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28/06/2018 | LUXEMBOURG | N°40794C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 juin 2018, 40794C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 40794C du rôle Inscrit le 19 février 2018

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Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 janvier 2018 (n° 39027 du rôle) en matière de discipline

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 40794C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 19 février 2018 par Ma

ître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 40794C du rôle Inscrit le 19 février 2018

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Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 9 janvier 2018 (n° 39027 du rôle) en matière de discipline

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 40794C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 19 février 2018 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 9 janvier 2018 (n° 39027 du rôle) l’ayant débouté de son recours en réformation sinon en annulation d’une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 25 octobre 2016 ayant prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du changement d’administration;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 2 mars 2018, portant signification de la requête d’appel à l’établissement public Centre Hospitalier Neuro-Psychiatrique (CHNP), établi à L-9012 Ettelbruck, 17, avenue des Alliés;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 mars 2018 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 avril 2018 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelant;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mai 2018 par Maître Albert RODESCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Maître Patricia SONDHI, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 29 mai 2018.

Par courrier du 14 janvier 2016, le conseil d’administration du Centre Hospitalier Neuro-Psychiatrique, en abrégé « CHNP », saisit le commissaire du gouvernement chargé de 1l’instruction disciplinaire, ci-après le « commissaire du gouvernement », pour procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur …, employé de l’Etat de la carrière du … auprès du CHNP, au motif qu’il aurait manqué à ses obligations statutaires, ainsi que cela ressortirait d’un rapport du … du directeur général du CHNP, ci-après le « directeur général ».

Par lettre recommandée du 20 janvier 2016, Monsieur … fut avisé de l’ouverture d’une procédure disciplinaire et des faits qui lui étaient reprochés. Par ce même courrier, il fut invité à se présenter le 27 janvier 2016 devant le commissaire du gouvernement adjoint chargé de l’affaire, également dénommé ci-après le « commissaire du gouvernement », afin d’être entendu en personne et de présenter ses observations, entrevue qui eut lieu le 29 février 2016 en présence de son litismandataire.

Dans son rapport d’instruction du 24 juin 2016, le commissaire du gouvernement exprima l’avis que les faits établis constituent un manquement à réprimer par une sanction plus sévère que l’avertissement, la réprimande ou l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base et transmit le dossier au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après le « Conseil de discipline ».

Le 25 octobre 2016, le Conseil de discipline prononça à l’encontre de Monsieur … la sanction disciplinaire prévue à l’article 47, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après le « statut général », à savoir le changement d’administration.

Ladite décision a la teneur suivante :

« (…) Vu le dossier constitué à charge de … par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi en application de l'article 56.2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après le Statut, et de l'article 17, paragraphe 2, alinéa 2 de la loi du 17 avril 1998 portant création d'un établissement public dénommé « Centre hospitalier neuropsychiatrique », par un courrier de Monsieur le Président du conseil d'administration du Centre hospitalier neuro psychiatrique (ci-après CHNP) daté du 14 janvier 2016 et transmis pour attribution au Conseil de discipline, ci-après le Conseil, par courrier du 12 juillet 2016.

Vu le rapport d'instruction du 24 juin 2016.

Entendus à l'audience publique du Conseil du mardi 11 octobre 2016, … et son conseil en leurs explications et moyens de défense ainsi que le mandataire du CHNP, le Dr …, en ses conclusions.

Le Conseil est régulièrement saisi des affaires, conformément aux dispositions de l'article 56, paragraphe 5. c) du Statut, par la susdite lettre du commissaire du 12 juillet 2016.

Quant aux violations de la CEDH soulevées par le mandataire de … :

Me Bauler a d'abord soulevé la violation de l'article 7 de la CEDH dans la mesure où le catalogue des peines disciplinaires prévues par l'article 47 du Statut ne précise pas à quelles 2violations du Statut correspondent les différentes peines. Etant donné cependant que l'article 53 du Statut dispose que l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé et que les articles 9 à l6bis du Statut énoncent les devoirs du fonctionnaire dont la violation peut donner lieu à une sanction, il faut se rendre à l'évidence que le Statut prévoit expressément les comportements qui peuvent donner lieu à des sanctions.

Me Bauler soulève encore qu'il y aurait eu violation de l'impartialité objective et subjective au sens de l'article 6 de la CEDH, en raison de l'organe chargé de l'instruction.

Il est de principe que le Conseil de discipline n'est pas à considérer comme juridiction au sens de l'article 6 de la CEDH, alors que l'intéressé trouve à sa disposition au niveau contentieux un double degré de juridiction répondant aux exigences de l'article 6 de la CEDH.

Il en découle que les conditions d'impartialité au sens de l'article 6 de la CEDH ne s'imposent pas à l'organe chargé de l'instruction dans la phase administrative.

Finalement Me Bauler soulève la violation de l'article 6 de la CEDH, dans le sens où il y aurait eu violation de l'égalité des armes, dans la mesure où la partie poursuivante, en l'occurrence le Directeur du CHNP, aurait été entendue comme témoin.

Il est de principe qu'on ne saurait être entendu comme témoin dans sa propre cause, c'est-à-dire qu'on ne saurait être à la fois partie et témoin.

Il est cependant un fait que le Dr …, en sa qualité de Directeur général du CHNP, qui avait au préalable fait un rapport circonstancié sur les manquements statutaires reprochés à …, a dans la suite été entendu comme témoin.

En vertu du principe énoncé ci-avant, il y a lieu d'écarter le témoignage du Dr ….

Quant aux faits reprochés à … :

Le rapport annexé à la saisine de Monsieur le Président du conseil d'administration du CHNP du 14 janvier 2016 est conçu comme suit :

« 1) Diffamation Il est reproché à M. … d'avoir le 29 octobre 2015 à 19 heures, sans préjudice quant à une date plus exacte, le collège échevinal et le conseil communal de la Ville d'Ettelbruck ainsi que la Police Grand-Ducale organisaient au CAPe (Centre des Arts Pluriels Ettelbruck) une séance d'information sur le sujet de la sécurité à Ettelbruck.

