CIV. 2
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 mai 2018
Rejet non spécialement motivé
M. SAVATIER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10369 F
Pourvoi n° J 17-18.407
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par M. Thierry Y..., domicilié [...] ,
contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2016 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [...] ,
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Angers, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 11 avril 2018, où étaient présents : M. Savatier , conseiller doyen faisant fonction de président, M. Besson , conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, Mme Mainardi, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de M. Y..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;
Sur le rapport de M. Besson , conseiller, l'avis de M. Grignon Dumoulin , avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande, le condamne à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour M. Y....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR alloué à Monsieur Thierry Y... la seule somme de 40.000 €, en indemnisation des pertes de gains professionnels futurs résultant de l'infraction dont il a été victime le 4 décembre 2008,
AUX MOTIFS QUE « M. Thierry Y... a été agressé alors qu'il tentait de faire sortir de son établissement un client aviné et agressif qui a été ultérieurement condamné pour ces faits par la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Angers. Il a subi une fracture luxation bi-malléolaire droite et une contusion à la mâchoire. L'expert judiciaire qui l'a examiné à la demande du tribunal correctionnel a retenu un déficit fonctionnel permanent de 10 %. Il souligne qu'il est certain que l'état de santé séquellaire du patient va occasionner une perte ou une diminution de gain ou des revenus résultant de son activité professionnelle. L'expert mentionne que M. Y... gérait son restaurant de façon polyvalente et exerçait également les fonctions de serveur. Il soutient que compte tenu de l'importance de la fracture ainsi que des séquelles constatées, il est certain que toute activité professionnelle nécessitant des stations debout prolongées, des déplacements fréquents, l'utilisation d'escaliers sera à proscrire. Il ne retient pas d'incidence professionnelle au motif qu'il n'y a pas de préjudice professionnel touchant son activité autre que la perte de revenus. M. Thierry Y... sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu comme base de calcul la différence entre les revenus qui auraient dû être perçus et ceux qui ont été effectivement perçus entre la date de consolidation soit le 21 novembre 2011 et la date de liquidation le 17 janvier 2014 pour retenir une perte de gains de 15.176,33 €. La perte annuelle de revenus de 10.634,66 € est ensuite multipliée par le prix de l'euro de rente tel qu'il résulte du barème de la gazette du Palais du 9 novembre 2004 afin de comprendre également le préjudice de retraite subie par M. Y... alors âgé de 43 ans soit 20,640 pour aboutir à une somme de 219.499,38 € d'où une perte de gains professionnels de 234.675,71 €. Il précise qu'il ne touche aucune rente "accident du travail" dès lors que la CPAM n'a constaté aucune IPP et il justifie n'avoir rien perçu à ce titre de l'assureur Swiss Life. Le FGTI souligne que le préjudice doit être calculé au regard de la situation professionnelle effective de la victime antérieurement aux faits. Il fait valoir que la situation de M. Y... dont l'établissement créé le 1er février 2006 était en redressement judiciaire depuis le 26 septembre 2007 n'était pas florissante, que M. Y... ne produit aucun compte de résultat pour 2007/2008 et 2009, ni ses avis d'imposition 2007/2008 mais se fonde sur le net imposable cumulé figurant au bulletin de décembre 2008 faisant apparaître un salaire mensuel net moyen de 886,22 €. Il ajoute que la CPAM a indiqué qu'elle ne lui versait pas de rente ce qui signifie soit qu'elle l'a déclaré guéri et qu'elle n'a donc pas retenu de perte de gains futurs, soit que M. Y... n'a pas effectué les démarches pour percevoir la rente accident du travail lui revenant. Il fait valoir qu'au vu de la faiblesse des revenus avant l'agression et du montant minimal de la retraite, il n'est pas justifié de perte sur le montant de la retraite. Il précise que le jugement ne tient pas compte du fait que M. Y... conserve une capacité de gains, qu'il a exercé d'autres activités que celle de directeur d'un bar et que pour tenir compte de la durée nécessaire pour retrouver un emploi procurant une rémunération équivalente au SMIC et d'une éventuelle pénibilité, elle accepte de retenir