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23/05/2024 | FRANCE | N°21/02147

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 23 mai 2024, 21/02147


N° RG 21/02147 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJNP
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

PARTAGE NOTAIRE





28Z

N° RG 21/02147 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJNP

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[O] [I]

C/

[M] [S] veuve [I]



Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL B.G.A.
Me Cécile BOULE


Copie délivrée
au
Président de la chambre départementale des Notaires de la Gironde (par courriel)
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 23 MAI

2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des...

N° RG 21/02147 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJNP
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

PARTAGE NOTAIRE

28Z

N° RG 21/02147 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJNP

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[O] [I]

C/

[M] [S] veuve [I]

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL B.G.A.
Me Cécile BOULE

Copie délivrée
au
Président de la chambre départementale des Notaires de la Gironde (par courriel)
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 23 MAI 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 04 Avril 2024 conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Ollivier JOULIN, magistrat chargée du rapport, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte dans son délibéré.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDEUR :

Monsieur [O] [I]
né le 12 Mars 1980 à Bordeaux (33000)
de nationalité Française
17 rue des Trois Journées
34200 SETE

représenté par Me Cécile BOULE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant

DEFENDERESSE :

Madame [M] [S] veuve [I]
de nationalité Française
30 rue Notre-Dame
33000 BORDEAUX
N° RG 21/02147 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJNP

représentée par Maître Bertrand GABORIAU de la SELARL B.G.A., avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [R] [V] [I] est décédé à BORDEAUX le 7 juillet 2017, il a laissé pour recueillir sa succession :
- son conjoint survivant Madame [M] [S] née le 13 octobre 1954 avec laquelle il s’était uni le 3 juillet 2009 sous le régime de la séparation de biens
- son fils unique [O] [I]

Monsieur [I] avait établi le 20 novembre 2010 un testament olographe, fait à Bordeaux, dans lequel il instituait pour légataires universels, à concurrence de moitié chacun, son fils, Monsieur [O] [I] et son épouse, Madame [M] [S], épouse [I].

Le 28 juin 2017 il disposait cependant révoquer la disposition contenue dans ses précédents testaments aux termes de laquelle, à la mort de son épouse, les biens toujours présents de son héritage dans le patrimoine seraient dévolus à son fils, et, à défaut, aux héritiers de ce dernier et léguer la pleine propriété du 122 rue Camille Godard à son épouse et non à son fils [O] [I].

Il était constaté que deux virements chacun de 100.000 € avait été effectué d’un compte indivis des époux et du compte professionnel de Monsieur [I] vers le compte personnel de Madame [I], la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie au profit de Madame [G], associée était modifiée au profit de l’épouse.

Monsieur [O] [I] a saisi le juge des référés pour qu’une expertise permettent d’apprécier de l’état de conscience de Monsieur [R] [I] au moment de ces actes soit évaluée.

L’expert conclu le 21 juillet 2020 : « Au moment de la signature (du codicille), Monsieur [R] [I] était en fin de vie. Les données présentées montrent clairement la présence d’une encéphalopathie hépatique du fait de l’évolution de sa maladie. Son traitement antalgique avait des conséquences possibles également sur son état de vigilance et sur sa cognition ».

« Il apparaît peu probable que Monsieur [I] possédât à ce moment-là toutes ses capacités intellectuelles pour effectuer un tel acte en pleine conscience ».

Monsieur [O] [I] contestant sur ce fondement la validité du codicille et soutenant que Madame [S] s’était rendue coupable de recel successoral, a fait assigner cette dernière.

Aucune conciliation n’a pu intervenir entre les parties.

