TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
30Z
Minute n° 24/272
N° RG 23/01837 - N° Portalis DBX6-W-B7H-X3CW
3 copies
GROSSE délivrée
le18/03/2024
àMe Yoann DELHAYE
la SELARL GONDER
Rendue le DIX HUIT MARS DEUX MIL VINGT QUATRE
Après débats à l’audience publique du 05 Février 2024
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
DEMANDERESSE
Société 2MC, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Yoann DELHAYE, avocat au barreau de BORDEAUX
DÉFENDEURS
Monsieur [M] [E]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Maître Frédéric GONDER de la SELARL GONDER, avocats au barreau de BORDEAUX
Madame [K] [R]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Maître Frédéric GONDER de la SELARL GONDER, avocats au barreau de BORDEAUX
I – FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Par actes du 21 août 2023, la SAS 2MC a fait assigner Monsieur [E] et Mme [R] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, afin de voir :
- ordonner aux défendeurs de cesser leur manquement à leur obligation contractuelle de non concurrence du fait des agissements de leur locataire Monsieur [W], au besoin sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance, que le tribunal se réservera le pouvoir de liquider ;
- condamner in solidum les défendeurs à lui payer à titre provisionnel une somme de 2 000 euros ;
- les condamner in solidum au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
les condamner aux entiers dépens.
La demanderesse expose que par acte en date du 06 août 2015, à effet au 1er septembre 2015, les défendeurs lui ont donné à bail des locaux à usage commercial situés [Adresse 2] [Localité 7], à destination unique d’activité de salon de coiffure ; qu’aux termes du bail, le bailleur s’est interdit d’exploiter directement ou indirectement dans l’immeuble une activité similaire, ainsi que de louer un local dans l’immeuble pour l’exploitation d’un commerce de même nature ; que l’immeuble comporte deux autres locaux à usage professionnel, un cabinet infirmier et un restaurant à emporter exploité par M. [W], qui a modifié son activité en décembre 2022 pour y ajouter celle de salon de coiffure, qu’il exerce depuis le 07 février 2023 ; qu’elle en a informé ses bailleurs ; que ces derniers ont engagé à l’encontre de M. [W] une procédure en résiliation de bail pour non paiement des loyers ; que par ordonnance du 20 mars 2023, le juge des référés a ordonné son expulsion ; que néanmoins il persiste à exploiter son salon de coiffure ; que cette situation caractérise un manquement des bailleurs à leur obligation de non concurrence et lui cause un préjudice économique certain qui requiert des dispositions en urgence.
Appelée à l’audience du 18 septembre 2023, l’affaire a été renvoyée pour échanges de conclusions, puis retenue à l'audience de plaidoiries du 05 février 2024.
Les parties ont conclu pour la dernière fois :
- la SAS 2MC, le 18 novembre 2023, par des écritures dans lesquelles elle maintient ses demandes tout en portant à 5 000 euros sa demande de provision et à 2 500 euros sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Monsieur [E] ET Mme [R], le 13 décembre 2023, par des écritures aux termes desquelles ils sollicitent :
- le débouté de la SCI 2MC de toutes ses demandes ;
- sa condamnation à leur payer à chacun unesomme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- sa condamnation aux entiers dépens.
Ils exposent que M.[W], qui exploitait depuis octobre 2017 une activité de sandwicherie, a décidé le 09 décembre 2022, sans autorisation, de modifier son activité pour y adjoindre une activité de coiffure en salon ; que cette situation, qui leur est imposée par M. [W] dont ils subissent la mauvaise foi et les impayés, ne caractérise pas de leur part un manquement à leurs obligations contractuelles dans la mesure où le non respect de la clause n’est pas de leur fait mais de celui de M. [W] qui, aux termes du bail, n’était autorisé qu’à exercer son activité ; que cela s’entend de la seule activité pour laquelle il était alors inscrit, qui était une activité de sandwicherie ; qu’il ne s’agit donc pas d’un bail tous commerces ; que cette analyse a été confirmée par un courrier de la Chambre des Métiers du 06 décembre 2023 ; que la commune intention des parties ne portait pas sur l’exercice d’une activité de coiffure qui a été déclarée 5 ans plus tard ; que d’ailleurs la Chambre des Métiers a décidé de supprimer rétroactivement l’activité de coiffure sur le Kbis de M. [W] ; qu’ils étaient donc fondés à refuser cette despécialisation opérée à leur insu et de manière dissimulée ; que suite à son expulsion par ordonnance de référé du 23 mars 2023, M. [W] a été placé en redressement judiciaire le 18 avril 2023, ce qui a eu pour effet de paralyser les effets de la résiliation.
