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31/03/2021 | FRANCE | N°19-12045

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 31 mars 2021, 19-12045


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 31 mars 2021

Rejet

Mme DARBOIS, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président

Arrêt n° 288 F-P

Pourvoi n° K 19-12.045

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 31 MARS 2021

La sociÃ

©té Fiduciaire comptable du Nord (FCN), société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-12.045 contre l'arrêt rendu le 11 dé...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 31 mars 2021

Rejet

Mme DARBOIS, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président

Arrêt n° 288 F-P

Pourvoi n° K 19-12.045

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 31 MARS 2021

La société Fiduciaire comptable du Nord (FCN), société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-12.045 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à la société [...], dont le siège est [...] , en la personne de Mme Y... V..., prise en qualité de mandataire liquidataire, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Fiduciaire comptable du Nord, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société [...], ès qualités, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 février 2021 où étaient présents Mme Darbois, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 décembre 2018), M. B... est devenu le président et directeur général de la société anonyme [...] (la société [...]) le 30 janvier 2006.

2. Les comptes de l'exercice clos le 31 mars 2011 faisant apparaître un déficit ayant pour origine des malversations commises par M. B..., celui-ci a été, le 27 juillet 2011, révoqué de ses fonctions de président et directeur général, et licencié.

3. La société Fiduciaire comptable du Nord (la société FCN), commissaire aux comptes, a, le 25 août 2011, adressé une lettre de révélation au procureur de la République, qui a donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire pour abus de biens sociaux à l'issue de laquelle M. B... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel et condamné pénalement et civilement.

4. Estimant que le commissaire aux comptes avait manqué à ses obligations professionnelles en ne l'alertant pas sur les malversations ainsi commises, la société [...] l'a, le 18 juin 2013, assigné en réparation de son préjudice.

5. Le 4 septembre 2014, la société [...] a été mise en liquidation judiciaire et M. C... désigné en qualité de mandataire liquidateur, ultérieurement remplacé par Mme V....

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. La société FCN fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société [...], prise en la personne de son mandataire liquidateur, la somme de 71 088,50 euros au titre de la perte de chance d'éviter les détournements ayant pris la forme d'une augmentation de la rémunération de M. B... à compter du 1er avril 2009, alors :

« 1°/ que la société FCN et la société [...] versaient toutes deux aux débats le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 1er avril 2010, lequel avait validé les rémunérations de M. B... pour l'exercice 2009/2010 et fixé sa rémunération pour l'exercice 2010/2011 ; qu'en reprochant néanmoins à la société FCN de ne pas s'être aperçue "qu'aucune décision du conseil d'administration n'était venue déterminer les augmentations de rémunération de M. B... à compter du 1er avril 2009", la cour d'appel, qui a dénaturé ladite pièce par omission, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que si le commissaire aux comptes a un pouvoir permanent de contrôle qui lui permet de procéder à des investigations quand il le juge utile, il n'est pas chargé du contrôle permanent de la comptabilité ; que le commissaire aux comptes est habilité à procéder par voie de sondages, ce qui exclut toute vérification exhaustive de la comptabilité ; qu'en l'absence d'anomalie apparente, le commissaire aux comptes n'est donc nullement tenu de procéder à des investigations approfondies en cours d'exercice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir reprocher à la société FCN d'avoir manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération de M. B... au cours de l'exercice 2009/2010 au motif notamment qu'elle serait "restée inerte, attendant de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables une fois l'exercice achevé" ; qu'elle a estimé qu'un tel comportement était constitutif d'une négligence fautive dès lors que "sa mission n'est pas limitée à un contrôle a posteriori tenant à la certification des comptes, mais comprend également une mission permanente de contrôle" ; qu'en mettant ainsi un devoir de contrôle des comptes permanent à la charge de la société FCN, la cour d'appel a dénaturé la mission du commissaire aux comptes, en méconnaissance de l'article L. 823-10 du code de commerce ;

3°/ que le commissaire aux comptes n'est pas civilement responsable des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux sauf si, en ayant eu connaissance, il ne les a pas signalées dans son rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent ; qu'en l'espèce, la société FCN faisait valoir qu'elle n'avait émis aucune réserve relative à l'augmentation de rémunération de M. B... pour l'exercice 2009/2010, dans la mesure où le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société [...] en date du 1er avril 2010 l'avait rétroactivement validée ; qu'en reprochant cependant à la société FCN d'avoir manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération de M. B... pour l'exercice 2009/2010 "tant au cours de l'exercice qu'au plus tard lors de la certification des comptes de cet exercice", alors pourtant que l'exercice normal de ses diligences ne lui avait permis de déceler aucune anomalie, la cour d'appel a méconnu l'article L. 822-17 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

