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28/06/2018 | LUXEMBOURG | N°40894C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 juin 2018, 40894C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 40894C Inscrit le 12 mars 2018

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Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par M. …, … (GB), contre un jugement du tribunal administratif du 30 janvier 2018 (n° 39042 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 40894C Inscrit le 12 mars 2018

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Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par M. …, … (GB), contre un jugement du tribunal administratif du 30 janvier 2018 (n° 39042 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 40894C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 12 mars 2018 par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 30 janvier 2018 (n° 39042 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 27 octobre 2016 (n° C 22736 du rôle) rejetant comme non fondée sa réclamation du 20 septembre 2016 introduite contre un bulletin d’appel en garantie du 29 juin 2016 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mai 2018 par Maître Véronique DE MEESTER pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Véronique DE MEESTER et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 juin 2018.

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En date du 29 juin 2016, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre de Monsieur …, en sa qualité d’administrateur de la société anonyme …, déclarée en état de faillite, dénommée ci-après la « société … », ledit bulletin étant motivé comme suit :

« (…) Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … en faillite ayant eu son siège à L-… immatriculée sous le numéro fiscal … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires:

Année principal Intérêts Total 2013 … € … € … € 2014 … € … € … € Total … € … € … € Il résulte de la publication au Mémorial Numéro … du 02/07/2011 que vous étiez nommé administrateur de la société … en faillite.

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d'engager la société sous signature conjointe depuis le 06/04/2011.

En votre qualité d'administrateur vous étiez en charge de la gestion journalière de la société … en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes du § 103 AO, vous étiez personnellement tenue à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … en faillite à l'aide des fonds administrés.

Par conséquent et conformément aux termes des §§108 et 103 AO, vous étiez personnellement tenue à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à … en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par … en faillite à l'aide des fonds administrés.

En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

Conformément au § 106 AO il vous incombait de prélever sur les fonds administrés les fonds nécessaires pour acquitter les impôts nés avant la disparition de la société … en faillite et d'assurer leur paiement.

En votre qualité de représentant de la société … en faillite il vous a appartenu de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2013 et 2014 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … en faillite.

Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.

Ce montant de … euros se compose comme suit:

Année principal Intérêts Total 2013 … € … € … € 2014 … € … € … € Total … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l'extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous étiez tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … en faillite.

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constituée codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant vous étiez chargé de la gestion journalière de la société … en faillite j'engage votre responsabilité, l'appel en garantie s'élève au montant de .., €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … euros, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg (…) ».

Par courrier de son litismandataire daté au 16 septembre 2016, adressé au bureau d'imposition, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », à l’encontre du prédit bulletin d’appel en garantie.

Cette réclamation fut rejetée par une décision du directeur du 27 octobre 2016 (n° C 22736 du rôle) aux motifs suivants :

« (…) Vu la requête introduite le 20 septembre 2016 par Me Véronique De Meester, au nom du sieur …, demeurant à F-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS 1 en date du 29 juin 2016 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant co-débiteur solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2013 et 2014 au motif qu'il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société anonyme …, actuellement en état de faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était redevable ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ;

qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le gérant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué co-débiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ; que la responsabilité du gérant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le gérant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre, quod non en l'espèce, étant donné que deux autres bulletins d'appel en garantie ont été émis à l'encontre du sieur …et de la dame … …, les rendant ainsi codébiteurs solidaires au sens du § 7 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) ;

Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur délégué, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf … § 2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3); que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef de l'administrateur délégué d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du gérant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ; qu'il découle de tout ce qui précède que la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d'impôt sur les salaires et traitements pour les années 2013 et 2014, ainsi que les intérêts de retard y afférents, est parfaitement justifiée ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 janvier 2017, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 27 octobre 2016 ayant rejeté sa réclamation à l’encontre du bulletin d’appel en garantie précité du 29 juin 2016.

Dans son jugement du 30 janvier 2018, le tribunal administratif reçut en la forme le recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision directoriale du 27 octobre 2017 mais, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la même décision et en condamnant le demandeur aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mars 2018, Monsieur … a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 30 janvier 2018.

L’appelant conteste que le directeur se soit livré à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de fonder sa décision, au motif qu’il fonderait sa décision sur des constatations erronées en fait et en droit en affirmant qu’en sa seule qualité d'administrateur, l’appelant aurait été en charge de la gestion journalière de la société et en invoquant la responsabilité de l'administrateur délégué ou encore la responsabilité du gérant, alors même qu’il n'aurait jamais été nommé administrateur délégué à la gestion journalière ni gérant. L’appelant indique que depuis sa constitution, la société … aurait eu un seul actionnaire et un administrateur unique en la personne de Monsieur …qui aurait également été nommé administrateur délégué avec pouvoir de signature unique et pouvoir exclusif sur les comptes bancaires de la société, l'autorisation d'établissement ayant également été établie sur son seul nom. L’appelant aurait été un investisseur qui a apporté des fonds importants ayant permis à la société de se développer et de payer ses créanciers alors que son activité même ne générait pas encore suffisamment de revenus et il serait devenu actionnaire de la société … et aurait été nommé administrateur lors de son entrée dans le capital le 6 avril 2011 afin de pouvoir surveiller cette société. Il n'aurait cependant pas été dans l’intention des intéressés que l’appelant remplacerait l'administrateur délégué, ceci d'autant plus qu'il aurait vécu d'abord à … puis à ….