Lors de cette séance étaient notamment présents, M …, Ministre de la Sécurité intérieure, M. …, Directeur général de la police, M. …, Directeur de la circonscription régionale de Diekirch, M. …, Procureur d'Etat à Diekirch, M. …, Président du conseil 3d'administration du CHNP, le Dr…, Directeur général du CHNP, M. …, Directeur accueil & hébergement du CHNP, le Dr. …, médecin-chef de service au service d'Action Socio-

Thérapeutique de la Direction de la Santé, M. …, Bourgmestre d'Ettelbruck, les membres du conseil échevinal et du conseil communal et une centaine de citoyens d'Ettelbruck.

Au cours des débats, un citoyen a prétendu que certaines pratiques de torture, à savoir du « Waterboarding » auraient été pratiquées au sein du CHNP. … a alors pris la parole pour dire que les propos de ce citoyen seraient exacts, et il a affirmé, en employant un ton particulièrement agressif et provocateur, que des actes de torture relevant du « Waterboarding » seraient actuellement pratiqués au sein du CHNP, que des patients seraient attachés à leur lit et laissés sans surveillance, qu'un certain nombre de patients décéderaient dans ces conditions, et que les droits de l'Homme ainsi que les droits des patients seraient régulièrement violés.

Ensuite, … [a] désigné du doigt le citoyen et il a proclamé « Je le connais, j'étais son …… » Ces faits constituent des manquements extrêmement graves à ses devoirs d'agent de la fonction publique et, également, à ses obligations légales et déontologiques en qualité de ….

2) Manquements à ses devoirs en qualité d'agent de la fonction publique Monsieur … a porté publiquement des accusations calomnieuses et diffamatoires à l'égard du CHNP, en prétendant que le personnel de notre établissement userait de méthodes de torture sur les patients et que de tels faits seraient connus de la direction de l'établissement.

Ses allégations ne reposent sur aucun élément concret, aucun patient du CHNP n'ayant formulé de réclamation ou déposé de plainte en ce sens.

Pour mémoire, il y a plusieurs années, Monsieur … avait déposé une plainte pénale auprès du Procureur d'Etat de Diekirch à l'encontre d'un grand nombre de nos collaborateurs.

Cette plainte a été classée sans suite, le Procureur d'Etat ayant constaté que les faits qu'il alléguait n'avaient aucun fondement. Nos collaborateurs ont été lavés de tout soupçon.

Je rappelle finalement que le CHNP est soumis à un contrôle permanent de la part du Ministère de la Santé et de l'Ombudsman concernant l'ensemble de la gestion de l'établissement.

Par ses propos tenus publiquement, Monsieur … a donc porté une atteinte grave à l'image et à la réputation du CHNP. Il a entravé le travail engagé par notre direction pour moderniser l'établissement et rendre notre gestion plus transparente et performante.

Son comportement a ainsi compromis gravement les intérêts de notre établissement et donné lieu à scandale. Ceci constitue un manquement manifeste à ses devoirs d'agent de la fonction publique.

4 Ce faisant Monsieur … est soupçonné d'avoir manqué à ses obligations résultant de l'article 9 paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat qui impose au fonctionnaire de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose.

Le comportement de M. … est également susceptible de constituer un manquement à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat.

3) Comportement nuisant gravement aux patients pris en charge par le CHNP M. … a harcelé une patiente que je traite régulièrement. Le 20 octobre 2015 lorsque ma patiente a pris le bus après sa consultation psychiatrique vers 18.00 heures du soir, M. … s'est assis à côté d'elle et a commencé à lui poser des questions et à lui parler. Il lui a raconté qu'il travaille au CHNP, et elle lui a dit qu'elle est ma patiente. Sur ce, Monsieur … a commencé à s'exciter, en criant et menaçant la patiente. Il a dit des choses comme: « ech hu Blut geleckt. » et m'a injurié moi et l'hôpital. Il a dit que les patients au CHNP sont maltraités.

La patiente a été très angoissée, stressée, terrorisée, et s'est sentie menacée. Quand le bus est arrivé à Luxembourg elle s'est cachée derrière une voiture pour lui échapper. » Quant au premier fait :

… ne conteste pas avoir pris la parole lors de la réunion litigieuse du 29 octobre 2015, qui avait pour objet la sécurité à Ettelbruck, pour expliquer qu'au CHNP des pratiques comparables au « waterboarding », et plus particulièrement la « sitzwachenfreie Fixierung » avaient existé dans le passé au CHNP. Il affirme avoir pris la parole, après qu'un ancien patient du CHNP avait affirmé avoir fait l'objet de telles pratiques. Il affirme encore qu'il s'est rendu ensemble avec ce patient à cette réunion dans le but d'y faire ces déclarations. Il ne conteste pas avoir affirmé lors de cette réunion que cet ancien patient du CHNP avait été son patient. Il ne conteste pas davantage avoir affirmé que ces pratiques ont provoqué la mort de plusieurs patients.

Il conteste en revanche catégoriquement avoir affirmé que de telles pratiques existaient toujours à l'intérieur du CHNP.

Le Dr … admet que de telles pratiques ont existé dans le passé. Il résulte par ailleurs d'une réponse de M. Mars Di Bartolomeo, alors Ministre de la Santé, à une question parlementaire qui lui avait été posée en 2009, qu'une personne était décédée 15 ans plus tôt lors d'une mesure de fixation.

Il semble résulter des pièces de …, qui n'ont pas fait l'objet de contestations de la part du Dr …, que le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), avait à un certain moment constaté que le CHNP ne respectait pas la règle suivant laquelle les patients soumis à une mesure de fixation, devaient 5être surveillés en permanence par un membre du personnel soignant, mais que lors d'un contrôle ultérieur effectué par le CPT, il avait été constaté qu'il existait une surveillance continue des patients du CHNP.

Le Dr … affirme que beaucoup d'efforts ont été entrepris pour remédier à ces pratiques à l'intérieur du CHNP, c.à.d. la fixation sans surveillance par un membre du personnel soignant, et que pour cette raison, l'affirmation de … que ces pratiques seraient toujours en cours, était intolérable.