8. Ayant exactement rappelé que le conseil d'administration d'une société anonyme n'a pas le pouvoir de ratifier la décision du président qui, sans avoir préalablement obtenu une décision du conseil, s'est alloué une augmentation de sa rémunération, l'arrêt constate qu'aucune décision du conseil d'administration n'est venue déterminer l'augmentation de rémunération de M. B... à compter du 1er avril 2009. Il relève ensuite que le quantum de cette augmentation, qualifié de très substantiel, aurait nécessairement dû conduire la société FCN à effectuer des vérifications plus approfondies, cependant que la rémunération du dirigeant avait déjà été augmentée, certes dans des proportions moindres, au cours des exercices précédents, mais toujours sans aucune décision du conseil d'administration. Il retient enfin qu'en dépit de ces circonstances, qui auraient dû aiguiser la vigilance du commissaire aux comptes pour l'exercice suivant, celui-ci n'a accompli aucune démarche pour se faire communiquer le procès-verbal du conseil d'administration du 1er avril 2010 fixant la rémunération de M. B... pour l'exercice en cours 2010/2011 ou, à tout le moins, pour vérifier la rémunération du dirigeant social au cours de cet exercice.

9. En l'état de ces énonciations et constatations souveraines, c'est sans avoir mis à la charge du commissaire aux comptes un devoir de contrôle permanent des comptes ni omis de prendre en considération le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 1er avril 2010, que la cour d'appel a retenu que la société FCN avait manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant social et commis une négligence fautive, d'un côté, en n'interpellant pas les organes compétents de la société, au cours de l'exercice du 1er avril 2009 au 31 mars 2010, et en ne formulant aucune observation ou réserve lors de la certification des comptes de cet exercice et, de l'autre, pour l'exercice suivant, en ne veillant pas suffisamment à s'assurer de la sincérité de l'information relative à la rémunération du dirigeant social et en restant inerte dans l'attente de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables, une fois l'exercice achevé.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Fiduciaire comptable du Nord aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fiduciaire comptable du Nord et la condamne à payer à la société [...], prise en la personne de son mandataire liquidateur, Mme V..., la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Fiduciaire comptable du Nord.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir condamné la société FCN à payer à la société anonyme [...], prise en la personne de son mandataire liquidateur Madame Y... V..., la somme de 71 088,50 euros au titre de la perte de chance d'éviter les détournements ayant pris la forme d'une augmentation de la rémunération de Monsieur G... B... à compter du 1er avril 2009 ;

AUX MOTIFS QUE « Sur les diligences du commissaire aux comptes relativement à l'augmentation de la rémunération du dirigeant social :

que la société [...] intègre à son préjudice les augmentations de rémunération de Monsieur B... de :
-39 886 euros au titre de l'exercice du 1er avril 2009 au 31 mars 2010 ;
-87 852 euros au titre de l'exercice du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 ;
-14 439 euros au titre de l'exercice du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 ;
soit un total de 142 177 euros ;

qu'elle souligne que l'expert-comptable ne peut pas passer d'écritures de rémunération d'un dirigeant social sans vérifier qu'une délibération a bien augmenté ou fixé ladite rémunération ;

que la société [...] souligne à cet égard l'augmentation exponentielle de la rémunération du dirigeant social, augmentant de 6% en 2007, de 7% en janvier 2008, de 53% en mai 2009 et enfin de 33% en avril 2010 ;

qu'elle souligne que le commissaire aux comptes ne pouvait pas ne pas se rendre compte [de] ce qu'il n'avait pas été convoqué une réunion du conseil d'administration ayant cet objet dès 2007 ;

qu'il résulte de l'article L. 225-47 du code de commerce que le conseil d'administration d'une société anonyme a une compétence exclusive pour déterminer la rémunération de son président, mais n'a pas le pouvoir de ratifier la décision du président qui, sans obtenir préalablement une décision du conseil d'administration, s'est alloué une rémunération ;

qu'or, aucune décision du conseil d'administration n'est venue déterminer les augmentations de rémunération de Monsieur B... à compter du 1er avril 2009 ;

