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23/05/2018 | FRANCE | N°17-82355

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 mai 2018, 17-82355


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 17-82.355 FS-P+B

N° 1146

CK
23 MAI 2018

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. Will X..., contre l'arr

êt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 23 mars 2017, qui, pour outrage à magistrat, menace de ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 17-82.355 FS-P+B

N° 1146

CK
23 MAI 2018

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. Will X..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 23 mars 2017, qui, pour outrage à magistrat, menace de mort et atteinte à l'autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 avril 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Cathala, Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, M. Talabardon, Mme de-Lamarzelle, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Quintard ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Barbier et les conclusions de M. l'avocat général Quintard ;

Vu le mémoire personnel et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Will X... a adressé, le 29 octobre 2015, un courriel à M. Mathieu A..., journaliste à la Semaine des Pyrénées, afin qu'il procède à une enquête et publie un article sur l'action de magistrats et policiers à son endroit ;

Que ledit journaliste ayant communiqué ce courriel à un officier de police judiciaire, lequel l'a transmis au procureur de la République, M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, par la voie de la comparution immédiate, du chef d'outrage à magistrat à l'endroit de Mme B..., en raison de ce passage issu de son courrier électronique :

"Il n'y a pas très longtemps de cela, la cour d'appel m'a à nouveau donné raison, notamment sur deux demandes d'AJ qui avaient été abusivement rejetées par Mme B..., présidente du tribunal correctionnel de Tarbes, qui visiblement rédige ses décision de justice avec les pieds, tellement le manque de base légale est à chaque fois flagrant" ;

Qu'il a également fait l'objet de poursuites du chef de menace de mort à l'encontre du même magistrat, en raison des propos suivants, contenus dans ledit courriel :

"L'avocat de Melun avait laissé une longue lettre dans laquelle il expliquait les raisons qui l'ont poussées à commettre l'irréparable. Face à la violence organisée de membre de l'autorité publique, qui usent et abusent de leurs prérogatives pour régler des comptes personnels, reste aux gens comme moi, la résistance à l'oppression. Je n'ai pas l'intention de monter en haut d'une grue pour faire respecter enfin mes droits de père. J'agirai autrement quitte à tout perdre et entraîner avec moi, ceux qui obnubile par le pouvoir qu'ils ont, ont cru pouvoir disposer de ma vie .... Il est fort à craindre que dans les jours qui viennent je mette fin à mes jours si je ne suis pas entendu et je peux vous assurer que je ne partirai pas seul, quelques magistrats et avocats véreux de ce tribunal m'accompagneront" ;

Que le tribunal correctionnel a enfin été saisi de faits d'atteinte à l'autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice, un arrêt de la cour d'appel de Pau du 8 septembre 2015, en raison du texte qui suit, extrait dudit courriel :

"Je suis depuis octobre 2013 confronté à un long combat judiciaire pour être rétabli dans ma dignité de père. Voilà maintenant 2 ans que je suis privé de mon seul enfant. La cour d'appel de Pau vient encore, dans un jugement tout à fait injurieux et aucunement motivé, de décider que je devrais aller voir mon fils à Sète, ce dans des conditions déshumanisantes, alors que c'est la mère qui a déménagé en ne respectant pas les prescriptions de la loi. Le conflit qui a commencé entre deux particuliers, s'est désormais étendu à d'autres protagonistes dont des magistrats, des avocats et des policiers, tous véreux, tous pratiquant contre ma personne, la loi de la jungle, celle du plus fort. Aujourd'hui je suis en dépression à cause de ces personnes. Alors qu'il est clair que des policiers se sont amusés à falsifier des PV, qu'un juge aux affaires familiales dans le but de me refuser la garde de mon fils a prétendu que je dormais dans les locaux de mon magasin, aucune sanction n'a été prise contre ces gens qui piétinent les règles élémentaires de l'Etat de droit, tout ceci, dans une indifférence assourdissante, tant de vous les journalistes à qui j'ai pourtant communiqué l'expertise graphologique démontrant le faux commis par les policiers, que d'une certaine partie du corps judiciaire" ;

