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25/01/2023 | FRANCE | N°21-11145;21-18278

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 janvier 2023, 21-11145 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 janvier 2023

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 65 F-D

Pourvois n°
Y 21-11.145
B 21-18.278 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023

I - M. [

X] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-11.145 contre un arrêt rendu le 26 octobre 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (1ère c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 janvier 2023

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 65 F-D

Pourvois n°
Y 21-11.145
B 21-18.278 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023

I - M. [X] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-11.145 contre un arrêt rendu le 26 octobre 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (1ère chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Caisse de crédit mutuel de la Jaille, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

II - La Société Caisse de crédit mutuel de la Jaille a formé le pourvoi n° B 21-18.278 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à M. [X] [N], défendeur à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° Y 21-11.145 et la demanderesse au pourvoi B 21-18.278 invoquent, à l'appui de chacun de leurs recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [N], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Caisse de crédit mutuel de la Jaille, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 21-11.145 et B 21-18.278 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 26 octobre 2020), par un acte du 19 juin 2014, la société Caisse de crédit mutuel de la Jaille (la banque) a consenti à la société CRBTP (la société) un prêt professionnel d'un montant de 250 000 euros, garanti par le cautionnement de M. [N], son gérant. Le 22 juillet 2015, la banque a accordé à la société une autorisation de découvert en compte courant à hauteur de 150 000 euros, garantie, par un acte séparé du même jour, par le cautionnement de M. [N].

3. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution en paiement.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° Y 21-11.145 formé par M. [N]

Enoncé du moyen

4. M. [N] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque, au titre du cautionnement du prêt professionnel, la somme de 179 545,95 euros, assortie des intérêts au taux conventionnel de 3,90 % l'an sur la somme de 159 949,71 euros à compter du 17 août 2016 et jusqu'au règlement effectif, alors « que l'engagement par acte sous seing privé d'une personne physique en qualité de caution envers un créancier professionnel est nul s'il n'est pas précédé de la mention prévue par la loi de la main même de la caution ; qu'en jugeant valide le cautionnement litigieux par des considérations inopérantes tirées de la loyauté des relations contractuelles, de la présence du cautionnement dans le même instrumentum que le prêt garanti ou encore de la conscience et de l'information de la caution quant à l'étendue de son engagement, après avoir pourtant constaté que la mention manuscrite prévue par la loi n'était pas de la main de M. [N] et était au contraire apocryphe, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, et le principe fraus omnia corrumpit :

5. Il résulte de ce texte que l'engagement par acte sous seing privé d'une personne physique en qualité de caution envers un créancier professionnel est nul s'il n'est pas précédé de la mention prévue par la loi de la main de la caution, et de ce principe que la fraude commise par la caution lors de la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.

6. Pour condamner M. [N] au titre du prêt professionnel, après avoir constaté que ce dernier n'était pas le rédacteur de la mention manuscrite portée sur l'acte, l'arrêt retient que le contrat de prêt, signé par M. [N], gérant représentant la société, débitrice principale, est composé de onze pages, toutes paraphées par M. [N], que l'acte de cautionnement, comportant la mention apocryphe, est daté du même jour et est contenu dans le même instrumentum que le contrat de crédit garanti, lequel énonce précisément l'ensemble des conditions du cautionnement, et que M. [N] n'émet aucune contestation sur la validité de l'engagement de la société, obligation principale garantie. Il déduit de ces circonstances que la conscience et l'information de la caution, dirigeante de l'entreprise emprunteuse, qui, en dépit de ses relations contractuelles anciennes avec l'organisme bancaire, a fait le choix de confier à un tiers la rédaction de la mention manuscrite litigieuse, sur l'étendue de son engagement, étaient assurées.