L’appelant soutient qu’il ne résulterait ni des dispositions du droit des sociétés, ni des statuts de la société … qu'un membre du conseil d'administration soit de facto ou de jure responsable de l'administration des fonds disponibles de la société, a fortiori si un administrateur a été spécialement désigné pour être délégué à la gestion journalière avec pouvoir de signature unique. La position de l'administration reviendrait ainsi à considérer que tout membre du conseil d'administration aurait l'obligation d'être en charge de la gestion quotidienne de la société et donc de l'administration des fonds de la société. Or, la fonction d'administrateur délégué, laquelle serait, d'après l'article 60, alinéa 3, de la loi modifiée sur les sociétés commerciales du 10 août 1915, ci-après désignée par la « loi du 10 août 1915 », opposable aux tiers et partant également à l'administration des Contributions directes, aurait été précisément prévue afin de permettre au conseil d'administration de confier les soins de la gestion journalière à un de ses membres et d’éviter ainsi aux administrateurs d'avoir à s'occuper des tâches relevant de la gestion journalière de la société. L’exigence à l’égard de chaque administrateur d'une société qu'il réponde de toutes les obligations découlant de la gestion journalière, dont les obligations fiscales, alors qu'un administrateur délégué a reçu une délégation de pouvoirs lui attribuant la charge de cette gestion journalière, reviendrait ainsi à mettre à néant l'utilité de cette fonction pourtant voulue par le législateur. Il faudrait plutôt mettre à la charge d’un administrateur un devoir de surveillance et ne pas exiger qu'il s'exerce à tous les instants de la vie de la société. D’après l’appelant, on pourrait tout au plus lui reprocher une certaine crédulité dans la mesure où il aurait été régulièrement rassuré par l'administrateur délégué sur les perspectives de se faire relayer par l'entrée de nouveaux investisseurs, ce qui l'aurait conduit à avancer des fonds à la société pour un montant significativement supérieur aux seuls revenus qu'elle dégageait. L’appelant se prévaut à cet escient de l’avis exprimé par le Conseil d’Etat dans le cadre de l’introduction du régime analogue de responsabilité des administrateurs de sociétés pour le paiement des dettes de taxe sur la valeur ajoutée, le Conseil d’Etat ayant estimé qu’il ne serait pas envisageable d'engager la responsabilité des administrateurs qui n'ont pas à administrer les fonds de la société sur le seul fondement de leur qualité d'administrateur, mais que les membres du conseil d'administration seraient responsables pour leurs seules décisions de gestion.

L’appelant considère encore que la décision directoriale litigieuse méconnaîtrait les conditions de mise en œuvre de la responsabilité personnelle des dirigeants de sociétés en ce que le directeur, conforté par une évolution jurisprudentielle récente, induirait de la seule qualité d'administrateur que ce dernier serait obligé à gérer quotidiennement les fonds de la société, de manière qu’un simple administrateur serait de plein droit dans l'obligation de se charger de la gestion journalière de la société et, à ce titre, serait responsable du paiement des retenues sur salaires et autres impôts dus par la société. De la sorte, en l’appelant en garantie sans avoir cherché à savoir s’il aurait pu avoir connaissance du défaut de paiement par la société des retenues sur salaires dues ou encore s’il aurait cherché sciemment, activement ou par abstention, à éviter le paiement de ces retenues d'impôts, l'administration chercherait en réalité à faire reconnaître dans son chef une responsabilité sans faute. Il soulève la question de savoir si, interprétée de la sorte, la loi n'entrave pas la liberté d'un investisseur résident de l'Union européenne de procéder à un investissement au Luxembourg en restreignant ses prérogatives de pouvoir contrôler en toute légitimité la conduite de la gestion de son investissement, en tant qu'administrateur, sauf à supporter une responsabilité solidaire disproportionnée.

Il reproche enfin à l’administration des Contributions directes d’être « parfaitement opportuniste » en ce qu’en dehors du régime de l'appel en garantie, elle reconnaîtrait explicitement la dualité de qualités d'administrateur lorsqu'il y a lieu de faire la distinction entre le régime d'imposition des administrateurs rémunérés en raison de la gestion journalière et celui des administrateurs rémunérés par des tantièmes et autres indemnités spéciales et avantages.

