La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/03/2018 | LUXEMBOURG | N°40496C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mars 2018, 40496C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 40496C du rôle Inscrit le 19 décembre 2017

___________________________________________________________________________

Audience publique du 6 mars 2018 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 22 novembre 2017 (n° 39044 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1) L.18.12.2015) Vu la requête d’appel inscrite sous le numér

o 40496C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2017...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 40496C du rôle Inscrit le 19 décembre 2017

___________________________________________________________________________

Audience publique du 6 mars 2018 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 22 novembre 2017 (n° 39044 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1) L.18.12.2015) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 40496C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2017 par Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH, sur base d’un mandat lui conféré à ces fins le 7 décembre 2017 par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dirigée contre le jugement du 22 novembre 2017 (n° 39044 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré - partiellement - fondé le recours intenté par Monsieur ……, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, …, …, contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 décembre 2016 portant refus de sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire et, par réformation de ladite décision ministérielle du 30 décembre 2016, lui a accordé le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et dit qu’il ne devait pas quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 janvier 2018 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, préqualifié;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH et Maître Alev ACER, en remplacement de Maître Arnaud RANZENBERGER, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 22 février 2018.

Le 25 septembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 2 novembre 2015, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Le 22 septembre 2016, il fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 30 décembre 2016, lui notifiée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « (…) En mains le rapport d'entretien Dublin du 2 novembre 2015 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 22 septembre 2016 sur les motifs sous tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous prétendez que vous et votre famille, tous de confession musulmane sunnite, auraient été contraints par les milices chiites de quitter votre domicile à … et de vous réinstaller à …, en mai 2006, où vous auriez résidé jusqu'à l'entrée de Daech à … en 2014.

Selon vos dires, Daech aurait pris le contrôle de votre village, et « ils ont commencé à commettre des crimes. Ils arrêtaient les gens de façon sauvage et quand t'étais arrêté soit tu combattais avec eux ou la mort » (p.3/7 du rapport d'entretien).

De plus, vous affirmez que « presque la moitié de mon clan est mort » (p.4/7 du rapport d'entretien) et que Daech aurait coupé toute communication après leur arrivée. La maison de votre oncle, qui aurait été jumelée à la vôtre, aurait également été détruite par Daech.

Monsieur, vous évoquez que deux jours après l'arrivée de Daech dans votre village, vous auriez réussi à prendre la fuite. Vous prétendez que vous vous seriez servi d'une ruse risquée pour vous enfuir d'…. En effet, vous dévoilez que vous vous seriez déguisé en femme, en portant le Nikab, malgré le grand risque de vous faire tuer si votre déguisement aurait été découvert.

Après, vous vous seriez réinstallé à …, et plus précisément à …, avec votre famille.

Néanmoins, après cinq mois, vous auriez définitivement quitté l'Irak, « pour éviter tout problème » (p.4/7 du rapport d'entretien) et « la peur de perdre ma vie à chaque instant » (p.5/7 du rapport d'entretien). En effet, lors de votre entretien, vous aviez avoué, que vous auriez eu peur que les milices vous arrêteraient et vous tueraient.

Pour étayer vos dires, vous avez remis deux copies de cartes pour déplacés internes.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 22 septembre 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. (…) ». Le ministre l’informa ensuite que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre, tout en admettant que Monsieur … avait vécu des scènes horribles durant les jours où il a vécu sous l’emprise de l’organisation « Etat islamique », retint que les raisons qui l’auraient amené à quitter son pays d'origine n’auraient pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par la « Convention de Genève » et par la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où ni lui-même ni sa famille n'auraient connu de problèmes personnels quelconques du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs convictions politiques.

