LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2017), que le 30 mai 2011, M. Y... a été grièvement blessé par arme à feu, alors qu'il circulait sur son scooter ; qu'à la suite de ces faits, une information judiciaire a été ouverte ; que M. Y... a saisi, par requête du 3 mai 2011, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions d'une demande d'indemnisation de ses préjudices ; qu'une ordonnance de non-lieu a été rendue le 12 novembre 2014 à la suite du décès de la personne soupçonnée d'avoir commis ces faits ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de dire que la faute qu'il a commise exclut son droit à indemnisation et de rejeter l'intégralité de ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que ne peut être retenu comme fautif le fait, pour la victime d'une tentative d'assassinat, de s'être interposée un mois auparavant, en sa qualité de « grand frère » considéré comme un médiateur dans une cité, entre deux bandes rivales de celle-ci pour mettre fin à une bagarre susceptible d'entraîner des blessures graves pour les protagonistes, quand bien même, provoqué par le chef d'une de ces deux bandes, auteur de l'infraction, il a pris parti au cours de cette altercation pour celui de l'autre et s'est exposé ce faisant à un risque de représailles ; qu'en l'espèce, en jugeant fautif le fait pour M. Y..., dont les témoignages relevés par l'arrêt établissent sa qualité de médiateur au sein de la cité, d'avoir pris parti pour le chef d'un clan, auquel il n'appartenait pas lui-même, au cours d'un affrontement opposant ce clan à un clan rival et pendant lequel il a tenté de calmer les protagonistes les plus jeunes, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;
2°/ que la réparation ne peut être refusée ou son montant réduit que si la faute de la victime est en lien de causalité direct avec son dommage ; qu'en l'espèce, la participation de M. Y... aux faits du 3 mai 2011, opposant deux bandes rivales dont il ne faisait pas partie, pour la possession du quartier de la [...] est sans lien de causalité direct et certain avec la tentative d'assassinat dont il a été victime près d'un mois plus tard, le 30 mai 2011, tandis qu'il était arrêté à un feu rouge sur son scooter, de la part du chef d'une de ces deux bandes qui a tiré sur lui à quatre reprises de sang-froid, avec une grande détermination et avec préméditation, rien ne justifiant ces violences exercées à son encontre ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que M. Y... s'était délibérément exposé par son comportement du 3 mai 2011 à un risque de représailles, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;
3°/ que pour apprécier si la faute de la victime d'une infraction exclut son droit à indemnisation ou le réduit seulement, les juges peuvent prendre en considération la disproportion existant entre le fait dommageable et la faute de la victime ; qu'en l'espèce, en affirmant le contraire, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs et violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'ayant relevé qu'il ressortait de l'enquête pénale que la tentative d'assassinat dont M. Y... avait été victime était directement en lien avec une rixe du 3 mai 2011 à laquelle il avait participé et qui s'inscrivait dans un contexte de violences entres bandes rivales pour la possession d'un quartier de la capitale, que M. Y... avait pris parti pour l'un des deux clans rivaux, et plus précisément pour son chef et que la circonstance qu'il avait tenté de calmer les protagonistes les plus jeunes, le soir du 3 mai 2011, afin d'éviter que la rixe ne se poursuive dans la loge de la concierge ne retirait rien au fait qu'il s'était délibérément exposé, par son comportement à un risque de représailles dont il était conscient, ainsi que le démontraient l'acquisition d'un gilet pare-balles et son mutisme sur l'identité de l'auteur des faits, jusqu'au décès de celui-ci, de manière violente, le [...] , la cour d'appel a pu en déduire l'existence d'une faute de M. Y... ayant concouru à la réalisation de son dommage et souverainement estimé, sans méconnaître ses pouvoirs, qu'elle excluait, en raison de sa gravité, tout droit à indemnisation ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... et le condamne à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Y....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la faute commise par M. G... Lucien Y... exclut son droit à indemnisation et d'avoir rejeté l'intégralité de ses demandes ;