***

Au terme de ses dernières conclusions, Monsieur [O] [I] sollicite de voir :

A TITRE LIMINAIRE

• ORDONNER l’ouverture judiciaire de la liquidation-partage de la succession de Monsieur [R] [I]

• DONNER ACTE à Monsieur [O] [I] de la proposition formulée par lui au sens de l’article 1360 du Code de Procédure Civile

• DESIGNER tel notaire qu’il plaira pour y procéder

A TITRE PRINCIPAL

• DIRE que Madame [S] a commis un recel successoral sur l’ensemble des biens de Monsieur [R] [I], et ce y compris :
o sur le véhicule de marquet BENTLEY,
o la somme de 200.000 euros versée sur son compte personnel,
o les 50 parts en pleine propriété de la SNC Isabelle dont le siège social est au 122 rue Camille Godard à Bordeaux, immatriculée au RCS Bordeaux sous le numéro SIREN 497728634
o les 50 parts sociales en pleine propriété de la SCI BILOBA dont le siège social est 11 avenue de Chavailles, bâtiment G, 33520 Bruges et immatriculée au RCS Bordeaux sous le numéro 534060694,
o les meubles meublants les différents biens immobiliers propriété de M. [I], de la SNC Isabelle et de la SCI BILOBA.
• JUGER que Madame [S] a accepté purement et simplement la succession à concurrence de l’actif net

• DIRE que Madame [S] ne pourra prétendre à aucune part des biens et droits détournés par elle, et notamment et en l’espèce les sommes de 200.000€, le véhicule Bentley, l’immeuble de la rue Camille Godard à Bordeaux, les parts de la SNC Isabelle, les 50 parts de la SCI BILOBA propriété de [R] [I], les meubles meublants l’immeuble de la rue Camille GODARD et la SNC Isabelle.

EN TOUTES HYPOTHÈSES

• PRONONCER la nullité du codicille du 28 juin 2017 opérant modifications des dispositions testamentaires de Monsieur [I] et des deux virements du 29 juin 2017 ;

• PRONONCER la nullité de la donation des 50 parts sociales de la SNC ISABELLE intervenue entre M. [R] [I] et Madame [S] ;


• PRONONCER la nullité de la cession des 50 parts sociales de la SCI BILOBA intervenue entre Monsieur [R] [I] et Madame [S] ;

• DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
• CONDAMNER Madame [S] à verser à Monsieur [O] [I] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

• CONDAMNER Madame [M] [S] veuve [I] aux entiers dépens des instances de référé et de fond, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire.

Au soutien de sa demande il précise que sa demande s’inscrit dans le cadre général de liquidation des opérations de succession de son père et qu’il a été impossible de parvenir à un partage amiable, le notaire ayant fait un état des actifs des biens meubles et immeubles rattachés à cette succession, sans obtenir un accord sur le partage.

Il précise qu’il sollicite de conserver l’immeuble du 122 rue Godard à BORDEAUX, Madame [S] conservant les autres immeubles à charge de verser une soulte, ou ces immeubles étant mis en vente pour procéder à la liquidation, les autres actifs peuvent être partagés par moitié.

Il note que dans le projet d’état liquidatif dressé par le Notaire de Madame [S] est omis la SCI ISABELLE dont il indique que son père était le gérant jusqu’au 22 juin 2017 et titulaire de 50 parts Madame [S] disposant de 40 parts et la société [I] et associés de 10 parts, or il est indiqué que par décision unanime des associés du 22 juin 2017 enregistré au greffe le 21 juillet 2017, Monsieur [I] aurait fait donation de ses parts à son épouse, cet acte lui apparaît dès lors suspect.

Il en est de même pour une société SCI BILOBA dont Monsieur [R] [I] aurait cédé ses 50 parts à son épouse en nue-propriété le 22 juin 2017, deux semaines avant son décès et donc dans des conditions également suspectes.

Il considère que la dissimulation de ces biens constitue un recel.

Il en est de même pour la dissimulation de virements effectués le 29 juin 2017 du compte joint des époux et du compte professionnel de son père pour un total de 200.000 €. Ce dernier virement constituant en outre un abus de biens sociaux que son père - expert comptable - n’aurait jamais pu ordonner.

Il invoque les conclusions de l’expert qui excluent toute clairvoyance au moment de ces opérations. Il considère que les explications de Madame [S] sur une prétendue dette auprès de son père ou sur un ajustement des comptes entre les époux ne sont pas convaincantes.

En ce qui concerne le véhicule BENTLEY, il observe que Madame [S] a d’abord soutenu qu’elle n’en était pas en possession, avant de le reconnaître invoquant - sans en justifier - un don - ainsi après le fait de l’avoir sciemment omis à l’actif de la succession constitue un recel.

