La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/03/2024 | FRANCE | N°21/01374

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 25 mars 2024, 21/01374


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 10] - tél : [XXXXXXXX01]



25 mars 2024


1re chambre civile
38E

N° RG 21/01374 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JEKO





AFFAIRE :


[Y] [C] veuve [W]


C/

Société CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE-BANQUE
[B] [X], ès qualité de liquateur amiable de la société Crédit service 16
S.A.S.U. Crédit Conseil de France






copie exécutoire délivrée

le :

à :
COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD

DÉBATS à l’audience publiqu...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 10] - tél : [XXXXXXXX01]

25 mars 2024

1re chambre civile
38E

N° RG 21/01374 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JEKO

AFFAIRE :

[Y] [C] veuve [W]

C/

Société CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE-BANQUE
[B] [X], ès qualité de liquateur amiable de la société Crédit service 16
S.A.S.U. Crédit Conseil de France

copie exécutoire délivrée

le :

à :
COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD

DÉBATS à l’audience publique du 20 novembre 2023, tenue par
David Le Mercier, juge rapporteur, sans opposition des avocats et des parties

JUGEMENT
rendu au nom du peuple français, en premier ressort, contradictoire, prononcé Dominique FERALI par sa mise à disposition au greffe le 25 mars 2024 après prorogation de la date du 22 janvier 2024 indiquée à l’issue des débats.

Jugement rédigé par David LE MERCIER.

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Madame [Y] [C] veuve [W]
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno SEVESTRE, avocat au barreau de RENNES,

ET DEFENDEURS :

Société CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE-BANQUE
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES,

Société Crédit service 16, en liquidation, représentée par Monsieur [B] [X], liquidateur amiable
[Adresse 11]
[Localité 4]
représenté par Me François MOULIERE, avocat au barreau de RENNES,

S.A.S.U. Crédit Conseil de France
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Maître Caroline DUFFIN de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocats au barreau de RENNES

Faits et procédure

Selon acte authentique dressé le 5 octobre 2017 par Me [O] [N], notaire à Angoulême (ressort du tribunal judiciaire d’Angoulême), la SA Crédit foncier et communal d’Alsace et de Lorraine-banque (ci-après la banque, dont le siège social est situé à [Localité 14], ressort du tribunal judiciaire de Strasbourg), a consenti à M. [H] [W] et à Mme [Y] [C], son épouse, demeurant à [Localité 12] (ressort du tribunal judiciaire d’Angoulême), un prêt de 110 000 euros, au taux fixe de 1,70 %, et au taux effectif global de 2,97%, remboursable par 180 mensualités de 692,77 euros.

Aux termes de l’acte, le prêt avait pour objet le rachat de plusieurs crédits, immobiliers et crédits à la consommation, pour un montant de 93 000 euros, de procurer une trésorerie de 7 890 euros et de couvrir les frais de dossier (1900 euros), de commission du correspondant financier (5 000 euros), et d’acte notarié (prise d’hypothèque, environ 2300 euros).

Les emprunteurs avaient eu recours à un intermédiaire, selon contrat d’intermédiation du 12 septembre 2017.

L’identité de l’intermédiaire de crédit est discutée dans le cadre du présent litige : la société Crédit service 16, dont le siège est situé à Linars (ressort du tribunal judiciaire d’Angoulême) et qui, depuis sa mise en liquidation amiable est représentée par son liquidateur amiable, M. [B] [X]), et/ou la société Crédit conseil de France, dont le siège social est situé à [Localité 13] (ressort du tribunal judiciaire de Rennes) et dont la société Crédit Service 16 est un franchisé.

M. [W] est décédé le [Date décès 6] 2020, sans avoir contracté d’assurance-emprunteur.

En faisant valoir que la banque et les sociétés Crédit conseil de France et Crédit service 16 avaient manqué à leurs obligations de conseil en faisant souscrire un crédit inadapté à leur situation, Mme [W] a, par actes des 17, 18 et 25 février 2021, assigné les trois sociétés devant le tribunal judiciaire de Rennes en indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 27 septembre 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Angoulême, statuant en matière de surendettement, a rééchelonné le paiement du prêt sur 313 mensualités de 300 euros, sans intérêts.

