LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 535 F-D
Pourvoi n° T 23-18.370
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2024
La société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe (CEGEE), société coopérative à forme anonyme, directoire et conseil de surveillance, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la Caisse d'épargne des Pays Lorrains, a formé le pourvoi n° T 23-18.370 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2023 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société CNP caution, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe, de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société CNP caution, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Peyregne-Wable, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mai 2023), le 24 avril 2002, la Caisse d'épargne des Pays Lorrains, aux droits de laquelle vient la Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe (la banque), a consenti à M. [U] [W] et Mme [V] (les emprunteurs), deux prêts immobiliers remboursables par mensualités.
2. Le 5 avril 2002, la Caisse nationale du gendarme-mutuelle gendarmerie s'est portée caution de ces deux prêts.
3. Par convention de reprise d'encours, la société CNP caution a repris les prêts cautionnés par la Caisse nationale du gendarme-mutuelle gendarmerie au profit du prêteur.
4. Le 13 octobre 2006, le bien immobilier financé par les emprunts a été vendu et un des deux prêts a été remboursé.
5. Le 19 juin 2007, la banque a notifié à M. [U] [W] la déchéance du terme du prêt non remboursé et l'a mis en demeure de payer le solde restant dû.
6. Les emprunteurs ont par la suite procédé à des règlements au titre de ce prêt, puis cessé tout versement.
7. Par lettres des 3 août 2016 et 31 mai 2017, la banque a informé les emprunteurs de la déchéance du terme du prêt, puis après mise en demeure, assigné la caution en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8.La banque fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite sa demande en paiement contre la caution, alors « que le créancier peut toujours renoncer, expressément ou tacitement, à la déchéance du terme qu'il a lui-même prononcée ; que la banque invoquait sa renonciation à la déchéance du terme initialement prononcée le 19 juin 2007 à l'égard de M. [U] [W], renonciation qui s'inférait notamment de ce qu'elle avait accepté les moratoires qui lui avaient été proposés dans le cadre d'une procédure de surendettement et de l'acceptation des règlements partiels qui avaient été opérés par les co-emprunteurs durant près de dix ans ; qu'en considérant, par une pétition de principe, que sauf à permettre au prêteur de décider sans l'accord des emprunteurs de la date à laquelle le prêt pourrait être résilié, une telle renonciation ne pouvait être admise en l'absence de nouveau prêt ou d'un nouvel accord emportant renonciation expresse à la déchéance du terme, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. Ayant relevé que la déchéance du terme avait été notifiée par la banque le 19 juin 2007 à la suite de la vente du bien immobilier, conformément aux prévisions contractuelles, que postérieurement à cette résiliation, aucun accord de rééchelonnement de la dette n'avait été conclu, de sorte que l'acceptation par la banque des versements réguliers faits ultérieurement par les emprunteurs s'analysait comme l'octroi de délais de paiement pour le remboursement du solde du prêt résilié et non comme une renonciation à la déchéance du terme, la cour d'appel en a exactement déduit que la banque ne pouvait à nouveau prononcer celle-ci par lettres recommandées du 22 juillet 2016 pour M. [U] [W] et du 31 mai 2017 pour Mme [V] et que le délai de prescription avait donc commencé à courir le 19 juin 2007.
10. Le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
11.La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'interrompt le délai de prescription la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il se prescrivait, laquelle s'infère notamment de sa demande tendant à l'obtention de délais de paiement ou d'un réaménagement de la dette dans le cadre d'une procédure de surendettement ; que la Caisse d'épargne faisait valoir que la prescription avait été interrompue par les demandes de délais que M. [U] [W] avait formées à de multiples reprises dans le cadre de son dossier de surendettement, attestées en dernier lieu par un jugement du 30 novembre 2017 du tribunal d'instance de Saint-Dié-des Vosges, régulièrement versé aux débats ; qu'en situant le dernier acte interruptif de prescription à la date du versement effectué par les emprunteurs le 5 décembre 2015, sans s'être interrogée sur la reconnaissance par M. [U] [W] de sa dette à l'égard de la Caisse d'Epargne résultant de ses demandes ultérieures de délais et de réaménagement, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 2240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2240 du code civil :
12. Aux termes de ce texte, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
13. Pour déclarer la demande de la banque irrecevable, l'arrêt retient que le délai de prescription biennale a commencé à courir le 19 juin 2007, date de déchéance du terme, qu'il a été interrompu par les versements des emprunteurs, valant reconnaissance par eux du droit de celui contre lequel ils prescrivaient, jusqu'en décembre 2015, date où ces paiements ont cessé et où un nouveau délai biennal a commencé à courir, de telle sorte que l'action en paiement de la banque à l'encontre des emprunteurs au titre du solde du prêt était prescrite à la date de l'assignation diligentée à l'encontre de la caution le 18 février 2019.
14. En se déterminant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si les demandes de M. [U] [W] tendant au réaménagement de sa dette dans le cadre d'une procédure de surendettement n'étaient pas interruptives de prescription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs , la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société CNP caution aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CNP caution et la condamne à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.