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26/01/2022 | FRANCE | N°21-84228

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 janvier 2022, 21-84228


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° M 21-84.228 F-B

N° 00085

SM12
26 JANVIER 2022

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 JANVIER 2022

M. [D] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 17 juin 2021, qui, dans l'infor

mation suivie contre lui du chef de blanchiment en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° M 21-84.228 F-B

N° 00085

SM12
26 JANVIER 2022

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 JANVIER 2022

M. [D] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 17 juin 2021, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de blanchiment en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 6 septembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lesourd, avocat de M. [D] [E], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Le 4 mars 2017, à 10 heures, M. [E] a été contrôlé par des agents des douanes en gare de [Localité 1] à [Localité 3], à sa descente d'un train en provenance de [Localité 2].

2. Il a notamment été trouvé porteur, à la suite d'une palpation, d'une somme de 100 000 euros en billets de 500 euros, cachés dans son entrejambe, outre celle de 1 160 euros se trouvant dans une sacoche.

3. Transféré dans les locaux des douanes, M. [E] a été soumis à une fouille de 10 heures 20 à 10 heures 30, qui s'est révélée négative.

4. L'intéressé a été placé en retenue douanière de 10 heures 45 à 11 heures 15, avant d'être placé en garde à vue pour blanchiment douanier et blanchiment de droit commun.

5. Une information ayant été ouverte, il a ultérieurement été mis en examen pour blanchiment en bande organisée.

6. Le 5 août 2020, son conseil a déposé une requête tendant à l'annulation de la rétention douanière à défaut de flagrant délit douanier puni d'une peine d'emprisonnement, ainsi que de la fouille à corps dont il allègue avoir fait l'objet.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D 166, alors :

« 1°/ qu'en énonçant, pour écarter la nullité de la procédure douanière à défaut d'éléments de nature à caractériser le délit de blanchiment douanier, que le mis en examen venant de [Localité 2], près de la frontière espagnole et arrivant dans une gare internationale, il pouvait légitiment être envisagé à ce stade de la procédure un élément d'extranéité, sans que celui-ci ne doive, à ce stade, être caractérisé plus avant, tandis que ni la distance entre [Localité 2] et la frontière espagnole, ni la circonstance que la gare de [Localité 1] soit une « gare internationale » ne permettaient d'en déduire que le mis en examen, qui circulait entre [Localité 2] et [Localité 3], aurait procédé ou tenté de procéder, par exportation, importation, transfert ou compensation, à une opération financière entre la France et l'étranger, élément constitutif du délit de blanchiment douanier, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 415 et 415-1 du code des douanes ;

2°/ qu'en énonçant, pour écarter la nullité de la procédure douanière à défaut d'éléments de nature à caractériser le délit de blanchiment douanier, que « les conditions matérielles de transport d'une somme d'argent de 100 000 euros, en coupures de 500 euros (200 billets), dissimulée au niveau de l'entrejambe, et de 58 billets de banque de 20 euros (1 160 euros) se trouvant dans sa sacoche pouvaient légitimement ne paraître obéir à d'autre motifs que de dissimuler le fait que les fonds étaient le produit direct ou indirect d'un délit prévu par le code des douanes, en l'espèce le délit de blanchiment » tandis que la présomption d'origine illicite des fonds qui s'attache à leur dissimulation ne saurait suppléer l'absence d'opération financière entre la France et l'étranger, élément constitutif du délit de blanchiment douanier, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 415 et 415-1 du code des douanes ;

3°/ qu'en énonçant que la procédure n'était entachée d'aucune nullité dès lors que « les conditions matérielles de transport d'une somme d'argent de 100 000 euros, en coupures de 500 euros, (200 billets), dissimulée au niveau de l'entrejambe, et de 58 billets de banque de 20 euros (1 160 euros) se trouvant dans sa sacoche pouvaient légitimement ne paraître obéir à d'autre motifs que de dissimuler le fait que les fonds étaient le produit direct ou indirect d'un délit prévu par le code des douanes, en l'espèce le délit de blanchiment », affirmant ainsi que la qualification de blanchiment douanier ne pouvait être écartée dès lors que la dissimulation des fonds permettait de présumer qu'ils étaient le produit direct ou indirect de ce même délit de blanchiment douanier, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale et les articles 415 et 415-1 du code des douanes ;