Par dernières conclusions notifiées le 28 février 2023, Mme [W] demande au tribunal de :
« Condamner le CFCAL-BANQUE, la société CREDIT SERVICE 16 et la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE, in solidum, à payer à Madame [Y] [C] veuve [W] la somme de 93.432,30 euros à titre de dommages et intérêts.
Condamner le CFCAL-BANQUE, la société CREDIT SERVICE 16 et la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE, in solidum, à payer à Madame [Y] [C] veuve [W] la somme de 5.000,00 euros en réparation de son préjudice moral.
Débouter le CFCAL-BANQUE, la société CREDIT SERVICE 16 et la société CREDIT CONSEIL DE France de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Condamner le CFCAL-BANQUE, la société CREDIT SERVICE 16 et la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE, in solidum, à payer à Madame [Y] [C] veuve [W] la somme de 5.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure civile.
Condamner le CFCAL-BANQUE, la société CREDIT SERVICE 16 et la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE, in solidum, aux entiers dépens. »

Par dernières conclusions notifiées le 7 mars 2023, la banque demande au tribunal de :
« A titre principal,
- Dire et juger que la CFCAL-BANQUE n’a commis aucun manquement à ses à l’égard de Monsieur et Madame [W] lors de l’octroi prêt du 5 octobre 20174,
- Débouter Madame [Y] [W] de toutes ses demandes fins et conclusions,
- A titre subsidiaire,
- Débouter Madame [W] de sa demande d’indemnisation, à défaut pour elle de rapporter la preuve du préjudice subi,
- A titre plus subsidiaire,
- Réduire la demande de dommages et intérêts à de plus justes proportions, compte tenu du caractère pour le moins incertain de la perte de chance,
- En tout état de cause,
- Condamner Madame [Y] [W] au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC,
- Condamner la même aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC par la SCP DEPASSE DAUGAN QUESNEL DEMAY. »

Par dernières conclusions notifiées le 7 avril 2022, la société Crédit conseil de France demande de :
« Débouter Madame [Y] [W] née [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées à l’encontre de la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE (2CF) ;
Condamner Madame [Y] [W] née [C] à payer à la société CREDIT CONSEIL DE FRANCE (2CF) la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Madame [Y] [W] née [C] aux entiers dépens. »

Par dernières conclusions notifiées le 26 octobre 2021, M. [X], ès qualités, demande au tribunal de :
« Débouter Madame [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner Madame [W] à verser à Monsieur [B] [X] pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société CREDIT SERVICE 16 la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC et à supporter la charge des dépens ».

Le 6 avril 2023 ont été ordonnés la clôture de l'instruction et le renvoi de l'affaire devant le tribunal à l'audience de plaidoiries, fixée par la suite au 20 novembre 2023

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leurs moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

Motifs

1. Sur la responsabilité de l’intermédiaire de banque

1.1. Sur le débiteur de l’obligation de conseil

Mme [W] agit tant contre la société Crédit conseil de France que contre la société Crédit service 16, en faisant valoir que les documents contractuels ont entretenu une confusion la conduisant à penser que son cocontractant était la société Crédit conseil de France, dont la société Crédit service 16 ne serait qu’un représentant local.

La société Crédit conseil de France conclut au débouté en faisant valoir qu’il n’y avait pas d’ambiguité sur l’identité du cocontractant des emprunteurs.

S’il est exact que la mention de « franchisé » n’apparaît qu’au niveau du timbre humide apposé à chaque signature de l’intermédiaire et que la fiche générale d’information du client mentionne que les réclamations sont à adresser à « Crédit conseil de France SAS - service client à [Localité 13] », circonstance sur laquelle le franchiseur ne s’explique pas, le reste des documents contractuels explicite suffisamment l’identité de la société Crédit service 16 comme cocontractant indépendant, notamment la page « présentation de l’agence » qui en détaille l’identité, son statut d’intermédiaire en opérations bancaires et services de paiement et de titulaire de mandats délivrés par des établissements financiers.
Il s’en déduit que n’est pas caractérisée une confusion telle que Mme [W] a pu légitimement penser que son cocontractant était la société Crédit conseil de France et non la société Crédit service 16.

Les demandes dirigées contre la société Crédit conseil de France sont donc rejetées.

1.2. Sur le manquement contractuel reproché à la société Crédit service 16

Vu les articles L.519-4-1 et R.519-22 du code monétaire et financier :

Selon le premier de ces textes :
« Les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement doivent se comporter d’une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle en tenant compte des droits et des intérêts des clients, y compris des clients potentiels.

Les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement sont tenus au respect de règles de bonne conduite fixées par décret en Conseil d’Etat en fonction de la nature de l’activité qu’ils exercent. Ces règles prévoient notamment les obligations à l’égard de leurs clients pour leur bonne information et le respect de leurs intérêts. »

Selon le deuxième :
« L’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement présente au client, y compris au client potentiel, les caractéristiques essentielles du service, de l’opération ou du contrat proposé.
Lorsque le contrat porte sur une opération de crédit, il doit en outre appeler l’attention du client, y compris du client potentiel, sur les conséquences que la souscription du contrat pourrait avoir sur sa situation financière et, le cas échéant, sur les biens remis en garantie. »

Au visa de ces textes, Mme [W] soutient que la société Crédit service 16 a engagé sa responsabilité contractuelle en lui proposant un regroupement total de crédit, ce qui maximisait sa propre commission calculée sur un pourcentage du montant emprunté, alors qu’un simple regroupement des trois crédits à la consommation était plus adapté et évitait un engagement de 15 ans inapproprié pour des emprunteurs âgés de 72 et 63 ans, ce d’autant qu’aucune assurance n’était souscrite, à la différence du précédent crédit immobilier.