Etant donné que l'existence par le passé de ces pratiques était connue et que … verse lui-même des pièces suivant lesquels le CHNP a remédié à cette situation, la démarche de … consistant à porter le débat sur ces pratiques révolues devant un public qui n'était pas réuni pour débattre de ce sujet, n'est ni compréhensible de la part de …, ni excusable, alors qu'il en résulte indéniablement l'intention de mettre sous pression son employeur et de nuire à la réputation du CHNP, dont il n'est pas contesté par … qu'il a mis un terme à ces pratiques.

A ce propos, … ne peut de toute évidence pas se prévaloir du statut de « donneur d'alerte », alors que de son propre aveu, les faits dénoncés lors de cette réunion étaient connus depuis longtemps.

Cependant, la question essentielle à toiser est celle de savoir si lors de la réunion du 29 octobre 2015, … a affirmé que les mesures de fixation sans surveillance étaient toujours pratiquées à l'heure actuelle au CHNP. … le conteste. Cependant le Dr …, médecin-chef de service auprès de la Direction de la Santé, présente lors de la réunion du 29 octobre 2015, entendue comme témoin lors de l'instruction, a déclaré que … avait « pris la parole pour confirmer que cette pratique aurait été et serait toujours pratiquée au CHNP ». Il convient de constater que … n'a pas produit d'attestation testimoniale en sens contraire, malgré le fait que beaucoup de personnes avaient assisté à cette réunion.

Au vu de ce témoignage formel, il y a lieu d'admettre que … a affirmé lors de la réunion litigieuse que de telles pratiques existaient toujours au CHNP. Il faut d'ailleurs se demander quel aurait été l'intérêt de … de parler en public, lors d'une réunion qui avait un tout autre objet, uniquement de pratiques auxquelles il a, d'après ses propres pièces, été mis fin depuis des années.

En revanche, le fait d'avoir affirmé lors de cette réunion que le patient qui avait pris la parole pour dénoncer l'existence de ces pratiques, avait été l'un de ses patients ne constitue pas une violation d'un quelconque devoir du fonctionnaire, alors que le patient avait lui-même au préalable affirmé avoir été un patient du CHNP.

Quant au deuxième fait :

6Il est reproché à … d'avoir parlé dans un bus avec une patiente du Dr … des mauvais traitements subis par les patients au CHNP, d'avoir injurié le Dr … et le CHNP, d'avoir menacé cette patiente et de lui avoir dit : « Ech hu Blut geleckt …».

… ne conteste pas avoir parlé avec une personne dans un bus de certaines pratiques au CHNP et d'avoir été interpellé à cette occasion par la personne, dont le Dr … affirme qu'il s'agit de sa patiente, qui voulait s'informer sur les pratiques choquantes à l'intérieur du CHNP.

… ne conteste pas lui avoir dit « Madame, ech stinn am Verdacht, Blut op den Hänn ze hun ».

La patiente en question n'a pas été entendue comme témoin, alors que le Dr … n'a pas révélé son nom, en raison du secret professionnel auquel il est tenu.

En l'absence de tout témoignage et au vu des contestations de …, l'entretien de ce dernier avec la patiente du Dr … ne peut pas être reconstitué. Aucune menace, ni aucune injure n'est dès lors établie. Par ailleurs, sans connaître le contexte de l'entretien, la phrase que … ne conteste pas avoir prononcée, à savoir « Madame, ech stinn am Verdacht, Blut op den Hänn ze hun », ne constitue pas une quelconque violation d'un devoir du fonctionnaire au sens du Statut.

Le Dr …, pour le CHNP, demanda à titre de sanction le changement d'administration pour ….

Le mandataire de …, pour sa part, demanda, à supposer que la procédure ne soit pas annulée, l'application d'une des peines les moins sévères pour son client.

Les seuls faits établis à charge de …, sont, d'une part, celui d'avoir devant un public qui n'était pas réuni pour débattre de ce sujet, fragilisé son employeur pour avoir divulgué des pratiques certes très contestables, mais auxquelles ce dernier avait entretemps remédié, et, d'autre part, et, surtout, celui d'avoir affirmé que la pratique de la fixation sans surveillance des patients avait toujours cours à l'intérieur du CHNP à l'heure actuelle et ceci en dépit du fait que ses propres pièces semblent établir le contraire. En tant que fonctionnaire du CHNP, cette affirmation est d'autant plus grave qu'il affirme lui-même actuellement qu'il n'est pas au courant des pratiques actuelles du CHNP, puisqu'il ne fait plus partie du personnel soignant.

Ces faits constituent manifestement une violation de l'article 10.1 alinéa 1er du Statut suivant lequel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Aux termes de l'article 53 du Statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.

Il convient de rappeler que l'action disciplinaire s'exerce dans l'intérêt d'une profession ou d'un service public. Les sanctions prononcées doivent être comprises sous cet aspect. Ainsi 7la répression disciplinaire tend à assurer la cohérence interne à l'administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès des administrés (cf. TA 12 mars 2008). En l'occurrence il s'agit de vérifier si, du point de vue disciplinaire, le statut de fonctionnaire de … reste compatible avec le fait établi à sa charge, respectivement, si son maintien à l'intérieur du CHNP reste possible.

Les faits sont d'un gravité certaine, alors que d'une part, … a tenté sans autre raison apparente que celle de nuire à son employeur, de porter devant un public composé notamment de politiciens et de responsables de la fonction publique, qui était réuni pour débattre d'un autre sujet, des faits connus depuis longtemps, et, d'autre part, d'avoir affirmé que de telles pratiques existaient toujours au sein du CHNP, bien qu'il soit en aveu qu'il n'est pas au courant que c'est effectivement le cas.

… est …, actuellement affecté à la documentation scientifique; il est employé du groupe du traitement A1 éducatif et psycho-social, niveau général ; il est classé au grade 14, échelon 09. Il est entré en service le 15 novembre 1992. Son casier disciplinaire est vide.