Attendu que le tribunal correctionnel ayant retenu M. X... dans les liens de la prévention, celui-ci, puis le procureur de la République, ont interjeté appel de cette décision ;

En cet état :

Sur les premier, cinquième, sixième et septième moyens de cassation :

Sur le troisième moyen de cassation, pris en ses deuxième, troisième et quatrième griefs ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris en ses deuxième et troisième griefs ;

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les moyens ne sont pas de nature à être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, en son premier grief, pris de la violation des articles 111-4 et 593 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, et 222-17 du code pénal, pour insuffisance et défaut de motifs, manque de base légale, violation du principe de légalité et d'application stricte de la loi pénale :

Attendu que pour rejeter le moyen pris de ce que le délit de menace de mort n'était pas constitué, le courriel la contenant ayant été adressé à un tiers et non à la personne visée par ladite menace, et n'ayant pas eu vocation à lui être communiqué, l'arrêt retient que ce courriel contenant des menaces de crimes ou de délits graves contre les personnes, ce que ne pouvait ignorer le prévenu, il était susceptible d'être porté à la connaissance de l'autorité publique afin de garantir la sécurité des personnes visées par ces menaces ; que les juges ajoutent que ces menaces étaient suffisamment précises pour justifier que ce courriel fût porté à la connaissance de l'autorité publique, afin de prévenir soit la commission d'un suicide clairement annoncé, soit des atteintes à la personne de tiers, et qu'en donnant à son courriel un ton délibérément dramatique, l'intéressé ne pouvait s'attendre à ce que ce document restât confidentiel, M. Mathieu A..., destinataire de ce courriel, devenant dépositaire de menaces annonciatrices de crimes ou délits graves ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont il se déduit que son auteur ne pouvait ignorer que la menace formulée parviendrait à la connaissance des personnes visées, dès lors que l'article 223-6 du code pénal impose, sous peine de poursuites pénales, à quiconque pouvant empêcher par son action immédiate soit un crime soit un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne de prendre les mesures à sa portée pour y parvenir, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen sera écarté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 593 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 7 de la convention européenne des droits de l'homme, et 434-24 du code pénal pour insuffisance et défaut de motifs, manque de base légale, violation du principe de légalité et d'application stricte de la loi pénale :

Vu les articles 434-24 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que dans les cas où des propos outrageants à l'égard d'un magistrat sont tenus devant un tiers en l'absence de la personne visée ou ne sont adressés qu'à un tiers, le délit d'outrage à magistrat n'est constitué que si, d'une part, leur auteur a l'intention, non pas seulement de prendre à témoin son interlocuteur, mais de voir ses propos rapportés à l'intéressé, et que, d'autre part, en raison de ses liens avec ce magistrat, ce tiers lui rapportera nécessairement l'outrage ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour confirmer le jugement et écarter l'argumentation du prévenu, selon laquelle le délit d'outrage à magistrat ne saurait être constitué, la victime n'ayant eu connaissance des propos litigieux qu'en raison de la transmission par le journaliste du mail qui les contenait à un fonctionnaire de police, lequel journaliste ne peut être regardé comme un rapporteur nécessaire, l'arrêt énonce que M. X... ne pouvait ignorer que l'article qu'il demandait au journaliste de publier aurait impliqué une enquête sérieuse donnant la parole aux personnes qu'il visait, en sorte que les propos concernant Mme B... auraient pu être portés à la connaissance de cette dernière ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans caractériser ni la volonté du prévenu de s'adresser, fût-ce par un intermédiaire, au magistrat concerné, ni la qualité de rapporteur nécessaire du destinataire des propos, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, en son premier grief, pris de la violation des articles 111-4 et 593 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, et 434-25 du code pénal, pour insuffisance et défaut de motifs, manque de base légale, violation du principe de légalité et d'application stricte de la loi pénale :