que de plus, il résulte de l'article R. 823-9 du code de commerce l'obligation de convocation du commissaire aux comptes à toute assemblée d'actionnaires ou d'associés ou à toutes réunions de l'organe compétent au plus tard lors de la convocation des actionnaires ou membres de cet organe ;

que ce professionnel du chiffre est convoqué s'il y a lieu aux réunions des organes collégiaux d'administration ou de direction et de l'organe de surveillance, selon les cas ;

que l'article L. 823-10 alinéa 2 du code de commerce impose également au commissaire aux comptes de vérifier la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans le rapport de gestion du conseil d'administration, du directoire ou de tout autre organe de direction, et dans les documents adressés aux actionnaires ou associés sur la situation financière et les comptes annuels ;

qu'en vertu de ce texte, ce professionnel du chiffre doit également attester spécialement de l'exactitude et de la sincérité des informations relatives aux rémunérations et avantages de toute nature versés à chaque mandataire social ;

que pour autant, à l'occasion de l'exercice de sa mission et à l'occasion de ses rapports annuels, la société FCN avait pourtant nécessairement connaissance de l'augmentation de la rémunération de son dirigeant social, devant faire rapport du montant des 5 plus hautes rémunérations de l'entreprise, par application de l'article L. 225-115 4e du code de commerce ;

que pour le surplus, il conviendra en outre d'observer que le montant de la rémunération de ce dirigeant social figure dans les annexes aux déclarations fiscales annuelles au titre des relevés de frais généraux, produits par la société FCN elle-même ;

qu'il convient d'observer la défaillance de la société FCN dans l'obligation de moyen qu'elle était tenue de mettre en oeuvre à l'égard de son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant social dès l'exercice du 1er avril 2009 au 31 mars 2010, tant au cours de l'exercice qu'au plus tard lors de sa certification des comptes de cet exercice ;

qu'en effet, elle ne démontre pas s'être assurée auprès de l'expert-comptable de ce que l'augmentation, très substantielle, de la rémunération de Monsieur B... pour cet exercice avait fait l'objet d'une fixation par le conseil d'administration, alors même qu'elle n'avait pas été convoquée à une réunion de cet organe ayant cet objet ;

que ne sont pas produits les dossiers de travail du commissaire aux comptes, permettant de déterminer les documents éventuellement obtenus de l'expert-comptable ;

qu'elle ne démontre pas plus avoir interpellé les organes compétents de la société en ce sens ;

qu'il ne résulte en outre du rapport de la société FCN sur l'exercice du 1er avril 2009 au 31 mars 2010 la formulation d'aucune observation ou de la moindre réserve à cet égard ;

qu'or, le quantum de cette augmentation aurait nécessairement dû conduire à des vérifications plus approfondies, alors même que la rémunération du dirigeant avait pourtant été augmentée, certes dans des proportions moindres, au cours des exercices précédents, mais toujours sans aucune décision du conseil d'administration ;

que de même, alors que ces circonstances auraient dû aiguiser la vigilance du commissaire aux comptes pour l'exercice suivant, il n'apparaît pas plus que la société FCN ait accompli de quelconques démarches pour se faire communiquer précocement le procès-verbal du conseil d'administration du 1er avril 2010, alors que celui-ci portait validation des augmentations de rémunération du dirigeant social notamment pour les exercices passés, ou à tout le moins de prendre l'initiative de vérification à l'égard de la rémunération du dirigeant social au cours de l'exercice du 1er avril 2010 au 30 mars 2011 ;

que bien au contraire, il apparaît que la société FCN est sur ce point restée inerte, attendant de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables une fois l'exercice achevé, dans le seul cadre de sa mission de contrôle a posteriori de certification des comptes ;

qu'en effet, la société FCN n'a été avisée de ces faits par la société [...] qu'en juillet 2011, avant même de débuter ses propres opérations de certification des comptes de l'exercice ;

que dès lors, en ne veillant pas suffisamment à s'assurer de la sincérité de l'information relative à la rémunération du dirigeant social de la société [...], et alors que sa mission n'est pas limitée à un contrôle a posteriori tenant à la certification des comptes, mais comprend également une mission permanente de contrôle, la société FCN a commis une négligence fautive ;

que la société FCN est mal venue sur ce point à exciper de la limitation ou de la priorisation de ses points de contrôle par le plan de mission et par son programme de travail ;

que les éléments du dossier sont toutefois insuffisants pour démontrer, au-delà d'une simple négligence, que dès l'exercice commençant au 1er avril 2009, le commissaire aux comptes avait en réalité connaissance des détournements opérés par le dirigeant social de la société [...] prenant la forme d'augmentation de sa rémunération, qu'il n'aurait pas signalés dans son rapport annuel ou au conseil d'administration et avait ainsi la volonté de dissimuler ces détournements ;

