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23/05/2024 | FRANCE | N°23/01330

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 23 mai 2024, 23/01330


N° RG 23/01330 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XL7T
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE







96D

N° RG 23/01330 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XL7T

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[J] [U], [V] [U], [I] [U], [M] [U], [G] [U], [E] [Y] [U]

C/

Agent Judiciaire de l’Etat







Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL KPDB INTER-BARREAUX
Me Marilou SEVAL



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 23 MAI 2024

COMPOSITION DU TR

IBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Hassn...

N° RG 23/01330 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XL7T
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

96D

N° RG 23/01330 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XL7T

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[J] [U], [V] [U], [I] [U], [M] [U], [G] [U], [E] [Y] [U]

C/

Agent Judiciaire de l’Etat

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL KPDB INTER-BARREAUX
Me Marilou SEVAL

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 23 MAI 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 11 Avril 2024 conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Ollivier JOULIN, magistrat chargée du rapport, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte dans son délibéré.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDEURS :

Monsieur [J] [U]
né le 30 Octobre 1974 à TUNISIE (99)
de nationalité Tunisienne
50 rue du Canal
69000 VILLEURBANNE

représenté par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Madame [V] [U]
née le 02 Septembre 1954 à KSAR HELAL (TUNISIE) (99)
de nationalité Tunisienne
105 rue de Tunis Ben Arous
TUNISIE

N° RG 23/01330 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XL7T

représentée par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Monsieur [I] [U]
né le 28 Janvier 1976 à TUNIS (TUNISIE) (99)
de nationalité Tunisienne
5973 des Cardinaux Laval Quebec H7L 5N7
CANADA

représenté par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Madame [M] [U]
née le 22 Mars 1980 à TUNIS (TUNISIE) (99)
de nationalité Tunisienne
4099 Tehlya Cité Akik Ryad 13515-7566
ARABIE SAOUDITE

représentée par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Monsieur [G] [U]
né le 08 Août 1983 à TUNIS (TUNISIE) (99)
de nationalité Tunisienne
Al Jazzera Headquarter Doha PO Box 23127
QATAR

représenté par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Madame [E] [Y] [U]
née le 31 Juillet 1988 à TUNISIE (99)
de nationalité Tunisienne
50 rue du Canal
69000 VILLEURBANNE

représentée par Me Marilou SEVAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DEFENDERESSE :

Agent Judiciaire de l’Etat
Direction des affaires juridiques du ministère des finances
Bâtiment condorcet Teledoc 353 6 rue Louise Weiss
75703 PARIS

représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocats au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Z] [U] est décédée des suites de violents coups portés par Monsieur [P] [K] [R] le 20 septembre 2014 lequel a été condamné par arrêt de la Cour d’Assises de la CHARENTE le 28 février 2018 à 15 années de réclusion criminelle, ainsi qu’au paiement de dommages intérêts aux membres de sa famille, parties civiles.

Monsieur [R] a formé appel mais s’en est désisté le 21 mars 2019, une semaine avant la session.

Les consorts [U] ont saisi la commission d’indemnisation des victimes le 29 août 2019 laquelle par décision du 25 août 2021 les a déclaré irrecevables en raison de la forclusion.

Les consort [U] estiment que jusqu’au 21 mars, date du désistement de l’accusé, sa condamnation n’était pas définitive, de sorte qu’ils étaient dans l’impossibilité de recouvrer l’indemnisation qui leur a été allouée, le désistement les a privé du droit de saisir la CIVI dans l’année suivant la décision définitive rendue.

***

Au terme de leurs dernières conclusions déposées le 13 décembre 2023 Monsieur [U] [J], Madame [U] [V], , Monsieur [U] [I], Madame [U] [M], Monsieur [U] [G] et Madame [Y] épouse [U] [E] sollicitent de voir:

Constater la faute lourde

En conséquence :

Dire et juger que le fonctionnement défectueux du service public de la justice a causé un grave préjudice à chacun des requérants, ouvrant droit à réparation.

Condamner l’Etat Français, représenté par l’Agent Judiciaire de l’Etat, à payer :

- A Monsieur [J] [U]
o la somme de 13.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privé de son indemnisation

- A Madame [V] [U]
o la somme de 15.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privée de son indemnisation

- A Monsieur [I] [U]
o la somme de 10.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privé de son indemnisation

- A Madame [M] [U]
o la somme de 10.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privée de son indemnisation

- A Monsieur [G] [U]
o la somme de 10.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privé de son indemnisation

- A Madame [E] [U]
o la somme de 5.000 Euros allouée par la Cour d’assises de la CHARENTE et non indemnisé, en réparation de son préjudice moral
o la somme de 5.000,00 Euros en réparation du préjudice moral lié au fait d’avoir été privée de son indemnisation

Condamner l’Etat Français, représenté par l’Agent Judiciaire de l’Etat, à payer à Mesdames [E], [M], [V] [U] et à Messieurs [G], [I] et [J] [U] la somme de 6.000,00 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner l’Etat Français, représenté par l’Agent Judiciaire de l’Etat, aux entiers dépens de l'instance ;

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Ils précisent que leur demande est recevable puisqu’elle est dirigée contre l’agent judiciaire du Trésor public, représentant l’État tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux de la justice.

Les consorts [U] considèrent que si la décision a été rendue définitive par le désistement de l’accusé, l’arrêt initial n’était pas devenu définitif avant ce désistement, le point de départ du délai de forclusion à prendre en compte étant la date de l’ordonnance du président de la Cour d’Assises statuant sur le désistement le 21 mars 2019.

En effet c’est bien ce caractère définitif, visé par l’article 706-15-2 du Code de procédure pénale, qui définit et identifie le point de départ du délai de forclusion.

