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12/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18109C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 octobre 2004, 18109C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18109 C Inscrit le 26 mai 2004

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Audience publique du 12 octobre 2004 Recours formé par … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 mai 2004, n° 17289 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18

109C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 26 mai 2004 par Maître Nicola...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18109 C Inscrit le 26 mai 2004

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Audience publique du 12 octobre 2004 Recours formé par … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 mai 2004, n° 17289 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18109C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 26 mai 2004 par Maître Nicolas Decker, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier Poos, avocat, au nom de …, né le … à … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à …, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 10 mai 2004, par lequel a été déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 27 octobre 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 9 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de l’appelant au greffe de la Cour administrative le 12 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Nicolas Decker et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003, … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 27 octobre 2003 prise sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 10 mai 2004, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté ….

Les premiers juges ont justifié leur décision en constatant que la situation générale en République Démocratique du Congo, pays dont l’actuel appelant déclare être originaire, a évolué depuis l’époque de son départ, dans la mesure où la guerre y est terminée, où les forces armées des pays voisins quittent le pays et où un Gouvernement transitoire comprenant des représentants des principales forces rebelles et ayant la mission de réunifier et de pacifier le pays vient d’être mis en place. Les juges de première instance concluent de cette évolution de la situation générale règnant actuellement dans le pays d’origine de l’appelant que les éléments de persécutions invoqués par lui et ayant trait à son appartenance au groupement politique dénommé « RCD-GOMA (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) » dont l’objectif serait d’instaurer un régime démocratique au Congo et de provoquer la chute du régime du président actuel Joseph Kabila, en raison de laquelle il aurait fait l’objet de poursuites et de persécutions de la part des autorités en place dans son pays d’origine, ne sont dès lors plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans son chef, faute notamment par l’appelant d’avoir rapporté devant les premiers juges un quelconque élément tangible permettant de conclure à la persistance d’un risque de persécution à son égard dans le contexte politique actuel dans son pays d’origine. Finalement, les juges de première instance ont décidé que même à admettre que l’actuel appelant fasse toujours l’objet d’actes de persécutions dans la région de Kinshasa, il restait toutefois en défaut d’établir concrètement qu’il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans la partie du Congo contrôlée par le mouvement RCD dont il affirme faire partie.

En date du 26 mai 2004, Maître Nicolas Decker, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier Poos, avocat, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de …, inscrite sous le numéro 18109C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas retenu les motifs de persécutions invoqués par lui afin de se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 9 juin 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

En date du 12 juillet 2004, l’appelant a fait déposer un mémoire en réplique au greffe de la Cour administrative. Il y fait prendre position quant à la situation actuelle règnant au Congo, qui serait loin d’être « rassurante », en se référant à des rapports établis par Amnesty International et l’association Médecins sans frontières.

Il se dégagerait ainsi notamment des rapports en question que le Gouvernement de transition actuellement en place dans son pays d’origine n’arriverait pas à faire face aux conflits armés qui réapparaîtraient sur le territoire du Congo et qu’il serait en retard de mettre en place les réformes vitales prévues afin d’instaurer une véritable démocratie. A l’appui de son analyse de la situation règnant actuellement au Congo, il se réfère également à des pillages et à des exécutions arbitraires qui seraient perpétués sur la population civile par les forces armées congolaises. Il suivrait de toutes ces constatations que le Congo resterait toujours en défaut de garantir à ses ressortissants les libertés publiques essentielles propres à tout régime démocratique.

Ainsi, il y aurait lieu de constater qu’il existerait toujours des arrestations arbitraires de personnes ayant émis des critiques ouvertes envers la politique du pays, ce qui ressortirait notamment d’un rapport des Nations Unies du mois d’avril 2004 sur l’état des prisons au Congo, suivant lequel le droit à un procès juste et équitable n’y serait toujours pas garanti. L’appelant fait encore état d’un coup d’Etat manqué à Kinshasa en date du 10 juin 2004, de nouvelles flambées de violence ayant eu lieu récemment notamment dans la région du Nord-Est et de la rupture d’un cessez-le-

feu en date du 9 juillet 2004. Cette évolution récente dans son pays d’origine ferait craindre l’éclatement d’une nouvelle guerre civile et la reprise des combats armés, lui rendant impossible toute fuite interne dans la partie Nord-Est de son pays. En conclusion, il estime qu’il risquerait toujours de faire l’objet d’actes de persécutions dans son pays d’origine, justifiant la reconnaissance dans son chef du statut de réfugié.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En ce qui concerne la situation générale régnant actuellement en République démocratique du Congo, le pays d’origine de l’appelant, il échet de constater, à la lecture des rapports et documents soumis à la Cour par le mandataire de l’appelant, à savoir une prise de position de Amnesty International Deutschland adressée en date du 26 mai 2004 au « Bayrisches Verwaltungsgericht München », un rapport sur la détention dans les prisons et cachots de la RDC, émis au mois d’avril 2004 par les Nations Unies, Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (Monuc), des rapports de l’UNHCR du 14 avril 2004 et du 3 juin 2004 et trois communiqués de la Monuc des 5 juin, 9 et 10 juillet 2004, que la situation de sécurité générale dans ce pays est loin d’être satisfaisante et que malgré la mise en place d’un gouvernement de transition, des combats armés y persistent et le respect des droits de l’homme n’y est pas garanti dans toutes les régions du pays. Les documents en question ne contiennent toutefois aucun élément de nature à établir qu’un résident de la République démocratique du Congo risque de faire l’objet, en sa seule qualité de membre d’un groupement social, politique ou ethnique, de persécutions que ce soit par les autorités gouvernementales ou par des membres d’un autre groupement. Il est vrai toutefois que des membres de certains groupements ethniques ont dû prendre la fuite de leur région d’origine afin de se réfugier soit dans une autre partie de leur pays d’origine, soit dans des pays limitrophes, afin d’échapper à des combats ou massacres dirigés contre leurs ethnies.

