TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
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9ème chambre 3ème section
N° RG 23/02582 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZBKK
N° MINUTE : 1
Assignation du :
14 Février 2023
JUGEMENT
rendu le 19 Avril 2024
DEMANDERESSE
S.A. BNP PARIBAS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Corinne LASNIER BEROSE de L’ASSOCIATION LASNIER-BEROSE et GUILHEM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0239
DÉFENDEUR
Monsieur [M] [R]
chez Maître Maude HUPIN
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Maude HUPIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0625
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
Monsieur MALFRE, Vice-président
Monsieur BERTAUX, Juge
assistés de Claudia CHRISTOPHE, Greffière, lors des débats et de Chloé DOS SANTOS, Greffière, lors de la mise à disposition.
Décision du 19 Avril 2024
9ème chambre - 3ème section
N° RG 23/02582 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZBKK
DÉBATS
A l’audience de plaidoirie du 16 Février 2024 tenue en audience publique devant Hadrien BERTAUX, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
rendu publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Par contrats des 31 août et 12 décembre 2016, la société BNP Paribas (ci-après la BNP) a octroyé à la société Flodigarry deux prêts d’un montant respectif de 220 000,00 et de 25 000,00 euros.
M. [M] [R] s’est porté caution de ces deux prêts à hauteur de 253 000,00 et 28 750,00 euros.
Par lettres recommandées avec accusé de réception des 30 octobre 2019 et suite à la dissolution de la société Flodigarry, la BNP a prononcé l’exigibilité immédiate des sommes restantes dues à hauteur de 125 071,98 et 10 990,55 euros.
Par lettres recommandées avec accusé de réception du même jour, la BNP a mis M. [R] en demeure d’avoir à lui payer lesdites sommes en exécution de son engagement de caution.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 juin 2022, la société MCS a de nouveau mis en demeure M. [R] d’avoir à payer lesdites sommes.
Par acte du 14 février 2023, la société BNP Paribas a fait assigner M. [R] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir le paiement de ces sommes.
Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 29 janvier 2024, la société BNP Paribas demande au tribunal, à titre principal et au visa des articles 1344, 1231-6, 1343-2 “nouveaux” et 2288 du code civil, de :
“JUGER la BNP PARIBAS recevable et bien fondée en ses demandes ;
Juger Monsieur [R] irrecevable en sa défense à défaut de justifier de sa nouvelle adresse;
Débouter Monsieur [R] de toutes ses demandes mal fondées;
CONDAMNER Monsieur [M] [R] à payer la BNP PARIBAS, en sa qualité de caution au titre des prêts souscrits parla SELARL FLODIGARRY, les sommes suivantes :
- 126 851,39 euros, outre intérêts au taux légal sur la somme en principal de 120 835,22 euros, au titre du prêt de 220 000 euros, à compter du 14 novembre 2023, date d'arrêté de compte;
- 10 673,14 euros, outre intérêts au taux légal sur la somme en principal de 10 166,95 euros, au titre du prêt de 25 000 euros, à compter du 14 novembre 2023, date d'arrêté de compte;
ORDONNER la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an.
CONDAMNER le défendeur à payer à la BNP PARIBAS la somme de 4000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
DIRE qu'il n'y a pas lieu à écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir, en application de l'article 515 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Monsieur [R] aux entiers dépens, en application de l'article 696 du Code de Procédure Civile”.
Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 janvier 2024, M. [R] demande au tribunal, au visa des articles L.313-22 du code monétaire et financier et L.314-17 du code de la consommation, de :
“- DECLARER Monsieur [M] [R] bien fondé en ses demandes, fins et conclusions, et y faire droit,
- DEBOUTER BNP PARIBAS de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A TITRE PRINCIPAL
- JUGER l’engagement de caution nul et de nul effet,
A TITRE SUBSIDIAIRE
- PRONONCER la déchéance des intérêts,
- DECHARGER Monsieur [R] de ses engagements de caution totalement disproportionnés,
Sur la demande de délais de paiement
- Autoriser Monsieur [R] à apurer son éventuelle dette restant due à l’issue d’un délai de 24 mois ;
- Dire et Juger que les sommes ainsi reportées porteront intérêt au taux légal non majoré, à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société BNP PARIBAS au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER la société BNP PARIBAS aux entiers dépens”.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières écritures.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 02 février 2024, l’affaire appelée à l’audience du 16 février et mise en délibéré au 19 avril.
