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27/01/2021 | FRANCE | N°19-22508

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 27 janvier 2021, 19-22508


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 janvier 2021

Cassation partielle sans renvoi

Mme BATUT, président

Arrêt n° 102 FS-P+I

Pourvoi n° G 19-22.508

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 27 JANVIER 2021

M. N... U..., domicilié [...] , a formé

le pourvoi n° G 19-22.508 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2019 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 janvier 2021

Cassation partielle sans renvoi

Mme BATUT, président

Arrêt n° 102 FS-P+I

Pourvoi n° G 19-22.508

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 27 JANVIER 2021

M. N... U..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° G 19-22.508 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2019 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme L... P..., domiciliée [...] ,

2°/ à l'Union départementale des association familiales (UDAF) de l'Ain, dont le siège est 12 bis rue de la Liberté, BP 30160, 01004 Bourg-en-Bresse, en qualité de tuteur de Mme J... U...,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. N... U..., de Me Bouthors, avocat de Mme P..., et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mmes Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juillet 2019), E... U... a souscrit un contrat d'assurance sur la vie auprès de la compagnie Aviva. Le 23 août 2010, il a désigné comme bénéficiaire sa concubine, Mme P..., et, à défaut, ses héritiers. Il a été placé en tutelle par jugement du 30 juin 2015, son fils, M. N... U..., étant désigné en qualité de tuteur. Par ordonnance du 25 avril 2016, le juge des tutelles a autorisé ce dernier à faire procéder au changement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie et à désigner Mme U... et M. N... U..., les enfants du majeur protégé, en qualité de bénéficiaires. E... U... est décédé le 20 novembre 2016.

2. Le 15 septembre 2017, Mme P... a formé tierce opposition à l'encontre de l'ordonnance du 25 avril 2016. Par ordonnance du 4 janvier 2018, le juge des tutelles a déclaré la tierce-opposition irrecevable. Le 22 janvier 2018, Mme P... a interjeté appel de l'ordonnance du 25 avril 2016 et de l'ordonnance du 4 janvier 2018.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. N... U... fait grief à l'arrêt de dire que l'application des dispositions des articles 1239, alinéa 2 et 3, et 1241-1 du code de procédure civile au cas d'espèce est contraire à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en conséquence, de recevoir Mme P... en son appel et de rejeter sa requête tendant à être autorisé à faire procéder au changement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie souscrit par E... U..., alors « que l'appel des décisions du juge des tutelles est réservé aux personnes proches du majeur protégé, à savoir son conjoint, son partenaire ou son concubin dans la mesure où la communauté de vie n'a pas cessé, un parent ou un allié, ou une personne qui entretient avec le protégé des liens stables ; que la cour d'appel a constaté que Mme P... ne partageait plus la vie de E... U... depuis au moins 18 mois, sans que ce dernier ait cherché à renouer avec elle ; qu'elle en a déduit que le concubinage avait pris fin ; qu'en déclarant le recours de Mme P... recevable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que Mme P... n'avait plus de lien avec E... U... et n'avait dès lors pas qualité pour intervenir aux opérations de tutelle ; qu'elle a ce faisant violé les articles l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1239 et 430 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1239 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-756 du 22 juillet 2019, et l'article 430 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

5. Il résulte de la combinaison des deuxième et troisième de ces textes que, sauf disposition contraire, les décisions du juge des tutelles sont susceptibles d'appel et que, sans préjudice des dispositions prévues par les articles 1239-1 à 1239-3, l'appel est ouvert à la personne qu'il y a lieu de protéger, son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, les parents ou alliés, les personnes entretenant avec le majeur des liens étroits et stables et la personne qui exerce la mesure de protection juridique, et ce, même si ces personnes ne sont pas intervenues à l'instance.

6. Il s'en déduit que seuls peuvent interjeter appel des décisions du juge des tutelles, en matière de protection juridique des majeurs, outre le procureur de la République, les membres du cercle étroit des parents et proches qui sont intéressés à la protection du majeur concerné, ainsi que l'organe de protection.

7. En ouvrant ainsi le droit d'accès au juge à certaines catégories de personnes, qui, en raison de leurs liens avec le majeur protégé, ont vocation à veiller à la sauvegarde de ses intérêts, ces dispositions poursuivent les buts légitimes de protection des majeurs vulnérables et d'efficacité des mesures.