Etant donné qu’il n’aurait jamais subi ni de la part d'une quelconque milice ni de la part de l’organisation « Etat islamique » des menaces liées à sa personne, ses craintes s’analyseraient en l’expression d’une simple crainte hypothétique et en un sentiment général d’insécurité du fait de l'existence de groupes armés en Irak, plutôt qu’en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur … aurait encore pu profiter d’une possibilité de fuite interne dans la mesure où il aurait pu s’installer en tant que musulman sunnite à …, notamment dans le quartier sunnite …, où il aurait d’ailleurs vécu pendant cinq mois sans avoir connu un problème concret.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait pas état d’un motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves, telles que définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2017, Monsieur … fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 décembre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 22 novembre 2017, inscrit sous le numéro 39044 du rôle, le tribunal administratif déclara recevable et -partiellement- fondé ce recours, de sorte à accorder à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 et dire qu’il ne devait pas quitter le territoire.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2017, l’Etat a régulièrement fait entreprendre le jugement du 22 novembre 2017.

Le délégué du gouvernement déclare expressément que l’appel étatique est limité à la décision des premiers juges d’octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire au demandeur et il demande partant à voir confirmer le jugement en ce qu'il a refusé le statut de réfugié au demandeur.

Selon le délégué, les conditions cumulatives posées par l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 ne seraient pas remplies.

Plus particulièrement, la situation sécuritaire générale en Irak ne correspondrait pas aux critères de l'article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015 et les juges auraient retenu à tort que : « A cet égard, force est au tribunal de constater que l’Irak est actuellement dans une situation de guerre civile entre plusieurs protagonistes (…).

En revanche, et en ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal est amené de conclure au regard des constatations qui précèdent, que le demandeur est clairement exposé à faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle eu égard à la situation de conflit armé interne, tel que décrit ci-avant sévissant actuellement en Irak (…). ».

Le délégué reproche aux premiers juges de s’être fondés sur la notion de « guerre civile », partant un critère non légalement consacré, au lieu de faire une analyse détaillée des notions de « conflit armé interne » et de « violences aveugles ». Il leur reproche ainsi encore de ne pas avoir fait une analyse plus poussée de la situation sécuritaire en Irak, étant soutenu que seule une analyse complète, exhaustive et minutieuse de la situation sécuritaire de la région respectivement de la ville d'origine de Monsieur … aurait permis de trancher la question relative à l'existence de menaces graves et individuelles en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l'article 48 sub c) précité, telles que ces notions ont été interprétées par la Cour de Justice de l'Union Européenne (« CJUE ») dans les affaires ELGAFAJI du 17 février 2009 et DIAKITE du 30 janvier 2014.

Dans ce contexte, le représentant étatique estime que l’analyse des premiers juges aurait été trop simpliste et hâtive et ils auraient manqué d’avoir égard à la situation spécifique de l’intéressé. Il se réfère encore à différents rapports internationaux et à la jurisprudence internationale (not. autrichienne, allemande et belge) et il insiste sur le fait qu’il serait majoritairement reconnu dans les Etats membres de l'Union européenne que le seul fait d'être originaire d'Irak ou de … ne justifierait pas automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Concernant la situation sécuritaire à …, dernière ville de résidence de l'intimé, elle ne correspondrait pas aux critères de l'article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué expose qu’au regard des éléments soumis à la Cour (not. la jurisprudence internationale, les statistiques de l'Organisation des Nations Unies sur la ville de …), il conviendrait de constater que la ville de … ne saurait être considérée comme étant le théâtre de violences aveugles exposant chaque ressortissant, du seul fait de sa présence sur son territoire, au risque de subir des atteintes graves.

Il admet que si la ville de … se retrouverait fréquemment mise sur le devant de la scène médiatique en raison des violences qui s'y déroulent, il n'en demeurerait pas moins que la vie à … continuerait de suivre son cours, étant précisé que notamment les institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants, les chaînes de télévision fonctionneraient parfaitement.

Il est insisté encore sur le fait que l'Aéroport international de …, qui compterait plus de 7 millions de passagers par année, fonctionnerait et que de grandes compagnies aériennes telles que British Airways et Qatar Airways desserviraient …. Le même constat s'appliquerait à l'Université de … dont le site Internet témoignerait de la bonne marche de ses activités. Par ailleurs, la vie culturelle continuerait de s'organiser et de se développer.