Il souligne, en ce qui concerne l’immeuble rue [T] [P] que son père a tours désiré lui transmettre et éviter qu’il ne passe dans la famille de Madame [S] avec laquelle il entretenait de mauvais rapports, le codicille fait en sa défaveur est en rupture avec cette intention constamment manifestée, les opérations de recel ont été réalisée avant le décès, de manière à rompre avec les règles du partage et dans l’intention de s’approprier l’essentiel du patrimoine du défunt, l’épouse passant de légataire à concurrence de moitié (testament du 20 novembre 2010) à celle de propriétaire d’une part bien plus importante.

Il soutient que les deux témoins qui ont attesté de leur présence lors de la rédaction du codicille n’ont fait aucun commentaires sur l’état de lucidité de ce dernier, ce que n’a pas manqué de relever l’expert. Ces témoins fort opportunément convoqués par leur amie Madame [S] apparaissent de pure complaisance.

Il contextualise la situation de son père avec lequel il a toujours eu des rapports affectueux, tandis que ce dernier aurait soupçonné son épouse de lui être infidèle, il produit divers témoignages de frères et soeurs de son père.

Il conclut que le recel successoral permet d’exclure Madame [S] de tous droits sur :

Les deux virements de 100.000 euros réalisés à son profit et tirés, d’une part, du compte
joint des époux et, d’autre part, des comptes de la SARL [I] et associés
- Le véhicule de marque BENTLEY
- L’immeuble de la rue Camille Godard à Bordeaux.
- Les meubles meublants, les œuvres d’art et les vins composant la cave à vin.
- Les 50 parts en pleine propriété de la SNC Isabelle.
- Les 50 parts sociales en pleine propriété de la SCI BILOBA

Subsidiairement il invoque la nullité du codicille et des virements pour un total de 200.000 € effectués au stade terminal d’une maladie qui, à ce stade affectait son état neurologique et neuropsychologique, altérait sa vigilance et sa cognition, avec encéphalopathie hépatique, flapping et confusion.

Il précise avoir visité son père le 3 juillet 2017 et avoir constaté que celui-ci était incapable de parler en raison de l’importante dégradation de son état de santé.

***

Madame [M] [S] veuve [I] par ses dernières conclusions déposées le 14 décembre 2023 sollicite de voir :

A T I T R E P R I N C I P AL

Déclarer Monsieur [I] irrecevable en sa demande de partage judiciaire

Le Déclarer irrecevable en raison d’un défaut de qualité pour agir.

Le condamner au paiement de la somme de 6.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A T I T R E S U B S I D I A I R E

Le débouter de toutes ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Elle précise que son époux avec lequel les liens étaient solides et réciproques a entendu protéger son épouse en organisant sa succession au moment où il a pris conscience de l’issue fatale certaine et à court terme, le codicille a été rédigé en présence de deux infirmiers, il a également modifié la clause bénéficiaire de son contrat d’assurance-vie (objet d’une instance distincte avec la bénéficiaire initiale, Madame [G]), et ce en raison des rapports très distendus qu’il entretenait avec son fils.

Elle souligne que le Docteur [X] a conclu que Monsieur [R] [I] était en pleine possession de ses moyens jusqu’au 30 juin 2017 et qu’après cette date s’il y a eu des fluctuations de son état de vigilance il ne présentait aucune altération de la sphère cognitive jusqu’à son décès.

Elle estime que les conclusions de l’expert judiciaire sont en contradiction avec tous les éléments rapportés par l’environnement du défunt qui souligne une clairvoyance hors norme et un maintien des capacités cognitives au moins jusqu’au 30 juin 2017. Elle note que celui-ci s’est contenté de présenter une analyse théorique sur la base de données médicales générales alors même qu’aucune évaluation psychométrique, encéphalographique, amoniemie ou IRM encéphalique n’avaient été prescrites en raison de l’absence d’interrogation sur les capacités du sujet à ce stade de la maladie, l’expert a tiré de simples conjectures une remise en cause des témoignages émanant d’infirmiers attachés au service du patient. Elle invoque le certificat du professeur [W] qui suivait le patient et note que les troubles de conscience sont apparus à partir du 30 juin 2017 seulement. Deux amis médecins ont attesté en même sens, de même que ses amis M°[A] [B] et
M° [U] qui lui ont rendu visite le 29 juin 2017 qui l’ont trouvé parfaitement conscient et avec une pensée parfaitement exprimée.