Il est constant en cause que l’appelant a été nommé, à l’instar de Madame … … également appelée en garantie, à la fonction d’administrateur de la société … par une assemblée générale tenue le 6 avril 2011 et qu’il a assumé cette fonction jusqu’à la date du prononcé de la faillite de cette société le 7 janvier 2015, Monsieur …ayant assumé le mandat d’administrateur délégué depuis la constitution de cette société jusqu’à sa mise en faillite.

Dans la mesure où les impôts concrètement en cause pour ne pas avoir été dument réglés par la société … sont des retenues sur traitements et salaires sur les rémunérations de son personnel, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 136 (4) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au § 103 AO qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Le simple administrateur non délégué doit être considéré comme ayant été officiellement en charge de l’administration de la société et, conformément à l’article 53 de la loi du 10 août 1915, comme ayant été un des représentants légaux de la société à l’égard des tiers, la société ayant été représentée à l’égard des tiers par son conseil d’administration, de manière qu’il est à qualifier de représentant légal d’une société anonyme au sens du § 103 AO (cf. Cour adm. 4 janvier 2018, n° 40079C).

Il se dégage partant de la lecture combinée de ces deux dispositions que les administrateurs d’une société anonyme sont tenus de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment celle de payer sur les fonds qu’ils gèrent les impôts dont la société est redevable.

La mise en oeuvre de la responsabilité personnelle d’un dirigeant de fait est prévue par le § 109 (1) AO, qui dispose que « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 – 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 – 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».

Cette disposition soumet la mise en œuvre de la garantie à la triple condition de l'existence d'une faute (« schuldhafte Verletzung ») commise dans une qualité visée aux §§ 103 à 108 AO, d'un dommage subi par l’Etat et d'un lien de causalité entre le dommage et la faute.

En ce qui concerne l’existence d’une faute, il se dégage encore du § 109 (1) AO que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef d’un représentant légal d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du § 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, mais que le législateur a posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale. Il n’y a partant pas d’automatisme entre le constat d’un défaut de l’accomplissement d’une obligation fiscale et l’engagement de la responsabilité du représentant, mais il faut que le représentant ait personnellement eu un comportement fautif qui a causé le manquement aux obligations fiscales.

A cet égard, le Cour rejoint l’appelant dans sa pétition qu’un simple administrateur ne se trouve pas en charge de la gestion journalière de la société, laquelle englobe notamment l’exécution correcte des obligations fiscales incombant à la société, de sorte que, contrairement à un administrateur délégué à la gestion journalière (cf. Cour adm. 29 juillet 2015, n° 35562C, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 423), le comportement du simple administrateur ne devient pas fautif du seul fait du constat du défaut d’accomplissement d’une obligation fiscale par la société qui peut lui être imputé.

Par contre, la Cour ne saurait suivre l’appelant dans sa pétition que le simple administrateur ne pourrait engager sa responsabilité personnelle que du chef des décisions de gestion auxquelles il participe. En effet, les administrateurs doivent participer à la gestion de la société et cette participation implique dans leur chef notamment l’obligation de surveiller l’exécution de la gestion journalière par les personnes auxquelles cette dernière est déléguée.

Ils ne sont partant nullement tenus, en tant qu’administrateur, de s’occuper eux-mêmes de la gestion journalière de la société en dépit du fait qu’un administrateur délégué ait été nommé pour ce faire, mais ils ont l’obligation de surveiller la bonne gestion de ce dernier avec une régularité suffisante afin de déceler en temps utile des manquements aux obligations fiscales imputables au délégué à la gestion journalière et de prendre les mesures ou d’entreprendre des démarches rentrant dans leurs compétences afin de remédier à cette situation. Les membres du conseil d’administration n’échappent partant pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent, en tout ou en partie, celles-ci à d’autres. Les administrateurs sont ainsi nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-actifs répondent de leurs actes de la même façon. Le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion (cf. Cour adm. 9 janvier 2018, n° 40144C).

Il faut conclure à partir de ces principes que si le simple administrateur n’engage pas sa responsabilité du seul fait du constat du défaut d’accomplissement d’une obligation fiscale par la société, son comportement devient fautif à partir du moment où un défaut de l’exercice correct de sa mission légale de surveillance du ou des délégués à la gestion journalière peut lui être valablement reproché. Ainsi, contrairement à l’argumentation de l’appelant, le régime de l’appel en garantie ne consacre pas une responsabilité sans faute, mais bel et bien un régime spécifique de responsabilité du fait personnel en matière d’impôts directs.

Il s’ensuit que l’appelant ne saurait s’exonérer de toute responsabilité en excipant le fait qu’il n’aurait été qu’un simple administrateur de la société, tandis que Monsieur …en aurait été l’administrateur délégué, étant donné que l’appelant se trouvait chargé de la mission légale de veiller au respect des obligations dont la violation lui est actuellement personnellement reprochée.