En général, les structures étatiques continueraient de fonctionner, des élections parlementaires auraient eu lieu et elles auraient été considérées comme relativement bien organisées et des visites diplomatiques auraient toujours lieu à …. En outre, des ONG continueraient de délivrer une assistance et une protection aux civils touchés par le conflit en Irak.

Concernant plus particulièrement le quartier de …. à …, où l’intimé aurait vécu, force serait de constater que de nombreux cafés, restaurants, magasins, centres commerciaux et supermarchés, mosquées, écoles primaires et autres collèges seraient toujours ouverts et actifs.

Il relève encore que le fait que des membres de la famille de l'intimé sont restés vivre à …, sans qu’il ne leur soit arrivé quelque chose, démontrerait que la situation sécuritaire serait stable.

Il est encore ajouté que dans la région d’…, la région d’origine de l’intimé, rien ne l’empêcherait d’y retourner, la peur affichée à l’encontre du groupe « Etat islamique » ne serait plus d’actualité, dès lors que ledit groupe n’aurait plus de zone d’influence en Irak.

Dans son mémoire en réponse, l’intimé relève appel incident du jugement du 22 novembre 2017, dont il sollicite la réformation dans le sens de se voir accorder le statut de réfugié politique. En ordre subsidiaire, il demande à voir confirmer la décision d’octroi d’une protection subsidiaire.

A l’appui de ses demandes de protection internationale principale sinon subsidiaire, l’intimé invoque essentiellement son appartenance à la communauté religieuse des sunnites et la situation de guerre régnant en Irak.

Comme en première instance, il entend faire valoir qu’en 2006, il aurait, ensemble avec sa famille, dû quitter une première fois … en raison des milices chiites, lesquelles feraient la loi à … et ne cesseraient de tuer des civils, dont des sunnites, tout en soulignant qu’à son retour à … en 2014, il aurait été témoin de nombreux actes de persécution perpétrés par des milices chiites envers des personnes de confession sunnite. Il se réfère au rapport annuel 2016/2017 d’Amnesty International relatif à l’Irak et à un rapport du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides belge du 31 mars 2016, intitulé « IRAK, la situation sécuritaire à … », témoignant de la violence contre les musulmans sunnites, ce qui confirmerait l’existence d’une réelle crainte fondée de persécutions dans son chef en raison de sa religion sunnite.

Concernant la situation sécuritaire en Irak, l’intimé estime que les premiers juges auraient à juste titre constaté que l’Irak serait actuellement dans une situation de guerre entre divers protagonistes et qu’il serait exposé à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle.

L’intimé fait valoir que le délégué du gouvernement contesterait à tort l’analyse des premiers juges qui serait détaillée et appropriée.

Il estime que ce constat ne serait pas ébranlé par le fait que la vie civile et différentes structures étatiques continueraient de fonctionner à ….

La Cour, par souci de cohérence, analysera ci-après en premier lieu la question de la reconnaisance du statut de réfugié à Monsieur …, c’est-à-dire qu’elle rejugera le volet principal de la décision ministérielle litigieuse du 30 décembre 2016, une réformation du jugement sur ce point rendant l’examen du volet subsidiaire de l’octroi ou non d’une protection subsidiaire, partant de l’appel principal, sans objet.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Il s’y ajoute que dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure qu’un demandeur ne saurait bénéficier d’une protection internationale.

En l’espèce, l’intimé situe les motifs l’ayant amené à quitter son pays d’origine au niveau de sa situation de sunnite irakien ayant vécu à … et la mauvaise situation sécurité régnant généralement à … et en Irak.

La Cour, à l’instar des premiers juges, constate de prime abord que Monsieur … reste en défaut de faire état d’un quelconque fait personnel concret en relation avec un des critères de fond définis à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, mais qu’au contraire, il a admis lors de son audition auprès de la direction de l’Immigration ne pas avoir personnellement été témoin d’exactions de la part du groupe « Etat islamique » et que ni lui-

même ni sa famille n’auraient personnellement connu des problèmes à …. Il reconnaît en effet avoir quitté son pays d’origine « pour éviter tout problème », sa crainte étant donc essentiellement d’ordre général en raison de la mauvaise situation sécuritaire.