Le Conseil de discipline considère qu'au regard des éléments d'appréciation exposés ci-avant, la confiance que le CHNP pouvait avoir dans … a été indéniablement et irrévocablement ébranlée, de sorte qu'il y a lieu de prononcer à l'égard de … la sanction disciplinaire prévue à l'articles 47 § 4 du Statut, à savoir le changement d'administration.

PAR CES MOTIFS :

le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement, sur le rapport oral de son président, le fonctionnaire et son mandataire entendus en leurs explications et moyens de défense et le mandataire du CHNP en ses conclusions, se déclare régulièrement saisi ;

prononce à l'égard de … la sanction disciplinaire prévue à l'article 47 § 4 du Statut, à savoir le changement d'administration ;

condamne … aux frais de la procédure, ces frais étant liquidés à 105,70 euros. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2017, … fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du Conseil de discipline du 25 octobre 2016.

Par jugement du 9 janvier 2018, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation recevable mais non fondé et en débouta le demandeur, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et en le condamnant aux frais de l’instance. Le tribunal rejeta également les demandes de … tendant à voir rayer une mention dans l’une des pièces et à voir prononcer l’effet suspensif du recours pendant le délai et 8l’instance d’appel fondée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative du 19 février 2018, … a régulièrement relevé appel du jugement du 9 janvier 2018 dont il sollicite l’annulation, sinon la réformation.

L’appelant critique tout d’abord les premiers juges pour avoir admis, contrairement au Conseil de discipline, le témoignage du docteur …, alors que celui-ci serait partie en cause, notion qu’il conviendrait d’interpréter restrictivement. Ainsi, le docteur … serait non seulement le directeur général du CHNP, mais également à l’origine des poursuites disciplinaires, puisqu’il aurait rédigé le rapport à l’attention du président du conseil d’administration du CHNP et qu’il aurait participé à la réunion du conseil d’administration, lors de laquelle la décision fut prise d’engager des poursuites, et qu’il aurait représenté le CHNP devant le Conseil de discipline en qualité de mandataire. L’appelant en conclut que l’instruction disciplinaire menée contre lui aurait été diligentée plutôt par le docteur … que par le CHNP. Il estime encore que le docteur …, qui siégerait au conseil d’administration du CHNP avec voix consultative, aurait un intérêt direct à l’issue du procès.

L’article 405, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile dispose que chacun peut être entendu comme témoin, à l’exception des personnes qui sont frappées d’une incapacité de témoigner en justice.

La règle que « nul ne peut être entendu comme témoin dans sa propre cause » est un principe fondamental. La notion de partie en cause est à interpréter restrictivement comme ne visant en principe que les personnes directement engagées dans l’instance judiciaire, à l’exclusion des personnes tierces ayant des intérêts contraires à ceux de l’une des parties à l’instance.

La Cour est amenée à constater, à la suite des premiers juges, qu’en vertu de l’article 6, dernier alinéa, de la loi modifiée du 17 avril 1998 portant création d’un établissement public dénommé « centre hospitalier neuropsychiatrique », le CHNP est représenté en justice et dans tous les actes publics et privés par le président du conseil d’administration, de sorte que le directeur général n’est pas partie en cause et qu’il peut être entendu comme témoin dans une affaire où le CHNP est seule partie à l’instance.

Cette conclusion n’est pas énervée par la circonstance que le directeur général a représenté le CHNP en qualité de mandataire devant le Conseil de discipline à l’audience du 11 octobre 2016, dès lors qu’il n’a fait que représenter le CHNP, ni par le fait qu’il assiste aux réunions du conseil d’administration avec voix consultative. Quant à la simple allégation d’un intérêt direct à l’issue du procès dans le chef du docteur …, elle est insuffisante pour écarter ou mettre en doute l’objectivité de sa déposition.

C’est partant à bon droit que les premiers juges ont admis le témoignage du directeur général du CHNP.

En deuxième lieu, l’appelant réitère, en appel, sa demande en rapport avec une pièce intitulée « état civil et état de service » (pièce 004) et la mention « affaires disciplinaires : 14-

04/18-04/42-10 » contenue dans l’état de service (pièce 016), tendant à voir écarter ces pièces, respectivement à voir rayer ladite mention. Il fait grief aux premiers juges d’avoir mal cerné 9son moyen, alors que celui-ci viserait deux pièces distinctes, une première pièce intitulée « état civil et état de service », versée en pièce 004 dans le dossier d’instruction et qui ferait un listing d’une dizaine de manquements professionnels qu’il aurait commis entre 1999 et 2010, alors que son casier disciplinaire serait pourtant vierge, et une seconde pièce intitulée « état de service », versée en pièce 016 dans le dossier d’instruction, laquelle comporterait la mention « affaires disciplinaires : 14-04/18-04/42-10 » sans autre précision. Il conteste l’existence dans son chef de ces prétendus antécédents disciplinaires qu’il qualifie de diffamatoires. Même si le Conseil de discipline et, à sa suite, le tribunal, auraient retenu qu’il n’avait pas d’antécédents disciplinaires, ces pièces auraient pourtant fait partie du dossier d’instruction et auraient été lues, ce qui lui aurait sans conteste porté préjudice dans l’appréciation des griefs qui lui sont reprochés. Il s’agirait d’un vice de procédure si grave qu’il justifierait l’annulation de la procédure disciplinaire, dès lors qu’il ne pourrait pas être corrigé rétroactivement en écartant ces pièces illégales des débats.

Il y a lieu de constater à la lecture du rapport d’instruction et de la décision litigieuse du Conseil de discipline que tant le commissaire du gouvernement que le Conseil de discipline ont retenu que … n’avait pas d’antécédents disciplinaires.

Il ne se dégage par ailleurs d’aucun élément du dossier que les mentions critiquées des deux pièces en question aient été prises en considération et qu’elles aient influé d’une quelconque manière sur le contenu de la décision litigieuse.

C’est partant à bon droit que le tribunal a rejeté le moyen tiré d’un vice de procédure.

En troisième lieu, l’appelant réitère ses moyens relatifs à l’irrégularité de la procédure disciplinaire en ce que les principes généraux des droits de la défense, d’indépendance et d’impartialité (objective et subjective) auraient été violés.

