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24/10/2018 | FRANCE | N°18-84545

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 octobre 2018, 18-84545


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. François X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de POITIERS, en date du 18 juillet 2018, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de viol, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de pro

cédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance,...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. François X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de POITIERS, en date du 18 juillet 2018, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de viol, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Z... ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle A..., FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z..., Me A... ayant eu la parole en dernier ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire ;

"aux motifs que : « il ne résulte pas de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que l'incarcération d'une personne vulnérable en raison de ses difficultés de communication, en particulier le fait d'être atteint de surdité ne constitue pas en soi-même un "traitement inhumain ou dégradant" si les conditions de détention sont aménagées pour prévenir toute atteinte à la dignité de l'intéressé ; en l'espèce, il est indéniable que M. X... sourd-muet, ne sachant ni lire ni écrire et ne connaissant pas la langue des signes, est dans une situation de vulnérabilité qui doit être prise en compte pour que la détention ne porte pas atteinte à sa dignité humaine ; que cependant, il ressort des éléments recueillis par le ministère public auprès de la direction du Centre Pénitentiaire de Poitiers Vivonne qu'après avoir quitté le quartier arrivant de l'établissement, M. X... a été placé dans une cellule avec un détenu calme dont le profil est proche du sien, qu'il n'a pas manifesté la volonté de travailler ni de pratiquer une activité sportive, il se rend régulièrement en promenade ne communique pas ou peu avec ses codétenus, il ne bénéficie pas encore de visites aux parloirs ; qu'il ne pose pas de réel problème de prise en charge aux personnels en détention ; que l'atteinte portée aux droits de M. X... doit être appréciée au regard de la gravité des faits qui lui sont reprochés ; que s'agissant de faits de nature criminelle, cette condition de proportionnalité paraît remplie ; qu'il sera rappelé à cet égard ainsi que le souligne le procureur général dans ses réquisitions que lors d'une précédente incarcération en 2009, se présentaient le concernant, les mêmes difficultés de communication, ce qui n'a pas empêché la cour, dans un premier temps de le maintenir en détention ; qu'il n'est pas établi à ce jour que l'incarcération en elle-même entraîne pour M. X... des conditions incompatibles avec le respect dû à la personne humaine, la cour devant examiner comme pour tout autre mis en examen l'existence des critères légaux justifiant le maintien en détention et ce au regard du principe de proportionnalité ; qu'il n'y a donc pas lieu en conséquence de considérer que la détention provisoire de M. X... est une mesure disproportionnée et constitutive d'un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;

"1°) alors que la procédure doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; que la juridiction d'instruction doit faire respecter et respecter elle-même le principe du contradictoire ; que l'arrêt se fonde sur des éléments recueillis par le ministère public auprès de l'administration pénitentiaire qui n'étaient pas visés dans ses réquisitions et qui n'ont pas été soumis au débat ; qu'il y a eu violation du principe du contradictoire ;

"2°) alors que l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme prohibe en termes absolus les traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la personne concernée ; que la nature de l'infraction reprochée est dépourvue de pertinence pour l'examen sous l'angle de l'article 3 ; qu'en retenant que « l'atteinte portée aux droits de M. X... doit être appréciée au regard de la gravité des faits qui lui sont reprochés » et en effectuant un contrôle de proportionnalité à cet égard, la chambre de l'instruction a violé ce texte ;

