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02/12/2020 | FRANCE | N°18-24055

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 02 décembre 2020, 18-24055


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 décembre 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 802 FS-P

Pourvoi n° U 18-24.055

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 DÉCEMBRE 2020

1°/ M. V... Q...,

2°/ Mme H... U...,

épouse Q...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° U 18-24.055 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (p...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 décembre 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 802 FS-P

Pourvoi n° U 18-24.055

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 DÉCEMBRE 2020

1°/ M. V... Q...,

2°/ Mme H... U..., épouse Q...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° U 18-24.055 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant :

1°/ au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France, domicilié [...] , agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques,

2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme Q..., de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, et du directeur général des finances publiques, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mmes Le Bras, Lefeuvre, Bessaud, Tostain, Bellino, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2018), M. et Mme Q... se sont acquittés, au titre de l'année 2012, de la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) instituée par l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Contestant la conformité de cette contribution avec les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de son caractère rétroactif et de l'absence de tout dispositif de plafonnement, ils en ont demandé le remboursement. Après rejet de leur réclamation, ils ont assigné l'administration fiscale pour demander l'annulation de cette décision et la restitution de l'impôt acquitté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

2. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 2°/ qu'il ressort, tant de l'économie même de l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, que des travaux parlementaires ayant précédé son adoption, qu'en instaurant au titre de l'année 2012 une "contribution exceptionnelle sur la fortune" dont l'assiette était calquée sur celle de l'impôt de solidarité sur la fortune, dont le contrôle et le recouvrement obéissaient aux même procédures, garanties et privilèges que celui-ci, dont le barème progressif était fortement inspiré de celui qui s'était appliqué pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2011, et dont le paiement devait être effectué après imputation du montant de l'impôt de solidarité sur la fortune acquitté au titre de l'année 2012, le législateur a entendu rétroactivement annihiler l'allégement d'imposition accordé sous la précédente législature et porter le niveau de l'imposition sur la fortune des redevables concernés au titre de 2012 au niveau qui se serait appliqué si le barème antérieur à la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 avait été conservé ; qu'il suit de là que cette CEF n'est pas distincte de l'impôt de solidarité sur la fortune et qu'elle n'a eu d'autre objet que de permettre une élévation rétroactive du montant de cet impôt décidée postérieurement à son fait générateur, ce dont il s'évince qu'elle a méconnu le juste équilibre requis entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental des redevables de l'impôt au respect de leurs biens ; que, pour écarter ce grief, la cour d'appel a retenu que cette CEF était une imposition autonome de l'impôt de solidarité sur la fortune, puisque son fait générateur était la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 et que les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012 n'étaient imposables qu'à raison de leur patrimoine situé en France ; qu'en se déterminant ainsi au regard de l'apparence d'autonomie conférée par le législateur à cette contribution, quand il lui appartenait d'en restituer le véritable caractère dès lors que la Convention européenne des droits de l'homme a vocation à protéger des droits concrets et effectifs, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

3°/ que, sous peine de méconnaître le juste équilibre requis entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental des redevables de l'impôt au respect de leurs biens, une loi fiscale nationale adoptée postérieurement au fait générateur d'une imposition ne saurait avoir pour effet d'anéantir de manière rétroactive l'allégement de cet impôt qui résultait de la loi en vigueur au moment du fait générateur de celui-ci ; qu'en retenant, par motif adopté des premiers juges, que l'application d'une loi fiscale rétroactive ne constitue pas en soi une violation des droits garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la CEF instaurée par l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 n'avait pas eu pour objet et pour effet d'anéantir de manière rétroactive les effets de l'allégement de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, qui avait été décidé par l'effet de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, et de porter ainsi atteinte aux attentes légitimes des contribuables qui, ayant acquitté leur impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2012, pouvaient légitimement s'estimer libérés, pour cette année, de toute imposition sur la détention de leur patrimoine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention susvisée. »

Réponse de la Cour

3. L'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit pas, en tant que telle, l'application rétroactive d'une loi fiscale.

4. La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la CEF, est intervenue au cours de l'exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l'année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s'analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal.

5. En outre, l'acquittement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre de l'année 2012, par des contribuables auxquels l'allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt a été accordé sans contrepartie, n'a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu'aucun supplément d'imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année.

6. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'en vertu de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que si l'instauration par l'article 4 de la loi du 16 août 2012 d'une CEF s'est, dans son principe, inscrite dans le cadre du droit que détient tout Etat partie à la Convention susvisée de mettre en vigueur des lois qui assurent le paiement de l'impôt, les stipulations conventionnelles susvisées imposaient néanmoins de respecter un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental de chaque individu au respect de ses biens, ce dont il se déduit que la contribution instaurée, dût-elle ne s'appliquer que pour une seule année, ne devait pas revêtir le caractère d'une confiscation, fût-elle partielle du patrimoine des assujettis, en imposant à ces derniers une captation fiscale supérieure aux revenus permettant de l'acquitter ; que pour juger néanmoins que l'instauration de la contribution en cause n'avait pas méconnu le droit des époux Q... au respect de leurs biens, la cour d'appel a énoncé que "le plafonnement par rapport aux revenus ne s'impose pas à un impôt qui a pour assiette le patrimoine indépendamment du niveau des revenus" ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'une imposition sur la fortune peut revêtir un caractère confiscatoire dès lors qu'elle n'est pas plafonnée à hauteur des revenus qui permettraient de l'acquitter, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »

8. L'arrêt constate que la CEF s'est élevée, pour M. et Mme Q..., à la somme de 802 091 euros après imputation de l'ISF d'un montant de 338 395 euros. Il relève que M. et Mme Q... ne justifient pas du montant des revenus dont ils ont disposé en 2011, qu'ils ne démontrent ni même n'allèguent que leurs revenus auraient été absorbés intégralement par la CEF ni qu'ils auraient été contraints de céder une partie de leur patrimoine pour s'en acquitter, ni même que leur patrimoine ait diminué sur la période considérée. En l'état de ces seuls motifs, dont il résulte qu'il n'était pas établi que le paiement de la CEF ait constitué, pour M. et Mme Q..., une charge excessive au regard de leur situation patrimoniale, la cour d'appel a justifié le rejet du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme Q... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme Q... et les condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, et au directeur général des finances publiques la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Q....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté les époux Q... de leurs demandes tendant à voir annuler la décision de rejet de leur réclamation contentieuse et à voir prononcer le dégrèvement de la contribution exceptionnelle sur la fortune à laquelle ils avaient été assujettis au titre de l'année 2012, et d'AVOIR confirmé la décision de rejet du 27 avril 2015 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « les époux Q... soutiennent que la contribution exceptionnelle sur la fortune est une ingérence excessive dans leur droit de propriété au sens de l'article 1 de la CEDH ; qu'ils exposent qu'un impôt est qualifié de confiscatoire s'il n'est pas vérifié que le montant de l'impôt dû demeure inférieur aux revenus perçus par le contribuable l'année précédente ; que la contribution exceptionnelle sur la fortune n'est soumise à aucun plafonnement ce qui présente un caractère confiscatoire et excessif ; Mais considérant, ainsi que relevé par les premiers juges, que la CEF s'inscrit dans le droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur des lois qui assurent le paiement de l'impôt dès lors que ses principes de fonctionnement et modalités de calcul sont précisés par une loi conforme à la constitution ; que la CEF est exigible au titre de la seule année 2012 et que le montant brut de cet impôt est établi après déduction de l'ISF ; que, dans la présente espèce, les époux Q... qui ont déclaré une base imposable de 67.678.935 euros au 1er janvier 2012 se sont acquittés d'une contribution exceptionnelle sur la fortune d'un montant de 1.140.486 euros, partiellement par imputation de la somme de 338.395 euros qu'ils avaient acquittée au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2012 ; qu'ensuite, le plafonnement par rapport aux revenus ne s'impose pas à un impôt qui a pour assiette le patrimoine indépendamment du niveau des revenus ; que, sur le caractère confiscatoire, Monsieur et Madame V... Q... ont acquitté la CEF 2012 pour 802.091 euros ; que ce montant a bien été calculé sur la base de la valeur de leur patrimoine net imposable déclarée au 1er janvier 2012 pour 67.678.935 euros, sur leur déclaration ISF 2012, selon le barème progressif composé de sept tranches et dont le taux applicable varie de 0 % à 1,80 % en fonction des tranches ; que la CEF constituant une imposition autonome pour la seule année 2012 ne remet pas en cause les engagements prévus pour l'ISF au titre de l'année 2012 par la loi de finances rectificatives pour 2011 ; que les époux Q... soutiennent également que l'instauration de cet impôt a eu pour unique objectif d'augmenter le