La société Crédit service 16 répond que :
- elle a permis aux emprunteurs de faire passer leur taux d’endettement de 40,93% à 23,61% (la charge mensuelle totale passant de 1201 euros à 692,77 euros, hors assurance), et d’obtenir une trésorerie supplémentaire de 7 890 euros, ce qui répondait à leur objectif,
- un rachat de crédit concernant uniquement les crédits renouvelables n’était pas une possibilité viable pour les banques,
- les emprunteurs se sont vus proposer une assurance Mutlog (couvrant le dècès à 70% de M. [W]) à laquelle ils n’ont pas donné suite, le prêt notarié mentionnant qu’ils n’ont pas souhaité adhérer au contrat groupe de la banque et qu’ils reconnaissent que le contrat de prêt n’est pas couvert par une assurance décès, avec la possibilité de souscrire une assurance auprès d’un autre assureur.

Le crédit souscrit a permis de regrouper :
- un crédit immobilier Crédit mutuel de 67 376 euros (échéance de 777 euros, taux de 3,80%, 108 mensualités restantes de 777 euros),
- un crédit immobilier 0% Crédit mutuel de 12 036 euros (72 mensualités de 56 euros),
- un crédit renouvelable Crédit mutuel de 2 855 euros (taux 18,82%, 31 mensualités de 115 euros),
- un crédit renouvelable Sofinco de 3 555 euros (taux de 12,91%, 55 mensualités de 108 euros),
- un crédit renouvelable Sofinco de 5 915 euros (taux de 13,12%, 54 mensualités de 145 euros).

Mme [W], qui ne conteste pas que le regroupement de crédits avait pour objet de permettre aux emprunteurs de disposer d’un reste à vivre plus important et d’une réserve de trésorerie, objectifs atteints par le prêt litigieux, ne rapporte pas la preuve qu’ils auraient pu obtenir un regroupement limité aux crédits renouvelables, alors que les seuls prêts immobiliers représentaient un taux d’endettement de 28% (mensualité totale de 833 euros).

Elle ne s’explique pas sur le fait qu’ils n’ont pas adhéré à la proposition d’assurance Mutlog (soit environ 100 euros par mois, ce qui aurait conduit à un taux d’endettement de 27%) soumise par l’intermédiaire, et elle ne peut prétendre qu’elle n’était pas suffisamment avertie des conséquences d’une absence d’assurance décès, qui sont évidentes, le notaire ayant encore rappelé cette absence d’assurance dans l’acte notarié. Il résulte de la simulation Mutlog que les couvertures d’assurance décès avaient été retenues à 70% pour Monsieur (dont les revenus étaient de 2 167 euros) et à 30% pour Madame (revenus de 767 euros), ce qui est conforme à l’effort financier que devrait assumer le conjoint survivant.

Le choix de ne pas souscrire d’assurance décès apparaît ainsi assumé, ce afin de disposer d’un maximum de reste à vivre.

La preuve d’un manquement de l’intermédiaire de banque à une obligation d’information ou de conseil n’est donc pas rapportée et les demandes dirigées contre la société Crédit service 16 sont rejetées.

2. Sur la responsabilité de la banque

Au visa de l’article 1231-1 du code civil (situé dans le dispositif des conclusions et non dans la discussion), Mme [W] fait valoir que la banque a manqué à son obligation d’éclairer « l’assuré »sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, en ne l’informant pas des conséquences d’une absence d’assurance décès.

Dès lors que les emprunteurs n’ont pas souscrit d’assurance groupe, il ne peut être reproché à la banque de leur avoir fait souscrire une assurance inadaptée à leur situation personnelle.

Sous couvert d’un manquement à l’obligation d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation de l’assurance groupe qu’il propose (cf. Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267), Mme [W] soutient en réalité qu’il incomberait au prêteur d’informer le prêteur sur les risques d’un défaut d’assurance.

Or, au-delà du fait qu’une telle obligation ne résulte d’aucun texte, en l’espèce l’offre de crédit et l’acte notarié mentionnent que les emprunteurs reconnaissent que le prêt n’est couvert par aucune assurance décès, que les emprunteurs peuvent en souscrire, et que des démarches ont été faites en ce sens auprès de Mutlog.

Aucun manquement contractuel de la banque n’est donc caractérisé. La demande dirigée contre elle est ainsi également rejetée.

3. Sur les frais d'instance

En application de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [W] est condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du même code, les demandes sont rejetées.

En application de l’article 699 du même code, il n’y a pas lieu d’accorder un droit de recouvrement direct à l’avocat de la banque, lequel n’allègue pas avoir avancé certains dépens sans recevoir provision.

En application de l'article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Dispositif

Le tribunal :

Rejette l’ensemble des prétentions de Mme [W] ;

La condamne aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01374
Date de la décision : 25/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-25;21.01374 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award