LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 mai 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 534 F-D
Pourvoi n° X 19-21.026
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 MAI 2024
La société SRMG Le Salon de Passy, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 19-21.026 contre l'arrêt rendu le 5 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [N] [Y], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi de la région parisienne, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Mme [Y] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt .
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société SRMG Le Salon de Passy, de la SARL Gury & Maitre, avocat de Mme [Y], après débats en l'audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juin 2019), Mme [Y] a été engagée en qualité de chef d'équipe esthéticienne le 1er décembre 2014 par la société SRMG Le Salon de Passy (la société).
2. Convoquée le 31 mars 2015 à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire, la salariée a été licenciée le 17 avril 2015 pour faute grave.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement, obtenir l'indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches et sur le deuxième moyen du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de Mme [Y] nul et de la condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, alors :
« 3°/ qu'il appartient au juge de se prononcer sur le caractère professionnel de l'accident dont le salarié a été victime sans être lié par les qualifications données par les organismes sociaux ; qu'en jugeant, pour annuler le licenciement de Mme [Y] que l'accident survenu le 31 mai 2015 avait ''été reconnu comme un accident du travail par la CPAM par une décision du 26 octobre 2015'' sans se prononcer elle-même sur le caractère professionnel de l'accident survenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-7 et L. 1226-9 du code du travail ;
4°/ qu'elle versait aux débats le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 27 décembre 2016 qui, constatant que Mme [N] [Y] n'était plus sous la subordination de son employeur lorsque les événements qu'elle dénonçait étaient survenus, avait, dans son dispositif, ''déclaré la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident déclaré le 15 juillet 2015 au préjudice de Mme [N] [K] épouse [Y] relatifs à des faits du 31 mars 2015 pris en charge le 26 octobre 2015, inopposable à la SAS SMRG'' ; qu'en retenant que l'accident avait ''été reconnu comme un accident du travail par la CPAM'', sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette décision de prise en charge par l'assurance maladie n'avait pas été déclarée inopposable à l'employeur de Mme [Y], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-7 et L. 1226-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. D'abord, il résulte des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'employeur a connaissance de l'origine professionnelle de la maladie ou de l'accident. Au cours de la période de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre le contrat que s'il justifie soit d'une faute grave du salarié, soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie, toute rupture prononcée en méconnaissance de ces dispositions étant nulle.
7. Ensuite, l'inopposabilité à l'employeur du caractère professionnel de l'accident du salarié ne fait pas obstacle à ce que le salarié invoque à l'encontre de son employeur l'origine professionnelle de cet accident pour bénéficier de la législation protectrice applicable aux salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
8. La cour d'appel a constaté que la salariée avait été victime, le 31 mars 2015, sur son lieu de travail et alors qu'elle était toujours sous la subordination de son employeur, d'une agression et que cet accident avait été reconnu comme un accident de travail par la caisse primaire d'assurance maladie par une décision du 26 octobre 2015.
9. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de l'accident survenu au temps et au lieu de travail, la cour d'appel a exactement déduit, sans avoir à procéder à une recherche inopérante, que l'employeur ne pouvait rompre le contrat que s'il justifiait d'une faute grave de la salariée.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
11. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, alors « qu'elle contestait le salaire de référence invoqué par la salariée dans ses conclusions, soit la somme de 3 724,07 euros, lequel intégrait arbitrairement des heures supplémentaires prétendument effectuées et demandait, à titre infiniment subsidiaire, à ce que le salaire mensuel moyen de référence de la salariée soit fixé à la somme de 2 712,66 euros ; qu'en condamnant l'exposante à verser à la salariée la somme de 22 344,42 euros, correspondant à 6 mois du salaire revendiqué par la salariée, pourtant expressément contesté, et au paiement des indemnités subséquentes, sans assortir sa décision d'un quelconque motif sur ce point, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
13. La cour d'appel s'est bornée dans son dispositif à condamner la société à payer à la salariée des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et à titre de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents.
14. En statuant ainsi, sans donner aucun motif à sa décision, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
15. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de condamnation de la société à lui verser une somme à titre de salaire au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé, alors :
« 1°/ que les juges du fond doivent mettre la Cour de cassation en mesure
de contrôler l'application de la règle de droit ; qu'en jugeant que la salariée, revendiquant le paiement d'heures supplémentaires, ''n'apporte pas d'éléments suffisamment précis quant aux horaires éventuellement réalisés permettant d'étayer sa demande de rappel de salaires au titre d'heures supplémentaires'', sans prendre en compte ni analyser les témoignages écrits d'un dépassement de l'horaire contractuel hebdomadaire ni le décompte précis figurant dans les conclusions de la salariée sur la période revendiquée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile
2°/ que le salarié n'est pas tenu d'étayer sa demande ; qu'en jugeant que les éléments apportés par la salariée pour la détermination des horaires de travail n'étaient pas suffisamment précis, cependant qu'elle ne devait apporter qu'un décompte suffisamment précis, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
16. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
17. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
18. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
19. Pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que la salariée n'apporte pas d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés permettant d'étayer sa demande de rappel de salaires au titre d'heures supplémentaires.
20. En statuant ainsi, alors, qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que la salariée présentait dans ses conclusions un décompte précis des sommes réclamées permettant à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le licenciement nul et condamne la société SRMG Le Salon de Passy aux dépens et à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société SRMG Le Salon de Passy aux dépens;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SRMG Le Salon de Passy et la condamne à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille vingt-quatre.