Elle estime en conséquence que la preuve de l’altération des facultés mentales au moment de la rédaction de l’acte n’est nullement rapportée.

Elle souligne que son mari n’a nullement entendu spolier son fils, le codicille apporte comme novation aux dispositions précédentes de lui donner la pleine propriété d’un appartement, au lieu du simple usufruit, pleine propriété qui est contrebalancée par une perte de 270.000 € correspondant aux travaux à sa charge pour rendre cet immeuble habitable, de sorte que Monsieur [O] [I] ne subit aucun préjudice.

Elle procède à quelques développements au sujet d’un autre litige l’opposant à Madame [G], au sujet d’une assurance-vie contractée par son époux. Elle précise que sa désignation comme bénéficiaire devait seulement lui permettre de faire les travaux nécessaires pour rendre habitable le bien immobilier donné par ailleurs.

Tous ces actes sont parfaitement cohérents.

Elle estime que les demandes au titre de recels sont irrecevables en l’absence de demande en ouverture judiciaire des opérations de partage, la formulation ultérieure en ajustement de cause ne comporte du reste aucune proposition de répartition de parts et est irrecevable à son sens en application de l’article 1360 du Code de procédure civile.

Elle conteste au surplus tout recel, l’avenant du 28 juin 2017 n’a jamais été dissimulé, le virement émanant de la société SARL [I] a été fait sur instruction du défunt, de même que le virement issu du compte joint et ce à titre de remboursement de sommes qu’elle avait personnellement déposée sur le compte joint ou sur le compte de la SNC ISABELLE ou encore que son mari avait prélevé sur ses comptes épargne -elle précise que ces opérations ont été validées par l’associée de son mari, Madame [G].

Pour ce qui concerne le véhicule BENTLEY, d’une valeur de 30.000 € elle invoque le présent d’usage dont elle affirme n’avoir jamais caché la possession.

Pour ce qui concerne l’immeuble de la rue Camille GODARD elle estime que les dispositions testamentaires parfaitement valides excluent tout recel.
Pour ce qui concerne la SNC ISABELLE elle observe qu’elle est clairement indiquée dans le projet de partage établi par Maître [N] de sorte qu’il n’existe aucune dissimulation.

La cession de la société BILOBA a été régulièrement enregistrée le 27 juin 2017, cette société était endettée et il n’y a en la matière aucune dissimulation d’actif successoral.

Au total elle considère que les demandes de Monsieur [O] [I] sont mal fondées.

DISCUSSION

Selon l’article 1360 du Code de procédure civile à peine d'irrecevabilité, l'assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable.

Il est en général jugé que l’omission, dans l'assignation en partage, de tout ou partie des mentions prévues à l'art. 1360 est sanctionnée par une fin de non-recevoir, susceptible d'être régularisée, de sorte que, en application de l'art. 126, l'irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, ce dont il se déduit que l'appréciation de la situation ne dépend pas du seul examen de l'assignation.

Monsieur [O] [I] précise dans ses dernières conclusions qu’il a tenté de procéder à un partage amiable à la suite de l’acte de nodosité dressé le 29 décembre 2017, que cette voie s’est avérée impossible dès lors que les parties étaient en désaccord sur la valeur et l’application du codicille et sur l’actif successoral en raison de mouvement intervenus sur le patrimoine dans un temps proche du décès. Il mentionne l’ensemble des éléments de l’actif successoral et forme une proposition de partage, il précise l’absence de possibilité de discuter entre héritiers en raison en particulier de leur désaccord sur les dispositions testamentaires à appliquer.

Le moyen tiré de l’irrecevabilité peut donc être écarté en application de l’article 126 du Code de procédure civile dès lors que les dernières conclusions satisfont aux exigences de l’article 1360 du Code civil.

En ce qui concerne le codicille du 28 juin 2018

Ce codicille vient modifier les dispositions testamentaires antérieures au terme desquelles Monsieur [R] [I] instituait légataire universel, chacun pour moitié son fils et son épouse, à laquelle il était légué en particulier l’usufruit d’un immeuble situé rue Camille Godard à Bordeaux, avec clause de retour après décès de l’épouse à son fils.