Vu les articles 111-4, 434-25 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la loi pénale est d'interprétation stricte ;

Attendu qu'il se déduit du deuxième que, pour être constitué, le délit de discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle implique que les actes, paroles, écrits ou images incriminés, d'une part, aient fait l'objet d'une publicité, d'autre part, aient été de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ;

Attendu que, selon le troisième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour écarter l'argumentation du prévenu, qui soutenait que le courriel litigieux n'avait pas vocation à être communiqué, et dire établi le délit d'atteinte à l'autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice, l'arrêt retient notamment que l'appel comminatoire adressé à un journaliste d'avoir à informer l'opinion publique des supposés errements de la décision rendue, présentés en termes véhéments et délibérément caricaturaux, et alors que M. X... avait la possibilité d'exercer une voie de recours contre l'arrêt confirmant la limitation de son droit de visite, ce qu'il n'a pas manqué de faire dans d'autres instances, parfois avec succès, visait à rendre public le discrédit jeté sur la décision et la juridiction visées ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, d'une part, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'écrit en cause avait été adressé à un journaliste par un courrier exclusif, en lui-même, de toute publicité, et ne contenant pas de demande de le rendre public, d'autre part, sans caractériser en quoi les propos, aussi outrageants fussent-ils à l'encontre des magistrats dont leur auteur critiquait les décisions rendues à son égard, étaient, dans les circonstances où ils avaient été tenus et compte tenu de l'écho dont ils auraient bénéficié, de nature à porter atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le huitième moyen de cassation proposé, relatif aux peines :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 23 mars 2017, mais en ses seules dispositions relatives aux délits d'outrage à magistrat et d'atteinte à l'autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice, et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mai deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Sens de l'arrêt : Cassation partielle et désignation de juridiction
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ATTEINTE A L'ACTION DE JUSTICE - Discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle - Eléments constitutifs - Atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance - Publicité

Pour être constitué, le délit de discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle prévu par l'article 434-25 du code pénal implique que les actes, paroles, écrits ou images incriminés, d'une part, aient fait l'objet d'une publicité, d'autre part, aient été de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance. Encourt la censure l'arrêt déclarant un prévenu coupable de ce délit, alors, d'une part, qu' il résulte de ses propres constatations que l'écrit incriminé avait été adressé à un journaliste par un courrier exclusif, en lui-même, de toute publicité et ne contenant pas de demande de le rendre public, d'autre part, qui ne caractérise pas en quoi les propos incriminés, aussi outrageants fussent-ils à l'encontre des magistrats dont leur auteur critiquait les décisions rendues à son égard, étaient, dans les circonstances où ils avaient été tenus et compte tenu de l'écho dont ils auraient bénéficié, de nature à porter atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice


Références :

Sur le numéro 1 : articles 222-17 et 223-6 du code pénal
Sur le numéro 2 : article 434-24 du code pénal
Sur le numéro 3 : articles 111-4 et 434-25 du code pénal

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 23 mars 2017

N2 Sur l'élément moral du délit d'outrage lorsque celui-ci est indirect, à rapprocher : Crim., 6 mai 2008, pourvoi n° 07-80530, Bull. crim. 2008, n° 106 (rejet) ;Crim., 8 septembre 2015, pourvoi n° 14-84380, Bull. crim. 2015, n° 195 (cassation)N3 Sur la nécessité de l'atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance, à rapprocher : Crim., 11 mars 1997, pourvoi n° 96-82283, Bull. crim. 1997, n° 96 (rejet), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation: Cass. Crim., 23 mai. 2018, pourvoi n°17-82355, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle
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Composition du Tribunal
Président : M. Soulard

Origine de la décision
Formation : Chambre criminelle
Date de la décision : 23/05/2018
Date de l'import : 26/06/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17-82355
Numéro NOR : JURITEXT000037098182 ?
Numéro d'affaire : 17-82355
Numéro de décision : C1801146
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2018-05-23;17.82355 ?
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