Il reproche ainsi au commissaire du gouvernement une partialité objective. Il estime que les premiers juges lui ont donné droit sur ce point dans la mesure où ils ont retenu que le commissaire du gouvernement est un « organe essentiellement d’instruction », ce qui impliquerait qu’il ne le serait pas exclusivement. Il cumulerait ainsi d’autres fonctions, ce qui serait incompatible avec sa fonction d’instruction. Alors que le législateur aurait confié au commissaire du gouvernement comme charge exclusive celle d'instruire à charge et à décharge, ce dernier exercerait de facto et de jure les fonctions de juge d'instruction, de juge et de Procureur, dès lors qu’il déciderait de classer l'affaire ou de la renvoyer devant l'autorité, sinon devant le Conseil de discipline, respectivement que son rapport vaudrait citation introductive d'instance.

L’appelant critique dans ce contexte les premiers juges pour avoir retenu que la seule circonstance que le commissaire du gouvernement donne son appréciation sur la gravité de la faute commise ne permet pas de retenir une partialité objective, mais ne constitue que la justification de son choix de saisir le Conseil de discipline plutôt que de classer l’affaire ou de saisir l’autorité de nomination en vue de l’application éventuelle d’une sanction moins sévère.

Or, le législateur n’aurait pas prévu que le commissaire du gouvernement donne une quelconque justification de son choix sur les suites à donner à l’affaire et rien n’empêcherait celui-ci de conclure au renvoi devant le Conseil de discipline en faisant l’économie de motiver et de justifier son choix, motivation qui influencerait nécessairement le Conseil de discipline.

Il serait parfaitement envisageable que le commissaire du gouvernement renvoie ou classe sans donner de justification. En donnant ainsi son appréciation sur la gravité des faits, le rapport d’instruction, censé être objectif, se transformerait en acte d’accusation.

10 Il résulte des dispositions de l’article 56 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général », - étant relevé qu’il n’est pas contesté que l’appelant, en sa qualité d’employé de l’Etat au sein du CHNP ayant une ancienneté de service de plus de dix années, est soumis au régime disciplinaire prévu par le statut général - que le commissaire du gouvernement est un organe d’instruction procédant à charge et à décharge et qui, à la fin de l’instruction, peut prendre une décision à choisir parmi les options posées par ledit article 56, consistant soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier au ministre du ressort lorsqu’il est d’avis que les faits établis par l’instruction constituent des manquements mineurs à sanctionner par les peines de bas d’échelle y énoncées, soit encore à transférer le dossier au Conseil de discipline lorsqu’il estime que les faits établis par l’instruction constituent des manquements devant être sanctionnés par des sanctions plus sévères que celles prévues suivant la deuxième option. En instruisant à charge et à décharge, d’un côté, et en jouant le rôle d’organe de classement, sinon de transmission à la fin de l’instruction, de l’autre, le commissaire du gouvernement ne prend pas de décision dirimante en défaveur de l’agent public soumis à l’instruction disciplinaire, seul le classement mettant fin à la procédure, et les transmissions suivant les deux autres options de la loi laissant en principe pleine liberté de jugement aux organes de décision respectivement saisis (cf. Cour adm. 24 janvier 2017, n° 38126C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu). Ainsi, la seule circonstance que le commissaire du gouvernement donne son appréciation sur la sanction à appliquer lorsqu’il transmet le dossier au Conseil de discipline ne permet pas de retenir une partialité objective dans son chef, le Conseil de discipline restant en toute hypothèse libre de statuer. Il convient d’ajouter que le commissaire du gouvernement, implicitement mais nécessairement, est tenu de porter une appréciation sur la gravité des faits retenus afin de pouvoir prendre l’une des trois décisions prévues par le paragraphe 5 de l’article 56 du statut général.

La tâche du commissaire du gouvernement, telle qu’organisée par l’article 56 du statut général, ne révèle dès lors pas une partialité objective, telle qu’avancée par l’appelant.

L’appelant soutient ensuite que le commissaire du gouvernement aurait méconnu le principe d’impartialité subjective dans la mesure où ses conclusions seraient exclusivement fondées sur les dires du directeur du CHNP. S’y ajouterait le fait que le commissaire du gouvernement aurait choisi de joindre au dossier d’instruction le « document diffamatoire » intitulé « état civil et état de service » faisant état d’une dizaine de manquements disciplinaires de manière à influencer négativement le Conseil de discipline.

C’est cependant à juste titre que le tribunal a conclu qu’aucun élément permettant de retenir une partialité subjective dans le chef du commissaire du gouvernement ne ressortait du dossier.

En effet, comme les premiers juges l’ont relevé à bon escient, le commissaire du gouvernement a largement permis à … d’exprimer son point de vue en ayant pris en considération la documentation étayée versée par ce dernier et en ayant consigné ses explications orales. Il a également été proposé à … de solliciter des mesures d’instruction complémentaires, offre dont ce dernier n’a pas profité. Pour le surplus, l’affirmation, selon laquelle la matérialité des faits aurait été exclusivement retenue sur base du témoignage du directeur général du CHNP, laisse d’être vérifiée, étant donné que la réalité des faits retenus a été également fondée sur le témoignage du docteur …, ainsi que sur les aveux partiels de l’appelant lui-même. Finalement, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le 11commissaire du gouvernement se serait laissé guider par un préjugé négatif à l’égard de … et le fait que le supérieur hiérarchique propose une sanction dans son courrier de saisine du commissaire du gouvernement n’est pas critiquable en soi, la décision d’engager une procédure disciplinaire ne constituant pas un acte d’instruction et ne compromettant pas l’impartialité de l’organe d’instruction et, à sa suite, du Conseil de discipline.

Quant à la pièce litigieuse intitulée « Etat civil et Etat de service », il convient de relever que pour l’appréciation que le commissaire du gouvernement est amené à faire de la gravité de la faute sur le fondement de l’article 56, paragraphe 5, du statut général afin de prendre la décision soit de classer l’affaire, soit de saisir l’autorité de nomination ou le Conseil de discipline, il lui appartient de relever la nature et le grade des fonctions, son attitude par rapport aux faits reprochés, ainsi que les antécédents disciplinaires, tels qu’ils ressortent du dossier.