Aux motifs que le dernier alinéa de l'article 706-3 du Code de procédure pénale prévoit que la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ; que le mode de réparation institué par l'article 706-3 du Code de procédure pénale en faveur des victimes d'infractions obéit à des règles qui lui sont propres ; que pour l'application du dernier alinéa de cet article, la CIVI et donc la cour ne procèdent pas à un partage de responsabilité entre l'auteur du dommage et la victime mais apprécient uniquement l'étendue du droit à réparation de cette dernière, de sorte que l'éventuelle disproportion entre le fait dommageable et la faute de la victime est indifférente ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces communiquées que le 30 mai 2011, M. G... Lucien Y... était victime d'une tentative d'assassinat commise par un individu qui se trouvait comme lui à bord d'un scooter et qui, positionné à sa hauteur à un feu rouge, tirait sur lui à quatre reprises avec un pistolet automatique ; que les témoins de l'agression et l'exploitation de la vidéo surveillance laissaient apparaître que l'auteur des faits avait agi avec sang-froid, avec une grande détermination et avec préméditation ; que de nombreuses surveillances et interceptions téléphoniques (vingt-deux) mises en place à partir du 1 juin 2011, concernant des membres de la famille et des proches de la victime, et concernant la victime elle-même à compter du 26 août 2011, permettaient de recueillir des informations selon lesquelles : - les faits dont M. G... Lucien Y..., sorti du coma mi-août 2011 avait été victime le 30 mai 2011 auraient été commis par un individu prénommé Fouad, originaire comme lui de la [...] (procès-verbal de police du 28 août 2011, cote D 800) ; - il existait un climat de violences, de tension et d'hostilité opposant deux « clans » de la cité de la [...], avec d'un côté le nommé Fouad H... et son frère Samir dit « J... » ainsi qu'un certain Marvin A... alias « K... », et de l'autre, des individus d'origine africaine soutenus par G... Lucien Y... ; - une fusillade ayant éclaté le 3 mai 2011, à la [...], entre deux individus et un groupe d'africains, était susceptible d'être à l'origine de la tentative d'assassinat visant M. G... Lucien Y... (pv de police du 2 septembre 2011) ; que selon le rapport d'information établi le 2 septembre 2011 par le commandant de police de la 3ème DPJ, à destination du juge d'instruction, la poursuite des interceptions téléphoniques permettait de découvrir que lors de l'affrontement du 3 mai 2011, G... Lucien Y... avait pris la défense d'individus plus jeunes, s'en prenant entre autres à celui qui allait par la suite tenter de l'éliminer, cet individu ayant, avec deux ou trois comparses, essuyé des tiers d'arme à feu et réussi à prendre la fuite ; que Fouad H... était identifié comme l'individu en question (procès-verbal de police du 19 octobre 2011) ; qu'entendu le 19 septembre 2011, G... Lucien Y... qui reconnaissait être connu des services de police et de justice et avoir été incarcéré à deux reprises à la suite d'une fusillade contre des gitans en 1998 dans le même quartier de Paris, expliquait que le 3 mai 2011, des coups avaient été échangés à mains nues entre « un rebeu et un jeune renoi » puis qu'un peu plus tard, les esprits s'étant échauffés, « cela avait tiré des deux côtés » ; que présent sur les lieux, il disait avoir calmé les jeunes ; que les investigations menées au cours de l'enquête permettaient de découvrir que le 27 mai 2011, lors d'un contrôle de police, M. G... Lucien Y... se renseignait sur la légalité du port d'un gilet pare-balles –d'ailleurs découvert lors de la perquisition de l'un de ses domiciles, de même que la somme de 3250 euros en espèces ; que selon procès-verbal de police établie le 19 octobre 2011, les divers renseignements obtenus à cette date, au moyen des différentes recherches et interceptions téléphoniques, mettaient en évidence les éléments suivants : « -quelques semaines avant la tentative d'assassinat le visant, M. G... Lucien Y... avait pris position aux côtés d'un individu prénommé I..., en conflit avec un individu maghrébin prénommé Fouad. Une bagarre tournant au profit de Fouad avait eu lieu. Celle-ci s'était suivie le même jour d'une fusillade impliquant ces deux personnes
au cours de laquelle Fouad prenait la fuite avec un second individu ; - le prénommé I... est identifié comme étant F... B...
il est apparenté à B... Mamadou
. Et proche de M. G... Lucien Y...,
. – l'origine du différend opposant M. G... Lucien Y... et Fouad H... est lié au positionnement de M. G... Lucien Y... aux côtés de B... F...