4°/ qu'en énonçant que la procédure n'était entachée d'aucune nullité tout en constatant qu'à l'issue des opérations de visite, le mis en examen avait été placé en retenue douanière cependant qu'à l'issue du droit de visite, hors le cas où sont réunies les conditions permettant une retenue douanière et sauf dispositions spécifiques, les agents des douanes ne sont pas autorisés à continuer à retenir la personne contrôlée contre son gré, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 60 et 323-1 du code des douanes ;

5°/ qu'en énonçant, pour refuser d'annuler la fouille à corps, que celle-ci était intervenue dans les conditions prévues par l'article 323-7 du code des douanes, soit au cours de la retenue douanière, alors qu'en l'absence de flagrant délit de blanchiment douanier, les agents des douanes ne pouvaient procéder au placement du mis en examen en retenue douanière, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 60, 323-1 et 323-7 du code des douanes ;

6°/ qu'en affirmant que la fouille à corps était intervenue au cours de la retenue douanière, tout en constatant que cette fouille s'était déroulée entre 10 heures 20 et 10 heures 30 et que le mis en examen avait été placé en retenue douanière à 10 heures 45, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a méconnu les articles 593 du code de procédure pénale et articles 60, 323-1 et 323-7 du code des douanes ;

7°/ qu'en énonçant, pour refuser d'annuler la fouille à corps, qu'en l'espèce, rien, sauf les affirmations du conseil, ne vient démontrer que cet acte ait consisté en autre chose qu'une fouille des vêtements quand le procès-verbal mentionnait une « visite à corps » sans indiquer qu'elle aurait été limitée à la seule fouille des vêtements, la chambre de l'instruction, qui a dénaturé le procès-verbal des douanes, a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale et 60, 323-1 et 323-7 du code des douanes. »

Réponse de la Cour

- Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches :

Vu les articles 323-1, 415 et 415-1 du code des douanes :

8. Aux termes du premier de ces textes, les agents des douanes ne peuvent procéder à l'arrestation et au placement en retenue douanière d'une personne qu'en cas de flagrant délit douanier puni d'une peine d'emprisonnement.

9. Seul est qualifié de délit flagrant le délit qui se commet actuellement ou vient de se commettre. Il en est de même lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne soupçonnée est trouvée en possession d'objets ou présente des traces ou indices laissant penser qu'elle a participé au délit.

10. Selon le deuxième de ces textes, commet le délit de blanchiment douanier, puni notamment d'un emprisonnement de deux à dix ans, ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds qu'ils savaient provenir, directement ou indirectement, d'un délit prévu au présent code ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants.

11. Selon le troisième, pour l'application du deuxième, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d'un délit prévu au code des douanes ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants, lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d'autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine.

12. En l'espèce, pour écarter le moyen pris de la nullité de la rétention douanière à défaut de flagrant délit douanier puni d'une peine d'emprisonnement, l'arrêt attaqué énonce que les conditions matérielles de transport d'une somme d'argent de 100 000 euros, en coupures de 500 euros, dissimulées au niveau de l'entrejambe, et de cinquante-huit billets de banque de 20 euros, soit 1 160 euros se trouvant dans sa sacoche, pouvaient légitimement ne paraître obéir à d'autres motifs que de dissimuler le fait que les fonds étaient le produit direct ou indirect d'un délit prévu par le code des douanes, en l'espèce le délit de blanchiment.

13. Les juges ajoutent qu'au surplus, la personne contrôlée, venant de [Localité 2], près de la frontière espagnole, et arrivant dans une gare internationale, il pouvait légitimement être envisagé à ce stade de la procédure un élément d'extranéité, sans que celui-ci ne doive, à ce stade, être caractérisé plus avant, d'autant que le service des douanes connaît également des droits indirects.

