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14/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18230C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 octobre 2004, 18230C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18230 C Inscrit le 14 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 mai 2004, n° 17358 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous

le numéro 18230C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 juin 2004 par ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18230 C Inscrit le 14 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 mai 2004, n° 17358 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18230C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 juin 2004 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, au nom de Monsieur … …, né le 28 avril 1980 à … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 10 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 12 novembre 2003, suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17358 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2003, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 12 novembre 2003, suite à un recours gracieux.

Par jugement rendu le 10 mai 2004, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté Monsieur … ….

Les premiers juges ont basé leur décision sur le constat que les craintes de persécutions exprimées par l’actuel appelant, et tirées des cambriolages effectués par des Albanais dans l’entreprise de construction appartenant à son père, dans laquelle il aurait travaillé et des agressions physiques dont lui-même ainsi que son père auraient été les victimes, dont les raisons seraient à rechercher au niveau de la « jalousie » que ressentiraient lesdits Albanais au vu du succès économique de ladite entreprise, se situent sur le terrain de la criminalité de droit commun, de sorte à être insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo. Le tribunal a par ailleurs constaté que lesdites craintes de persécution sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Kosovo ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro. Ils ont encore retenu d’une manière générale que l’appelant a essentiellement fait état d’un sentiment général d’insécurité sans avoir établi un état de persécution personnelle ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Enfin, les juges de première instance ont retenu que l’appelant, en sa qualité d’Albanais du Kosovo, ne leur a soumis aucun élément de nature à établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine qui se trouve être peuplé majoritairement par des Albanais.

En date du 14 juin 2004, Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur … …, inscrite sous le numéro 18230C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas fait droit à sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il fait exposer que sa famille et plus particulièrement lui-même risqueraient des menaces, des cambriolages, ainsi que des agressions de la part de ressortissants albanais qui leur reprocheraient non seulement le succès de leur entreprise de construction, mais également le fait de se fournir en matériel de construction auprès de fournisseurs situés en Serbie. Dans ce contexte, il fait état de ce que leurs locaux commerciaux auraient été cambriolés à trois reprises, à savoir au cours des mois de septembre 2002, janvier et mars 2003. Malgré le fait qu’à chaque fois sa famille aurait déposé plainte auprès des organes compétents de la KFOR et des autorités de police locales, ces plaintes seraient restées sans effet dans la mesure où les auteurs desdits actes n’auraient pas pu être trouvés par les forces de l’ordre. Afin d’étayer ses craintes de persécution, il fait encore état de plusieurs agressions violentes dont il aurait fait l’objet, la dernière de ces agressions ayant eu lieu la veille du jour de sa fuite vers l’étranger. Il fait encore exposer qu’à la suite de cette dernière agression, son père aurait reçu une lettre de menaces suivant laquelle, à défaut d’éloigner son fils du Kosovo dans les 24 heures, ce dernier serait assassiné.

L’appelant se base encore sur un rapport de l’UNHCR du 30 mars 2004 pour étayer son argumentation suivant laquelle les forces internationales actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui fournir une protection efficace contre les auteurs des actes d’agressions et de menaces dont il aurait fait l’objet. Par ailleurs, il conteste pouvoir bénéficier d’une possibilité de fuite interne, en estimant que les déplacements de personnes à l’intérieur de l’ancienne République fédérale de Yougoslavie ne pourraient pas se faire dans des conditions offrant une protection appropriée et raisonnable et que de toute façon, de tels déplacements ne constitueraient pas des alternatives efficaces aux mesures de protection internationale offertes notamment par la Convention de Genève. Il estime ainsi ne pas pouvoir bénéficier raisonnablement d’un accès à un endroit de son territoire où il pourrait bénéficier d’une protection efficace, en insistant sur le fait que ses attaches se situeraient dans sa ville d’origine de …. Enfin, l’appelant reproche au tribunal de ne pas avoir déclaré fondé son moyen tiré de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en soutenant que le ministre de la Justice aurait basé sa décision sur des considérations de fait qui ne correspondraient pas à la réalité. En effet, il fait valoir que tant le ministre que le tribunal n’auraient pas relevé le fait que dans la mesure où son père travaillait avec le pouvoir serbe dans le cadre de ses activités professionnelles, il serait considéré comme un traître aux yeux des membres de sa propre communauté ethnique, à savoir celle des Albanais du Kosovo et qu’en cette qualité, il risquerait de subir des persécutions de leur part.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont l’appelant déclare être originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, abstraction faite de ce que l’appelant déclare lui-même appartenir à la population albanaise du Kosovo, à savoir non pas à une minorité ethnique, mais au groupe majoritairement représenté au Kosovo, il échet de constater qu’il fait essentiellement état de problèmes qu’il aurait eus de la part d’autres ressortissants albanais du Kosovo en raison du succès économique de l’entreprise dans laquelle il travaillait ensemble avec son père et du fait de leurs relations commerciales avec des fournisseurs de matériaux de construction situés en Serbie, lesdits problèmes ayant eu pour conséquence des menaces, des cambriolages de leur entreprise, ainsi que des agressions de la part desdits ressortissants albanais.

