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18/03/2024 | FRANCE | N°20/02636

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 18 mars 2024, 20/02636


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01]




18 Mars 2024


1re chambre civile
59B

N° RG 20/02636 - N° Portalis DBYC-W-B7E-IXIL





AFFAIRE :


[O] [U]
[X] [H] épouse [U]


C/

GAEC DE BOURDON
[E] [U]
[T] [G] épouse [U]
[C] [K] veuve [U]
Association CER FRANCE BROCELIANDE






copie exécutoire délivrée

le :

à :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
A

SSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD

DÉBATS à l’audience publique du 20 Novembre 2023
David LE MERCIER, juge rapporteur, tenant seul...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01]

18 Mars 2024

1re chambre civile
59B

N° RG 20/02636 - N° Portalis DBYC-W-B7E-IXIL

AFFAIRE :

[O] [U]
[X] [H] épouse [U]

C/

GAEC DE BOURDON
[E] [U]
[T] [G] épouse [U]
[C] [K] veuve [U]
Association CER FRANCE BROCELIANDE

copie exécutoire délivrée

le :

à :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD

DÉBATS à l’audience publique du 20 Novembre 2023
David LE MERCIER, juge rapporteur, tenant seul l’audience sans opposition des avocats et des parties,

JUGEMENT
rendu au nom du peuple français,
en premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame [F] [I] ,
par sa mise à disposition au greffe le 18 Mars 2024
après prorogation du délibéré intialement annoncé au 22 Janvier 2024

Jugement rédigé par David LE MERCIER

DEMANDEURS :

Monsieur [O] [U]
et
Madame [X] [H] épouse [U]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Maître Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant

DEFENDEURS :

G.A.E.C. DE BOURDON
RCS Rennes 347 444 325

Monsieur [E] [U]

Madame [T] [G] épouse [U]

Madame [C] [K] veuve [U]
tous domiciliés
[Adresse 8]
[Localité 2]
et représentés par Me Guillaume BROUILLET de la SCP AVOCATS LIBERTÉ, avocat au barreau de RENNES,

Association CER FRANCE BROCELIANDE
Siret 777 734 039
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, barreau de RENNES,
Faits et procédure

M. [O] [U], Mme [X] [U], son épouse (les époux [U]), et M. [E] [U] ont été associés au sein du Gaec du Bourdon (le Gaec).

Les relations entre les associés se dégradant à compter de 2012, ils ont convenu, selon un « protocole d’accord » du 10 octobre 2014, de la cession des 6 600 parts sociales des époux [U] à M. [E] [U], au prix de 25 euros par part sociale (soit un total de 165 000 euros) et de la créance de compte courant d’associés des époux [U], pour son montant arrêté à la date du retrait, et ce par versement d’une somme de 255 000 euros au jour de l’acte de cession (comprenant donc 90 000 euros au titre du compte courant d’associés) et du versement du solde (soit environ 70 000 euros à préciser selon l’arrêté des comptes) avec un différé de cinq ans avec intérêt annuel de 4%.

Mme [C] [U], mère de [E] et d’[O], s’est portée caution solidaire des engagements du premier à hauteur de 20 000 euros. Une hypothèque à hauteur de 70 000 euros a été prévue sur des terres de M. [E] [U] et a été constituée par acte authentique du 15 décembre 2015.
Selon ce protocole, le compte courant associé des époux [U] était crédité de 160 504 euros, suivant le dernier arrêté comptable connu au 10 mars 2014.

Le Gaec ayant été placé en redressement judiciaire par jugement en date du 10 mars 2014 du tribunal de grande instance de Rennes, ce dernier a autorisé la cession en application de l'article L. 631-10 du code de commerce, par jugement du 1er décembre 2014.

Par acte du 6 août 2015, la SCP Isabelle Goïc, mandataire judiciaire, a assigné les époux [U] devant le même tribunal, en nullité de paiements réalisés par le Gaec au profit de ceux-ci, au titre du remboursement de leurs comptes courant d’associés.

Par jugement du 12 octobre 2015, le tribunal y a fait droit et condamné chacun des époux [U] à payer respectivement au Gaec les sommes de 18 186,05 euros et de 19 815,62 euros.

Le 14 septembre 2015, le tribunal a homologué le plan de redressement pour une durée de 14 ans, la SCP Isabelle Goïc étant désignée commissaire à l’exécution du plan.