14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

15. En effet, d'une part, l'article 415-1 du code des douanes n'ayant pas institué une présomption de constitution du délit douanier de blanchiment, mais uniquement un renversement partiel de la charge de la preuve de l'infraction concernant l'origine illicite des fonds, les juges ne pouvaient déduire l'existence d'un flagrant délit de blanchiment douanier des seules conditions de transport des sommes d'argent découvertes en possession de la personne contrôlée, sans relever au préalable la présence d'indices permettant de présumer la réalisation d'une opération financière avec l'étranger.

16. D'autre part, les seuls faits relevés, à savoir le transport d'une importante somme d'argent en espèces dissimulée au niveau de l'entrejambe entre la gare de [Localité 2] et la gare de [Localité 1] à [Localité 3], qui ne permettent pas de caractériser une telle opération, ne pouvaient révéler l'existence d'un flagrant délit douanier puni d'une peine d'emprisonnement.

17. La cassation est par conséquent encourue.

- Et sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches :

Vu les articles 60 et 323-7 du code des douanes et l'article 593 du code de procédure pénale :

18. Il se déduit des deux premiers de ces textes, que la visite des personnes à laquelle les agents des douanes peuvent procéder en application du premier, qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements, qui ne peut être mise en oeuvre, aux termes du second, qu'en cas de retenue douanière.

19. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

20. En l'espèce, pour écarter le moyen pris de la nullité de la fouille subie par M. [E] le 4 mars 2017, de 10 heures 20 à 10 heures 30, dans les locaux des douanes, l'arrêt attaqué relève que cette « visite à corps » était justifiée par les déclarations évolutives de M. [E], ainsi que par la localisation des billets découverts à l'occasion de la palpation de sécurité, justifiant qu'il soit procédé à une fouille à corps afin de s'assurer qu'il ne dissimulait pas d'autres objets.

21. Les juges ajoutent qu'en tout état de cause, rien ne permet de dire qu'il ne s'est pas agi d'une simple fouille des vêtements.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas justifié sa décision, a méconnu les articles susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

23. En effet, il résulte du procès-verbal relatant le déroulement de cette mesure dans un local prévu à cet effet, offrant toutes les garanties de discrétion, d'hygiène et de sécurité, que les agents des douanes ont procédé à une fouille à corps, dépassant les prérogatives dont ils bénéficient dans le cadre d'un contrôle fondé sur l'article 60 du code des douanes, alors que la personne concernée ne se trouvait pas en retenue douanière, les conditions de celle-ci n'étant par ailleurs pas réunies.

24. La cassation est par conséquent encourue également de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 17 juin 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six janvier deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-84228
Date de la décision : 26/01/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

DOUANES - Agent des douanes - Pouvoirs - Droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes - Article 60 du code des douanes - Palpation et fouille de vêtements - Exclusion - Fouille à corps

La visite des personnes à laquelle les agents des douanes peuvent procéder en application de l'article 60 du code des douanes, qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements, qui ne peut être mise en oeuvre, aux termes de l'article 323-7 du même code, qu'en cas de retenue douanière. Encourt la censure l'arrêt qui écarte le moyen pris de la nullité d'une fouille à corps réalisée par des agents des douanes, au motif, d'une part, qu'elle était justifiée par les déclarations évolutives de la personne contrôlée et la localisation des billets découverts à l'occasion de la palpation de sécurité, d'autre part que rien ne permet de dire qu'il ne s'est pas agi d'une simple fouille des vêtements, alors qu'il résulte du procès-verbal relatant le déroulement de cette mesure que les agents des douanes ont procédé à une fouille à corps, dépassant les prérogatives dont ils bénéficient dans le cadre d'un contrôle fondé sur l'article 60 du code des douanes, et que la personne concernée ne se trouvait pas en retenue douanière, les conditions de celle-ci n'étant par ailleurs pas réunies


Références :

Articles 60 et 323-7 du code des douanes.

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 17 juin 2021

Concernant la possibilité, en vertu de l'article 60 du code des douanes, de procéder à une fouille de vêtements qui ne peut être assimilée à une fouille corporelle : Crim., 31 mai 2011, pourvoi n° 11-80034, Bull. crim. 2011, n° 113 (1) (annulation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 jan. 2022, pourvoi n°21-84228, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Composition du Tribunal
Président : M. Soulard
Avocat(s) : SCP Lesourd

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.84228
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