une somme de 30 000 euros. La perte de gains professionnels futurs résulte de la perte d'emploi, d'un changement d'emploi ou de la prise d'un emploi à temps partiel, une fois la victime consolidée.La réalité de l'existence d'un préjudice pour perte de gains professionnels calculé sur une capitalisation effectuée sur une perte de revenus d'un montant de 10.634,66 € par an jusqu'au jour de la retraite et d'une perte sur droit à retraite n'est nullement démontrée.Elle repose sur le postulat que M. Y... ayant perdu son travail, il convient d'extrapoler à partir de ce qu'il a perçu entre la date de consolidation soit le 21 novembre 2011 et la date de liquidation le 17 janvier 2014 (celle à laquelle le tribunal correctionnel a statué sur intérêts civils) et de ce qu'il percevait avant les faits, sachant qu'il n'a pas du tout travaillé durant toute cette période et de tenir pour acquis que tel sera le cas jusqu'au jour où il atteindra l'âge de la retraite.Or, si M. Y... est inapte au travail de patron d'un débit de boissons qu'il occupait lors des faits puisqu'il convient, du fait des séquelles qu'il évite toute activité professionnelle nécessitant des stations debout prolongées, il n'est pas pour autant dans l'incapacité définitive de travailler. Il ne saurait dès lors prétendre à une indemnisation calculée par référence à l'intégralité de son salaire depuis la date de sa consolidation et jusqu'à sa retraite. L'expertise médicale judiciaire n'a retenu en effet qu'une incapacité permanente de 10 %. M. Y... est né [...] . M. Y... ne perçoit aucune rente "accident du travail", la CPAM n'ayant retenu aucune incapacité. Il a conservé une force de travail. Il ne fournit à la cour aucun renseignement sur sa situation actuelle. Son parcours professionnel antérieur n'est pas précisé. Par ailleurs, s'il est évident que l'agression dont il a été victime a eu des conséquences néfastes sur l'exploitation du bar "le Clipper" lequel était en redressement judiciaire et a été mis en liquidation, il convient de relever que M. Y... ne percevait alors pour ce travail qu'un salaire net de 886,22 € de sorte que l'on peut s'interroger en toute hypothèse sur l'issue favorable de ce plan de redressement.M. Y... qui a exercé différentes activités avant d'être patron d'un bar, ne justifie pas être dans l'incapacité de trouver un travail lui procurant des revenus équivalents à ceux qu'il percevait avant les faits. Il ne justifie d'aucune perte au titre de la retraite dès lors que la modestie de ses revenus avant les faits, lui donne vocation à percevoir les minima vieillesse. Il subit toutefois une dévalorisation professionnelle laquelle recouvre la perte de chance professionnelle du fait de l'interdiction de certains emplois et la pénibilité accrue au travail ou encore la nécessité d'abandonner une profession au profit d'une autre à la suite du dommage. Il est certain toutefois que M. Y... qui ne peut supporter dorénavant la station debout prolongée a plus de difficultés qu'une autre personne pour trouver un nouvel emploi d'autant plus qu'il ne justifie pas de qualification particulière. En outre, l'exécution d'un travail lui est plus pénible du fait de son handicap. L'indemnisation sera justement évaluée par l'allocation de la somme de 40 000 euros, la proposition du fonds de garantie apparaissant insuffisante au regard de la nature du handicap. II n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par M. Y... au titre des frais irrépétibles, le présent appel étant justifiée par le caractère excessif de ses demandes »
1°) ALORS QUE lorsque la victime d'un accident se trouve du fait de celui-ci dans l'impossibilité d'exercer la profession qu'elle exerçait antérieurement, et que les possibilités de reconversion professionnelle sont inexistantes ou purement hypothétiques, la perte de gains professionnels futurs subis par la victime doit être indemnisée sur la base des revenus perçus avant l'accident ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'expert judiciaire ayant examiné Monsieur Y... avait retenu un déficit fonctionnel permanent de 10% et conclu que « compte tenu de l'importance de de la fracture ainsi que des séquelles constatées, il est certain que toute activité professionnelle nécessitant des stations debout prolongées, des déplacements fréquents, l'utilisation d'escaliers sera à proscrire » ; qu'elle a également constaté qu'il en résultait que « Monsieur Y... [était] inapte au travail de patron d'un débit de boissons qu'il occupait lors des faits puisqu'il convient, du fait des séquelles qu'il évite toute activité professionnelle nécessitant des stations debout prolongées » (p. 4, 6ème §) ; que pour rejeter néanmoins la