Par actes des 28 et 29 septembre 2016, les époux [U] ont assigné le Gaec, M. [E] [U], Mme [T] [U], son épouse, devenue associée du Gaec, la SCP Isabelle Goïc ès qualités et l’association CER France en référé-expertise afin d’arrêter les comptes entre les parties, suite à des contestations sur la situation établie par le CER France au 19 décembre 2014, date de la cession.

Désigné par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Rennes en date du 15 décembre 2016, l’expert judiciaire [J] [Y] a rendu son rapport le 18 décembre 2019.

L’expert a proposé quatre hypothèses de solde de compte courant d’associés au 19 décembre 2014, la première tenant compte de corrections d’incohérences (64 681,76 euros), la 2ème y ajoutant la remise en cause d’un rattrapage de fermages (61 071,14 euros), la 3ème ajoutant à la 1ère la remise en cause d’honoraires d’avocat (69 115,10 euros), la 4ème ajoutant à la 1ère la remise en cause du rattrapage de fermage et des honoraires d’avocats ( 65 504,48 euros). Ces montants tiennent compte de la réintégration des sommes de 18 186,05 euros et de 19 815,62 euros dont le tribunal avait déclaré nul le paiement.

Par actes des 11 et 13 mars et 18 mai 2020, les époux [U] ont assigné le Gaec, M. et Mmes [E], [T] et [C] [U] (les consorts [U]), le CER France et la SCP David Goïc devenue SAS David Goïc et associés, « mandataire judicaire », devant le tribunal judiciaire de Rennes, pour obtenir la condamnation de M. [E] [U] à leur verser la somme de 80 797,87 euros, sous astreinte.

Par ordonnance du 3 septembre 2020, le juge de la mise en état a constaté le désistement d’instance des époux [U] à l’égard de la société David Goïc.

Par dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2022, les époux [U] demandent au tribunal de :
« - HOMOLOGUER le rapport de Monsieur [J] [Y] en date du 18 décembre 2019,
- JUGER que la décision à intervenir sera commune et opposable au CER FRANCE Ille-et-Vilaine et à Madame [T] [U],
- CONDAMNER Monsieur [E] [U] à verser à Monsieur et Madame [O] [U] la somme de 80 797,87 €, outre intérêts calculés au taux de 3,13 % (taux d’intérêts légal) à compter du jugement à intervenir, taux qui sera majoré de 5 points à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du jour où la décision sera devenue exécutoire conformément à l’article L313-3 du code monétaire et financier, sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- CONDAMNER Madame [C] [U], en tant que caution personne, à garantir Monsieur [E] de cette condamnation à hauteur de 20.000 €, sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- DEBOUTER M. [E] [U], Mme [T] [U], Mme [C] [U], le GAEC DE BOURDON et le CERFRANCE 35 de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- CONDAMNER Monsieur [E] [U] à verser aux époux [O] [U] une somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER Monsieur [E] [U] aux entiers dépens, qui comprendront notamment l'intégralité des frais d'expertise, soit pour ces frais la somme de 24.744 €. »

Par dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2022, le Gaec et les consorts [U] demandent au tribunal de :
« A titre principal,
DEBOUTER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
DECLARER inopposable la créance de compte courant détenue par Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] au GAEC DE BOURDON, faute de déclaration de créance au passif du redressement judiciaire,
A titre reconventionnel
CONDAMNER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à payer à Monsieur [E] [U] la somme de 90.000 € à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance de percevoir des dividendes du plan de redressement du GAEC DE BOURDON,
A titre subsidiaire sur ce point uniquement,
CONDAMNER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à payer à Monsieur [E] [U] la somme de 45.000 € à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance de percevoir les sept premiers dividendes du plan de redressement du GAEC DE BOURDON,
ORDONNER la radiation de l’hypothèque consentie conventionnellement par Monsieur [E] [U] sur ses biens personnels au profit de Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] en garantie de la créance de compte courant d’associé,
DECHARGER Madame [C] [U] de son engagement de caution au profit de Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à hauteur de 20.000 €,
ORDONNER la nullité des règlements de fermage réalisés en juin 2014 et août 2014
CONDAMNER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à payer au GAEC DE BOUDRON la somme de 9.388 € au titre desdites irrégularités,
A titre subsidiaire,
FIXER le montant du compte courant d’associé de Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à la somme de 61.071,14 €, conformément à l’hypothèse 2 retenue par l’expert judiciaire,
DECLARER inopposable la créance de compte courant détenue par Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] au GAEC DE BOURDON, faute de déclaration de créance au passif du redressement judiciaire,
DEBOUTER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] de toutes leurs demandes, fins, et prétentions à l’encontre de Monsieur [E] [U], faute de lien de droit entre les parties,
En tout état de cause,
CONDAMNER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à payer à Monsieur [E] [U] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNER Monsieur [O] [U] et Madame [X] [H] à payer à Madame [T] [U], Madame [C] [U] et le GAEC DE BOURDON la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER les mêmes aux entiers dépens d’instance, en ce compris les dépens de l’expertise judiciaire ».