Or, la pièce litigieuse qui, au demeurant, d’après ce qui a été retenu ci-avant, n’a pas été prise en compte, a fait partie du dossier qui lui a été transmis par le CHNP, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être retenu à l’encontre du commissaire du gouvernement à cet égard.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une prétendue partialité subjective du commissaire du gouvernement est également à rejeter.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté comme non fondé le moyen tiré d’un prétendu défaut d’objectivité dans le chef du commissaire du gouvernement pour les motifs y énoncés, ensemble ceux ci-avant développés.

En quatrième lieu, l’appelant met en cause l’indépendance et l’impartialité du Conseil de discipline en raison du fait que l’Etat y serait représenté par deux fonctionnaires représentant le ministre et qui seraient à considérer comme parties en cause.

Il se prévaut, dans ce contexte, d’un arrêt du Conseil constitutionnel français qui aurait décidé que les dispositions, prévoyant que deux fonctionnaires, représentant le ministre de la santé et le ministre de l'outre-mer, siègent au sein du conseil national de l'ordre des pharmaciens, seraient contraires à la Constitution pour méconnaître le principe d'indépendance, alors même que celles-ci prévoyaient que lesdits représentants ministériels y siègent avec voix consultative.

Quant à l’argument de la partie intimée, selon lequel le CHNP serait un établissement public doté d’une personnalité juridique propre et qu’aucun membre du CHNP ne siégerait au sein du Conseil de discipline, l’appelant réplique que le CHNP serait sous la tutelle du ministère de la Santé conformément à l’article 1er de la loi précitée du 17 avril 1998, de sorte que la soi-disant indépendance des deux délégués ministériels par rapport au CHNP ne serait qu’un « leurre ».

Aux termes de l’article 59 du statut général, « le Conseil de discipline est composé de deux magistrats de l'ordre judiciaire, d'un délégué du ministre, d'un délégué du ministre d'Etat et d'un représentant à désigner par la Chambre des Fonctionnaires et Employés Publics, ainsi que d'un nombre double de suppléants choisis selon les mêmes critères. (…) ».

La Cour relève en premier lieu que les développements de l’appelant reviennent à remettre en cause à la fois l’impartialité et l’indépendance du Conseil de discipline du seul fait de sa composition, c’est-à-dire en ce qu’il comporte, outre deux magistrats de l’ordre judiciaire, un représentant du ministère de la Fonction publique, ainsi qu’un représentant du ministère 12d’Etat, en ce que ces derniers, de par leurs fonctions, ne suffiraient pas aux exigences d’impartialité et d’indépendance requises en la matière.

Or, force est de constater d’abord qu’il est fait application en l’espèce du principe de l’échevinage et que, outre les deux magistrats de l’ordre judiciaire, le Conseil de discipline se compose à la fois de représentants de l’employeur public et de représentants de la Chambre des Fonctionnaires et Employés Publics, en tant que représentants des fonctionnaires et employés de l’Etat. Partant, les deux côtés – employeur public et agents publics – se trouvent ainsi tous les deux représentés et il est inhérent au système instauré sur base du principe de l’échevinage que le ou les représentants de l’employeur public soient des fonctionnaires de l’Etat relevant précisément de l’administration publique (cf. Cour adm. 14 juillet 2016, n° 37460C du rôle).

S’y ajoute, ainsi que cela a été relevé à bon droit par les premiers juges, que … est salarié, sous le statut d’un employé de l’Etat, d’un établissement public doté d’une personnalité distincte de celle de l’Etat, même s’il se trouve sous la tutelle du ministre de la Santé.

Pour le surplus, … ne soutient même pas que les représentants des deux ministères visés par l’article 59 du statut général aient concrètement exprimé une quelconque attitude pouvant voir élever un doute quant à leur impartialité ou indépendance par rapport à leur employeur.

Il s’ensuit que le moyen afférent de … est à rejeter comme non fondé.

En cinquième lieu, l’appelant réitère son moyen tiré d’une violation du principe de légalité des peines en raison de l'imprécision des dispositions des articles 9 et 10 du statut général et du large éventail des peines y prévues. Il estime que l’article 53 du statut général, qui viserait plutôt les circonstances atténuantes, ne saurait pallier cette violation.

Il convient cependant de rejeter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges. En effet, l’imprécision au niveau de la définition des devoirs et obligations pesant sur les fonctionnaires de l’Etat n’est pas contraire au principe de légalité des peines, dans la mesure où les devoirs sont décrits avec suffisamment d’objectivité et que l’arbitraire des sanctions à appliquer est évité par le biais de l’article 53 du statut général, qui prévoit que l’application des sanctions disciplinaires doit se régler notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé.

Dans ce contexte, la Cour se doit de rappeler, à l’instar des premiers juges, que la Cour Constitutionnelle a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question de la conformité des articles 9 et 10 du statut général avec l’article 14 de la Constitution garantissant le principe de légalité des peines. Dans son arrêt du 14 décembre 2007 (n° 00041 du registre), la Cour Constitutionnelle a dit que les articles 9, paragraphe 1er et 10, paragraphe 1er, du statut général ne sont pas contraires à l’article 14 de la Constitution. Elle a jugé que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’indétermination, sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer et que le principe de légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution 13dont elle relève.

Le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel de légalité des peines laisse partant d’être fondé.

En sixième lieu, l’appelant invoque une violation du principe du délai raisonnable. Il critique les premiers juges pour avoir retenu que ce principe ne s’appliquerait qu’à la procédure précontentieuse, alors qu’il serait appelé à régir l’ensemble de la procédure, à la fois précontentieuse et contentieuse, en s’appuyant à cet égard sur la jurisprudence de la Cour.

La partie étatique conclut au rejet du moyen en faisant valoir que la décision litigieuse aurait été prise dans un délai de moins d’une année.

C’est tout d’abord à bon droit que les premiers juges ont retenu qu’aucune disposition légale ne prévoit un délai spécifique dans lequel une procédure disciplinaire doit être menée et une sanction disciplinaire doit, le cas échéant, être prononcée.