Le codicille rédigé devant deux témoins confirme ces dispositions à l’exception de la clause de retour, d’une part et en léguant à sa femme la pleine propriété de l’immeuble rue Camille GODARD au lieu de son simple usufruit :

Je soussigné [R] [I] confirme mes dispositions contenues dans mon testament à l’exception de la clause signifiant qu’en cas de décès de Mme [S] épouse [I], ce qui restera des biens légués reviendra à son fils [O] ou à ses représentants que j’annule purement et simplement. Je donne purement et simplement la pleine propriété du 122 rue Charles Godard à mon épouse Mme [I] née [S] et non à mon fils [O].

La question du discernement de Monsieur [I] a conduit le juge des référés a ordonner une expertise confiée au Docteur [Z], neurologue;

L’expert conclut qu’il apparaît peu probable que Monsieur [I] posséda [au moment de la rédaction de l’acte] toutes ses capacités intellectuelles pour effectuer un tel acte en pleine conscience.

L’expert détaille in fine de son rapport le processus de dégradation rapide lié à l’évolution de la maladie qui induit selon une littérature médicale détaillée des troubles cognitifs subtils et fluctuants lesquels ne sont décelés que par des tests psychométriques.

Ces tests n’ayant pas été effectués en l’absence de notion d’un problème juridique, l’expert s’est trouvé dans l’obligation de déduire d’un faisceau d’éléments le processus, sachant que le lendemain de la rédaction du codicille il était mentionné “dégradation progressive de l’état général. Encéphalopathie hépatique avec flapping et confusion”.

Or le Professeur [W],(pièce 6) chef de service, atteste qu’il présentait un état de conscience tout à fait maintenu jusqu’au 29 juin, avec conservation de ses fonctions supérieures et des témoignages de Monsieur [B] (pièce 8) et de Madame [U] (pièce 9) attestent également de la capacité de Monsieur [I] a tenir une conversation avec des propos cohérents.

Des proches de Madame [S] le Docteur [H] (son ex-mari) médecin, qui a visité Monsieur [I] le 27 juin (pièce 11) et le Docteur [L] qui s’entretenait régulièrement par téléphone avec lui, notamment pour le suivi d’un diabète (pièce 10 - cousin de Madame [S]) ont confirmé également l’avoir trouvé lucide et apte intellectuellement.

Le 25 juin Monsieur [I] était présent lors d’un mariage et Monsieur [Y] indique qu’il était parfaitement lucide et conscient dans tous ses échanges intellectuels.

Le 28 juin Monsieur [I] donnait des instructions pour qu’il soit procédé à deux virements l’un du compte joint des époux vers le compte au nom de Madame [I], l’autre de son compte d’associé vers le compte de Madame [I].

Si l’écriture du codicille dénote un tremblement, celle-ci reste lisible et le texte est clair et cohérent, il n’est pas soutenu que ce codicille contienne en lui-même des incohérences manifestant un trouble de la conscience. Il était dans la logique du testateur de préciser qu’il donnait l’immeuble de la rue Camile GODARD à son épouse et non à son fils, puisque les dispositions testamentaires initiales que ce codicille modifiait prévoyaient un simple usufruit de l’épouse sur ce bien qui restait à la nue propriété de son fils.

En revanche, les 4 et 6 juillet Monsieur [I] était quasiment muet et ne pouvait plus tenir de conversation (attestation WINTER 32), de même le 1er juillet il était fatigué, tremblait et ne pouvait s’exprimer normalement (attestation de sa soeur Madame [D] [I] pièce 15). Il est ainsi certain que l’état de santé et la vigilance intellectuelle de Monsieur [I] se sont profondément dégradées le 29 juin 2017, alors que sa force de caractère, sa volonté, demeurait parfaitement efficientes jusqu’au 28 juin.