Par dernières conclusions notifiées le 9 février 2021, l'association CER France demande au tribunal de :
« Dire sans objet l’appel en déclaration de jugement commun du CER FRANCE BROCELIANDE par Madame [X] [U] et par Monsieur [O] [U],
Prononcer la mise hors de cause du CER FRANCE BROCELIANDE,

Condamner in solidum Madame [X] [U] et Monsieur [O] [U] à verser au CER FRANCE BROCELIANDE une indemnité de 2.000,00 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure civile,
Condamner in solidum Madame [X] [U] et Monsieur [O] [U] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile, aux offres de droit, par la SCP DEPASSE – DAUGAN – QUESNEL – DEMAY. »

Le 12 janvier 2023 ont été ordonnées la clôture de l'instruction et le renvoi de l'affaire devant le tribunal à l'audience de plaidoiries, fixée par la suite au 20 novembre 2023.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leurs moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

Motifs

Sur la « mise hors de cause » de l’association CER France

L’association CER France, qui a établi les comptes du Gaec jusqu’en 2020, demande au tribunal de dire sans objet son appel en déclaration de jugement commun et donc de prononcer sa mise hors de cause.

Les époux [U] ne répliquent pas à cette demande qui, sous couvert de mise hors de cause, relève d’un irrecevabilité pour défaut d’intérêt ou de qualité à agir en jugement commun, irrecevabilité qu’il appartenait au CER France d’articuler devant le juge de la mise en état, en application de l’article 789 du code de procédure civile, et ce avant le jugement sur le principal. En effet, même si le tribunal devait prononcer la mise hors de cause lors de son jugement sur le principal, ce jugement serait de toute façon commun au CER. Au surplus, le CER qui a établi les comptes qui ont fait l’objet de contestations, n’explicite pas en quoi les demandeurs étaient dépourvus de tout intérêt à l’attraire en jugement commun dans une instance tendant à trancher les contestations relatives à ces comptes.

Cette demande de « mise hors de cause » est donc elle-même irrecevable et le jugement sera nécessairement commun au CER France.

Sur la demande principale à l’encontre de M. [E] [U]

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016,

Pour réclamer à M. [E] [U] la somme de 80 797,87 euros, les époux [U] se fondent sur l’hypothèse n°3 de l’expert judiciaire, caractérisée par un solde de compte courant d’associés de 69 115,10 euros et des intérêts au taux de 4% de 11 682,77 euros.

Pour faire écarter cette prétention, M. [E] [U] fait valoir que :
- les époux [U] n’ont pas déclaré leur créance au passif du Gaec, si bien qu’une créance sans droit d’action serait inopposable au cessionnaire ;
- la cession de créance n’a pas eu lieu puisque, aux termes du protocole, les époux [U] ne devaient y procéder qu’à l’issue de l’arrêté des comptes, qui n’a jamais eu lieu, une expertise judiciaire étant nécessaire ; les époux [U] ne pourraient donc plus céder une créance qu’ils n’ont pas déclarée ;
- les dispositions de l’article 1690 du code civil n’auraient pas été respectées, à savoir l’existence d’un écrit et d’une notification au tiers cédé.

Les époux [U] répliquent que :
- la créance non déclarée au passif n’est pas pour autant éteinte mais uniquement inopposable au débiteur pendant l’exécution du plan et après cette exécution complète, en application des dispositions des articles L. 622-26 et L. 631-14 du code de commerce,
- la créance a été cédée le jour du retrait peu important que son montant n’en ait été définitivement fixé qu’ultérieurement.

Sur l’existence de la cession

Il n’est pas contesté que la créance non déclarée n’est pas éteinte mais uniquement inopposable au débiteur dans les conditions sus-rappelés.