Néanmoins, le respect du délai raisonnable étant un principe général du droit applicable même en l’absence de texte, toute autorité disciplinaire a, dès qu’elle a connaissance de faits susceptibles de donner lieu à sanction, l’obligation d’entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité, afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable. Le respect d’un délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire. Le dépassement du délai raisonnable doit être apprécié in concreto et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité.

Un dépassement du délai raisonnable n’est cependant pas de nature à entraîner la nullité de la procédure, mais permet à l’agent qui en aurait souffert, de saisir éventuellement la juridiction compétente d’une demande de réparation et doit être pris en compte, le cas échéant, lors de l’appréciation de la sanction, de sorte à être susceptible d’aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation.

Concernant la problématique du délai raisonnable en matière de procédure disciplinaire, le point de départ du délai à examiner ne se situe pas au moment de l'introduction du recours juridictionnel contre la décision disciplinaire administrative, mais au moment de la notification du reproche qui déclenche la procédure disciplinaire.

Pour l’appréciation du caractère raisonnable du délai, il faut donc prendre en compte la durée qui s’est écoulée entre la date de notification des reproches qui a déclenché la procédure disciplinaire et la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée.

En l’espèce, il ressort des circonstances de la cause que la notification de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à l’encontre de … a eu lieu en date du 20 janvier 2016, que l’instruction a été clôturée par un rapport d’instruction établi en date du 24 juin 2016 et a abouti à la décision litigieuse du Conseil de discipline le 25 octobre 2016, contre laquelle un recours contentieux a été introduit devant le tribunal administratif le 26 janvier 2017 et qui s’est soldé par le jugement entrepris du 9 janvier 2018.

14Mis à part le constat que le délai d’examen stricto sensu de 12 mois du premier recours contentieux n’a rien d’excessif au vu des délais de procédure applicables devant les juridictions administratives, tels qu’inscrits notamment à l’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le délai à prendre en considération pour l’appréciation du caractère raisonnable doit cependant inclure ces 12 mois.

Néanmoins, au vu de la durée totale du délai écoulé entre le 20 janvier 2016, date de notification des reproches, et le 9 janvier 2018, date du prononcé du jugement entrepris, la Cour ne retient pas une violation du principe du délai raisonnable susceptible d'aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le juge administratif, siégeant en tant que juge de la réformation. En effet, un délai total de 24 mois pour évacuer une affaire disciplinaire, y compris au niveau contentieux, n’a rien d’excessif.

Il s’ensuit que le moyen afférent de … laisse d’être fondé.

En dernier lieu, l’appelant soutient que la sanction litigieuse serait disproportionnée par rapport aux manquements qui lui sont reprochés. Il conteste toute intention dans son chef de vouloir nuire à son employeur. Au contraire, l’intention de nuire serait plutôt à rechercher du côté de son employeur qui voudrait se débarrasser de lui, alors qu’il n’aurait fait qu’exprimer son opinion suivant laquelle la pratique des fixations sans surveillance serait dangereuse et inhumaine pour le patient. Ce serait également à tort que les premiers juges auraient cru déceler un lien entre le reproche qu’il ferait à son employeur de l’avoir affecté depuis des années à un emploi sans aucune tâche à effectuer et une prétendue intention de nuire.

Il soutient ensuite qu’aucune circonstance atténuante n’aurait été prise en compte dans l’appréciation du caractère proportionné de la peine infligée. Il critique encore les premiers juges d’avoir méconnu son droit à la liberté d’expression au motif que ces mesures de fixation des patients ne seraient plus pratiquées au CHNP. Or, le témoin, le docteur …, médecin-chef de service auprès de la Direction de la Santé, aurait confirmé l’existence de telles pratiques, bien que soumises à des conditions très restrictives. Il n’aurait fait qu’user de sa liberté d’expression en manifestant son souhait de voir interdire la pratique des fixations. Il explique qu’il aurait été par le passé confronté, en tant que praticien, à cette pratique et il lui serait insupportable de savoir que cette pratique puisse encore être appliquée au CHNP. En conclusion, il donne à considérer que la sanction du changement d’administration constituerait une peine extrêmement lourde pour un agent public qui n’aurait fait qu’exprimer son opinion sur une pratique jugée inhumaine.

Aux termes de l’article 10, paragraphe 1er, alinéa 1er, du statut général : « Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ».

Il convient de relever que la sanction disciplinaire infligée à l’appelant l’a été sur la base d’un des griefs considérés comme établis, à savoir le fait pour … d’avoir porté des accusations à l’encontre de son employeur lors d’une séance d’information sur le sujet de la sécurité à Ettelbruck, organisée le 29 octobre 2015 au Centre des Arts Pluriels d’Ettelbruck, en présence du ministre de la Sécurité intérieure, du directeur général de la Police grand-ducale, du directeur de la circonscription régionale de Diekirch, du Procureur d'Etat à Diekirch, de trois représentants du CHNP, du médecin-chef de service au service d'Action Socio-Thérapeutique 15de la Direction de la Santé, du bourgmestre d'Ettelbruck, ainsi que des membres du conseil échevinal et du conseil communal et d’une centaine de citoyens d'Ettelbruck.

Il ressort des éléments du dossier que l’appelant a pris la parole lors de cette réunion, après qu’un ancien patient à lui du CHNP avait déclaré y avoir fait l’objet de pratiques comparables au « Waterboarding » et plus particulièrement de la pratique de la « sitzwachenfreie Fixierung », pour confirmer l’interpellation de la part de cet ancien patient du CHNP au sujet des actes de fixation que celui-ci y aurait subis lors de son hospitalisation il y a environ vingt ans et perçus par lui comme des pratiques de torture, étant encore relevé que l’appelant a lui-même déclaré s’être rendu à cette réunion avec son ancien patient dans le but de dénoncer la pratique des fixations.

