet acte est accompli. La rétroactivité ne peut être justifiée que lorsqu’elle est indispensable pour réaliser un objectif d’intérêt général » (p. ex. arrêt du 29 avril 2010, n° 44/2010 ; arrêt n° 16/2016 du 3 février 2016, nos 6083 et 6084 du rôle).

Au vu de ces considérations, la Cour ne saurait cautionner en l’état la position du tribunal suivant laquelle l’article 112 de la Constitution, disposant qu’« aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale ou communale n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi », réglementerait « manifestement » non pas la question de la rétroactivité ou de la non-rétroactivité des lois, mais seulement l’obligation de publication des lois et des actes réglementaires, dont le respect conditionnerait leur force obligatoire. La Cour considère plutôt qu’analysé à la lumière du principe fondamental de l’Etat de droit sous ses aspects des principes de légalité et de sécurité juridique, l’article 112 de la Constitution peut tout aussi bien être interprété dans le sens de consacrer non seulement l’obligation de publication des lois en tant que condition pour leur effet contraignant, mais également le principe de l’interdiction de l’effet obligatoire rétroactif des lois dès avant leur publication.

La Cour ne peut, dans ces conditions, pas non plus se rallier sans autres réserves à l’argumentaire étatique, repris en substance par le tribunal, tendant à imprimer une simple valeur légale au principe de non-rétroactivité des lois. Elle considère au contraire que le moyen de l’appelant, tendant à voir admettre que ce principe s’imposerait au législateur, ne saurait être écarté en son principe comme étant dénué de tout fondement.

Afin de compléter néanmoins son analyse quant au caractère pertinent du moyen de l’appelant, la Cour doit cependant rappeler que l’effet rétroactif découlant des dispositions combinées des articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016 est de nature plutôt économique que juridique dans la mesure où à l’égard de paiements d’intérêts effectués par des agents payeurs établis en dehors du Luxembourg dans un autre pays visé par l’article 6bis de la loi du 23 décembre 2005, le fait générateur de la retenue libératoire ne se réalise qu’après la fin de l’année d’imposition à travers l’exercice de l’option afférente par le contribuable.

Or, la Cour constitutionnelle belge a jugé de manière répétée qu’« une règle de droit fiscal ne peut être qualifiée de rétroactive que si elle s’applique à des faits, actes et situations qui étaient définitifs au moment où elle est entrée en vigueur » et qu’« en matière d’impôts sur les revenus, la dette d’impôt naît définitivement à la date de clôture de la période au cours de laquelle les revenus qui constituent la base d’imposition ont été acquis ». Elle en déduit que « toutes les modifications qui ont été apportées à l’impôt sur les revenus avant la fin de la période imposable peuvent être appliquées sans qu’elles puissent être réputées avoir un effet rétroactif » (voir notamment arrêt n° 115/2000 du 16 novembre 2000, nos 1718 et 1719 du rôle; arrêt n° 110/2012 du 20 septembre 2012, n° 5230 du rôle ; arrêt n° 25/2015 du 5 mars 2015, n° 5830 du rôle). Elle refuse partant d’imposer des limites à la discrétion du législateur belge pour adopter des lois fiscales ayant un effet rétroactif seulement économique. Cette position se trouve cependant soumise à des critiques par la doctrine belge. Les enjeux de la rétroactivité économique ont par ailleurs été pertinemment résumés par la phrase « Jouez d’abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie » (M. COZIAN/F. DEBOISSY, Précis de fiscalité des entreprises, 39e édit., LexisNexis, p. 21).

Par contre, en sens inverse, la Cour constitutionnelle allemande (« Bundesverfassungsgericht ») a déjà jugé qu’une modification législative économiquement rétroactive n’est compatible avec la protection due à la confiance légitime que si elle est nécessaire pour la réalisation de l’objectif de la loi et si, dans le cadre d’une mise en balance entre la confiance déçue du contribuable et les motifs justifiant la modification législative, l’atteinte à la confiance légitime apparaît comme pouvant être raisonnablement imposée au contribuable (« die unechte Rückwirkung ist mit den grundrechtlichen und rechtsstaatlichen Grundsätzen des Vertrauensschutzes jedoch nur vereinbar, wenn sie zur Förderung des Gesetzeszwecks geeignet und erforderlich ist und wenn bei einer Gesamtabwägung zwischen dem Gewicht des enttäuschten Vertrauens und dem Gewicht und der Dringlichkeit der die Rechtsänderung rechtfertigenden Gründe die Grenze der Zumutbarkeit gewahrt bleibt », BVerfG 7 juillet 2010, 2 BvL 14/02, 2 BvL 2/04, 2 BvL 13/05, BVerfGE 127, 1; BVerfG 29 septembre 2015, 2 BvR 2683/11).

