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24/01/2018 | FRANCE | N°16-28351

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 24 janvier 2018, 16-28351


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z...        , de nationalité espagnole, a été engagé le 1er mai 2009 par la société de droit des Iles Vierges Britanniques, Nourah Limited (l'employeur), comme officier en second d'un navire immatriculé aux Iles Caïman et ayant pour port d'attache Cannes ; que, reprochant à son employeur un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il l'a a

ssigné en paiement de diverses indemnités ; que l'employeur a soulevé une exception d'inc...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z...        , de nationalité espagnole, a été engagé le 1er mai 2009 par la société de droit des Iles Vierges Britanniques, Nourah Limited (l'employeur), comme officier en second d'un navire immatriculé aux Iles Caïman et ayant pour port d'attache Cannes ; que, reprochant à son employeur un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il l'a assigné en paiement de diverses indemnités ; que l'employeur a soulevé une exception d'incompétence fondée sur le choix du droit anglais pour régir le contrat et la clause attributive de juridiction aux tribunaux anglais ;

Attendu que, pour dire compétent le tribunal d'instance de Cannes, l'arrêt retient l'application du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Qu'en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ces dispositions appliquées d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. Z...         aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Nourah Limited.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit le tribunal d'instance de Cannes compétent pour connaître du litige relatif au licenciement de M. Joaquin Z...         ;

AUX MOTIFS QU'en droit, le texte applicable est le règlement nº 1215/2012 du 12 décembre 2012, applicable depuis le 10 janvier 2015, donc au présent litige, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ce texte dispose en son article 20, en matière de contrats individuels de travail, que, lorsqu'un travailleur conclut un contrat de travail avec un employeur qui n'est pas domicilié dans un État-membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre. L'article 21 du même texte prévoit qu'un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait, notamment, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail. Enfin, l'article 23 du même texte dispose qu'il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions : 1) postérieures à la naissance du différend ; ou 2) qui permettent au travailleur de saisir d'autres juridictions que celles indiquées à la présente section. En application de l'article 23 du texte précité, la clause attributive de compétence, dont la conclusion est antérieure à la naissance du différend, est de nul effet. Par ailleurs, il n'est pas contesté que le navire était à l'attache à l'année au port de Cannes. L'avertissement décerné au salarié le 19 novembre 2013 porte d'ailleurs la mention « Pier (quai) Port Canto, 19 novembre 2013 », le port Canto étant le port de plaisance de [...]. La convocation à l'entretien préalable au licenciement porte comme lieu de convocation ce même port Canto « à bord du Nourah of Riyad qui sera à quai », lieu où il est établi par la lettre de licenciement que l'entretien s'est effectivement tenu. Or, le navire, qui se trouvait en permanence à Cannes, constitue un établissement au sens de l'article 20 du texte précité. C'est en outre le lieu de travail habituel du salarié, qui était donc bien fondé à saisir la juridiction cannoise. En droit, il résulte des articles R. 221-13 et R. 221-49 du code de l'organisation judiciaire que le tribunal d'instance connaît les contestations relatives aux contrats d'engagement entre armateur et marins, la demande devant être portée devant le tribunal dans le ressort duquel la convention a été passée ou exécutée, lorsqu'une des parties est domiciliée en ce ressort. En l'espèce, les deux parties sont domiciliées dans le ressort du tribunal d'instance de Cannes, l'employeur par le biais de son établissement, et le salarié justifiant être domicilié [...] , dans le ressort du même tribunal. C'est donc le tribunal d'instance de Cannes qui est compétent, et non le conseil des prud'hommes de cette même ville ;

1) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en décidant d'office d'appliquer le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, pour en déduire la compétence du juge français pour connaître du litige relatif au contrat de travail liant M. Z...         à la société Nourah Ltd, cependant qu'aucune des parties n'avait soulevé l'application de ce règlement, le salarié fondant la compétence des juridictions françaises sur les dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la cour d'appel, qui n'a pas sollicité les observations des parties sur ce moyen relevé d'office, a méconnu le principe de la contradiction et ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2) ALORS QU'une succursale, agence ou « tout autre établissement » au sens de l'article 20, paragraphe 2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis), implique un centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison mère, pourvu d'une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, ce qui exclut les navires, par nature mobiles ; qu'en énonçant que le navire Nourah of Riyad constituait un établissement au sens de l'article 20, paragraphe 1 du règlement Bruxelles I bis, pour en déduire que le conflit de juridictions devait être résolu par application de ce règlement et non du droit commun en la matière, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;

3) ALORS QUE le lieu d'exécution habituel du travail du personnel employé à bord d'un navire est situé dans le pays dont le navire bat pavillon ; qu'en affirmant que le lieu d'exécution habituel du travail de M. Z...        , embauché en qualité d'officier second à bord du navire Nourah of Riyad, immatriculé aux Îles Caïmans, se situait à Cannes, où il était amarré, pour en déduire la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige opposant M. Z...         à son employeur, la cour d'appel a violé l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