Il résulte du rapport d’expertise et de ses annexes qu’au passif du bilan du Gaec au 30 juin 2014, l’ensemble des comptes courants d’associés était créditeur de 291 177 euros, ce dont il se déduit que M. [E] [U] disposait également d’un compte courant d’associé créditeur d’environ 130 000 euros (celui des époux [U] étant créditeur d’environ 160 000 euros).

M. [U] n’allègue pas avoir déclaré sa propre créance au passif du Gaec. Il ne figure d’ailleurs pas parmi les créanciers bénéficiant des répartitions (cf annexe 6 page 6 du rapport). Il s’ensuit que M. [U] n’apparaît pas avoir déclaré sa propre créance de compte courant d’associé.

Le protocole a été conclu à une date où tant le délai de déclaration de créances (deux mois) que celui de relevé de forclusion (six mois) prévus par l’article L. 622-26 du code de commerce étaient expirés.

A la date du protocole, M. [E] [U], gérant du Gaec, en contact tant avec les avocats que le mandataire judiciaire, était nécessairement avisé de l’absence de déclaration de créances pour les deux comptes courant d’associé, dont le sien, ce dont il se déduit qu’en stipulant malgré tout la cession de créance, il n’a pas entendu faire d’une telle déclaration une condition de la dite cession et a pu valablement accepter une créance grevée de l’inopposabilité sus-rappelée.

Les associés ont en effet pu omettre de déclarer leurs créances afin d’assurer la pérennité du Gaec en rendant viable un plan de continuation, les créances de comptes d’associés, qui ne sont pas privilégiées, étant de toute façon menacées en cas de liquidation judiciaire.

M. [E] [U] ne peut donc reprocher aux époux [U] l’absence de déclaration de créance pour faire obstacle à cette cession.

Par ailleurs, il se déduit du protocole (ses articles 4 et 5) que les parties ont bien entendu que la cession ait lieu à la date du retrait des associés et non à la date à laquelle le montant définitif du compte courant serait définitivement établi, date qui pourrait être incertaine en cas de litige, alors que les intérêts sur le solde sont à verser tous les ans pendant cinq ans à compter de la date du retrait des cédants.

La cession de créance a été prévue par le protocole si bien que le moyen tiré d’un défaut d’écrit manque en fait. Il est au surplus inopérant puisque l’article 1690 du code civil invoqué par les défendeurs n’exige pas d’écrit. Par ailleurs, ce même article ne subordonne pas la validité de la cession de créance à sa signification au débiteur. Encore au surplus, au-delà du fait que le protocole a pour parties l’ensemble des gérants du Gaec, ce dernier s’est suffisamment vu signifier la cession de créance à l’occasion du jugement du 12 octobre 2015, qui a autorisé la cession de parts sociales.

Le fait que la cession de créance ait lieu à la date du retrait du 19 décembre 2014 où à la date du présent jugement, qui tranche les contestations relatives au montant du compte courant associé, ne change, au surplus, rien au principe de la cession, auquel l’absence de déclaration de créance au passif du Gaec ne fait pas obstacle.

Sur le montant du compte courant d’associés

Les défendeurs demandent au tribunal de retenir la deuxième hypothèse proposée par l’expert judiciaire, qui exclut des revalorisations de fermages mais maintient des honoraires d’avocat.

Il y a lieu de retenir l’hypothèse 4, intermédiaire entre les deux hypothèses privilégiées par les parties.

En effet, les époux [U] ne démontrent pas que le rattrapage des fermages en 2014 pour les années 2010, 2011 et 2012 résulte d’une convention avec le Gaec .
Concernant les factures d’honoraires de Me [D] à hauteur de 7 204 euros, leur libellé, tel que rappelé par l’expert judiciaire, permet de constater qu’elles concernent la rédaction du protocole d’accord entre les époux [U] et M. [E] [U]. Si ce protocole a été utile à la pérennité du Gaec, il s’agit néanmoins de prestations d’assistance ayant directement bénéficié à M. [E] [U].

Il y a donc lieu de retenir que le solde du compte courant d’associés au 19 décembre 2014 était de 65 504,48 euros.

Les intérêts calculés par l’expert sur cette somme sont de 10 848,94 euros.

Il y a donc lieu de condamner M. [E] [U] à verser aux époux [U] la somme totale de
76 343,62 euros.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit le 11 mars 2020, en application de l’article 1153 du code civil, dans sa version pré-ordonnance de 2016.

En application de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, une astreinte n'est pas nécessaire pour assurer l'exécution de cette décision de condamnation pécuniaire.

