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14/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18228C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 octobre 2004, 18228C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18228 C Inscrit le 14 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par les époux … … et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 12 mai 2004, n° 17398 du rôle)

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Vu la requête

d’appel, inscrite sous le numéro 18228C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18228 C Inscrit le 14 juin 2004

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Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par les époux … … et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 12 mai 2004, n° 17398 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18228C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 juin 2004 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de Monsieur … …, né le 11 janvier 1973 à … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame … …, née le 8 avril 1971 à …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-

…., dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 12 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 24 septembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 2 décembre 2003, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17398 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2004, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et … …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 septembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 2 décembre 2003 suite à un recours gracieux des actuels appelants.

Par jugement rendu le 12 mai 2004, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté les époux …-….

Les premiers juges ont basé leur décision sur le constat suivant lequel, même si la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celles des Goranais à laquelle déclarent appartenir les actuels appelants, reste difficile, ils sont toutefois restés en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de leur assurer une protection adéquate notamment à l’encontre des menaces qui auraient été proférées à leur encontre et des maltraitances qu’ils auraient subies. Le tribunal administratif a relevé dans ce contexte que les actuels appelants ont pu déposer des plaintes auprès de la KFOR qui aurait par ailleurs régulièrement pris de leurs nouvelles, de sorte qu’une inaction de la part de la KFOR ne saurait lui être reprochée. Enfin, les juges de première instance ont relevé que les actuels appelants ne leur ont pas soumis des éléments de nature à établir des raisons valables les empêchant de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro.

En date du 14 juin 2004, Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur … … et de Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, inscrite sous le numéro 18228C du rôle, par laquelle les parties appelantes sollicitent la réformation du premier jugement.

A l’appui de leur requête d’appel, les appelants estiment que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas fait droit à leurs conclusions tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Ils font valoir plus particulièrement qu’en leur qualité de membres de la minorité ethnique des Goranais ils auraient vécu des évènements traumatisants au Kosovo, contre lesquels les forces armées internationales auraient été dans l’impossibilité de les protéger efficacement. Ils se réfèrent encore à ce sujet à des rapports établis par Amnesty International et certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, suivant lesquels il subsisterait à l’heure actuelle au Kosovo de graves problèmes pour les membres des minorités ethniques, telle celle des Goranais.

Enfin, ils citent un rapport de l’UNHCR du 30 mars 2004, qui se rapporte plus particulièrement aux tensions ethniques ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Sur question afférente de la Cour lors des plaidoiries, le mandataire des appelants pria la Cour de procéder à une rectification matérielle de sa requête d’appel en remplaçant à la première page les noms des enfants mineurs y indiqués comme étant, à tort, ceux des époux … … par les noms de … et … …. Au vu du caractère manifeste de l’erreur matérielle ainsi commise par ledit mandataire, il y a lieu de considérer la requête comme étant également faite par les époux … … au nom de leurs enfants mineurs … et … ….

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Concernant la crainte exprimée par les appelants d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, c’est à bon droit et pour de justes motifs, après avoir procédé à un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, que les juges de première instance ont décidé que force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Cette conclusion n’est énervée ni par les informations contenues dans un rapport d’Amnesty International ni par celles contenues dans un rapport établi à titre personnel par certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la situation des minorités ethniques résidant au Kosovo, tels que soumis à la Cour par les appelants, ni encore par les informations contenues dans un rapport établi par l’UNHCR en date du 30 mars 2004 qui fait état d’une flambée de violences ponctuelles, ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004, ayant opposé certains ressortissants albanais à certains ressortissants serbes, étant donné qu’il s’agissait non seulement d’un incident isolé, mais qu’en plus, ces violences n’avaient aucune conséquence directe pour les membres de la minorité goranaise, de sorte que ces faits ne sauraient être retenus comme constituant une persécution ou comme justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef des appelants.

Il convient pour le surplus de constater que les actes et craintes mis en avant par les appelants ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population ou plutôt de certains membres d’un tel groupe.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de leur assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. Les appelants tendent en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans leur pays d’origine, mais ils n’ont soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate. Ils ont au contraire affirmé avoir été en mesure de déposer des plaintes auprès de la KFOR au sujet des problèmes qu’ils sauraient eus au Kosovo, qui a par ailleurs régulièrement pris de leurs nouvelles, de sorte qu’il ne saurait être reproché aux autorités actuellement en place au Kosovo d’être restées inactives face aux plaintes déposées par les appelants. Le fait que les forces de l’ordre n’aient pas été en mesure d’identifier les auteurs des actes dont ont été victimes les appelants n’est pas à lui seul de nature à établir un défaut de protection adéquate de la part desdites autorités.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté goranaise du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, les appelants ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

Il échet encore d’insister sur le fait que même au cas où un demandeur d’asile se voit refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, une telle décision ministérielle n’entraîne pas automatiquement son refoulement vers son pays d’origine, puisque d’autres raisons que celles pouvant justifier la reconnaissance dudit statut peuvent amener les autorités luxembourgeoises à ne pas procéder à son éloignement vers son pays d’origine tant qu’il y existe une situation d’insécurité générale telle que la vie dudit demandeur d’asile y serait gravement mise en danger.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 12 mai 2004.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

fait droit à la demande tendant à la rectification d’une erreur matérielle contenue dans la requête d’appel pour y indiquer les noms de … et … … comme enfants mineurs des appelants à la place des noms des enfants y inclus ;

reçoit la requête d’appel du 14 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 12 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18228C
Date de la décision : 14/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-10-14;18228c ?

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