Il peut encore être relevé dans le même sens qu’également au niveau du droit de l’Union européenne, la jurisprudence reconnaît les principes de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité comme principes généraux du droit de l’Union (cf. CJUE 15 avril 2008, aff.

C-268/06, Impact). Plus particulièrement, il est admis que les dispositions communautaires n’ont pas d’effet rétroactif sauf, à titre exceptionnel, lorsqu’il ressort clairement de leurs termes ou de leur économie que telle était l’intention du législateur, que l’objectif à atteindre l’exige et que la confiance légitime des intéressés est dûment respectée (cf. Tribunal UE 3 mai 2007, aff. T-357/02, Freistaat Sachsen).

Au Luxembourg, l’analyse selon laquelle le principe de la non-rétroactivité de la loi fiscale ne s’appliquerait qu’à la rétroactivité juridique, mais non pas à la rétroactivité économique qui échapperait ainsi à cette règle, a déjà été exprimée en doctrine (A. STEICHEN, Manuel de droit fiscal, 4e édit., p. 532).

Il est pourtant indéniable que le contribuable peut avoir accompli au cours de la période d’imposition et avant l’annonce des modifications législatives rétroactives des faits et actes juridiques en considération de la situation légale applicable jusque lors et qui sont devenus définitifs, de manière qu’il ne peut plus les annuler ou modifier pour des raisons économiques ou légales afin de tenir compte de l’alourdissement de la charge fiscale découlant des modifications législatives adoptées plus tard durant l’année en cours.

La position inverse a ainsi déjà été exprimée en ce sens que de telles modifications législatives auraient clairement pour effet de décevoir la confiance légitime du contribuable dans l’application effective du cadre légal ayant prévalu au moment de la conclusion des opérations et ce non pas par rapport à de simples expectatives mais à l’égard de situations devenues définitives et ayant modifié sa situation patrimoniale. D’après cette analyse, la rétroactivité économique se rapproche en matière fiscale largement de la rétroactivité juridique et ne s’en distingue que par l’élément juridique que la période d’imposition n’est pas encore écoulée et que la dette d’impôt n’est partant pas encore formellement née dans le chef du contribuable. La reconnaissance d’une entière discrétion au législateur quant à l’adoption de lois économiquement rétroactives entraînerait, d’après cette analyse, une importante lacune dans la mise en œuvre du principe de l’Etat de droit à travers celui de la sécurité juridique du fait que celle-ci serait assurée au niveau supra-annuel par la règle de la non-rétroactivité juridique des lois, mais non pas au niveau infra-annuel à défaut de toute limitation de la rétroactivité économique (cf. S. SCHROEDER : The Constitutional Limits of Retroactivity in Tax Law, in Time and Tax, Issues in International, EU and Constitutional Law, édit. W. Haslehner, G. Kofler, A. Rust, Wolters Kluwer 2019, pp. 265-266).

Or, comme la Cour l’a déjà relevé ci-avant, la modification législative rétroactive critiquée par l’appelant, à savoir le retrait rétroactif avec effet au 1er janvier 2016 du régime de la retenue libératoire à l’égard d’intérêts visés par l’article 4 de la loi du 23 décembre 2005 et réglés par un agent payeur établi dans la Confédération suisse, ne constitue pas l’exécution d’une obligation prévue par une disposition de la directive 2015/2060 ou de la directive 2014/107, mais découle du choix délibéré du législateur luxembourgeois de modifier le régime national de la retenue libératoire sur les paiements d’intérêts en réduisant dorénavant le champ d’application territorial concernant l’origine du paiement d’intérêts strictement aux autres Etats membres de l’Union européenne et Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE). En outre, aucune justification particulière ni pour le principe de cette modification du champ d’application de la retenue libératoire, ni pour son application rétroactive au 1er janvier 2016 n’a été mise en avant dans les travaux parlementaires relatifs à la loi du 23 juillet 2016, alors même que la Chambre de Commerce avait pourtant relevé l’exclusion d’intérêts attribués par des agents payeurs établis en Suisse, à Monaco, en Andorre et à Saint-Marin et proposé une réflexion quant à l’extension du champ d’application de la retenue libératoire à tous les pays procédant avec le Luxembourg à l’échange automatique de renseignements financiers sur base de la Norme commune de déclaration (NCD) (cf. doc. parl.