Sur la demande à l’égard de la caution

Vu les articles 2288 et 2298 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2021-1192 du 15 septembre 2021,

En demandant improprement la condamnation de la caution à garantir M. [E] [U] de la condamnation principale, les époux [U] entendent manifestement obtenir la condamnation solidaire de la caution à leur verser la somme de 20 000 euros, limite de son engagement.

Pour s’y opposer, Mme [C] [U] invoque l’article 2314 du code civil, dans sa version sus-mentionnée, en soutenant que les époux [U] lui ont fait perdre le bénéfice de subrogation en ne déclarant pas leur créance de compte d’associés.

Les époux [U] répliquent à juste titre que Mme [C] [U] ne garantit pas la dette du Gaec, mais celle de M. [E] [U], débiteur du prix de la cession de créance, si bien que le moyen tiré du défaut de déclaration de créance au passif du Gaec, est inopérant.

Il y a donc lieu de condamner Mme [U] à verser aux époux [U] la somme de 20 000 euros, au titre de son engagement de caution solidaire, étant évident que les époux [U] ne peuvent cumuler le paiement de la dette principale et le paiement de l’obligation de la caution.

Sur les demandes reconventionnelles

Sur la demande indemnitaire à hauteur de 90 000 euros

Au visa de l’article 1149, devenu 1231-2, du code civil, M. [E] [U] demande la condamnation des époux [U] à lui verser des dommages et intérêts à hauteur du montant de 90 000 euros qu’il a versé en décembre 2014 au titre du paiement partiel du prix de la cession de créance.
Il fait valoir qu’en ne déclarant pas la créance, les époux [U] lui ont fait perdre une chance de percevoir des dividendes.

Ceux-ci répliquent que :
- il n’avait qu’à déclarer sa créance de 90 000 euros sitôt le prix partiel payé, si besoin après relevé de forclusion,
- il n’est pas certain que la créance aurait été admise,
- il est possible que le créancier aurait alors consenti à une réduction de sa créance.

Il a déjà été relevé que la cession est intervenue à une date où les délais de déclaration et de relevé de forclusion étaient expirés et les époux [U] n’étayent d’aucune démonstration sérieuse leur allégation selon laquelle la déclaration aurait pu être faite par M. [E] [U]. Ils n’expliquent pas plus pourquoi la créance n’aurait pas été admise partiellement à hauteur de 90 000 euros.

Néanmoins, et comme déjà relevé, M. [E] [U] ne pouvait pas ignorer à la date du protocole que les créances de compte d’associés n’avaient pas été déclarées.

Par ailleurs, alors que le plan a été validé sur une durée de 14 ans, sans inclure, au vu des éléments produits aux débats, les créances pourtant importantes de comptes d’associés (290 000 euros), M. [E] [U] ne rapporte pas la preuve qu’un plan aurait pu être adopté si ces créances avaient dû être intégrés.

La preuve d’un préjudice de perte de chance imputable aux époux [U] n’est pas rapportée. La demande reconventionnelle indemnitaire est donc rejetée.

Une demande subsidiaire à ce titre, à hauteur de 45 000 euros, est formulée dans l’hypothèse où la déclaration de créance aurait été déclarée par les demandeurs.
Cette condition n’étant pas remplie, cette demande est également rejetée.

Sur la demande de radiation de l’inscription hypothécaire

Vu les articles 2442 et 2443 du code civil,

La demande de radiation se fonde sur le postulat, écarté ci-dessus, que M. [E] [U] n’est pas tenu du prix de la cession de créance.

Elle est donc rejetée.

Sur le remboursement de fermages indûment perçus

Au visa de l’article L. 622-7 du code de commerce, le Gaec demande au tribunal judiciaire, ne statuant pourtant pas en tant que tribunal de la procédure collective au sens des articles L. 621-2 et R. 662-3 du code de commerce, d’ordonner la nullité de réglements de fermage en juin 2014 et août 2014 et de condamner les époux [U] à payer au Gaec la somme de 9 388 euros.
Ils font valoir que ces règlements correspondent à une révision des fermages des années 2010 à 2012, à l’instar des fermages évoqués ci-dessus, et sont donc des créances antérieures.

Pour s’y opposer, les époux [U] ne développent dans la discussion de leurs conclusions qu’une fin de non-recevoir tirée de la prescription triennale prévue par le même article.