MOTIFS DE LA DECISION
Il sera rappelé, à titre liminaire, qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de “juger” qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d’entraîner des conséquences juridiques au sens de l’article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions, et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
Par ailleurs, il résulte d’une lecture combinée des articles 59 et 122 du code de procédure civile, d’une part, que le défendeur doit, à peine d'être déclaré, même d'office, irrecevable en sa défense, faire connaître, s'il s'agit d'une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance et, d’autre part, que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste ne présentant pas un caractère limitatif.
Il en résulte que la sanction prévue à l’article 59 susvisé constitue en l’irrecevabilité de la défense, celle-ci n’étant pas soumise à la démonstration d’un grief, et s’analyse ainsi en une fin de non-recevoir relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile, laquelle devait être soulevée par voie d’incident.
En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la BNP est irrecevable.
Sur les demandes principales
- Concernant le devoir de mise en garde de la banque à l’égard de la caution
Aux termes de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce, devenu 1231-1, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Il est constant, d’une part, que la banque dispensatrice de crédit est tenue, lors de l’octroi d’un prêt à un emprunteur non averti, d’une obligation de mise en garde à raison des capacités financières de ce dernier et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt et, d’autre part, que ce principe est également applicable à la caution, si son propre engagement de caution n’est pas adapté à ses capacités financières ou, alternativement, s’il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt, qui s’analyse compte tenu du risque de défaillance caractérisé du débiteur principal.
Le préjudice consécutif au manquement d'un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l'égard d'une caution consiste dans la perte de la chance d'éviter, en ne se rendant pas caution, le risque qu'on lui demande de payer la dette garantie.
Ainsi, pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d'éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de l'emprunteur ne dispense pas la caution d'établir l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
En l’espèce, les moyens de fait développés par M. [R], relatifs notamment à la disproportion de son engagement, sont inopérants pour démontrer un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, celui-ci ne rapportant en outre pas la preuve de l’inadaptation des prêts aux capacités financière de l’emprunteur.
En conséquence, le moyen sera écarté.
- Concernant la disproportion de l’engagement de caution
Aux termes de l’article 2290 du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce, le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses. Il peut être contracté pour une partie de la dette seulement, et sous des conditions moins onéreuses. Le cautionnement qui excède la dette, ou qui est contracté sous des conditions plus onéreuses, n'est point nul : il est seulement réductible à la mesure de l'obligation principale.
Il ressort de l’article L.341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation, qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation, ces dispositions étant, d’une part, applicables à tout cautionnement conclu postérieurement à son entrée en vigueur par une personne physique envers un créancier professionnel et impliquant, d’autre part, que la sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de cet engagement ; il en résulte que cette sanction, qui n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice, ne s'apprécie pas à la mesure de la disproportion.
En l’espèce, il convient de relever, d’une part, qu’une seule fiche de renseignements, datée du 26 novembre 2016, est produite par la BNP, laquelle ne mentionne pas au titre des charges, bien que postérieure, le premier engagement de caution de M. [R] et, d’autre part, que ce dernier y indique être marié, le couple disposant d’environ 260 643,00 euros de revenus annuels pour des charges à hauteur de 53 820,00 euros, soit un taux d’endettement de 19,17%, étant toutefois observé que M. [R] a mentionné assumer la charge de quatre prêts, dont un crédit immobilier de 525 000,00 euros, son épargne étant estimée à 250 000,00 euros et l’ensemble de son patrimoine immobilier étant grevé de trois crédits dont les sommes restantes dues s’élèvent respectivement à 514 000, 215 000 et 165 000 euros (ces deux derniers montants ne figurant pas au titre des charges mais étant clairement renseignés dans la fiche).
Il en découle qu’au vu de ces seuls éléments, qu’outre le défaut de production d’une fiche de renseignement pour chaque engagement de caution, ceux-ci étaient manifestement disproportionnés au regard des biens et revenus de M. [R].
En conséquence, les demandes en paiement de la BNP Paribas seront rejetées.
Sur les autres demandes
La BNP Paribas, partie succombant à la présente instance, sera condamnée aux dépens.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de M. [R] les frais irrépétibles non compris dans les dépens, de sorte que la BNP sera condamnée à lui payer une somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, et en premier ressort,
DECLARE la société BNP Paribas irrecevable en sa fin de non-recevoir ;
DEBOUTE la société BNP Paribas de ses demandes en paiement ;
CONDAMNE la société BNP Paribas à payer à M. [M] [R] une somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE la société BNP Paribas aux dépens ;
Fait et jugé à Paris le 19 Avril 2024
Le GreffierLe Président