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14/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18286C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 octobre 2004, 18286C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18286 C Inscrit le 25 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …. … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 24 mai 2004, n° 17350 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le

numéro 18286C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004 par Maît...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18286 C Inscrit le 25 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …. … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 24 mai 2004, n° 17350 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18286C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de Monsieur … …, né le 12 juillet 1982 à … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 24 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 12 novembre 2003, suite à un recours gracieux du 24 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du Gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17350 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2003, Monsieur …. … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 novembre 2003, suite à un recours gracieux de la part de l’actuel appelant.

Par jugement rendu le 24 mai 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté Monsieur ….

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, en sa qualité de membre de la minorité bochniaque résidant au Kosovo, ayant déclaré avoir subi des persécutions de la part de certains membres de la population albanaise y résidant du fait de son appartenance à une minorité ethnique, persécution que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure d’empêcher, n’a pas fait état d’éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des persécutions et que les autorités actuellement en place au Kosovo ne soient pas en mesure de lui assurer une protection adéquate, étant entendu que la simple appartenance à la minorité bochniaque n’est pas à elle seule de nature à justifier la reconnaissance… du statut de réfugié. Le tribunal a plus particulièrement retenu qu’à part le fait que l’actuel appelant a fait état d’une manière générale et vague de bagarres, de disputes et d’insultes émanant d’Albanais, le seul fait concret dont il a fait état constitue une bagarre qui s’est produite à l’occasion d’un match de football dans la cour de l’école, incident décrit dans un rapport de l’« UNMIK police » comme « a quarrel during playing football at Banja school » « between young boys of albanian and bosnian communities », qui, tout en se référant à un fait condamnable, ne laisse cependant pas supposer un danger sérieux et spécifique pour l’appelant. En conclusion, le tribunal a retenu que les craintes dont a fait état l’actuel appelant se réfèrent à un sentiment général d’insécurité, et non pas à des actes concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne au Kosovo.

En date du 25 juin 2004, Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur A… …, inscrite sous le numéro 18286C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance lui ont refusé la reconnaissance… du statut de réfugié. Il fait plus particulièrement état de ce qu’en sa qualité de membre de la minorité ethnique des bochniaques résidant au Kosovo, il aurait fait l’objet d’injures de la part de ressortissants albanais, ainsi que d’agressions physiques, au sujet desquelles il aurait déposé plainte auprès de la KFOR et que celle-ci, de même que la police locale, seraient intervenues afin d’assurer sa protection. Il insiste toutefois sur le fait que malgré l’intervention de la police, les provocations de la part des Albanais à son encontre n’auraient pas cessé, de sorte qu’il aurait été forcé à rester à la maison. En conclusion, il soutient que le fait de ne pas pouvoir circuler librement dans son pays d’origine ensemble avec la considération que les forces de l’ordre actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure d’assurer sa protection effective, seraient suffisants pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il échet tout d’abord de constater que, saisies d’un recours en réformation dirigé contre une décision rendue en matière de statut de réfugié, les juridictions administratives sont appelées à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il échet encore de relever qu’en ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, et notamment de celle des bochniaques, à laquelle l’appelant déclare appartenir, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, et notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

A cet égard, il y a lieu de se référer au rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, datant du mois de janvier 2003, suivant lequel la situation de sécurité générale des bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse. Ainsi, ledit rapport ne permet pas de conclure que la situation générale des bochniaques du Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié.

La Cour est encore amenée à prendre position par rapport à un document établi par l’UNHCR en date du 13 août 2004 et portant sur la « UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo », tel que soumis à la Cour avant le rapport à l’audience, de l’accord du délégué du Gouvernement, qui se définit comme étant une mise à jour du rapport précité de l’UNHCR du mois de janvier 2003. Il se dégage dudit document tout d’abord que les membres des communautés bochniaque et goranaise n’étaient pas la cible des confrontations interethniques ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004 et que c’est essentiellement au sujet des communautés serbe, « roma », « ashkaelia » et « egyptian » que l’UNHCR émet une recommandation en vue d’obtenir en leur faveur une protection internationale dans les pays d’accueil. En ce qui concerne les membres de la communauté bochniaque, l’UNHCR maintient sa position défendue antérieurement dans son rapport de janvier 2003 suivant laquelle « the security situation for Kosovo Bosniaks (…) has remained stable, with no serious incidents of violence reported ». L’UNHCR retient toutefois un sentiment d’insécurité générale dans le chef des membres de ladite communauté ethnique, et précisant encore qu’ils ne font pas l’objet d’attaques de la part de membres d’autres communautés ethniques, à l’exception toutefois des cas dans lesquels il leur serait reproché une collaboration passée ou actuelle avec la communauté serbe, ainsi qu’en considération de leur territoire d’origine.

Il y a partant lieu de conclure sur base des rapports pré-analysés qu’un membre de la communauté bochniaque résidant au Kosovo n’est pas en tant que tel à considérer comme remplissant les conditions prévues par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les faits de persécution personnelle mis en avant par l’appelant, il échet de constater que c’est à bon droit que le tribunal a constaté que lesdits éléments de persécutions, à savoir des bagarres, disputes et insultes dont il aurait été victime de la part de ressortissants albanais, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas en l’espèce une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans son chef au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine. C’est ainsi qu’il y a lieu de confirmer les premiers juges dans leur appréciation suivant laquelle l’actuel appelant a tout au plus fait état d’un sentiment général d’insécurité, sans avoir fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Enfin, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que l’appelant n’a soumis aucun élément de nature à établir l’incapacité des autorités actuellement en place au Kosovo de lui fournir une protection efficace à l’encontre des agissements dont il a fait état, d’autant plus qu’il affirme lui-même avoir porté plainte et que tant la KFOR que les forces de police de l’UNMIK sont intervenues à plusieurs reprises pour le protéger, ainsi que les autres membres de sa famille.

Il suit de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a pu refuser la demande d’asile lui soumise par l’appelant et que le tribunal administratif a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles incriminées, de sorte que la requête d’appel n’est pas fondée et que le jugement entrepris du 24 mai 2004 est à confirmer.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 25 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 24 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18286C
Date de la décision : 14/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-10-14;18286c ?

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