8. Elles ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction du droit d'accès au juge et le but légitime visé dès lors que les tiers à la mesure de protection disposent des voies de droit commun pour faire valoir leurs intérêts personnels.

9. Pour déclarer recevable l'appel formé par Mme P... contre l'ordonnance du juge des tutelles du 25 avril 2016, après avoir constaté que celle-ci n'avait pas qualité à agir, l'arrêt retient que, si les restrictions légales à l'exercice des voies de recours contre les décisions du juge des tutelles poursuivent des objectifs légitimes de continuité et de stabilité de la situation du majeur protégé, dans le cas d'espèce, la privation du droit d'appel est sans rapport raisonnable avec le but visé dès lors que Mme P... est privée de tout recours contre une décision qui porte atteinte de manière grave à ses intérêts.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le concubinage de Mme P... et E... U... avait pris fin en mars 2015 et qu'après la séparation du couple, Mme P... n'avait pas entretenu avec le majeur protégé des liens étroits et stables au sens de l'article 430 du code civil, ce dont il résultait que l'absence de droit d'appel de celle-ci ne portait pas atteinte à son droit d'accès au juge, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Ainsi que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen et le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'application des dispositions des articles 1239, alinéa 2 et 3, et 1241-1 du code de procédure civile au cas d'espèce est contraire à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en conséquence, reçoit Mme P... en son appel, réforme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 avril 2016 par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Bourg en Bresse et, statuant à nouveau, déboute N... U..., agissant en sa précédente qualité de tuteur de E... U..., de sa requête visant à être autorisé à faire procéder au changement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie multi-support DSK Afer n° 12536892 auprès de la compagnie d'assurance Aviva et à désigner J... U... et N... U..., ses enfants, dit la décision opposable à l'UDAF de l'Ain, en sa qualité de tuteur de Mme J... U... et condamne M. N... U... aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable l'appel formé par Mme P... à l'encontre de l'ordonnance rendue le 25 avril 2016 par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Bourg en Bresse ;

Condamne Mme P... aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Auroy, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. N... U....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'application des dispositions des articles 1239 al 2 et 3 et 1241-1 du code de procédure civile au cas d'espèce est contraire à l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en conséquence, d'avoir reçu Mme A... U... en son appel et débouté M. N... U... de sa requête tendant à être autorisé à faire procéder un changement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit par E... U...,

AUX MOTIFS QUE l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoqué verbalement par le conseil de l'appelante au cours des débats devant la Cour, fonde le droit de toute personne à ce que sa cause, en particulier sur ses droits et obligations à caractère civil, soit entendue par un tribunal ; que l'application des dispositions précitées du code de procédure civile conduit à priver L... P... de toute voie de recours contre une décision qui atteint indiscutablement et de manière grave à ses intérêts et, de surcroît, a été prise sans qu'elle ait été entendue ou mise en mesure de faire valoir ses observations ; qu'en effet, comme il a été dit, les règles du code de procédure civile ne permettent pas à L... P... d'exercer une voie de recours contre l'ordonnance du 25 avril 2016, dès lors que : - la tierce-opposition est subordonnée à une qualité de créancier qu'elle ne possède pas, - l'exercice du droit d'appel, outre qu'il était rendu de fait quasiment impossible à défaut pour l'intéressée d'être informée de la décision dans les 15 jours de son prononcé, est subordonné à la démonstration d'un lien avec le majeur protégé qui n'était plus effectif après la séparation du couple ; que les restrictions légales à l'exercice des voies de recours contre les décisions du juge des tutelles poursuivent les objectifs légitimes de continuité et de stabilité de la situation du majeur protégé ; que dans le cas d'espèce, la privation du droit d'appel est sans rapport raisonnable avec le but visé dès lors que, sans que la décision attaquée ait touché aux droits et intérêts matériels du majeur protégé, elle conduit à priver L... P... du droit fondamental à un procès équitable en violation des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne précitée que le juge national se doit d'appliquer ; qu'en conséquence, il convient d'écarter les dispositions des articles 1239 al. 2 et 3 et 1241-1 du code de procédure civile restrictives du droit d'appel et déclarer recevable l'appel de L... P... à l'encontre de l'ordonnance du 25 avril 2016,