demande de Monsieur Y... tendant à ce que son préjudice soit évalué, comme l'avait retenu la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions, sur la base du salaire qu'il percevait antérieurement, la cour d'appel a considéré que si Monsieur Y... était inapte au travail qu'il occupait lors des faits, il n'était pas pour autant dans l'incapacité définitive de travailler de sorte qu'il ne saurait prétendre à une indemnisation calculée par référence à l'intégralité de son salaire depuis la date de sa consolidation et jusqu'à sa retraite ; qu'en statuant par de tels motifs, quand il résultait de ses constatations que du fait de l'agression dont il avait été victime, Monsieur Y... ne pouvait plus exercer sa profession de restaurateur et de serveur, ce dont il résultait qu'il subissait de manière certaine un préjudice résultant de la perte des salaires qu'il aurait perçus s'il avait continué à exercer ce métier, une éventuelle reconversion étant purement hypothétique dès lors qu'il ne disposait « pas de qualification particulière » (arrêt, p. 5, 6ème §), la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil (dans sa rédaction applicable en l'espèce ; nouvel article 1240 du code civil), ensemble l'article 706-3 du code de procédure pénale et le principe de réparation intégrale du préjudice ;
2°) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE le préjudice résultant de la perte de gains professionnels futurs de la victime d'un accident doit être évalué en fonction de la situation concrète de cette dernière et en particulier, des séquelles physiologiques de l'accident, de son âge au moment de la liquidation du préjudice, de sa qualification professionnelle et de ses possibilités de reconversion ; que pour limiter à la somme de 40.000 € l'indemnité allouée à Monsieur Y... au titre des pertes de gains professionnels futurs, la cour d'appel a retenu que ce dernier n'était pas dans l'incapacité définitive de travailler et conservait « une force de travail », tout en considérant que Monsieur Y... aurait « plus de difficultés qu'une autre personne pour trouver un nouvel emploi d'autant plus qu'il ne justifie pas de qualification particulière » et qu'« en outre, l'exécution d'un travail lui est plus pénible du fait de son handicap » ; qu'en statuant par ces motifs d'ordre général, sans rechercher de manière concrète, au regard de la situation de Monsieur Y..., en particulier de son âge (38 ans au moment des faits et 43 ans au moment de la liquidation des préjudices par le tribunal correctionnel), de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait, du fait des séquelles qu'il gardait de l'accident, d'exercer sa profession de restaurateur/serveur, et de son absence de « qualification particulière », quelles étaient ses chances effectives de reconversion professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil (dans sa rédaction applicable en l'espèce ; nouvel article 1240 du code civil), ensemble l'article 706-3 du code de procédure pénale et le principe de réparation intégrale du préjudice ;
3°) ALORS, ENFIN, QUE le juge doit évaluer l'intégralité des préjudices de la victime, tels qu'ils existent au jour où il statue ; que, pour limiter à la somme de 40.000 € l'indemnisation du préjudice subi par Monsieur Y..., la cour d'appel a retenu que « M. Y... qui ne peut supporter dorénavant la station debout prolongée a plus de difficultés qu'une autre personne pour trouver un nouvel emploi d'autant plus qu'il ne justifie pas de qualification particulière » et qu' « en outre, l'exécution d'un travail lui est plus pénible du fait de son handicap » ; qu'il résulte de ces motifs que la cour d'appel n'a ainsi indemnisé que les pertes de gains professionnels que subirait Monsieur Y... du fait, d'une part de la difficulté qu'il éprouverait pour retrouver un emploi, et d'autre part de la pénibilité accrue dans l'exécution d'un travail du fait de son handicap ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que le faisait valoir Monsieur Y... dans ses conclusions (p. 5) et que l'avait retenu la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions, si Monsieur Y..., dès lors qu'il n'avait plus retravaillé depuis l'accident, n'avait pas également subi au jour où elle statuait un préjudice professionnel certain, directement lié à l'agression dont il avait été victime, qu'il évaluait à la somme de 15.176,33 € pour la période entre le 21 novembre 2011 et le 17 janvier 2014, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil (dans sa rédaction applicable en l'espèce ; nouvel article 1240 du code civil), ensemble l'article 706-3 du code de procédure pénale et le principe de réparation intégrale du préjudice.