"3°) alors que l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme impose à l'Etat, en présence d'une personne particulièrement vulnérable, l'obligation positive de prendre les mesures particulières adaptées permettant de garantir des conditions de détention compatibles avec l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants ; que la charge de la preuve pèse sur l'Etat ; que dans son arrêt Z.H. v. Hungary du 8 novembre 2012 (req. n° 28973/11), la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, s'agissant d'une personne dans l'incapacité de communiquer pour être sourde, muette, illettrée et incapable d'utiliser le langage officiel des signes, que, même cumulées, les mesures qui avaient été prises - à savoir, incarcération avec un proche dans une cellule près du bureau du gardien, implication d'autres détenus et de la mère du requérant, seule en mesure de le comprendre, et facilitation de la correspondance - n'étaient pas « suffisantes pour soustraire le traitement subi par le requérant du champ d'application de l'article 3 » ; qu'en l'espèce, M. X... est également sourd, muet, ne sait ni lire ni écrire, ne connaît pas la langue des signes et « seul son père, Lucien X..., est en mesure de le comprendre, mais de façon basique et très rudimentaire » ; que selon les éléments recueillis par le ministère public auprès de l'administration pénitentiaire dont l'arrêt fait état, la seule mesure d'adaptation prise a consisté à placer M. X... dans une cellule « avec un détenu calme dont le profil est proche du sien » ; qu'en se fondant sur cette unique mesure, insuffisante, pour estimer qu'il n'est pas établi en l'espèce que l'incarcération soit incompatible avec les exigences de l'article 3, ainsi que, de manière inopérante, sur le fait que M. X... « ne pose pas de réel problème de prise en charge aux personnels en détention » et qu'il a déjà fait l'objet d'une incarcération en 2009, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

"4°) alors que dans son arrêt précité Z.H. v. Hungary du 8 novembre 2012, pour évaluer le niveau d'isolement, d'impuissance, d'angoisse et d'infériorité subi et conclure à l'existence d'un traitement pouvant être qualifié d'inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention, la Cour européenne des droits de l'homme s'est fondée de manière déterminante sur le fait que l'intéressé était séparé de la seule personne (sa mère) avec laquelle il pouvait effectivement communiquer ; qu'en s'abstenant d'examiner l'impact du fait que M. X... était lui-même séparé de la seule personne (son père) en mesure de le comprendre, la chambre de l'instruction n'a pas mieux justifié sa décision" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, de l'ordonnance qu'il confirme et des pièces de la procédure que M. X... a été mis en examen du chef de tentative de viol et placé en détention provisoire à la suite d'une agression, à caractère sexuel, commise en fin d'après-midi, le 23 juin 2018, sur une jeune fille, dans la ville de [...] ; que le mis en examen, reconnu par la victime des faits sur photographies et sur présentation durant sa garde à vue, nie les faits ; qu'il a relevé appel de l'ordonnance de placement en détention provisoire du juge des libertés et de la détention ; que, lors de l'audience de la chambre de l'instruction, M. X..., issu de la communauté des gens du voyage, sourd et muet, ne connaissant pas le langage des signes et ne sachant ni lire ni écrire, a été entendu, comme durant sa garde à vue, par l'intermédiaire de son père ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise et répondre aux termes du mémoire déposé par l'avocat du mis en examen, qui soutenait qu'au regard des dispositions de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le placement en détention provisoire de ce dernier, compte tenu de son niveau de handicap et de vulnérabilité, constituait en soi un traitement inhumain ou dégradant, l'arrêt attaqué relève que selon les éléments d'information recueillis par le ministère public auprès de la direction de l'établissement pénitentiaire, auxquels l'avocat de l'appelant a pu avoir accès car figurant au dossier, sur les conditions de détention de M. X..., celui-ci a été placé en cellule avec un détenu calme d'un profil proche du sien, n'a pas manifesté la volonté de travailler ni de pratiquer une activité sportive, se rend régulièrement en promenade et ne pose pas de réel problème de prise en charge ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la chambre de l'instruction, qui a effectué les vérifications nécessaires sur la compatibilité de la détention du mis en examen avec la situation physique et mentale dont souffre l'intéressé au regard des exigences de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, a pu conclure que le placement en détention provisoire de M. X... ne porte pas atteinte à sa dignité ;

Attendu qu'en statuant ainsi, dans le respect du principe du contradictoire et des dispositions des articles 137 et 144 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre octobre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-84545
Date de la décision : 24/10/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, 18 juillet 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 24 oct. 2018, pourvoi n°18-84545


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:18.84545
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