Ainsi, alors que la preuve de l’insanité d’esprit repose sur le demandeur en nullité de l’acte prétendu vicié, force est de constater que les éléments factuels rapportés ci-dessus permettent de considérer que Monsieur [I] était pleinement conscient lors de la rédaction de son codicille, cette rédaction s’inscrivant dans la logique de transmission à son épouse dans la perspective imminente d’un décès qu’il savait inéluctable. En tout état de cause la preuve de l’insanité d’esprit au moment de la rédaction de l’acte, n’est pas démontrée. L’expertise qui conclut à une simple probabilité est insuffisante pour conclure à une annulation de l’acte.

S’il est fait état de pressions, de stratagèmes de l’épouse, il ne s’agit que d’affirmations non étayées, la remise en cause de témoignages convergents et constants par le soupçon d’une collusion ou d’une conspiration ne pouvant résister au fait que les attestations produites sont de sources diverses (avocats, médecins, amis, infirmiers) et qu’il est difficilement imaginable qu’il s’agisse de personnes influençables.

Sur le recel invoqué sur “l’ensemble des biens de Monsieur [I]” en ce compris, le véhicule de marquet BENTLEY, la somme de 200.000 euros versée sur son compte personnel, les 50 parts en pleine propriété de la SNC Isabelle dont le siège social est au 122 rue Camille Godard à Bordeaux, les 50 parts sociales en pleine propriété de la SCI BILOBA, les meubles meublants, les différents biens immobiliers propriété de M. [I], de la SNC Isabelle et de la SCI BILOBA.

Selon l’article 778 du Code civil, sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.
Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.
L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession.

Il en est déduit que le recel vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l'égalité du partage, soit qu'il divertisse des effets de la succession en se les appropriant indûment, soit qu'il les recèle en dissimulant sa possession dans les circonstances où il serait, d'après la loi, tenu de la déclarer, de même il est habituellement jugé que la sanction du recel successoral est applicable dans le cas même où la fraude est l'œuvre du défunt, lorsque l'héritier avantagé tente sciemment de s'assurer le bénéfice du dol commis par son auteur (vente fictive réalisant un avantage indirect au profit d'héritiers qui, loin de déclarer la libéralité lors de l'inventaire, en ont contesté la réalité).

Il appartient à celui qui invoque le recel d’établir la preuve de celui-ci en établissant les faits matériels manifestant l’intention de porter atteinte à l’égalité du partage, il convient de démontrer des faits positifs, une libéralité déguisée ou indirecte étant insuffisante à caractériser un recel, de même la non révélation d’une assurance-vie.

En l’espèce il n’est nullement démontré que Madame [S] aurait “fait rédiger à [R] [I]” le codicille du 28 juin 2017 qui a été établi en présence de deux témoins, dans les circonstances rapportées plus haut de conscience du testateur. En outre l’existence de ce codicille n’a pas été dissimulé, il a du reste fait l’objet d’un dépôt à l’étude notariale, d’une part, et n’excluait pas d’autre part, comme indiqué dans les conclusions du demandeurs, celui-ci de la succession de son père.

Il est suffisamment justifié que les deux virements d’un total de 200.000 € ont été faits sur instructions écrites de Monsieur [I] (pièce 39) et il n’est pas démontré que son épouse ait pris l’initiative de ces virements, le défunt pouvait avec suffisamment de lucidité donner des ordres de paiement le 28 juin 2017. Ces virements n’ont en outre pas été dissimulés. Ainsi en l’absence de faits positifs imputables à Madame [S] les faits de recel ne peuvent être retenus à son encontre.

En ce qui concerne le véhicule BENTLEY dont il est justifié que la carte grise (pièce 10 demandeur) est au nom du défunt, Madame [S] ne peut contester avoir dissimulé qu’elle était en possession de celui-ci, ni d’avoir omis de le mentionner dans le projet d’acte de partage. Elle fait état d’un “présent d’usage” néanmoins elle ne justifie pas d’un tel présent, le véhicule étant resté au nom de son mari et aucune pièce ne vient démontrer l’existence d’un tel présent.

En ce qui concerne le SNC ISABELLE, celle-ci créée en 2007 était déjà mentionnée dans le testament de 2010, elle a été cédée par acte du 22 juin 2017 enregistré le 27 juin 2017 (pièce 56), de sorte qu’elle ne pouvait figurer à l’actif de la succession, il ne saurait être retenu un recel de ce chef. Il appartiendra à Madame [S] de justifier entre les mains du Notaire des modalités de paiement du prix de cession.