1) ALORS QUE pour agir en justice, il faut à la fois justifier d'un intérêt et avoir qualité à agir ; que pour déclarer le recours recevable, la cour d'appel a constaté que Mme L... P... avait intérêt à agir contre une décision qui avait porté atteinte à ses intérêts pécuniaires ; qu'en ne recherchant pas si Mme L... P..., dont elle a constaté qu'elle ne partageait plus ni communauté de vie, ni lien affectif avec E... U..., avait en outre qualité à intervenir aux opérations de tutelle, dont elle a rappelé qu'elles avaient pour seul objectif la protection du majeur vulnérable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 32 du code de procédure civile et 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2) ALORS QUE l'appel des décisions du juge des tutelles est réservé aux personnes proches du majeur protégé, à savoir son conjoint, son partenaire ou son concubin dans la mesure où la communauté de vie n'a pas cessé, un parent ou un allié, ou une personne qui entretient avec le protégé des liens stables ; que la cour d'appel a constaté que Mme L... P... ne partageait plus la vie de E... U... depuis au moins 18 mois, sans que ce dernier ait cherché à renouer avec elle; qu'elle en a déduit que le concubinage avait pris fin ; qu'en déclarant le recours de Mme L... P... recevable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que Mme L... P... n'avait plus de lien avec E... U... et n'avait dès lors pas qualité pour intervenir aux opérations de tutelle ; qu'elle a ce faisant violé les articles l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1239 et 430 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. N... U... agissant en qualité de tuteur de E... U..., de sa requête visant à être autorisé à faire procéder au changement de clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie et désigner Mme J... et M. N... U... en tant que bénéficiaires,

AUX MOTIFS QUE l'ordonnance attaquée a été rendue sur la requête de N... U... déposée le 25 mars 2016, par laquelle il exposait que la bénéficiaire du contrat d'assurance-vie était L... P... qui avait quitté le domicile de son père depuis un an ; que le requérant précisait que, depuis lors, sa mère A... et lui-même assuraient le principal entourage de son père ainsi que le bon fonctionnement de ses affaires ; que cette ordonnance appelle une triple critique : que tout d'abord, le juge ne pouvait pas autoriser N... U... à procéder à un acte dans une situation de confusion manifeste d'intérêts, entre sa qualité de tuteur et sa qualité de futur bénéficiaire d'une partie du capital de l'assurance-vie ; que l'article L. 132-4-1 a1. 2 du code des assurances prévoit d'ailleurs que si le bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie est le curateur ou le tuteur, il est réputé être en opposition d'intérêts avec la personne protégée ; que cette disposition, qui vise à écarter la confusion entre les actes du tuteur dans l'exercice de sa mission et la protection de ses intérêts propres, ne saurait se limiter au cas où le tuteur est bénéficiaire de l'ensemble de l'assurance mais s'entend nécessairement du cas où il ne doit bénéficier que d'une partie du capital, ce qui est le cas en l'espèce puisque les droits sont partagés entre N... U... et sa soeur J... U... ; qu'ensuite, le juge ne pouvait pas valablement autoriser un acte de révocation d'une stipulation de bénéficiaire d'assurance-vie et de substitution de bénéficiaire, prohibé par les articles L. 132-4-1 et L. 132-9 al. 2 du code des assurances ; que l'article L. 132-4-1 al.2 dispose que notamment que "Lorsqu'une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant, la souscription ou le rachat d'un contrat d'assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué » ; que l'article L 132-9 al. 2 est rédigé comme suit : tant que l'acceptation n'a pas eu lieu, le droit de révoquer cette stipulation n'appartient qu'au stipulant et ne peut être exercé de son vivant ni par ses créanciers ni par ses représentants légaux. Lorsqu'une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant, la révocation ne peut intervenir qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué ; qu'il ressort de ces dispositions que seul E... U... et non son tuteur pouvait, avec l'autorisation du juge des tutelles, révoquer la stipulation au bénéfice de L... P... pour y substituer une stipulation au profit de ses enfants ; qu'enfin, le juge n'a pas spécifié en quoi l'opération serait conforme aux intérêts du majeur protégé ; qu'en l'espèce, dès lors que la décision n'affectait pas directement son patrimoine, l'intérêt de E... U..., majeur protégé, ne pouvait être que le respect de sa volonté quant au choix du bénéficiaire de l'assurance-vie ; qu'aucun élément du dossier, pas même la requête de N... U..., ne fait état d'une quelconque expression de volonté de E... U... de révoquer la stipulation bénéficiant à son ancienne compagne ; que le débat sur les capacités de discernement de E... U... à la désignation de sa compagne comme bénéficiaire de son assurance-vie le 23 août 2010, eu égard à la pathologie d'Alzheimer diagnostiquée l'année précédente, est sans objet dans le présent litige,