Tout comme les premiers juges, la Cour se doit de relever que l’appelant a lui-même indiqué qu’ayant investi des sommes importantes dans la société …, il aurait insisté pour être nommé administrateur justement afin de pouvoir surveiller la gestion de cette dernière, de sorte qu’il ne saurait se retrancher ni derrière une « certaine crédulité » de sa part vis-à-vis des assurances présentées par l'administrateur délégué, ni derrière le fait qu’il n’aurait pas disposé des compétences dans le domaine particulier d’activité de la société à l’instar de Monsieur …, la surveillance de la gestion journalière d’un administrateur délégué aux fins de respect des obligations légales ne nécessitant pas d’aptitudes et de capacités particulières, autres que celles qui sont requises dans le chef d’un administrateur de sociétés raisonnable et prudent.

En outre, il convient que constater que les retenues sur traitements et salaires restées en souffrance sont celles relatives à la majeure partie de l’année 2013, un montant de retenues de … € ayant été déclaré, mais seulement un total de … € ayant été versé au Trésor, et l’intégralité des retenues au titre de l’année 2014. Or, une surveillance normale de l’accomplissement des démarches d’ordre fiscal par rapport à une obligation légale de prélever une retenue sur les rémunérations du personnel qui se répète …ment aurait dû permettre à l’appelant de déceler les manquements à l’obligation de verser les retenues au Trésor ou, en cas de problèmes pour obtenir les informations afférentes, à entreprendre des démarches nécessaires afin de voir rétablir la situation bien avant le prononcé de la faillite de la société … le 7 janvier 2015.

Les premiers juges ont encore valablement retenu que cette faute commise est d’autant plus reprochable qu’en étant resté en défaut de déceler le défaut de paiement des retenues sur traitements et salaires qui sont dues au fisc, l’appelant a ainsi contribué à arroger un crédit à la société …, qui a alors pu détourner l’argent qu’elle était tenue de payer pour compte des salariés. Les retenues sur traitements et salaires constituent en effet des sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié et en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs, qu’il n’a d’ailleurs pas pu ignorer.

Par voie de conséquence, l’existence de fautes commises par l’appelant en sa qualité de représentant de la société … doit être admise.

Les premiers juges ont écarté à juste titre l’argument de l’appelant relatif à une entrave à la liberté d'un investisseur résident de l'Union européenne de procéder à un investissement au Luxembourg en décidant qu’une telle responsabilité n’est pas de nature à constituer une entrave à l’égard des investisseurs européens résidant à l’étranger, vu qu’elle n’incombe qu’aux personnes représentant une personne morale et non aux simples investisseurs et qu’il n’est pas établi dans quelle mesure le fait d’exiger d’un administrateur de surveiller la gestion journalière de la société, qu’il est censé gérer dans le cadre du conseil d’administration dans lequel il siège, impliquerait nécessairement une présence physique permanente au siège social de ladite société.

Le dommage pour l’Etat consiste dans les montants des retenues sur traitements et salaires au titre des années 2013 et 2014 déclarées à l’administration mais non encore réglées.

En ce qui concerne le lien de causalité se caractérisant par le fait que l'insuffisance est la conséquence du comportement fautif du représentant, la Cour estime qu’un tel lien causal doit être reconnu par rapport au manquement fautif de l’appelant tiré du défaut d’avoir assuré une surveillance adéquate de l’exécution de la gestion journalière par Monsieur …par rapport aux obligations fiscales de la société …. En effet, c’est notamment le manque de diligences de la part de l’appelant à cet égard qui a emporté directement la conséquence que l’Etat n’a pas pu percevoir les cotes de retenues d’impôt dûment déclarées et que des intérêts de retard sont accrus.

Par voie de conséquence, les trois conditions de la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du représentant de société se trouvent vérifiées à l’égard de l’appelant.

Il découle de ces développements que les moyens soulevés par l’appelant à l’encontre de l’engagement de sa responsabilité personnelle pour les impôts dus mais non réglés par la société … laissent d’être justifiés et qu’il y a lieu de confirmer la conclusion des premiers juges que c’est à bon droit que le bureau d'imposition a pu mettre en œuvre cette responsabilité à travers le bulletin d’appel en garantie du 29 juin 2016.

L’appel sous examen laisse partant d’être justifié en l’ensemble de ses moyens, de manière que l’appelant en est à débouter et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 12 mars 2018 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 30 janvier 2018, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 28 juin 2018 au local ordinaire des audiences de la Cour par le vice-président, en présence du greffier assumé de la Cour Vanessa SOARES.

s. SOARES s. CAMPILL 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40894C
Date de la décision : 28/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2018-06-28;40894c ?

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