En déclarant irrecevable leur action pourtant exercée dans l’année suivant le désistement d’appel de l’accusé, auquel ils ne pouvaient s’attendre, la CIVI a annihilé leur droit à recours et leur droit effectif à indemnisation.

Cette erreur inexcusable entraîne une responsabilité de l’État pour inaptitude de la Justice à remplir sa mission. Elle génère un préjudice lié à la non prise en compte des dommages-intérêts chiffrés par la Cour d’Assises, mais aussi par le fonctionnement défectueux de la justice qui leur a opposé à tort une irrecevabilité, ce qui constitue une erreur inexcusable., génératrice d’un préjudice complémentaire qu’ils chiffrent à 5.000 € chacun.

***

L’Agent Judiciaire de l’État par conclusions déposées le 6 juin 2023 s’oppose à la demande ainsi formulée.

Il rappelle qu’en application de l’article 706-5 du Code de procédure pénale “A peine de forclusion, la demande d’indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ; lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive ; lorsque l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 est condamné à verser des dommages-intérêts, le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction en application de l'article 706-15. Toutefois la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans le délai requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime”

Or, en l’espèce, les victimes pouvaient saisir la CIVI avant même que la décision de la Cour d’Assises ne soit définitive, ils pouvaient demander à être relevés de la forclusion et pouvaient en outre faire appel de la décision, ils pouvaient enfin saisir le SARVI.

La responsabilité de l’État n’est engagée qu’en cas de faute lourde, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, si le demandeurs soutiennent que son appréciation sur la forclusion est erronée, il leur appartenait de faire appel, une erreur de droit ne constituant pas une faute lourde lorsqu’elle n’est pas inexcusable.

Ainsi, le justiciable, qui recherche la responsabilité de l’État au titre du fonctionnement défectueux de la justice, doit avoir usé des voies de recours ouvertes, et ne peut, sauf exceptions, critiquer une décision de justice.

Il rappelle que la décision de la Cour d’Assises sur l’action civile rendu le 28 février 2018 par la cour d’assises de la Charente indiquait aux parties civiles qu’aux termes des articles 706-5 et 706-15 du code de procédure pénale, elles pouvaient saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions et que ledit arrêt faisait courir le délai d’un an dans lequel la demande devait être présentée.

Les demandeurs pouvaient parfaitement saisir la CIVI avant le 28 février 2019, ils n’ont pas demandé à être relevé de la forclusion.

Ils ne démontrent pas un dysfonctionnement du service public et n’établissent pas de lien de causalité entre leur préjudice résultat de l’infraction et la procédure suivie devant la CIVI qui est exempte de vices.

Aucun élément ne vient en outre justifier de l’étendue de ce préjudice.

DISCUSSION

Selon l’article L 141-2 du Code de l’organisation judiciaire, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Il en est habituellement déduit que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.

L’arrêt civil qui a été notifié aux parties civiles précise qu’elles peuvent saisir la CIVI et que cet arrêt fait courir le délai d’un an dans lequel la demande doit être présentée (en l’espèce jusqu’au 28 février 2018).

Néanmoins Monsieur [R] ayant formé appel, la décision sus visée n’était pas définitive jusqu’à ce que le condamné se désiste de son appel ce qui a été constaté par ordonnance du président de la Cour d’Assise en date du 21 mars 2019.

Ainsi, le délai d’un an n’a commencé à courir qu’à compter du jour où le président de la Cour d’Assises , dernière juridiction saisie par l’appel de l’accusé, a épuisé sa compétence par suite de la constatation du désistement d’appel dûment constaté.

Ainsi, c’est par une erreur de droit que la Commission a considéré que la décision définitive était intervenue le 28 février 2018 et a refusé de relever les demandeurs de la forclusion, considérant que le délai pour saisir la CIVI expirait le 28 février 2019.

Cependant, il est en général jugé que l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où les voies de recours n’ont pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.

Dans sa rédaction applicable depuis le 4 juillet 2020, l’article 706-5 du Code de procédure pénale disposait qu’à peine de forclusion, la demande d’indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ; lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive ; lorsque l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 est condamné à verser des dommages-intérêts, le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction en application de l'article 706-15 . Toutefois la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans le délai requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime

Or, en l’espèce, les requérants disposaient de la faculté de demander à être relevés d’une éventuelle forclusion, la décision de la CIVI mentionne à ce titre que s’ils ont contesté la forclusion, ils n’ont présenté aucun argument en faveur d’un relevé de forclusion alors qu’ils étaient assistés d’un conseil pendant la procédure. En s’abstenant de solliciter un tel relevé de forclusion, les demandeurs ont privé la CIVI de statuer en ce sens.

D’autre part ils n’ont pas interjeté appel de la décision de la CIVI alors qu’ils disposaient d’une voie de recours à l’encontre de cette décision qu’ils critiquent, cette critique devait être portée légitimement devant la juridiction de second degré compétente pour en faire l’analyse, elle n’est pas de la compétence de la juridiction statuant sur l’éventuelle responsabilité de l’État en raison d’une faute lourde ou d’un déni de justice.

Ainsi, les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours (demande de relevé de forclusion, appel de la décision de la CIVI) et cette absence de diligences ne leur permet plus sous couvert d’un fonctionnement prétendument défectueux du service public de solliciter réparation du préjudice subi, du fait de l’accusé, à l’État.

Il ne peut en conséquence être fait droit à la demande visant à constater une faute lourde ou un déni de justice.

Les consorts [U] seront donc déboutés de leurs demandes.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort.

DÉBOUTE les consorts [U] de leurs demandes.

LES CONDAMNE aux entiers dépens.

La présente décision est signée par Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/01330
Date de la décision : 23/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-23;23.01330 ?
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