montant d'ISF des contribuables ; que cet impôt disposerait d'une assiette identique à l'ISF et serait contrôlé et recouvré selon les mêmes procédures avec les mêmes sanctions ; que cette loi fiscale modifierait rétroactivement le montant de l'ISF ; Mais considérant que si la valeur de l'assiette d'imposition est celle au 1er janvier 2012, le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 ; que les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012, date de la présentation du projet de loi de finances rectificative, seront imposés non en raison de leur patrimoine mondial mais de leur patrimoine situé en France ; que par ce mécanisme, le législateur a expressément prévu un régime de calcul de l'assiette de la contribution exceptionnelle différent du régime de calcul de l'assiette de l'lSF 2012 » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « l'article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions, précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes » ; que, si l'imposition fiscale constitue en principe une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de cet article, cette ingérence se justifie conformément au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions ; que ce deuxième alinéa doit toutefois se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article et il s'ensuit qu'une mesure d'ingérence doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; que par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par cette disposition si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière ; que par ailleurs, l'application d'une loi fiscale rétroactive ne constitue pas en soi une violation des droits garantis par cet article, sous la même réserve cependant, à savoir que cette loi ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des contribuables, sans imposer à ces derniers une charge excessive ou porter fondamentalement atteinte à leur situation financière ; que s'agissant de l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative, dont l'application est contestée dans le cadre du présent litige, il convient de rappeler que, souhaitant revenir sur l'allègement de l'impôt de solidarité sur la fortune accordé par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, le législateur a mis à la charge des personnes redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2012 une contribution exceptionnelle sur la fortune, calculée sur la base d'un barème progressif inspiré de celui qui était appliqué pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2011 ; que l'impôt de solidarité sur la fortune déjà acquitté au titre de l'année 2012 s'est imputé sur le montant de la contribution exceptionnelle et il s'agissait de faire en sorte que, pour les redevables de l'impôt en 2012, la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et de la contribution soit égale au montant de l'impôt de solidarité sur la fortune qui aurait été dû en 2012 si le barème fixé pour 2011 avait été conservé, étant cependant précisé que l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2011 faisait l'objet d'un plafonnement qui n'a pas été appliqué à la contribution exceptionnelle sur la fortune nouvellement instituée ; qu'au cas particulier, M. et Mme Q..., déclarant une base imposable d'un montant de 67.678.935 euros au 1er janvier 2012, se sont acquittés d'une contribution exceptionnelle sur la fortune d'un montant de 1.140.486 euros, partiellement par imputation de la somme de 338.395 euros qu'ils avaient acquittée au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2012, et soutiennent que cette imposition présenterait un caractère excessif au motif notamment qu'elle ne serait soumise à aucun plafonnement au regard de leurs revenus et qu'elle serait rétroactive ; qu'il sera cependant relevé, d'une part, que cette augmentation de l'imposition de leur patrimoine au 1er janvier 2012 a été mise en oeuvre dans le courant de cette même année et a présenté un caractère exceptionnel, pour n'avoir pas été reconduite les années suivantes ; qu'il sera relevé, d'autre part, que les demandeurs ne versent aux débats aucun élément permettant d'apprécier le montant de leurs revenus, de sorte qu'ils ne justifient pas que l'absence de reconduction du mécanisme de plafonnement appliqué à l'impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2011 ait eu une quelconque incidence sur leur situation financière et que, plus généralement, ils ne démontrent pas, ni même n'allèguent, que cette contribution aurait conduit à l'absorption intégrale de leurs revenus disponibles ou les aurait contraints à céder une partie de leur patrimoine pour s'en acquitter, ni même que leur patrimoine ait diminué sur la période considérée ou qu'il ait fait l'objet d'une expropriation quelconque ; que l'ensemble de ces éléments permet de juger que la contribution exceptionnelle sur la fortune dont se sont acquittés M. et Mme Q... en 2012 ne présente pas de caractère excessif et qu'aucune atteinte fondamentale à leur situation financière n'est établie au sens du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » ;