7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à retenir la validité de l'engagement de caution, dont la mention manuscrite légale n'avait pas été rédigée de la main de M. [N], ni à caractériser l'existence d'une fraude commise lors de la rédaction de cette mention et privant en conséquence M. [N] du droit d'invoquer la nullité dudit engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le moyen du pourvoi n° B 21-18.278 formé par la banque

Enoncé du moyen

8. La banque fait grief à l'arrêt de recevoir la dénégation d'écriture de M. [N], de dire que celui-ci n'est pas l'auteur de la mention manuscrite sur l'acte de caution de l'autorisation de découvert du 22 juillet 2015 et de déclarer nul l'engagement de cautionnement de M. [N], alors « qu'il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales prescrites, à peine de nullité par les articles L 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1, L. 343-3, L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions ; que dans ses conclusions, la banque faisait valoir que "M. [N] a volontairement fait appel à une personne extérieure pour remplir (la) mention manuscrite avant de signer, dans le but manifeste de se prévaloir de cette anomalie pour échapper à son obligation de caution (et) que dans ce cas et selon le principe fraus omnia corrumpit, M. [N] n'est pas fondé à évoquer le texte protecteur du code de la consommation et doit être condamné à assumer (son) engagement" ; qu'après avoir énoncé que M. [N], qui ne dénie pas sa signature mais conteste avoir écrit la mention manuscrite, n'explique pas les raisons l'ayant conduit à manquer à la loyauté des relations contractuelles, en l'état de l'ancienneté de sa relation avec l'organisme bancaire depuis près de dix ans, en faisant appel à des tiers pour rédiger les mentions manuscrites de chacun des deux actes, la cour d'appel a déclaré nul le cautionnement souscrit par M. [N] au titre de l'autorisation de découvert qu'il a négociée en tant que dirigeant de la débitrice principale, aux motifs qu'il a démontré ne pas être l'auteur de la mention manuscrite et que le contrat accordant le découvert ne reprend pas dans ses stipulations les caractéristiques du cautionnement par lequel il est garanti, de sorte qu'il n'est pas permis de conclure que la caution avait conscience de l'étendue de son engagement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée, si M. [N], en choisissant de faire rédiger la mention manuscrite de l'acte de cautionnement par un tiers au lieu d'y procéder lui-même, n'avait pas ainsi sciemment détourné le formalisme de protection dont il se prévalait pour tenter de faire échec à la demande en paiement, ce qui lui interdisait d'invoquer la nullité de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés et du principe fraus omnia corrumpit. »

Réponse de la Cour

Vu le principe fraus omnia corrumpit :
9. Pour annuler le cautionnement souscrit par M. [N] au titre de l'autorisation de découvert, après avoir relevé que ce dernier n'était pas le rédacteur des mentions manuscrites portées sur l'acte et que le contrat accordant le découvert ne reprenait pas, dans ses stipulations, les caractéristiques du cautionnement par lequel il était garanti, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que celui-ci avait conscience de l'étendue de son engagement.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [N], en faisant rédiger les mentions manuscrites de l'acte de cautionnement par un tiers, au lieu d'y procéder lui-même, n'avait pas sciemment détourné le formalisme de protection dont il se prévalait pour tenter de faire échec à la demande en paiement, ce qui, à supposer cette circonstance établie, lui interdisait d'invoquer la nullité de son engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit la dénégation d'écriture de M. [N], dit que celui-ci n'est pas l'auteur des mentions manuscrites sur les actes de cautionnement, et rejette la demande subsidiaire formée par la société Caisse de crédit mutuel de la Jaille d'ordonner la comparution personnelle de M. [N], l'arrêt rendu le 26 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi n° Y 21-11.145 par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour M. [N].