69782, avis de la Chambre de Commerce, p. 4).

Il s’ensuit que l’Etat n’a précisé ni dans le cadre de l’élaboration de la loi du 23 juillet 2016, ni durant la procédure contentieuse quels seraient les motifs d’intérêt général qui auraient rendu nécessaire le caractère économiquement rétroactif de la modification de l’article 6bis, paragraphe (1), de la loi du 23 décembre 2005 avec effet au 1er janvier 2016 nonobstant l’atteinte à la sécurité juridique et à la confiance légitime des contribuables concernés, dont l’appelant, et ainsi omis toute discussion utile sur l’insertion d’une disposition transitoire maintenant l’application de l’ancienne teneur du même article 6bis, paragraphe (1), du moins jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016.

La Cour déduit à partir de l’ensemble de ces développements que l’appelant soulève de façon parfaitement légitime la question de savoir si cette modification rétroactive et défavorable dans son chef respecte les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime tels qu’ils peuvent être déduits du principe fondamental de l’Etat de droit auquel la Cour constitutionnelle a déjà reconnu une valeur constitutionnelle. La Cour ne saurait en conséquence rejoindre l’analyse des premiers juges selon laquelle cette question serait à écarter comme étant dénuée de tout fondement, mais elle estime qu’il y a lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle afférente telle que précisée au dispositif du présent arrêt.

En effet, la Cour constitutionnelle a certes reconnu une valeur constitutionnelle au principe fondamental de l’Etat de droit et considéré le principe de légalité comme une émanation dudit principe fondamental. Elle a encore reconnu l’accès à la justice et l’exigence du recours effectif en tant que principes à valeur constitutionnelle. Alors même que les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité peuvent pareillement être utilement rattachés au principe fondamental de l’Etat de droit, la Cour constitutionnelle n’a cependant pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la valeur constitutionnelle de ces principes.

La Cour tient cependant à préciser que le moyen ainsi déployé par l’appelant ne saurait prospérer ratione temporis qu’à l’égard des intérêts alloués durant la période s’étendant du 1er janvier 2016 jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016 et non pas pour toute l’année d’imposition 2016, étant donné que cette loi a pu régler différemment les éléments du fait générateur d’impôt survenus à partir de cette date conformément au principe de l’applicabilité immédiate de la loi nouvelle.

L’appelant soulève également une question de respect du principe d’égalité devant la loi en ce qu’il serait mis dans une situation défavorable par rapport aux contribuables bénéficiant de paiements d’intérêts en provenance d’autres Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen (EEE) ou d’autres Etats tiers, au motif que cette modification législative découlant des articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016 le mettrait dans une situation exceptionnelle au vu de son effet rétroactif et défavorable à certains contribuables.

Au vu de la nécessité vérifiée de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle ci-avant visée et du fait que le moyen tiré du non-respect de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi n’est à son tour pas non plus dénué de tout fondement, il y a lieu d’inclure également ce volet dans la question préjudicielle à adresser à la Cour constitutionnelle.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 1er avril 2019 en la forme, au fond, avant tout autre progrès en cause et tous autres droits des parties restant réservés, soumet à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que les dispositions combinées des articles 1er, point 5°, et 4 de la loi du 23 juillet 2016 portant 1) transposition de la directive (UE) 2015/2060 du Conseil du 10 novembre 2015 abrogeant la directive 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts; 2) modification de la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière; 3) abrogation de la loi modifiée du 21 juin 2005 transposant en droit luxembourgeois la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 du Conseil de l’Union européenne en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, dans la mesure où elles entraînent l’application rétroactive à partir du 1er janvier 2016 de l’exclusion des paiements d’intérêts en provenance d’agents payeurs suisses du champ d’application de la retenue libératoire de 10% mise en place par la loi du 23 décembre 2005 portant introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière, sont conformes au principe fondamental de l’Etat de Droit, comprenant les règles de primauté du Droit et de soumission de tout acte public ou privé à la règle de droit, inhérentes aux articles 1 et 51, paragraphe (1), de la Constitution, et, le cas échéant, les principes de sécurité juridique, de respect de la confiance légitime et de non-rétroactivité des lois, de même qu’à l’article 10bis, ainsi qu’à l’article 112 de la Constitution ? », sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se soit prononcée sur ces questions, fixe l’affaire au rôle général, réserve les dépens.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 26 novembre 2019 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

S. SCHINTGEN S. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 novembre 2019 Le greffier de la Cour administrative 18


Synthèse
Numéro d'arrêt : 42582C
Date de la décision : 26/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2019-11-26;42582c ?

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