Or, de la sorte, l’argumentaire de l’intimé ne permet que de dégager une crainte simplement hypothétique voire un sentiment général d’insécurité, mais non pas la preuve de l’existence d’une crainte fondée de persécution personnelle justifiée pour l’un des motifs énumérés à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que celui-ci ne peut pas bénéficier du statut de réfugié politique et son appel incident laisse dès lors d’être fondé.

Concernant ensuite l’appel étatique visant l’octroi, par les premiers juges, à Monsieur … du statut conféré par la protection subsidiaire, l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays. (…) ».

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Ceci dit, il y a lieu de distinguer entre les différentes régions d’un pays afin de décider, au cas par cas, si les conflits dans une certaine zone peuvent être qualifiés de « conflit armé interne » au sens de l’article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015, conflit qui doit engendrer une violence aveugle telle que la personne concernée, dans sa situation personnelle et individuelle, se trouve exposée à un risque réel d’atteintes graves à sa vie en cas de retour dans son pays d’origine.

Au regard de l’ensemble des éléments d’appréciation lui soumis, la Cour est amenée à reconnaître que la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, dont en particulier la ville de …, étant donné que les incidents violents continuent d’être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de … où Monsieur … a vécu avant son départ, à savoir 28 civils tués dans des attentats au mois de juillet 2017, 45 au courant du mois d’août 2017 et 37 au courant du mois de septembre 2017 et si le sort de chacune de ces victimes est en soi une tragédie épouvantable, il n’en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à …, à savoir environ 8 millions d’habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d’incidents violents avec la population totale, il n’appert pas que la simple présence d’un individu à …, l’expose ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves.

Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de … n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

La Cour tient également à renvoyer à son arrêt du 7 mars 2017 (n° 38697 du rôle) dans lequel elle est arrivée à la conclusion suivante : « Sous l’angle de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, s’il résulte à la lecture des informations versées au dossier que la situation sécuritaire en Irak en général et à … en particulier où les intimés vivaient avant leur départ d’Irak, est grave et essentiellement évolutive, il ne se dégage cependant pas des éléments du dossier qu'il existerait, du fait de cette situation des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne des époux (…) ».

Ce constat ne se trouve pas invalidé à l’heure actuelle, dès lors que depuis le printemps 2017, la situation sécuritaire à … ne s’est pas dégradée, étant relevé que les structures étatiques avec ses institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants et les médias fonctionnent parfaitement.

Concernant finalement la situation individuelle de Monsieur …, il convient de noter que malgré sa confession sunnite ayant vécu à … et dans le quartier …, ce dernier ne se trouve pour autant pas dans une situation individuelle particulièrement exposée à devenir une victime d’un incident violent, d’autres membres de sa famille continuant à vivre apparemment sans problème à ….

Pour le surplus, au vu des éléments du dossier, il y a lieu de conclure qu’il n’existe pas non plus d’éléments susceptibles d’établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que Monsieur … encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 sub a) et sub b) de la loi du 18 décembre 2015, l’intéressé omettant encore d’établir qu’il risquerait d’encourir la peine de mort ou l’exécution, respectivement de devoir subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Au vu de ce qui précède, c’est dès lors à tort que les premiers juges ont accordé à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire et il y a lieu, par réformation du jugement entrepris, de rejeter le recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 30 décembre 2016 portant refus de la demande de protection internationale de Monsieur … et lui ordonnant de quitter le territoire.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit les appels principal et incident en la forme;

déclare l’appel incident non justifié et en déboute;

au fond, déclare l’appel principal justifié;

partant, par réformation du jugement du 22 novembre 2017, rejette le recours en réformation dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 décembre 2016 portant refus de la demande de protection internationale de Monsieur … et ordre de quitter le territoire;

condamne Monsieur … aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique du 6 mars 2018 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mars 2018 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40496C
Date de la décision : 06/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2018-03-06;40496c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award