M. [N] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné à payer au Crédit mutuel la somme de 179 545,95 € assortie des intérêts au taux conventionnel de 3,90 % par an sur le capital restant dû d'un montant de 159 949,71 € à compter du 17 août 2016 et jusqu'au règlement effectif ;

1°) ALORS QUE l'engagement par acte sous seing privé d'une personne physique en qualité de caution envers un créancier professionnel est nul s'il n'est pas précédé de la mention prévue par la loi de la main même de la caution ; qu'en jugeant valide le cautionnement litigieux par des considérations inopérantes tirées de la loyauté des relations contractuelles, de la présence du cautionnement dans le même instrumentum que le prêt garanti ou encore de la conscience et de l'information de la caution quant à l'étendue de son engagement, après avoir pourtant constaté que la mention manuscrite prévue par la loi n'était pas de la main de M. [N] et était au contraire apocryphe, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer par pure affirmation sans indiquer l'origine de leurs constatations de fait ; qu'en affirmant que la caution avait manqué à la loyauté des relations contractuelles envers la banque, qui n'aurait pas été en mesure de contrôler la sincérité des mentions manuscrites, en faisant rédiger par un tiers les mentions manuscrites exigées par la loi, sans exposer l'origine de cette affirmation ni les pièces sur lesquelles elle se fondait pour la retenir comme établie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE le juge ne peut statuer par une pétition de principe et en des termes manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité ; qu'en affirmant purement et simplement, sans aucune indication de l'origine de cette pétition de principe, que la caution aurait été déloyale et aurait en substance trompé la banque en faisant rédiger à son insu par un tiers les mentions manuscrites prévues par la loi, les juges d'appel ont violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi n° B 21-18.278 par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de crédit mutuel de la Jaille.

La Caisse de Crédit mutuel de la Jaille fait grief à l'arrêt attaqué,

D'AVOIR reçu la dénégation d'écriture de M. [X] [N] , D'AVOIR dit que celui-ci n'est pas l'auteur de la mention manuscrite sur l'acte de cautionnement au titre de l'autorisation de découvert du 22 juillet 2015 et D'AVOIR déclaré nul l'engagement de cautionnement de M. [N] au titre de l'autorisation de découvert du 22 juillet 2015.

ALORS QU'il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales prescrites, à peine de nullité par les articles L 341-2 et L 341-3, devenus L 331-1, L 343-3, L 331-2 et L 343-3 du code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions ; que dans ses conclusions (p 7 § 1 et § 2), la Caisse faisait valoir que « M. [N] a volontairement fait appel à une personne extérieure pour remplir (la) mention manuscrite avant de signer, dans le but manifeste de se prévaloir de cette anomalie pour échapper à son obligation de caution (et) que dans ce cas et selon le principe fraus omnia corrumpit, M. [N] n'est pas fondé à évoquer le texte protecteur du code de la consommation et doit être condamné à assumer (son) engagement » ; qu'après avoir énoncé que M. [N], qui ne dénie pas sa signature mais conteste avoir écrit la mention manuscrite [?], n'explique pas les raisons l'ayant conduit à manquer à la loyauté des relations contractuelles, en l'état de l'ancienneté de sa relation avec l'organisme bancaire depuis près de dix ans, en faisant appel à des tiers pour rédiger les mentions manuscrites de chacun des deux actes, la cour d'appel a déclaré nul le cautionnement souscrit par M. [N] au titre de l'autorisation de découvert qu'il a négociée en tant que dirigeant de la débitrice principal aux motifs qu'il a démontré ne pas être l'auteur de la mention manuscrite et que le contrat accordant le découvert ne reprend pas dans ses stipulations les caractéristiques du cautionnement par lequel il est garanti [?], de sorte qu'il n'est pas permis de conclure que la caution avait conscience de l'étendue de son engagement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée, si M. [N], en choisissant de faire rédiger la mention manuscrite de l'acte de cautionnement par un tiers au lieu d'y procéder lui-même, n'avait pas ainsi sciemment détourné le formalisme de protection dont il se prévalait pour tenter de faire échec à la demande en paiement ce qui lui interdisait d'invoquer la nullité de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés, ensemble du principe fraus omnia corrumpit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21-11145;21-18278
Date de la décision : 25/01/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Basse-Terre, 26 octobre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 25 jan. 2023, pourvoi n°21-11145;21-18278


Composition du Tribunal
Président : M. Vigneau (président)
Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert, SAS Buk Lament-Robillot

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.11145
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