4) ALORS, en toute hypothèse, QUE la compétence conférée par le code de l'organisation judiciaire au tribunal d'instance pour connaître des contestations relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail entre l'employeur et le marin ne concerne que les « engagements conclus pour tout service à accomplir à bord d'un navire français », ce qui exclut les engagements conclus par un marin pour servir sur un navire battant pavillon étranger, dont les litiges sont soumis, lorsque les juridictions françaises sont compétentes pour en connaître, aux juridictions prud'homales ; qu'en déclarant le tribunal d'instance de Cannes compétent pour connaître du litige relatif à la rupture du contrat de travail liant M. Z...         à la société Nourah après avoir constaté que celui-ci exécutait son travail à bord d'un navire immatriculé aux Îles Caïmans, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles R. 221-13 et R. 221-49 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article R. 1412-1 du code du travail par refus d'application.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit la loi française applicable au litige ;

AUX MOTIFS QU'en droit, il résulte du règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable. Le paragraphe 2 de l'article 8 du texte précité dispose : « À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. En l'espèce, la loi applicable à défaut de choix est la loi française, la France étant le lieu d'exécution habituel du contrat. Le fond du litige porte sur la régularité et le bien-fondé du licenciement prononcé contre le salarié. Or, le contrat conclu entre les parties prévoit notamment : « Pendant les premiers mois, les sociétés et le salarié pourront résilier le présent contrat sans motif en adressant à l'autre partie un préavis d'une semaine. Ensuite, le délai de préavis sera porté à quatre semaines ». Une telle stipulation du contrat, conforme à la loi anglaise, prive à l'évidence le travailleur de la protection contre le licenciement irrégulier et infondé que lui assure la loi française. Il s'ensuit que la loi anglaise, choisie par les parties, mais moins favorable au salarié, ne peut recevoir application. Il convient donc de faire application de la loi française. Il y a lieu par conséquent d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 mars 2016 par le tribunal d'instance de Cannes, et de renvoyer l'affaire devant cette juridiction pour être jugée conformément à la loi française ;

1) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en décidant d'office d'appliquer le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles pour déterminer la loi applicable au contrat de travail liant M. Z...         à la société Nourah Ltd, cependant que ces deux parties articulaient leur argumentation sur le conflit de lois par application de la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, la cour d'appel, qui n'a pas sollicité les observations des parties sur ce moyen relevé d'office, a méconnu le principe de la contradiction et ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, qui remplace, entre les États membres, la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, s'applique aux contrats conclus après le 17 décembre 2009 ; qu'en déterminant la loi applicable au litige consécutif au licenciement de M. Z...         par application du règlement n° 593/2008, après avoir constaté que le contrat de travail le liant à son employeur avait été conclu le 1er mai 2009, la cour d'appel a violé l'article 28 du règlement n° 593/2008, ensemble les articles 3 et 6 de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles par refus d'application ;

3) ALORS QUE le lieu d'exécution habituel du travail du personnel employé à bord d'un navire est situé dans le pays dont le navire bat pavillon ; qu'en affirmant que le lieu d'exécution habituel du travail du salarié embauché en qualité d'officier second à bord du navire Nourah of Riyad immatriculé aux Îles Caïmans se situait à Cannes, où il était amarré, pour en déduire que la loi française était applicable, à défaut de choix de loi par les parties, au contrat de travail de M. Z...        , la cour d'appel a violé les articles 3, paragraphe 1 et 8, paragraphes 1 et 2 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

4) ALORS QU'à défaut de choix d'une loi exercé par les parties, le contrat de travail international est régi en principe par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat de travail, accomplit habituellement son travail, à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ; qu'en l'espèce, la société Nourah faisait valoir, dans ses écritures d'appel (conclusions du 18 octobre 2016, p. 15/18), que le contrat d'engagement maritime de M. Z...         présentait des liens plus étroits avec l'Espagne au vu de l'ensemble des circonstances de la cause, tenant à la nationalité espagnole du salarié, ainsi qu'à la situation de son domicile [...] lors de l'embauche, ce pays étant par ailleurs le lieu où il s'acquittait de ses obligations fiscales ; qu'en déclarant qu'à défaut de choix de loi, le contrat de M. Z...         était soumis à la loi française en tant que loi du pays dans lequel il accomplissait habituellement son travail, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat entretenait des liens plus étroits avec l'Espagne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8, paragraphe 4 et 19, paragraphe 3 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-28351
Date de la décision : 24/01/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 25 novembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 24 jan. 2018, pourvoi n°16-28351


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.28351
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