Si l’appelant continue, en appel, à contester qu’il aurait affirmé à cette occasion que ces pratiques seraient toujours pratiquées au CHNP, il se dégage cependant des déclarations du docteur …, tout comme de celles du docteur …, que l’appelant n’a pas seulement confirmé que des fixations de patients non surveillés auraient été pratiquées au CHNP par le passé, mais qu’il a également affirmé que de telles pratiques y seraient toujours d’actualité. L’appelant a d’ailleurs admis avoir expliqué lors de sa prise de parole que ces fixations seraient toutes aussi cruelles que le « waterboarding », terme que l’ancien patient en question aurait erronément utilisé pour décrire les actes par lui subis, en raison du fait que ces deux pratiques exposeraient la victime à des angoisses de mort. Enfin, le docteur … a encore déposé que le ton employé par … aurait été « très revendicatif », lui faisant penser qu’il s’agissait également d’un ancien patient du CHNP.

La Cour partage ainsi la conclusion des premiers juges que quelles que soient par ailleurs les bonnes intentions et le bien-fondé des critiques que l’appelant nourrissait sur le principe des mesures de fixation sans surveillance des patients, il a, par ses propos et la manière de les exprimer, lors d’une séance d’information dont le sujet était non pas les méthodes de traitement au sein du CHNP mais la sécurité à Ettelbruck, publiquement accusé l’institution dont il fait partie de pratiquer des actes de torture et ainsi jeté le discrédit sur le CHNP devant une centaine de citoyens et des hauts responsables politiques, de la force publique et de la justice. Cela est d’autant plus critiquable qu’il a lui-même reconnu qu’il ignorait si de telles pratiques étaient encore d’actualité au CHNP, puisqu’il ne travaillait plus dans les services de soins depuis un certain temps.

Quant au moyen de l’appelant consistant à soutenir que la sanction disciplinaire infligée viole sa liberté d’expression, il ne saurait valoir. En effet, l’appelant bénéficie certes du droit à la liberté d’expression, impliquant qu’il a le droit de s’exprimer sur des faits connus dans l’exercice de ses fonctions, mais cette liberté doit toutefois se concilier avec son droit de réserve lequel lui impose de s’exprimer avec modération et d’éviter de porter des allégations, des insinuations et des atteintes à la réputation de ses collègues et supérieurs et à la confiance que le public doit avoir dans l’administration.

En l’espèce, il convient de relever que l’autorité disciplinaire ne reproche pas à l’appelant l’expression d’une opinion sur les mesures de fixation sans surveillance des patients, mais la façon et l’occasion choisies par l’appelant pour dénoncer ces pratiques. Or, en portant contre son employeur des accusations infondées de pratiquer des actes de torture devant un public largement composé de personnes étrangères au CHNP qui étaient réunies pour débattre d’un autre sujet, il a nui à la réputation du CHNP et jeté le discrédit sur l’établissement.

16Si l’appelant, pour justifier son comportement, se prévaut encore du statut de lanceur d’alerte, c’est à bon droit que les premiers juges n’ont pas fait droit à cette argumentation, étant donné que la problématique des fixations de patients sans surveillance était déjà connue et à laquelle il a été remédié dans l’intervalle suite à de nombreuses interventions, de sorte qu’il ne saurait être question d’une quelconque révélation devant faire l’objet d’une alerte. Quant à une éventuelle poursuite de telles pratiques, malgré l’engagement du CHNP d’y remédier, l’appelant a lui-même reconnu ne pas être au courant, de sorte qu’il ne saurait justifier avoir le statut d’un lanceur d’alerte à cet égard. En outre, le docteur … n’a pas déposé, contrairement à ce que prétend l’appelant, que ces pratiques existent toujours, mais elle a déposé qu’elle avait pris la parole pour expliquer la pratique des fixations et les conditions très restrictives dans lesquelles elles peuvent avoir lieu.

Au regard des circonstances particulières de l’espèce, la Cour rejoint partant les premiers juges en ce qu’ils ont retenu que par sa prise de parole, l’appelant avait méconnu ses obligations statutaires telles que découlant de l’article 10, paragraphe 1er, alinéa 1er, du statut général qui lui impose d’éviter tout comportement qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Quant à la gravité de la sanction disciplinaire à retenir à l’encontre de …, l’article 53 du statut général prévoit que « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».

Malgré le constat que l’appelant ne présente pas d’antécédents disciplinaires et que le délai raisonnable n’a pas été dépassé en l’espèce, tel que retenu ci-avant, la Cour est amenée à constater dans le chef de l’appelant un état de contestation qui l’a amené à exprimer en public des accusations très graves contre son employeur dont il ne pouvait ignorer qu’elles n’étaient pas fondées, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu dans son chef une intention de nuire aux intérêts du CHNP qui a irrémédiablement anéanti la confiance que son employeur avait pu avoir en lui. Dans ces conditions, le maintien de … au sein du CHNP n’est plus indiqué. La sanction disciplinaire du changement d’administration, telle prévue par l’article 47, point 4, du statut général, n’est dès lors pas disproportionnée.

Il s’ensuit que l’appel n’est pas fondé, de sorte que l’appelant est à en débouter et le jugement dont appel à confirmer.

… sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de chaque fois 1.250 euros pour la première instance et pour l’instance d’appel.

Eu égard à l’issue du litige, il n’apparaît pas comme étant inéquitable de laisser à charge de l’appelant les frais irrépétibles en application des dispositions combinées des articles 33 et 54 de la loi précitée du 21 juin 1999. Il convient dès lors de le débouter de ses demandes afférentes.

La partie étatique demande à son tour la condamnation de l’appelant au paiement en sa faveur d’une indemnité de procédure de 2.000 euros pour l’instance d’appel.

Il n’y a pas lieu non plus d’accéder à cette demande, le caractère inéquitable requis à la base d’une condamnation à l’allocation d’une indemnité de procédure n’étant pas vérifié à suffisance en l’espèce.

17 Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 9 janvier 2018 ;

déboute les parties de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour Colette MORIS.

s. MORIS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 juin 2018 Le greffier de la Cour administrative 18



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 28/06/2018
Date de l'import : 12/12/2019

Numérotation
Numéro d'arrêt : 40794C
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2018-06-28;40794c ?

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