Il échet toutefois de constater, en confirmant les conclusions auxquelles ont abouti les juges de première instance, que de tels faits ont trait à une criminalité de droit commun et sont en tout cas insuffisants pour établir une persécution ou pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant dans son pays d’origine.

Par ailleurs, même au cas où les faits invoqués par l’appelant lui rendent la vie difficile dans la région dont il est originaire, et où il peut y avoir des problèmes pour lui d’y résider paisiblement, il n’en reste pas moins que l’appelant reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, et plus particulièrement au Kosovo dont la grande majorité de la population appartient, comme lui, au groupe des Albanais. A ce sujet, il y a lieu de relever que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

D’une manière générale, il y a lieu de retenir que le récit de l’appelant traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il convient pour le surplus de constater que les actes et craintes mis en avant par l’appelant ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population ou plutôt de certains membres d’un tel groupe.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. S’il est vrai que l’appelant déclare avoir porté plainte devant les organes compétents de la KFOR au sujet des faits repris ci-avant, toujours est-il que le simple fait pour lesdites autorités de ne pas avoir pu identifier les auteurs des infractions en question n’est pas à lui seul suffisant pour établir leur incapacité à fournir une protection adéquate à l’appelant. En tout état de cause, le fait pour les organes compétents de la KFOR de réceptionner les plaintes par lui soumises témoigne, à défaut de preuve contraire, de leur volonté de poursuivre les infractions ayant été commises sur le territoire se trouvant sous leur autorité.

Quant au rapport de l’UNHCR du 30 mars 2004 auquel l’appelant a encore fait référence pour démontrer que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de fournir aux habitants du Kosovo une protection efficace contre les auteurs d’agressions et de menaces, il échet de constater que les informations contenues dans le rapport en question font état d’une flambée de violences ponctuelles, ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004, ayant opposé certains ressortissants albanais à certains ressortissants serbes et qu’il s’agissait d’un incident isolé. Par ailleurs, il échet de constater que les autorités internationales en place au Kosovo ont pu imposer à nouveau le calme dans cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro, de sorte qu’il ne saurait leur être reproché de ne pas être en mesure de fournir une protection adéquate aux habitants de cette région.

Enfin, en ce qui concerne le reproche de l’appelant tiré de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en raison d’un défaut de motivation ou d’une motivation erronée des décisions ministérielles incriminées, il échet de confirmer les premiers juges dans leur analyse suivant laquelle le ministre de la Justice s’est basé sur les faits lui soumis par l’actuel appelant, en énonçant plus particulièrement dans sa décision initiale que sur le territoire du Kosovo l’appelant, en sa qualité d’Albanais, ne saurait être considéré comme risquant de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, d’autant plus qu’il est en mesure de profiter d’une fuite interne dans son pays d’origine. Il s’ensuit qu’aucun reproche ne saurait être retenu ni à l’égard du ministre de la Justice ni à l’égard du tribunal administratif.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 10 mai 2004.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 14 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 10 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 7


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18230C
Date de la décision : 14/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-10-14;18230c ?

Source

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