En ce qui concerne la société BILOBA, celle-ci a également fait l’objet d’une cession enregistrée le 27 juin 2018 (pièce 18 demandeur) , le produit de la cession devra être inclus dans les comptes de la succession (y compris le solde positif du compte courant), mais il ne peut être considéré que cette société entrait encore dans la composition du patrimoine du défunt, de sorte que le recel invoqué n’est pas constitué.

Par l’imprécision de l’énumération “meubles meublant, biens immobiliers” Monsieur [O] [I] ne distingue pas les biens effectivement objet d’un recel allégué (à l’exception des biens ci-dessus analysés) et ne met pas le tribunal en mesure d’apprécier de sa demande.

Au total, il ne peut être fait droits aux demandes au titre de recels qui ne sont nullement établis, sauf en ce qui concerne le véhicule BENTLEY.

Monsieur [O] [I] qui n’articule aucun moyens de faits au sujet de la demande de nullité des cessions de la SNC ISABELLE et de la SCI BILOBA qui est réclamée dans le dispositif de ses conclusions, ne saurait prétendre à l’annulation de ces actes qui ont été rédigés le 22 juin 2017 et enregistrés le 27 juin 2017, sans que l’altération des facultés mentales de Monsieur [R] [I] ne soit établie à cette date.

L’équité commande d’allouer à Madame [S] veuve [I] la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort.

DÉCLARE Monsieur [O] [I] recevable en sa demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage judiciaire de la succession de Monsieur [R] [I],

ORDONNE l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage judiciaire de la succession de Monsieur [R] [I],

DÉSIGNE pour y procéder M. le président de la Chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de son ressort,

DIT qu’en cas d’empêchement du notaire délégué, le président de la Chambre des notaires de la Gironde procédera lui-même à son remplacement par ordonnance rendue à la requête de la partie la plus diligente,

DIT qu’il appartiendra notamment au notaire désigné de dresser un état liquidatif établissant les comptes entre les copartageants, la masse partageable et les droits de chacun d’eux conformément aux dispositions de l’article 1368 du code de procédure civile,

RAPPELLE qu'en cas d'inertie d'un indivisaire, un représentant au copartageant défaillant pourra être désigné en application des dispositions des articles 841-1 du code civil et 1367 du code de procédure civile,

DIT que le notaire désigné devra accomplir sa mission d'après les documents et renseignements communiqués par les parties et d'après les informations qu'il peut recueillir lui même,

DIT qu'en application de l’article 1372 du code de procédure civile, si un acte de partage amiable est établi et signé entre les parties, le notaire en informera le juge commis qui constatera la clôture de la procédure,

RAPPELLE qu'en cas de désaccord , le notaire délégué dressera un procès verbal de dires où il consignera son projet d'état liquidatif et les contestations précises émises point par point par les parties à l'encontre de ce projet, lequel sera transmis sans délai au juge commis,

RAPPELLE que le notaire devra achever ses opérations dans le délai d’un an suivant sa désignation par le président de la Chambre des notaires de la Gironde, sauf suspension prévue par l’article 1369 du code de procédure civile ou délai supplémentaire sollicité dans les conditions de l’article 1370 du code de procédure civile,

COMMET le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en qualité de juge-commis pour surveiller les opérations à accomplir,

DIT que Madame [S] veuve [I] a commis un recel sur le véhicule BENTLEY 3WCE41 CONTINENTAL Gt, première mise en circulation 10 octobre 2006 et dit que celle-ci est déchue de tous droits sur ce véhicule dont elle devra restitution à la succession en nature ou en valeur estimée à 30.000 €

DÉBOUTE Monsieur [O] [I] de ses demandes complémentaires au titre du recel “sur l’ensemble des biens de Monsieur [R] [I]”.

DÉBOUTE Monsieur [O] [I] de ses demandes en nullité du codicille du 28 juin 2017, ou des cessions de parts des SNC ISABELLE et de la SCI BILOBA.

CONDAMNE Monsieur [O] [I] à verser à Madame [S] veuve [I] la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

ORDONNE l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage et de succession.

La présente décision est signée par Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02147
Date de la décision : 23/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-23;21.02147 ?
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