N° M 24-81.963 F-D
N° 00826
SL2
17 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025
MM. [U] [R] et [L] [C], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 28 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre M. [F] [H] du chef de diffamation publique, a prononcé sur la demande d'annulation de pièces de la procédure de ce dernier et a constaté l'extinction de l'action publique.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de MM. [U] [R] et [L] [C], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F] [H], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. MM. [L] [C] et [U] [R] ont été les avocats d'une personne interpellée en marge d'une manifestation.
3. Ils ont saisi l'inspection générale de la justice et donné des conférences de presse et des interviews, mettant en cause le traitement de la procédure par les magistrats du ministère public du tribunal judiciaire territorialement compétent.
4. Interrogé sur cette affaire à la suite des conférences de presse de MM. [C] et [R], M. [F] [H], procureur de la République de Fort-de-France, a fait connaître la position du parquet lors de propos diffusés le 12 novembre 2020 sur la Radio Caraïbes International.
5. Le 12 février 2021, MM. [R] et [C] ont porté plainte et se sont constitués partie civile contre M. [H] du chef de diffamation publique envers un particulier à raison des propos suivants diffusés lors de cette émission « J'observe qu'on a droit à une théorie du complot puisque je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'autres termes les policiers auraient naturellement commis des faux et donc on dépose plainte à leur encontre pour faux en écritures publiques [
]. On dit que c'est absolument scandaleux que nous ayons mené cette garde à vue jusqu'à son terme. Et que nous aurions fait cela au mépris des avis médicaux qu'il y aurait eu ai-je pu lire dans un article le fait que on ait prolongé. Naturellement et évidemment que nous n'avons en aucun cas prolongé la mesure de garde à vue alors qu'il y aurait eu un avis contraire médical. C'est absolument une évidence. Le plaignant et ses avocats ont parfaitement le droit de ne pas être d'accord pour cela mais est ce qu'on a besoin de mentir et de raconter n'importe quoi pour ce faire absolument pas [
]. Mais pourquoi, pourquoi ainsi déblatérer tenir des propos qui sont factuellement faux dans la presse pour ainsi dénigrer ce qui a été réalisé [
]. Je considère que des faits graves de diffamation également d'actes d'intimidation ont été commis au préjudice de mon adjointe ».
6. Une information a été ouverte le 17 mars 2022.
7. A la suite des investigations réalisées, notamment en exécution d'une commission rogatoire délivrée le 1er août 2022, M. [H] a été mis en examen du chef de diffamation publique pour avoir tenu les propos susvisés.
8. M. [H] a saisi la chambre de l'instruction d'une demande d'annulation de la commission rogatoire susvisée et de constat de l'acquisition de la prescription de l'action publique.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la requête en nullité déposée le 3 janvier 2024 par le conseil de M. [H] et a ordonné, sur le fond, l'annulation de la commission rogatoire du 1er août 2022 et de l'e-mail l'accompagnant (D 69 à D 71), le soit-transmis du 2 décembre 2022 ainsi que le PV de synthèse du 7 novembre 2022 (D 72 à D 76), la procédure d'exécution de la commission rogatoire du 1er août 2022 (D 77 à D 137) et a constaté en conséquence de l'annulation ainsi prononcée, la prescription de l'action publique mise en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile du bâtonnier [R] et de M. [C], avocat, contre M. [H], alors :
« 1°/ d'une part, que si le juge d'instruction ne peut instruire, en vertu de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, sur les preuves éventuelles de la vérité des faits ni sur la bonne foi, il doit en revanche instruire sur la tenue effective des propos poursuivis, leur caractère public, leur imputabilité aux personnes pouvant être poursuivies comme auteurs ou complices ainsi que sur l'identité et l'adresse de ces dernières ; que tel était précisément le strict objet de la commission rogatoire du 1er août 2022 (prod) tenant à l'établissement des propos litigieux, l'identification de leurs supports publics, leur retranscription écrite et leur imputabilité à personne déterminée ; qu'en énonçant que cette commission rogatoire était entachée d'excès de pouvoir comme portant sur la vérité des faits et la bonne foi des déclarants, la chambre de l'instruction s'est mise en contradiction avec les termes précis et limités de ladite commission, en méconnaissance du texte précité, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part, que la formule stéréotypée de la commission sur « la manifestation de la vérité » ne saurait tomber sous la prohibition de l'article 51-1 dès lors que chacune des rubriques particulières de ladite commission ne révèle aucun excès de pouvoir reprochable au juge mandant ; qu'en accordant à un stéréotype une portée qu'il n'avait pas, la chambre de l'instruction a fait montre d'un formalisme excessif en méconnaissance du texte susvisé, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part, qu'est disproportionnée et relève d'un formalisme excessif l'annulation totale et indifférenciée de la commission rogatoire et du PV de synthèse des services sur les caractères propres des faits relevant de la compétence du juge d'instruction ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait en présence d'actes détachables, la chambre de l'instruction a derechef méconnu les exigences de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué énonce que la commission rogatoire du 1er août 2022 demande au service enquêteur de poursuivre l'enquête et de procéder à toutes investigations utiles à la manifestation de la vérité, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
11. Les juges précisent que la collecte sollicitée des conférences de presse données entre le 20 octobre et le 12 novembre par les plaignants ainsi que par le procureur de la République de Fort-de-France outrepasse la saisine du juge d'instruction, qui n'était saisi que des propos tenus le 12 novembre.
12. Ils ajoutent que la mission a pour objectif d'établir ou pas la véracité des faits allégués car il est demandé aux enquêteurs d'effectuer tous « recoupements utiles relativement aux faits poursuivis » et d'y procéder à partir de l'analyse de ces supports.
13. Ils indiquent que les enquêteurs se sont livrés, exécutant en cela les consignes données, à une analyse comparative des propos tenus par les uns et les autres, précisant eux-mêmes que « Chacun de ces propos qualifiés de diffamatoires par les plaignants étaient vérifiés à la lecture des articles de presse écrite ou issues des retranscriptions des reportages ou extraits de conférences ».
14. Ils en concluent que la commission rogatoire doit être annulée de même que ses actes d'exécution, et partant, que la prescription est acquise, aucun acte interruptif de prescription n'étant intervenu dans les trois mois suivant les significations, le 8 juin 2022, de l'arrêt de la Cour de cassation de dessaisissement.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
16. En premier lieu, la mission confiée aux enquêteurs ne visait pas uniquement à vérifier l'imputabilité ou le caractère public des propos dénoncés, mais tendait à s'interroger sur la vérité des faits décrits et la bonne foi de l'auteur des propos, en replaçant les propos dans leur contexte et en appréciant leur portée.
17. En second lieu, la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de vérifier que les enquêteurs ont, en exécution de cette commission rogatoire, analysé et interprété les déclarations litigieuses.
18. En troisième lieu, l'annulation de la commission rogatoire entraîne par voie de conséquence l'annulation de l'ensemble de ses actes d'exécution.
19. Enfin, il appartient à la partie civile de surveiller le déroulement de la procédure et d'accomplir les diligences utiles pour poursuivre l'action qu'elle a engagée, afin de faire obstacle à l'acquisition de la prescription, cette obligation n'étant pas incompatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme quand, comme en l'espèce, il n'existe pour la partie civile aucun obstacle de droit ou de fait la mettant dans l'impossibilité d'agir.
20. Ainsi, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [R] et [C] devront payer à M. [H] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et juge par la Cour de cassation, chambre criminell, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt-cinq.