[
]

Sur les préjudices :

qu'il conviendra d'observer que formulant une prétention à hauteur de 427 434,90 euros, la société [...] demande à la société FCN réparation de l'entier préjudice résultant des détournements opérés par son pdg, soit la somme de 236 434,90 euros, ainsi que de l'apport des associés perdu par l'entreprise par suite de sa liquidation, équivalent au montant de son capital social, soit 191 000 euros ;

que la société [...] demande ainsi au commissaire aux comptes réparation à l'euro près des détournements opérés par son ancien dirigeant social ;

que des éléments sus décrits, il résultera que les demandes de réparation ayant trait aux détournements autres que celui relatif à la seule augmentation de la rémunération du dirigeant social ne pourront pas prospérer ;

qu'il résulte de l'article L. 822-17 alinéa 3 que les commissaires aux comptes ne sont pas civilement responsables des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux, sauf si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas signalées dans leur rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent ayant des attributions équivalentes ;

pour que prospère la demande de la société [...] tendant à voir condamner le professionnel du chiffre à hauteur des détournements commis par son dirigeant social, il aurait fallu démontrer que ce commissaire aux comptes avait connaissance de tels détournements et ne les avait pas signalés ;

qu'il vient d'être tranché plus haut que les éléments du dossier ne permettaient pas suffisamment de considérer que dès l'exercice commençant au 1er avril 2009 l'expert-comptable avait connaissance des détournements opérés par le dirigeant social de la société [...] prenant la forme d'augmentation de sa rémunération ;

que dès lors, le seul préjudice dont la société [...] aurait pu réclamer réparation à ce professionnel du chiffre est celui résultant de sa seule perte de chance de déceler plus précocement les détournements opérés, et d'y mettre fin, et non du préjudice résultant du montant même de ces détournements ;

que la réparation de la perte de chance ne peut jamais être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;

que la perte de chance de la société [...] est certaine ;

que les éléments sus décrits permettent d'établir que le défaut de diligences sus rappelés à l'égard de l'augmentation de la rémunération pour l'exercice du 1er avril 2009 au 30 mars 2010, établie selon le même mode opératoire qu'à l'occasion des années passées, sans plus de réaction du commissaire aux comptes, ont fait perdre à la société [...] une chance de voir mise à jour les irrégularités y afférentes et d'y mettre fin ;

que c'est de manière inopérante que la société FCN soutient n'avoir fait perdre aucune chance à la société [...] d'éviter les détournements au titre de l'augmentation de rémunération pour l'exercice du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 et pour le suivant, en ce que celle-ci procède d'une décision du conseil d'administration de la société du 1er avril 2010 ;

qu'en effet, l'accomplissement normal et effectif des diligences du commissaire aux comptes en rapport avec l'augmentation de la rémunération de Monsieur B... au titre de l'exercice du 1er avril 2009 au 31 mars 2010 aurait pu raisonnablement conduire le conseil d'administration à ne pas prendre ou à revenir sur sa décision en terme de rémunération pour les exercices suivants ;

qu'il en résulte que la perte de chance de la société [...] d'éviter les détournements de son dirigeant social prenant la forme d'augmentation de rémunération à compter du 1er avril 2009 doit être évaluée à 50% » ;