1. ALORS QU'EN vertu de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que si l'instauration par l'article 4 de la loi du 16 août 2012 d'une contribution exceptionnelle sur la fortune s'est, dans son principe, inscrite dans le cadre du droit que détient tout Etat partie à la convention susvisée de mettre en vigueur des lois qui assurent le paiement de l'impôt, les stipulations conventionnelles susvisées imposaient néanmoins de respecter un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental de chaque individu au respect de ses biens, ce dont il se déduit que la contribution instaurée, dût-elle ne s'appliquer que pour une seule année, ne devait pas revêtir le caractère d'une confiscation, fût-elle partielle du patrimoine des assujettis, en imposant à ces derniers une captation fiscale supérieure aux revenus permettant de l'acquitter ; que pour juger néanmoins que l'instauration de la contribution en cause n'avait pas méconnu le droit des époux Q... au respect de leurs biens, la cour d'appel a énoncé que « le plafonnement par rapport aux revenus ne s'impose pas à un impôt qui a pour assiette le patrimoine indépendamment du niveau des revenus » ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'une imposition sur la fortune peut revêtir un caractère confiscatoire dès lors qu'elle n'est pas plafonnée à hauteur des revenus qui permettraient de l'acquitter, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2. ALORS QU'IL ressort, tant de l'économie même de l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, que des travaux parlementaires ayant précédé son adoption, qu'en instaurant au titre de l'année 2012 une « contribution exceptionnelle sur la fortune » dont l'assiette était calquée sur celle de l'impôt de solidarité sur la fortune, dont le contrôle et le recouvrement obéissaient aux même procédures, garanties et privilèges que celui-ci, dont le barème progressif était fortement inspiré de celui qui s'était appliqué pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2011, et dont le paiement devait être effectué après imputation du montant de l'impôt de solidarité sur la fortune acquitté au titre de l'année 2012, le législateur a entendu rétroactivement annihiler l'allègement d'imposition accordé sous la précédente législature et porter le niveau de l'imposition sur la fortune des redevables concernés au titre de 2012 au niveau qui se serait appliqué si le barème antérieur à la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 avait été conservé ; qu'il suit de là que cette contribution exceptionnelle sur la fortune n'est pas distincte de l'impôt de solidarité sur la fortune et qu'elle n'a eu d'autre objet que de permettre une élévation rétroactive du montant de cet impôt décidée postérieurement à son fait générateur, ce dont il s'évince qu'elle a méconnu le juste équilibre requis entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental des redevables de l'impôt au respect de leurs biens ; que, pour écarter ce grief, la cour d'appel a retenu que cette contribution exceptionnelle était une imposition autonome de l'impôt de solidarité sur la fortune, puisque son fait générateur était la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 et que les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012 n'étaient imposables qu'à raison de leur patrimoine situé en France ; qu'en se déterminant ainsi au regard de l'apparence d'autonomie conférée par le législateur à cette contribution, quand il lui appartenait d'en restituer le véritable caractère dès lors que la convention européenne des droits de l'Homme a vocation à protéger des droits concrets et effectifs, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

3. ALORS, enfin, QUE sous peine de méconnaître le juste équilibre requis entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection du droit fondamental des redevables de l'impôt au respect de leurs biens, une loi fiscale nationale adoptée postérieurement au fait générateur d'une imposition ne saurait avoir pour effet d'anéantir de manière rétroactive l'allègement de cet impôt qui résultait de la loi en vigueur au moment du fait générateur de celui-ci ; qu'en retenant, par motif adopté des premiers juges, que l'application d'une loi fiscale rétroactive ne constitue pas en soi une violation des droits garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la contribution exceptionnelle sur la fortune instaurée par l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 n'avait pas eu pour objet et pour effet d'anéantir de manière rétroactive les effets de l'allègement de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, qui avait été décidé par l'effet de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, et de porter ainsi atteinte aux attentes légitimes des contribuables qui, ayant acquitté leur impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2012, pouvaient légitimement s'estimer libérés, pour cette année, de toute imposition sur la détention de leur patrimoine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention susvisée.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-24055
Date de la décision : 02/12/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

IMPOTS ET TAXES - Impôt de solidarité sur la fortune - Contribution exceptionnelle sur la fortune - Convention européenne des droits de l'homme - Article 1er du premier protocole additionnel - Compatibilité - Applications diverses - Loi fiscale rétroactive

IMPOTS ET TAXES - Impôt de solidarité sur la fortune - Contribution exceptionnelle sur la fortune - Convention européenne des droits de l'homme - Article 1er du premier protocole additionnel - Compatibilité - Applications diverses - Attente légitime quant à l'absence de supplément d'imposition (non)

L'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit pas, en tant que telle, l'application rétroactive d'une loi fiscale. La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF), est intervenue au cours de l'exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l'année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s'analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal. En outre, l'acquittement de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, par des contribuables auxquels l'allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n'a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu'aucun supplément d'imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année. Par conséquent, la loi instaurant la CEF n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales


Références :

article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 17 septembre 2018

Sur la compatibilité de l'impôt de solidarité sur la fortune à l'article 1er du premier protocole additionnel, à rapprocher : Com., 25 janvier 2005, pourvoi n° 03-10068, Bull., 2005, IV, n° 16 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 02 déc. 2020, pourvoi n°18-24055, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.24055
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