Le Gaec réplique que l’expertise a suspendu la prescription jusqu’au dépôt du rapport, qu’il restait donc près d’un an à courir après ce dépôt et que l’assignation du 13 mars 2020 a été délivré dans ce délai.

Les époux [U] répondent que le délai pour agir a été interrompu jusqu’à la date de l’ordonnance de référé du 15 décembre 2016 et que l’action en nullité devait être formée avant le 16 décembre 2019, sans répondre sur le moyen de la suspension.

Le tribunal relève que les époux [U] n’apparaissent saisir le tribunal d’aucune fin de non-recevoir dans le dispositif de leurs conclusions, puisqu’il n’y est question que de « débouter », autrement dit de rejeter la prétention comme mal fondée. Or en application de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Pour autant, dans la mesure où les parties ont bien conclu sur cette fin de non-recevoir sans que le Gaec ne fasse relever que le dispositif ne comporte pas de prétention à l’irrecevabilité, le tribunal retient qu’il y a lieu d’interpréter la prétention au « débouté » comme une prétention à l’irrecevabilité, improprement formulée.

Cette prétention est irrecevable en application de l’article 789 du même code puisqu’elle aurait dû être soumise au juge de la mise en état.

Mais là encore, le Gaec ayant répliqué sur le fond de la fin de non-recevoir sans opposer cette irrecevabilité, le tribunal n’entend pas la relever d’office, ce afin de mettre un terme à la contestation, car le tribunal pourrait alors également relever que l’action en nullité aurait dû être soumise au tribunal de la procédure collective (comme en octobre 2015) et non au tribunal judiciaire en formation de droit commun, et ce en présence du mandataire judiciaire ou du commissaire à l’exécution du plan.

S’agissant de la prescription, il est rappelé que l’interruption prévue par l’article 2241 du code civil et la suspension prévue par l’article 2239 du même code, ne bénéficient qu’au demandeur (cf 2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi n° 17-12.611 BICC, 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011 BICC)

Il n’est pas allégué, et il ne ressort pas de l’ordonnance de référé, que le Gaec est le demandeur à l’expertise. Le fait que les défendeurs « acceptent » la désignation d’un expert ou qu’ils « ne s’opposent pas » à cette désignation n’en font pas des demandeurs à l’expertise, dont les frais ont d’ailleurs été mis intégralement à la charge des époux [U].

La demande reconventionnelle en nullité de paiement des fermages n’a par ailleurs été formée que par conclusions du 13 octobre 2020.

Il s’ensuit que le délai triennal de prescription, qui a couru au plus tard en septembre 2014, ce point n’étant pas litigieux pour les parties, n’a été ni interrompu, ni suspendu au bénéfice du Gaec, si bien que la demande formée le 13 octobre 2020 est prescrite.

Pour ce seul motif, il y a lieu de déclarer la demande en nullité irrecevable, ainsi que la demande de restitution qui en est l’accessoire.

Sur les frais d’instance

En application de l’article 696 du code de procédure civile, le Gaec et M. [U] sont condamnés in solidum aux dépens de l’instance.

Le tribunal n’étant pas mis en mesure de comprendre quelles étaient les contestations qui ont conduit à la demande de référé-expertise, il n’y a pas lieu de revenir sur ce qui a été décidé par le juge des référés.

En application de l’article 700 du même code, le Gaec et M. [U] sont condamnés in solidum à verser aux époux [U] la somme de 6 000 euros.

Le surplus des demandes à ce titre est rejeté.

En application de l’article 514 du même code, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Dispositif

Le tribunal :

Déclare irrecevable la demande de « mise hors de cause » du CER France ;

Condamne M. [E] [U] à verser à M. et Mme [O] et [X] [U] la somme totale de
76 343,62 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2020, au titre du solde de la créance de compte courant d’associés ;

Condamne Mme [C] [U] à verser aux époux [U] la somme de 20 000 euros, au titre de son engagement de caution solidaire pour la condamnation précédente ;

Rejette la demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Rejette la demande de radiation d’inscription hypothécaire ;

Déclare irrecevable, pour cause de prescription, la demande d’annulation de paiement de fermages en juin et août 2014 pour 9 388 euros et la demande en restitution ;

Condamne in solidum le Gaec de Bourdon et M. [E] [U] aux dépens de l’instance, qui ne comprennent pas ceux de l’instance en référé ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à verser à M. et Mme [O] et [X] [U] la somme de 6 000 euros ;

Rejette le surplus des demandes.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/02636
Date de la décision : 18/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-18;20.02636 ?
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