1°/ ALORS QUE la société FCN et la société [...] versaient toutes deux aux débats le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 1er avril 2010 (v. production n° 4), lequel avait validé les rémunérations de Monsieur B... pour l'exercice 2009/2010 et fixé sa rémunération pour l'exercice 2010/2011 ; qu'en reprochant néanmoins à la société FCN de ne pas s'être aperçue « qu'aucune décision du conseil d'administration [n'était] venue déterminer les augmentations de rémunération de Monsieur B... à compter du 1er avril 2009 » (v. arrêt attaqué p. 12, § 2), la cour d'appel, qui a dénaturé ladite pièce par omission, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE si le commissaire aux comptes a un pouvoir permanent de contrôle qui lui permet de procéder à des investigations quand il le juge utile, il n'est pas chargé du contrôle permanent de la comptabilité ; que le commissaire aux comptes est habilité à procéder par voie de sondages, ce qui exclut toute vérification exhaustive de la comptabilité ; qu'en l'absence d'anomalie apparente, le commissaire aux comptes n'est donc nullement tenu de procéder à des investigations approfondies en cours d'exercice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir reprocher à la société FCN d'avoir manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération de Monsieur B... au cours de l'exercice 2009/2010 au motif notamment qu'elle serait « restée inerte, attendant de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables une fois l'exercice achevé » (v. arrêt attaqué p. 13, § 2) ; qu'elle a estimé qu'un tel comportement était constitutif d'une négligence fautive dès lors que « sa mission n'est pas limitée à un contrôle a posteriori tenant à la certification des comptes, mais comprend également une mission permanente de contrôle » (v. arrêt attaqué p. 13, § 4) ; qu'en mettant ainsi un devoir de contrôle des comptes permanent à la charge de la société FCN, la cour d'appel a dénaturé la mission du commissaire aux comptes, en méconnaissance de l'article L. 823-10 du code de commerce ;

3°/ ALORS, EN OUTRE, QUE le commissaire aux comptes n'est pas civilement responsable des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux sauf si, en ayant eu connaissance, il ne les a pas signalées dans son rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent ; qu'en l'espèce, la société FCN faisait valoir qu'elle n'avait émis aucune réserve relative à l'augmentation de rémunération de Monsieur B... pour l'exercice 2009/2010, dans la mesure où le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société [...] en date du 1er avril 2010 l'avait rétroactivement validée ; qu'en reprochant cependant à la société FCN d'avoir manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération de Monsieur B... pour l'exercice 2009/2010 « tant au cours de l'exercice qu'au plus tard lors de la certification des comptes de cet exercice » (v. arrêt attaqué p. 12, § 8), alors pourtant que l'exercice normal de ses diligences ne lui avait permis de déceler aucune anomalie, la cour d'appel a méconnu l'article L. 822-17 du code de commerce ;

4°/ ALORS, ENFIN, QUE le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut relever d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer contradictoirement ; qu'en l'espèce, la société [...] reprochait uniquement à la société FCN de ne pas s'être aperçue qu'elle n'avait été convoquée à aucune réunion du conseil d'administration relative à l'augmentation de la rémunération de Monsieur B... et de ne pas avoir soulevé la nullité de la délibération validant rétroactivement ces augmentations ; que la cour d'appel a cru pouvoir relever d'office qu'« à l'occasion de l'exercice de sa mission et à l'occasion de ses rapports annuels, la société FCN avait nécessairement connaissance de l'augmentation de la rémunération de son dirigeant social, devant faire rapport du montant des 5 plus hautes rémunérations de l'entreprise, par application de l'article L. 225-115 4e du code de commerce » (v. arrêt attaqué p. 12, § 6) ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'article L. 225-115, 4e du code du commerce, sans avoir préalablement rouvert les débats pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur ce point, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

SOCIETE ANONYME - Commissaire aux comptes - Responsabilité - Faute - Obligation de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant social - Manquement - Applications diverses

Ne met pas à la charge du commissaire aux comptes un devoir de contrôle permanent des comptes la cour d'appel qui retient que celui-ci avait manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant social et commis une négligence fautive, d'une part, en n'interpellant pas les organes compétents de la société et en ne formulant aucune observation ou réserve lors de la certification des comptes d'un exercice et, d'autre part, pour l'exercice suivant, en ne veillant pas suffisamment à s'assurer de la sincérité de l'information relative à la rémunération du dirigeant social et en restant inerte dans l'attente de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables, une fois l'exercice achevé


Références :

articles L.822-17 et L. 823-10 du code de commerce

article 4 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 11 décembre 2018

Sur la responsabilité du commissaire au compte, à rapprocher : Com., 19 oct. 1999, pourvoi n° 96-20687, Bull. 1999, IV, n° 179 (cassation).


Publications
Proposition de citation: Cass. Com., 31 mar. 2021, pourvoi n°19-12045, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles
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Composition du Tribunal
Président : Mme Darbois (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Bénabent , SCP Poulet-Odent

Origine de la décision
Formation : Chambre commerciale
Date de la décision : 31/03/2021
Date de l'import : 15/06/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19-12045
Numéro NOR : JURITEXT000043352188 ?
Numéro d'affaire : 19-12045
Numéro de décision : 42100288
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2021-03-31;19.12045 ?
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