En ce qui concerne la situation particulière de l’appelant qui déclare appartenir au groupement politique dénommé « RCD-Goma (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) », il échet de constater, à la lecture du rapport précité d’Amnesty International Deutschland, que ledit groupement constitue un ancien parti d’opposition armée possédant une direction militaire, qui fait actuellement partie du gouvernement de transition. Il est encore question dans le rapport de la Monuc du 9 juillet 2004 que « dans l’Est du pays il y a une partie du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie, ex-rébellion maintenant intégrée dans les institutions de transition) qui continue à fonctionner comme s’il s’agissait d’un corps séparé et qui tient à garder le contrôle du territoire ». Cette information se trouve en contradiction avec celle fournie par l’appelant dans le cadre de son mémoire en réplique, dans lequel il fait état, à bon droit, de ce que dans la région du Nord-Est de son pays d’origine, il existerait toujours des combats violents rendant impossible que le territoire en question soit intégralement sous le contrôle des forces armées congolaises, en omettant toutefois de signaler à cette occasion à la juridiction administrative que c’est en fait le groupement dont il déclare faire partie qui semble contrôler la région échappant ainsi aux forces gouvernementales.

Au-delà de cet élément de doute quant à la question de savoir pour quelle raison l’appelant ne serait pas en mesure de se réfugier justement dans cette partie du Nord-Est de son pays d’origine qui semble être contrôlée par l’organisation de rébellion dont il déclare faire partie, il échet de relever que l’appelant n’a établi en aucune mesure que l’importance de son rôle au sein du RCD-Goma serait d’une notoriété telle qu’elle l’empêcherait de trouver refuge dans le cadre d’une fuite interne dans une autre partie de son pays d’origine et d’échapper ainsi aux prétendues persécutions dont il déclare faire l’objet.

Il échet encore de relever que la crainte de persécution mise en avant par l’appelant a essentiellement sinon exclusivement trait à la découverte à son domicile, par des représentants des forces de l’ordre, d’une arme, à trois convocations qui lui auraient été adressées afin de se présenter au Parquet de Kinshasa, sans que les trois convocations en question ne fassent ressortir un quelconque élément de nature à faire croire à une persécution dont il aurait fait l’objet de la part des autorités judiciaires de son pays d’origine, ainsi qu’à un avis de recherche daté du 21 août 2002 indiquant qu’il serait poursuivi du chef de « atteinte à la sûreté de l’Etat », pièce remise en simple photocopie à l’appui de sa requête d’appel et dont l’origine n’a pas pu être expliquée par l’appelant.

Il échet de constater que ces éléments ayant trait à la situation personnelle de l’appelant dans son pays d’origine ne sont pas de nature à établir des persécutions dont l’appelant aurait fait l’objet dans son pays d’origine ou des craintes de persécutions qu’il aurait à bon droit pu y ressentir. Il échet de relever à cet égard que la seule détention d’une arme à feu, sans autorisation légale afférente, par un membre d’un groupement s’opposant de manière armée aux forces armées se trouvant sous les ordres du gouvernement officiel de la République démocratique du Congo, est susceptible d’être considérée comme une infraction de droit commun, conformément à la loi applicable dans ce pays, voire comme une atteinte à la sûreté de l’Etat, sans que cet acte ne soit à lui seul de nature à établir une persécution au sens de la Convention de Genève, en l’absence de tout autre élément apporté par l’appelant afin de soutenir son récit de manière crédible.

Enfin, en ce qui concerne le courrier adressé le 29 juin 2002 par le père …, en sa qualité de secrétaire général de l’Assemblée des Supérieurs Majeurs du Congo, adressé à l’archevêque du Luxembourg, au sujet de la situation de l’appelant au Luxembourg, il échet de constater que cette lettre se borne à faire état de la découverte au domicile de l’appelant d’une arme de guerre, qui lui aurait été confiée par la « Direction d’un mouvement de rébellion », à savoir le « RCD/Goma », de la crainte dans le chef de la direction dudit mouvement de rébellion d’être dénoncée au cas où l’appelant serait arrêté par les forces de l’ordre, ainsi que, d’une manière extrêmement vague, de la situation générale existant actuellement dans le pays d’origine de l’appelant, sans que la lettre en question ne fasse ressortir un quelconque élément de nature à justifier dans le chef de l’appelant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le tribunal administratif a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles incriminées, de sorte que la requête d’appel n’est pas fondée et que le jugement entrepris du 10 mai 2004 est à confirmer.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 26 mai 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 10 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18109C
Date de la décision : 12/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-10-12;18109c ?

Source

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