1) ALORS QUE lorsqu'une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant d'une assurance-vie, la souscription ou le rachat du contrat ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué ; que lorsque le bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie est le curateur ou le tuteur, il est réputé être en opposition d'intérêts avec la personne protégée ; que le conflit d'intérêt n'interdit pas le changement de bénéficiaire mais appelle, de la part du juge, une vigilance accrue ; qu'en retenant que M. N... U..., tuteur de son père, ne pouvait être désigné bénéficiaire d'une assurance en cas de décès, la cour d'appel a violé l'article L 132-4-1 du code des assurances ;

2) ALORS QUE lorsqu'une tutelle a été ouverte, le changement de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie ne peut intervenir qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de changement de bénéficiaire, que seul E... U..., et non son tuteur, même autorisé par le juge, pouvait procéder au changement de bénéficiaire, la cour d'appel a violé les articles L 132—14-1 la2 et L 132-9 al 2 du code des assurances ;

3) ALORS QU'il appartient à celui qui conteste une décision du juge des tutelles d'établir en quoi elle est contraire aux intérêts de la personne protégée ; que l'ordonnance du 25 avril 2016 énonçait que le rétablissement des enfants en tant que bénéficiaires de l'assurance-vie était conforme aux intérêts de E... U... ; qu'il appartenait à Mme L... P..., qui contestait cette décision, d'établir le contraire ; qu'en considérant, pour réformer l'ordonnance entreprise, qu'il n'était pas spécifié en quoi l'opération était conforme aux intérêts de E... U..., la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil.


Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Tribunal - Accès - Droit d'agir - Restriction - Applications diverses - Personnes pouvant faire appel des décisions du juge des tutelles

MAJEUR PROTEGE - Procédure - Décision du juge des tutelles - Recours - Personnes pouvant l'exercer - Détermination - Portée

En ouvrant le droit d'accès au juge à certaines catégories de personnes, qui, en raison de leurs liens avec le majeur protégé, ont vocation à veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les articles 1239 du code de procédure civile et 430 du code civil poursuivent les buts légitimes de protection des majeurs vulnérables et d'efficacité des mesures. Ils ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction du droit d'accès au juge et le but légitime visé dès lors que les tiers à la mesure de protection disposent des voies de droit commun pour faire valoir leurs intérêts personnels. Viole ces textes et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une cour d'appel qui déclare recevable l'appel de l'ancienne concubine du majeur protégé formé contre une décision du juge des tutelles ayant, sur requête du tuteur, modifié la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit par le majeur protégé, alors qu'elle constatait que le concubinage avait pris fin à la date de la décision et qu'après la séparation du couple, l'intéressée n'avait pas entretenu avec le majeur des liens étroits et stables au sens de l'article 430 du code civil, ce dont il résultait que l'absence de droit d'appel de celle-ci ne portait pas atteinte à son droit d'accès au juge


Références :

.
article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

article 1239 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-756 du 22 juillet 2019

article 430 du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 10 juillet 2019

A rapprocher : 1re Civ., 14 mars 2018, pourvoi n° 16-19731, Bull. 2018, I, n° 52 (rejet).


Publications
Proposition de citation: Cass. Civ. 1re, 27 jan. 2021, pourvoi n°19-22508, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles
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Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, Me Bouthors

Origine de la décision
Formation : Chambre civile 1
Date de la décision : 27/01/2021
Date de l'import : 09/11/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19-22508
Numéro NOR : JURITEXT000043106072 ?
Numéro d'affaire : 19-22508
Numéro de décision : 12100102
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2021-01-27;19.22508 ?
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