La présente décision se rapporte à ces écritures pour un plus ample exposé des demandes et des moyens des parties.
II – MOTIFS DE LA DECISION
sur les demandes principales :
L'article 834 du code de procédure civile permet au juge des référés, en cas d'urgence, de prendre les mesures qui ne se heurtent pas à l'existence d'une contestation sérieuse. En outre, l’article 835 alinéa 1 permet au juge, même en présence d’une contestation sérieuse, de prendre toute mesure nécessaire pour faire cesser un trouble manifestement illicite, tel que l’occupation sans titre d’une propriété privée.
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés, lorsque l'obligation n'est pas sérieusement contestable, d'allouer une provision au créancier ou d'ordonner l'exécution de cette obligation même lorsqu'il s'agit d'une obligation de faire.
La demanderesse, au soutien de ses demandes, fait valoir que les défendeurs ont manqué à l’obligation de non concurrence dont ils sont incontestablement débiteurs aux termes du contrat de bail.
Le bail conclu entre les parties le 06 août 2015, portant sur des locaux à destination unique d’activité de salon de coiffure, comporte une clause par laquelle le bailleur s’interdit d’exploiter directement ou indirectement dans l’immeuble une activité similaire, ainsi que de louer un local dans l’immeuble pour l’exploitation d’un commerce de même nature.
Il résulte des pièces et débats que depuis le 07 février 2023, M. [W], à qui les défendeurs ont donné à bail, le 23 octobre 2017, un autre local situé dans le même immeuble, y exerce depuis février 2023 une activité de salon de coiffure concurrençant directement celle de la SAS 2MC.
Cette situation est à l’évidence en contradiction avec l’engagement de non concurrence souscrit par les bailleurs.
Ces derniers opposent qu’aucun manquement ne peut leur être reproché dans la mesure où ils ne sont pas personnellement responsables de la violation de l’obligation qui est imputable à M. [W], qui, en violation du bail, leur a imposé ce changement d’activité sans respecter la procédure de despécialisation et en dépit de leur refus expres.
Le bail conclu avec M. [W], rédigé en des termes identiques à celui conclu avec la demanderesse, prévoit que “ le locataire ne pourra exercer exclusivement dans les lieux loués que son activité, à l’exclusion de tout(e) autre (...) et de ne pas pouvoir changer cette affectation par substitution ou addition d’autres activités, quels que soient les usages locaux.”
Il ressort des débats, et du message adressé aux bailleurs par la Chambre des Métiers, qu’à la date de signature du bail, la seule activité figurant sur le Kbis de M. [W] était celle de restauration rapide. Les défendeurs sont ainsi fondés à faire valoir que la destination donnée à la location par les parties s’appréciant à la date de conclusion du bail, l’activité de salon de coiffure déclarée fin 2022 par M. [W] constitue un changement d’activité dont la régularité est sérieusement discutable.
Le manquement à leurs obligations contractuelles reproché aux défendeurs dépendant directement du caractère illicite ou non de ce changement d’activité réalisé à leur insu par M. [W], la réalité de ce manquement se heurte à une contestation sérieuse qui échappe au pouvoir du juge des référés.
Il convient de relever qu’en tout état de cause, il apparaît totalement vain d’ordonner sous astreinte aux bailleurs de mettre fin à un manquement qui n’est pas de leur fait, qu’ils subissent eux mêmes et auquel ils ont tenté de mettre fin, vainement jusqu’à ce jour.
La demanderesse sera en conséquence déboutée à la fois de sa demande de condamnation sous astreinte et de sa demande de provision, l’obligation des défendeurs de l’indemniser de son préjudice étant en l’état sérieusement contestable.
sur les autres demandes
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits. Les demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La SAS 2MC sera condamnée aux dépens.
III - DECISION
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux statuant par une ordonnance contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe et à charge d'appel;
DEBOUTE la SAS 2MC de ses demandes
DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la SAS 2MC aux dépens.
La présente décision a été signée par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente, et par Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
Le Greffier,Le Président,