- G... Lucien Y... accusant le coup après les faits dont était victime son demi-frère, le 28 septembre 2011 (tentative d'assassinat par arme à feu) et se sentant abandonné (à la suite du désengagement du camp pour lequel il avait pris parti) indiquait que le nommé Fouad H... avait gagné » ; qu'un rapport d'information établi par le commandant de police de la 3ème DPJ, le 6 février 2013, synthétisait les résultats de trois enquêtes de flagrance menées dans le cadre d'informations judiciaires, portant sur les faits des 3 mai, 30 mai et 15 novembre 2011, ces derniers concernant une tentative d'assassinat par arme à feu sur la personne de Mickael C... ; que les informations collectées provenaient pour l'essentiel de l'interception –poursuivie jusqu'au mois de janvier 2012- des lignes téléphoniques utilisées par M. G... Lucien Y...,L... D..., Mickael C... et son épouse Dalila E... et William E..., ces trois derniers originaires de la cité de la [...] partis en province, maintenant des liens étroits avec leur ancien quartier, et plus spécialement avec M. G... Lucien Y... ; que ce rapport énonçait que la cité de la [...] regroupait un nombre important d'individus mis en cause essentiellement dans des affaires de violences et/ou de trafic de stupéfiants, et qu'il existait un conflit de territoire avec deux cités voisines, dont la cité des gitans, depuis de nombreuses années ; qu'il s'était développé en 2011 un climat de violences armées entre individus de la même cité ; qu'il en ressortait également que des témoins des faits du 3 mai 2011 avaient remarqué vers 22 heures 15, six ou sept individus de type africain qui pourchassaient deux autres individus ; qu'après un échange de coups de feu, ceux-ci se réfugiaient dans la loge de la concierge (l'un deux étant le fils de la gardienne, l'autre, de type maghrébin, étant susceptible d'être Fouad H... ) ; qu'il y était confirmé que le soir des faits, avait eu lieu une première altercation entre Fouad H... et B... F... puis une seconde, avec échange de coups de feu, entre d'un côté Fouad H... et ses comparses et de l'autre B... I..., certains de ses frères et M. G... Lucien Y... qui, plus âgé, avait tenté de calmer les plus jeunes pour éviter qu'ils ne poursuivent Fouad H... dans la loge de la concierge ; qu'entendu les 23 et 24 avril 2013, William E... affirmait que M. G... Lucien Y... était un « grand frère » dans le quartier de la [...], et qu'il avait un rôle de « médiateur » en cas de problème ; qu'il ajoutait qu'il s'était « fait tirer dessus pour avoir pris position dans une bagarre entre les renois et les rebeux de la [...] » et que « Lucien lui avait confirmé qu'il s'était fait tirer dessus à cause de ça » ; que sur interrogation des policiers, il s'expliquait sur le contenu d'une conversation téléphonique du 17 septembre 2011 avec M. G... Lucien Y... ; qu'il indiquait avoir informé celui-ci « qui faisait partie de l'équipe des renois » que Fouad et son frère essayaient de « mettre des gens de leur côté » ; qu'à l'époque, « il y avait plein de personnes indécises qui aimaient beaucoup Lucien mais avaient peur de Fouad » ; qu'enfin, il réitérait ses propos selon lesquels M. G... Lucien Y... s'était « fait tirer dessus » pour avoir pris parti pour la famille B... contre les arabes, à savoir « Fouad » ; qu'il ajoutait qu'en tirant sur G... Lucien Y..., Fouad avait voulu faire passer un message à tous les autres, en s'imposant comme le « boss de la [...] » ; que lors de son audition, le 24 avril 2013, par les services de police, Dalila E... épouse C... corroborait les déclarations de son frère William ; qu'interrogée sur le contenu d'une conversation téléphonique qu'elle avait eue avec lui en octobre 2011, elle précisait qu'ils avaient évoqué le fait que les « renois » s'étaient vantés de venger Lucien et son demi-frère L..., mais qu'ils s'étaient enfuis en voyant Fouad arriver dans le quartier ; que lors de son audition par les services de police, le 13 août 2013, M. G... Lucien Y... reconnaissait avoir su, dès qu'il était sorti du coma, que l'auteur de la tentative d'assassinat dont il avait été l'objet était Fouad H... mais qu'il avait gardé le silence sur son identité jusqu'à son décès le [...] , de peur des représailles d'autant que désormais, isolé et handicapé, il ne pouvait plus se défendre ; qu'interrogé sur l'existence d'un éventuel différend entre eux, il précisait que Fouad H... voulait être le « grand caïd de la [...] », voulait « contrôler le business, les affaires du quartier » ; qu'en janvier 2011, il avait braqué son frère L... et qu'il s'était interposé ; qu'il ajoutait que tout avait réellement commencé le 3 mai 2011, car il s'était interposé et avait pris la défense de « I... », ce qui n'avait pas plu à Fouad H... ; qu'ils s'étaient « embrouillés » et insultés, et qu'ensuite avait eu lieu la fusillade au cours de laquelle cela « tirait dans les deux sens » ; qu'il indiquait avoir calmé les jeunes pour éviter un bain de sang et pour qu'ils ne rentrent pas dans la loge de la gardienne ; qu'il attribuait la colère de Fouad H... à son égard au fait qu'il était le « grand frère » et que Fouad avait cru que c'était lui qui avait tiré dans la loge ; qu'il reconnaissait avoir acheté un gilet pare-balle de peur de représailles ; que de l'ensemble de ces éléments, précis et concordants, il ressort, en dépit des dénégations de M. G... Lucien Y..., que la tentative d'assassinat dont il a été victime est directement en lien avec les faits du 3 mai 2011, auxquels il a participé et qui s'inscrivent dans un contexte de violence entre bandes rivales pour la possession d'un quartier de la capitale, après qu'il a pris parti pour l'un des deux clans rivaux, et plus précisément pour son « chef », I... B... ; que la circonstance qu'il a tenté de calmer les protagonistes les plus jeunes, le soir du 3 mai 2011, afin d'éviter que la rixe ne se poursuive dans la loge de la concierge, ne retire rien au fait qu'il s'est délibérément exposé, par son comportement, à un risque de représailles dont il était conscient, ainsi que le démontrent l'acquisition d'un gilet pare-balles et son mutisme sur l'identité de l'auteur des faits, jusqu'au décès de celui-ci, également de manière violente, le [...] ; que l'attitude de M. G... Lucien Y..., gravement fautive, exclut tout droit à indemnisation de ses dommages ; que le jugement entrepris est en conséquence infirmé et les demandes sont rejetées ;
ALORS D'UNE PART QUE ne peut être retenu comme fautif le fait, pour la victime d'une tentative d'assassinat, de s'être interposée un mois auparavant, en sa qualité de « grand frère » considéré comme un médiateur dans une cité, entre deux bandes rivales de celle-ci pour mettre fin à une bagarre susceptible d'entraîner des blessures graves pour les protagonistes, quand bien même, provoqué par le chef d'une de ces deux bandes, auteur de l'infraction, il a pris parti au cours de cette altercation pour celui de l'autre et s'est exposé ce faisant à un risque de représailles ; qu'en l'espèce, en jugeant fautif le fait pour M. G... Lucien Y..., dont les témoignages relevés par l'arrêt attaqué établissent sa qualité de médiateur au sein de la cité, d'avoir pris parti pour le chef d'un clan, auquel il n'appartenait pas lui-même, au cours d'un affrontement opposant ce clan à un clan rival et pendant lequel il a tenté de calmer les protagonistes les plus jeunes, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du Code de procédure pénale ;
ALORS D'AUTRE PART et subsidiairement QUE la réparation ne peut être refusée ou son montant réduit que si la faute de la victime est en lien de causalité direct avec son dommage ; qu'en l'espèce, la participation de M. G... Lucien Y... aux faits du 3 mai 2011, opposant deux bandes rivales dont il ne faisait pas partie, pour la possession du quartier de la [...] est sans lien de causalité direct et certain avec la tentative d'assassinat dont il a été victime près d'un mois plus tard, le 30 mai 2011, tandis qu'il était arrêté à un feu rouge sur son scooter, de la part du chef d'une de ces deux bandes qui a tiré sur lui à quatre reprises de sang-froid, avec une grande détermination et avec préméditation, rien ne justifiant ces violences exercées à son encontre ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que M. Y... s'était délibérément exposé par son comportement du 3 mai 2011 à un risque de représailles, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du Code de procédure pénale ;
ALORS ENFIN et subsidiairement QUE pour apprécier si la faute de la victime d'une infraction exclut son droit à indemnisation ou le réduit seulement, les juges peuvent prendre en considération la disproportion existant entre le fait dommageable et la faute de la victime ; qu'en l'espèce, en affirmant le contraire, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs et violé l'article 706-3 du Code de procédure pénale.